Vente sous contrôle de justice : la désignation de l’officier chargé de la vente à la lumière des règles de conflit d’intérêts

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La Cour supérieure a récemment rendu un jugement1 précisant l’étendue de la discrétion dont dispose un tribunal lorsqu’il entérine la suggestion faite par un créancier, dans le cadre de l’exercice de son recours hypothécaire, quant à la possibilité de nommer un employé de ses conseillers juridiques à titre d’officier de justice chargé de procéder à la vente sous contrôle de justice des biens hypothéqués en sa faveur.

LE CONTEXTE
La Cour supérieure était saisie de cinq dossiers aux faits essentiellement similaires. Dans chacun de ces dossiers, le prêt consenti à un débiteur (le « Débiteur ») est garanti par une hypothèque en faveur du prêteur (le « Créancier »).

À la suite au défaut du Débiteur d’effectuer les paiements mensuels prévus en remboursement du prêt, le Créancier entame un recours hypothécaire et s’adresse au tribunal afin que celui-ci entérine les modalités qu’il suggère pour la vente sous contrôle de justice, de gré à gré, des biens grevés par l’hypothèque dont il est le titulaire; ces modalités prévoient la nomination d’un employé de ses procureurs afin de procéder à la vente sous contrôle de justice.

La juge Carole Julien rappelle d’abord l’étendue du pouvoir du tribunal dans le cadre du processus de vente sous contrôle de justice :

2791 C.c.Q. La vente a lieu sous contrôle de justice lorsque le tribunal désigne la personne qui y procédera, détermine les conditions et les charges de la vente, indique si elle peut être faite de gré à gré, par appel d’offres ou aux enchères et, s’il le juge opportun, fixe, après s’être enquis de la valeur du bien, une mise à prix.

L’hypothèque elle-même investit donc le Créancier du pouvoir d’exercer son recours pour vente sous contrôle de justice et le tribunal ne peut lui refuser ce droit. Le rôle du tribunal se résume à s’assurer que le Créancier respecte les critères juridiques à cet égard et à statuer sur les modalités de cette vente, notamment quant au choix de la personne chargée de procéder à la vente, à l’étendue de sa responsabilité, à sa rémunération, à la date de
la vente et à la publicité entourant celle-ci, au délai pour payer le solde de la vente, aux droits de mutation éventuels, etc.2

LA QUESTION EN LITIGE
La juge formule comme suit la question soulevée par les faits en cause dans chaque dossier :

« Y a-t-il conflit d’intérêts si la personne désignée par le Tribunal pour effectuer la vente sous contrôle de justice est l’avocat (ou un de ses employés) du créancier en cause?3 »

ANALYSE
D’entrée de jeu, la juge rappelle que la suggestion, par le Créancier, d’une personne chargée de procéder à la vente sous contrôle de justice des biens grevés par l’hypothèque ne lie par le tribunal. En effet, le tribunal a le pouvoir de désigner toute autre personne qu’il juge davantage impartiale, indépendante et compétente pour ce faire4.

La personne chargée de procéder à la vente devient donc un officier de justice nommé par le tribunal. Afin de respecter les exigences liées à cette responsabilité, elle doit être compétente tant sur les plans objectif que subjectif. Alors que la « compétence objective » renvoie à la capacité et aux compétences pratiques requises pour mener à bien un processus de vente sous contrôle de justice, la « compétence subjective » renvoie plutôt à la capacité de traiter les intérêts de chaque partie, notamment ceux du titulaire de l’hypothèque et de son constituant, sur un pied d’égalité tout en évitant les situations de conflit d’intérêts5.

À cet effet, le Code de déontologie des avocats6 (le « C.d. ») stipule, au premier paragraphe de l’article 3.06.07, que tout avocat qui représente des intérêts opposés se place en situation de conflit d’intérêts. La Cour supérieure précise la portée de cette disposition en ajoutant que l’existence d’un conflit d’intérêts s’apprécie à la lumière du devoir de loyauté et de confidentialité de l’avocat envers les personnes qu’il représente. Toute situation doit donc être évaluée, non pas en fonction d’un critère strict requérant la certitude de l’existence d’un conflit d’intérêt, mais plutôt selon la possibilité qu’il existe une apparence d’un tel conflit7.

Le Code civil du Québec précise que la personne chargée de procéder à la vente sous contrôle de justice agit à titre de mandataire légal du propriétaire du bien vendu :

2793 C.c.Q. La personne chargée de vendre le bien est tenue, outre de suivre les règles prescrites au Code de procédure civile (chapitre C-25) pour la vente du bien d’autrui, d’informer de ses démarches les parties intéressées si celles-ci le demandent.

Elle agit au nom du propriétaire et elle est tenue de dénoncer sa qualité à l’acquéreur.

Afin de remplir adéquatement ce mandat, la juge souligne que cette personne doit agir avec prudence et défendre les intérêts contradictoires en cause, conformément aux règles de l’administration du bien d’autrui (articles 1299 à 1370 C.c.Q.). En sa qualité de simple administrateur, elle est notamment assujettie à une obligation de loyauté, de prudence et d’impartialité8.

La juge Julien relève certaines décisions où le tribunal a accepté que le représentant d’un créancier effectue la vente sous contrôle de justice9. Il appert néanmoins que cette jurisprudence n’abordait pas directement la question sous l’angle des conflits d’intérêts.

La question était donc de déterminer si, en désignant un employé des conseillers juridiques du Créancier pour effectuer la vente sous contrôle de justice, il existait un risque apparent ou réel que celui-ci priorise les intérêts économiques de son cabinet juridique au détriment de ceux du Débiteur dont il est le mandataire légal.

Il apparaît pourtant que les parties à une vente sous contrôle de justice ont généralement certains intérêts convergents. Néanmoins, même si un créancier et son débiteur ont un intérêt commun à ce que le bien hypothéqué soit vendu pour le prix le plus élevé possible, il importe de ne pas perdre de vue que ce même créancier conserve, peu importe le prix de vente, un recours à l’encontre de son débiteur lorsque le produit de la vente est inférieur au montant stipulé à l’hypothèque.

En l’espèce, la personne suggérée par le Créancier ne peut donc pas agir à titre d’officier de justice dans le cadre de la vente sous contrôle de justice. Rejetant la suggestion du Créancier, la juge, rappelant un principe établit dans ADR Capital Inc. c. Weinberg10, résume ainsi son raisonnement :

« [55] Tel que discuté plus haut, la personne désignée par la Cour se voit octroyer « une partie de l’autorité des tribunaux » et elle devient « le prolongement de la Cour et de son autorité ». Lorsque cette personne est un avocat, ou son employé, qui agit dans le dossier en tant que représentant du créancier, son devoir d’impartialité et de neutralité peut être mis en doute. Or, les avocats doivent non seulement éviter toute situation de conflits d’intérêts (art. 3.06.06 C.d.) mais aussi [celles] qui donnent l’apparence d’un tel conflit.

[56] En agissant à la fois pour le créancier et le débiteur, dans une telle affaire de vente sous contrôle de justice, l’avocat représente des intérêts opposés dans leurs aspects divergents ce qui contrevient à l’article 3.06.07 par. 1 C.d. De plus, l’avocat ne peut représenter de manière concomitante un syndic de faillite ou un liquidateur ainsi que le débiteur ou le créancier en question (art. 3.06.07 par. 3 C.d.). Cette interdiction peut se comparer au rôle conflictuel que jouerait l’avocat en agissant comme personne désignée dans la vente sous contrôle de justice tout en représentant le créancier ou le débiteur en cause. Le Code de déontologie interdit d’ailleurs à l’avocat d’exercer le rôle de huissier ou d’exercer des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires tout en exerçant son rôle d’avocat dans un même dossier (articles 3.05.05 par. a) et 4.01.01 C.d.).

[57] De plus, l’avocat est tenu d’éviter « toutes les méthodes et attitudes susceptibles de donner à sa profession un caractère de lucre et de commercialité » (art. 3.08.03 C.d.). Bien que l’avocat puisse vouloir offrir des services complets à son client, il lui faut évaluer leur impact sur l’apparence de justice. En proposant la candidature d’un parajuriste de son cabinet pour agir comme personne désignée dans une procédure entamée pour le bénéfice de son client créancier, l’avocat peut paraître tirer un avantage pécuniaire non éthique de ce dossier.11 »

COMMENTAIRES
Le jugement Compagnie de fiducie AGF c. Soulières précise le rôle de la personne désignée en tant qu’officier de justice chargé de procéder à une vente sous contrôle de justice. Ainsi, même si un créancier hypothécaire demeure libre de choisir la nature de son recours hypothécaire, la discrétion dont dispose le tribunal afin d’entériner les modalités de vente suggérées par ce créancier est limitée par le devoir d’impartialité et d’indépendance qui incombe à l’officier
de justice nommé en vue de mettre en œuvre ces mêmes modalités.
_________________________________________  

1 Compagnie de fiducie AGF c. Soulières, 2013 QCCS 83 (jugement unique pour cinq dossiers). 

2 Louis Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, par. 3541; voir notamment Montréal Trust Co. of Canada c. Regletex Inc., J.E. 98-883 (C.S.)
(appel rejeté, J.E. 98-1874 (C.A.)). 

3 Préc., note 1, par. 38. 

4 Id., par. 30; voir également Louis Payette, préc., note 2, au paragraphe 1851. 

5 Id., par. 33. 

6 R.R.Q., c. B-1, r. 3. 

7 Préc., note 1, par. 35; voir également Castor Holdings Ltd. (Syndic de), [1995] R.J.Q. 1665 (C.A.) (requête pour permission d’appeler rejetée, C.S.C., 25-04-1996, n°24910). 

8 Articles 1309, 1310 et 1317 C.c.Q.; le paragraphe 1 de l’article 1310 C.c.Q. établit expressément que « l’administrateur ne peut exercer ses pouvoirs dans son propre intérêt ni dans celui d’un tiers; il ne peut non plus se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et ses obligations d’administrateur. S’il est lui-même bénéficiaire, il doit exercer ses pouvoirs dans l’intérêt commun, en considérant son intérêt au même titre que celui des autres bénéficiaires. » 

9 Préc., note 1, par. 47 et 48. 

10 2008 QCCS 4788, par. 30. 

11 Préc., note 1, par. 55 à 57.

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