Le séquestre intérimaire : Un « syndic de faillite » dispensé d’obtenir un certificat de décharge

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Dans un jugement rendu dans l’affaire 9210-6905 Québec inc. (proposition de)1 la Cour supérieure du Québec conclut qu’un séquestre intérimaire n’est pas tenu d’obtenir un certificat de décharge des autorités fiscales avant de procéder à la distribution des biens d’une débitrice et n’est pas susceptible d’engager sa responsabilité personnelle pour ce motif.

En effet, la Cour y déclare qu’un séquestre intérimaire nommé en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité2 (la « LFI ») est un « syndic de faillite » au sens de l’article 159(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu3 (la « LIR »). Par conséquent, le séquestre intérimaire bénéficie de l’exception dispensant un « syndic de faillite » d’obtenir un certificat (un « Certificat de décharge ») attestant que tout montant dû en vertu de la LIR a été acquitté.

CONTEXTE

La débitrice 9210-6905 Québec inc. (la « Débitrice ») dépose le 24 mars 2014 un avis d’intention de faire une proposition et Richter Groupe Conseil inc. (« Richter ») est désigné pour agir à titre de syndic à l’avis d’intention.

Le 27 mars 2014, la Cour rend une ordonnance nommant Richter pour agir à titre de séquestre intérimaire en vertu de la LFI. La Débitrice, avec l’aide de Richter, entreprend ensuite un processus visant à solliciter des offres d’acheteurs potentiels pour ses actifs.

Le 17 juillet 2014, la Cour rend une ordonnance autorisant la vente de la majorité des actifs de la Débitrice et ordonnant que le produit de la vente des actifs de la Débitrice soit remis à Richter pour être distribué aux créanciers de la Débitrice.

DISTRIBUTION DES SOMMES PERÇUES PAR RICHTER

À la suite de la vente des actifs et de la perception de créances de la Débitrice, Richter souhaite distribuer aux créanciers un montant net de plus de 500 000 $, le tout selon les droits respectifs des créanciers.

Dans le cadre de cette distribution, Richter propose de payer en premier lieu les sommes qui sont dues aux autorités fiscales relativement aux montants déduits à la source par la Débitrice (les « DAS ») et faisant l’objet de fiducies présumées au sens des lois fiscales ou de certaines autres lois.

Les sommes dues par la Débitrice aux autorités fiscales qui ne sont pas des DAS ne sont toutefois pas acquittées dans le cadre de la distribution proposée. En effet, les créanciers garantis de la Débitrice bénéficient d’un rang prioritaire à celui des autorités fiscales quant à ces sommes, et le solde du montant net à être distribué par Richter est nettement insuffisant pour permettre le paiement complet des sommes dues aux créanciers garantis.

QUESTION EN LITIGE

Richter présente à la Cour une Requête pour directives afin d’être autorisé à procéder à la distribution proposée et demande à la Cour de déclarer qu’il n’est pas tenu d’obtenir un Certificat de décharge aux termes des dispositions législatives fédérales et québécoises pertinentes (soit l’article 159(2) LIR et l’article 14 de la Loi sur l’administration fiscale4 (la « LAF »)).

Revenu Québec ne conteste pas la requête de Richter, contrairement à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») qui allègue essentiellement que l’exception prévue à l’article  159(2) LIR ne s’applique pas à Richter agissant à titre de séquestre intérimaire, de sorte que Richter serait tenu d’obtenir un Certificat de décharge.

Rappelons que l’article 159(2) LIR édicte que chaque « représentant légal (à l’exclusion d’un syndic de faillite) d’un contribuable doit, avant de répartir entre plusieurs personnes ou d’attribuer à une seule des biens en sa possession ou sous sa garde en sa qualité de représentant légal, obtenir du ministre » un Certificat de décharge. En vertu de l’article 159(3) LIR, le représentant légal qui fait défaut d’obtenir le Certificat de décharge avant de procéder à une distribution est personnellement redevable des sommes dues aux autorités fiscales, jusqu’à concurrence de la valeur des biens distribués.

Il est à noter que la LAF contient des dispositions au même effet à son article 14.

DÉCISION

Analysant les effets pratiques des dispositions des articles 159(2) et 159(3) LIR à la lumière de la position soutenue par l’ARC, la Cour mentionne ce qui suit :

[11] Or, le syndic ne pourra pas obtenir le certificat de décharge puisque, comme on l’a vu plus haut, un montant de 29 640 $ demeure dû à l’ARC.

[12] Le syndic est donc pris dans cette situation déroutante où il a exécuté l’ordre de la Cour, mais doit conserver le produit de vente, faute d’avoir un certificat de décharge qu’il ne pourra jamais obtenir, alors qu’en cas de faillite, la question ne se poserait pas.

La Cour rejette la position de l’ARC selon laquelle l’expression « syndic de faillite » employée à l’article 159(2) LIR exclut un séquestre intérimaire nommé conformément à la LFI.

D’abord, la Cour rappelle que seul un « syndic » peut agir à titre de séquestre intérimaire au sens de la LFI.

La Cour explique ensuite que l’ajout de l’expression « de faillite  » après le mot « syndic » à l’article 159(2) LIR résulte de la volonté du législateur fédéral « de distinguer le syndic qui agit en vertu de la Loi sur la faillite et celui qui est, par exemple, le syndic d’un ordre professionnel ou un mandataire choisi par les copropriétaires d’un immeuble »5.

La Cour conclut ainsi :

[23] Puisque seul un syndic licencié, communément appelé un syndic de faillite, est habilité à agir selon l’article 47 LFI, le législateur avait à l’esprit que l’immunité de l’article 159(2) LIR vaut pour un syndic nommé en vertu de la LFI pour agir à titre de séquestre intérimaire.

Cette interprétation est également conforme à l’esprit de l’article 215 LFI selon lequel le séquestre intérimaire, tout comme le syndic, bénéficie d’une immunité relative lorsqu’il exerce un devoir conformément à la loi6.

Enfin, la Cour rejette l’argument de l’ARC selon lequel elle ne peut accorder la conclusion recherchée par Richter sans outrepasser sa juridiction au motif que seule la Cour canadienne de l’impôt peut dispenser Richter d’obtenir le Certificat de décharge. En effet, la juge conclut que la Cour supérieure a compétence pour interpréter le sens de l’expression « syndic de faillite » et pour déclarer qu’un séquestre intérimaire nommé en vertu de la LFI est inclus dans cette expression.

CONCLUSION

La Cour déclare donc que Richter, agissant comme séquestre intérimaire, est un « syndic de faillite » au sens de l’article 159(2) LIR.

Compte tenu de la terminologie similaire employée dans la loi québécoise7, nous sommes d’avis que la conclusion de la Cour s’applique tant à la loi fédérale qu’à la loi provinciale.

Nous sommes également d’avis que la conclusion à laquelle en arrive la Cour est applicable aussi à un syndic à l’avis d’intention, à un syndic à la proposition et à un séquestre nommé en vertu de l’article 243 LFI, de même qu’à un contrôleur nommé en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies8 et à un liquidateur nommé en vertu de la Loi sur les liquidations et les restructurations9.

Ce jugement est important en pratique puisqu’il permet à tout titulaire d’une licence de syndic agissant dans le cadre de l’une ou l’autre des fonctions mentionnées ci-dessus de bénéficier de l’exception relative au « syndic de faillite » et d’être dispensé de l’obligation d’obtenir un Certificat de décharge lorsqu’il distribue les biens d’une personne insolvable.


1 C.S.M. 500-11-046426-140, Transcription révisée des motifs du jugement rendu séance tenante le 25 juin 2015 par l’honorable Danielle Turcotte, j.c.s.
2 L.R.C. (1985), ch. B -3.
3 L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.).
4 RLRQ, c. A-6.002.
5 Paragraphe 19 du jugement.
6 Paragraphe 22 du jugement.
7 Voir art. 14 LAF.
8 L.R.C. (1985), ch. C-36.
9 L.R.C. (1985), ch. W -11.

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