Éric et Lola : La Cour suprême se prononce sur les droits des conjoints de fait au Québec

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Il n’est pas étonnant que la saga Éric et Lola ait fait couler tant d’encre et provoqué des débats au cours des dernières années. En effet, les questions de droit soulevées dans ce litige touchent directement le noyau familial d’un grand nombre de Québécois vivant en union de fait et opposent par le fait même la liberté de choix des individus au besoin de protection du conjoint souffrant des conséquences économiques de la rupture.

Le 25 janvier 2013, la cour suprême du canada a tranché de façon finale le litige qui opposait Éric et Lola quant à la question des droits des conjoints de fait. Dans un arrêt1 comportant une importante dissidence, la cour suprême confirme la validité constitutionnelle des articles du Code civil du Québec qui prévoient que l’obligation alimentaire et le partage des intérêts financiers s’appliquent exclusivement aux conjoints mariés ou unis civilement et non aux conjoints de fait, laissant ainsi le droit civil québécois inchangé en la matière.

Cela signifie qu’en l’absence d’une entente, les conjoints de fait au Québec ne peuvent, peu importe la durée de leur union ou la présence d’enfants, réclamer des aliments pour eux-mêmes ou le partage des biens, dont un seul conjoint est propriétaire.

Il convient toutefois de rappeler que la pension alimentaire pour enfants est établie en fonction du type de garde et des revenus de leurs parents, en vertu des lignes directrices applicables et ce, peu importe que leurs parents soient mariés, unis civilement ou en union de fait.

Bien que le jugement de la cour suprême ne modifie pas le droit applicable aux conjoints de fait, la médiatisation du litige opposant Éric et Lola a contribué à informer les Québécois quant aux différences fondamentales entre les droits des conjoints mariés ou unis civilement et ceux des conjoints de fait.

HISTORIQUE DES FAITS ET DES PROCÉDURES
Revenons brièvement sur les faits et les procédures judiciaires entourant l’union d’Éric et Lola et leur rupture.

Éric et Lola se rencontrent en 1992 alors que Lola est âgée de 17 ans, vit chez ses parents dans son pays d’origine et poursuit ses études. Éric est alors âgé de 32 ans et est à la tête d’une entreprise prospère à l’échelle internationale.

Après avoir voyagé ensemble autour du monde plusieurs fois, Lola devient enceinte en 1996 de leur premier enfant et s’installe au Québec où demeure Éric. ils auront par la suite deux autres enfants en 1999 et en 2001.

Pendant la vie commune, Lola ne travaille pas à l’extérieur du foyer et accompagne souvent Éric dans ses déplacements à l’étranger. Éric pourvoit à tous les besoins de Lola et des enfants. Lola fait part de son désir de se marier à Éric, mais celui-ci ne croit pas en l’institution du mariage. Éric et Lola se séparent définitivement en 2002 après avoir cohabité pendant sept ans.

En février 2002, Lola dépose une requête à la cour supérieure du Québec, district de Montréal, pour obtenir la garde exclusive de ses enfants et une pension alimentaire pour ceux-ci. elle joint à sa requête un avis au procureur général du Québec de son intention de contester la constitutionnalité de plusieurs articles du Code civil du Québec afin d’obtenir le même régime juridique que celui prévu pour les conjoints mariés, à savoir une pension alimentaire pour elle-même, une somme globale, le partage du patrimoine familial et de la société d’acquêts ainsi que la réserve de ses droits de réclamer une prestation compensatoire. L’usage de la résidence familiale a été réglé par une entente entre les parties dans l’instance relative à la garde des enfants.

L’honorable carole Hallée, juge à la cour supérieure, dans son jugement du 9 juillet 20092 rejette les arguments constitutionnels de Lola et conclut que les dispositions du Code civil du Québec ne portent pas atteinte au droit à l’égalité. en effet, la juge Hallée conclut que Lola n’a pas réussi à démontrer l’existence d’effets discriminatoires réels et découlant de la distinction créée par le Code civil du Québec entre les conjoints de fait et les conjoints mariés et que cette absence de preuve lui est fatale.

Lola s’est adressée à la cour d’appel du Québec qui a accueilli en partie son appel3 et a déclaré inopérante la disposition relative à l’obligation alimentaire entre conjoints (article 585 c.c.Q.) pour cause d’invalidité constitutionnelle. La cour d’appel confirme toutefois la décision de la juge Hallée concluant à la constitutionnalité des dispositions portant sur la résidence familiale, le patrimoine familial, la prestation compensatoire et la société d’acquêts. La cour d’appel à la majorité suspend la déclaration d’invalidité de l’article 585 c.c.Q. pour une période de 12 mois afin de laisser le temps au législateur québécois de trouver une solution constitutionnelle.

Éric et le procureur général du Québec ont interjeté appel de la décision de la cour d’appel à l’égard de l’invalidité de l’article 585 c.c.Q. devant le plus haut tribunal du pays. Lola quant à elle a interjeté appel à l’encontre de la confirmation de la validité constitutionnelle des dispositions quant au partage des biens.

LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME
Le 25 janvier 2013, la cour suprême rend un jugement très divisé relativement aux questions constitutionnelles portées devant elle, lesquelles se résument comme suit :

1. Les articles du Code civil du Québec prévoyant l’obligation alimentaire et le partage des biens entre époux et conjoints unis civilement seulement sont-ils discriminatoires au sens de l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?

2. Dans l’affirmative, s’agit-il d’une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Les motifs du jugement ont été rendus par le juge Lebel avec l’accord des juges fish, Rothstein et Moldaver. La juge Abella était dissidente quant au résultat et les juges Deschamps, cromwell et Karakatsanis étaient dissidents en partie quant au résultat. finalement, la juge en chef McLachlin a fait pencher la balance en rendant une opinion concordante quant au résultat seulement à celle du juge Lebel.

Selon les juges Lebel, fish, Rothstein et Moldaver, l’obligation alimentaire constitue une partie intégrale et indissociable de l’ensemble des mesures qui forment le régime primaire impératif québécois.

Afin d’établir l’existence d’une discrimination au sens du paragraphe 15(1) de la charte, Lola devait démontrer, par prépondérance des probabilités, que les articles créent une distinction désavantageuse fondée sur un motif énuméré ou analogue et que ce désavantage est discriminatoire parce qu’il perpétue un préjugé ou qu’il applique un stéréotype.

Ils indiquent que les articles du code civil créent effectivement une distinction basée sur le motif analogue qu’est l’état matrimonial, mais que cette distinction n’est pas discriminatoire puisqu’elle ne crée pas de désavantage par l’expression ou la perpétuation d’un préjugé ou par l’application de stéréotypes. ils concluent plutôt que l’union de fait serait devenue un mode de conjugalité respecté n’entraînant aucun jugement péjoratif dans la société québécoise. Aucune hiérarchie n’est créée par le législateur entre les différents types d’union et celui-ci ne procède qu’à la définition du contenu juridique des différents types d’union.

Selon eux, le législateur québécois fait du consentement la clé de la modification des rapports patrimoniaux mutuels entre les conjoints. Ainsi, un consentement explicite et non présumé constitue la base des obligations de soutien alimentaire et de partage des intérêts patrimoniaux entre conjoints.

Loin d’être anticonstitutionnels, les articles contestés du Code civil du Québec respectent plutôt l’autonomie des personnes et la liberté des conjoints d’aménager leurs rapports en fonction de leurs besoins.

Finalement, bien que l’union de fait échappe au cadre législatif propre au mariage et à l’union civile, les conjoints demeurent néanmoins libres de conclure des ententes afin d’organiser leurs relations patrimoniales pendant la vie commune et de prévoir les conséquences d’une éventuelle rupture.

Quant à la deuxième question, à savoir s’agit-il d’une limite raisonnable, les juges Lebel, fish, Rothstein et Moldaver sont d’avis qu’il n’est pas nécessaire de répondre à cette question vu la conclusion à laquelle ils en arrivent quant à la première question.

La juge Abella, dissidente, est d’avis que le fait que les articles prévus au Code civil du Québec en matière de soutien alimentaire et de partage des biens excluent complètement les conjoints de fait constitue une violation de l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. La distinction selon l’état matrimonial constitue un motif analogue pour l’application de cet article et perpétue un désavantage arbitraire pour les conjoints vivant en union de fait. Le fait que ces derniers peuvent décider de se marier ne les exclut pas de la protection de l’article 15(1).

Selon elle, les dispositions du Code civil du Québec en ce qui a trait au soutien alimentaire et au partage des biens entre conjoints mariés ou unis civilement sont en quelque sorte une reconnaissance des rôles assumés par chaque membre d’un couple durant la vie commune et visent à pallier toute situation de dépendance ou de vulnérabilité qui en résulte. or, les « caractéristiques fonctionnelles » d’une union et les inconvénients découlant de sa dissolution sont souvent les mêmes que les conjoints soient mariés, unis civilement, ou qu’ils vivent en union de fait.

Tant les dispositions sur le soutien alimentaire que le partage de biens se veulent, selon la juge Abella, des mesures de protection qui vont au-delà de leur caractère contractuel. De plus, il y a lieu de reconnaître que le choix de se marier ou de plutôt vivre en union de fait est réciproque et est souvent influencé par un nombre de facteurs qui ne relèvent pas nécessairement de la seule volonté d’un individu.

De plus, l’exclusion totale des conjoints de fait au droit au soutien alimentaire et au partage des biens familiaux en cas de rupture ne constitue pas une limite raisonnable et n’est pas justifiée au sens de l’article premier de la charte. en effet, l’atteinte au droit à l’égalité n’est ni minimale ni proportionnelle pour le conjoint plus vulnérable selon la juge Abella. De plus, le respect du droit à l’autonomie et au libre choix des Québécois pourrait être respecté en créant un mécanisme de retrait permettant aux individus vivant en union de fait d’échapper à l’application d’un régime légal qui par défaut leur accorderait le droit à un soutien alimentaire et au partage des biens familiaux en cas de rupture.

Les juges Deschamps, cromwell et Karatsanis sont d’accord avec l’analyse qu’effectue la juge Abella quant à l’article 15(1) de la charte et avec sa conclusion voulant que les articles prévus au Code civil du Québec en matière de soutien alimentaire et de partage des biens qui excluent les conjoints de fait constituent une atteinte au droit à l’égalité.

Toutefois, ils sont d’avis qu’il y a lieu de distinguer le droit au soutien alimentaire du droit au partage des biens familiaux. Alors que le droit aux aliments résulte de la création d’une relation d’interdépendance entre conjoints qui ne relève souvent pas de la seule volonté des parties, il en est tout autre de l’acquisition de biens et du droit de propriété qui en découle.

Pour eux, l’exclusion des conjoints de fait au droit au partage des biens est justifiée au sens de l’article premier de la charte, alors que l’exclusion au droit de réclamer une pension alimentaire pour leurs besoins ne l’est pas. bien que l’objectif de la Loi actuelle voulant favoriser le libre choix des Québécois soit important, l’exclusion des conjoints de fait plus vulnérables au droit aux aliments en cas de rupture porte atteinte à leur droit à l’égalité de manière disproportionnée. en effet, certains individus vivant en union de fait souffrent des conséquences économiques de la rupture du couple, et ce, au même titre que ceux qui étaient mariés ou unis civilement.

La juge McLachlin est également d’accord avec l’analyse qu’a effectuée la juge Abella quant à l’article 15(1) de la charte et avec sa conclusion. toutefois, c’est elle qui tranche en statuant que l’atteinte au droit à l’égalité aux conjoints de fait est justifiée au sens de l’article premier de la charte. en effet, la Loi atteint l’objectif premier du législateur québécois, soit de favoriser le libre choix des individus de se soumettre aux obligations prescrites par la Loi en ce qui a trait au soutien alimentaire et au partage des biens familiaux. puisqu’il est nécessaire de tenir compte du fait qu’il revient à chaque province d’établir les lois qui gouverneront sa population et de décider par le fait même de certaines questions sociales plus délicates, l’atteinte au droit à l’égalité des conjoints de fait n’est pas disproportionnée eu égard aux avantages de la Loi qui permet aux couples québécois de décider de la nature du lien juridique qui les unira.

CONCLUSION
Suite à cette longue saga judiciaire, le statu quo est donc maintenu pour les conjoints de fait du Québec. La situation est claire : en cas de séparation, il n’existe aucun droit au soutien alimentaire ni au partage des biens dont on n’est pas propriétaire.

La division au sein de la cour suprême reflète peut-être la division d’opinion chez les Québécois sur la question, particulièrement en matière de soutien alimentaire entre conjoints de fait, et amènera sans doute le législateur du Québec à se pencher sur la question de plus près.

Il appartient actuellement aux conjoints de fait de façonner leurs relations juridiques selon les objectifs qu’ils recherchent. Les conjoints de fait pourraient décider des conséquences d’une rupture et des contributions de chacun aux dépenses du couple à l’avance par le biais d’un contrat de cohabitation bien rédigé et adapté à leurs besoins. il en va de même des modalités d’acquisition de droits de propriété par les personnes vivant en union de fait.

Peu importe leur situation économique respective, chaque membre d’un couple vivant en union de fait pourrait avoir avantage à consulter un professionnel à cet effet dès le début de la vie commune, et ce, afin d’éviter, ou à tout le moins minimiser, les conséquences économiques parfois désastreuses de la rupture d’une union de fait entre conjoints mal informés. L’importance de consulter un professionnel et de s’informer adéquatement quant aux conséquences concrètes pour chacun de se marier, de s’unir civilement ou de vivre en union de fait n’est pas à minimiser; cela permet de prendre des décisions éclairées et en toute connaissance de cause.

L’équipe de Droit de la famille, des successions et des personnes de Lavery, assistée des avocats pratiquant en droit fiscal et en protection et transmission du patrimoine, vous offre des services juridiques complets et des solutions visant la protection de vos droits et l’atteinte de vos objectifs.
_________________________________________  

1 Québec (procureur général) C.A., 2013 CSC 5. 

2 Droit de la famille - 091768, 2009 QCCSs 3210. 

3 Droit de la famille - 102866, 2010 QCCA 1978.

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