La garantie d’usage en droit de la consommation : la Cour d’appel se prononce

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 Cette publication a été coécrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil.

Lavery suit de près l’évolution des recours collectifs en droit de la consommation et se faIt un devoir de tenir le milieu des affaires informé en cette matière en publiant régulièrement des bulletins traitant des nouveautés jurisprudentielles ou législatives qui sont susceptibles d’influencer, voire de transformer, les pratiques du milieu.

Dans Fortin c. Mazda Canada inc.1, la Cour d’appel du Québec infirme la décision de première instance2 et condamne Mazda à payer des dommages aux conducteurs des véhicules de modèle Mazda 3 des années 2004 à 2007 affectés d’un défaut de conception. Il appert que le verrouillage du côté du conducteur serait défectueux, de sorte qu’une simple pression dirigée stratégiquement au-dessus de la poignée de la portière côté conducteur suffirait pour neutraliser le système de verrouillage de ce véhicule.

Les membres du recours collectif sont divisés en deux groupes. D’abord ceux dont le véhicule a été l’objet d’une attaque, qui réclament la valeur des objets volés, le coût de la réparation de la portière endommagée et la franchise d’assurance, le cas échéant (« Groupe 1 »), et ceux qui réclament une compensation pour les inconvénients occasionnés par l’installation gratuite d’un mécanisme de renforcement du système de verrouillage de la portière (« Groupe 2 »). De plus, les deux groupes réclament une diminution du prix de vente au motif que Mazda a omis de divulguer un fait important, et des dommages punitifs.

JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

La Cour supérieure du Québec a rejeté sur le fond le recours collectif au motif que le mécanisme de verrouillage de la portière ne comporte pas de vice de conception puisque selon l’usage auquel il est destiné, le mécanisme crée un obstacle suffisant, permettant de diminuer de façon substantielle la possibilité d’un vol. Incidemment, il n’existe aucun standard de sécurité régissant l’efficacité d’un système de verrouillage pour les automobiles. Par conséquent, la facilité à contourner ce système de protection ne relève pas du déficit d’usage. La Cour n’a pas retenu non plus que Mazda s’était livrée à une pratique de commerce interdite en omettant de divulguer un fait important sur un élément de sécurité. À tout événement, l’intervention criminelle d’un tiers a rompu le lien de causalité entre le vice allégué et les dommages subis.

Pour ce qui est de la réclamation des membres dont le véhicule n’a pas été l’objet d’une attaque (Groupe 2), la Cour estime qu’il n’ont subi aucune manifestation du vice. Le fait qu’ils aient dû se rendre chez leur concessionnaire pour l’installation d’un mécanisme de renforcement du système de verrouillage fait partie des troubles ordinaires de la vie et ne justifie donc pas l’octroi de dommages-intérêts.

En l’absence d’une preuve d’insouciance de la part de Mazda face à ses obligations légales, la Cour a également rejeté la réclamation en dommages punitifs.

JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL

LA LOI SUR LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR (LPC) ET LA NOTION DE VICE CACHÉ
La LPC prévoit qu’un bien doit pouvoir servir à l’usage auquel il est normalement destiné (article 37 LPC) pendant une durée raisonnable, qui peut varier selon le prix payé, les dispositions du contrat et les conditions d’utilisation (article 38 LPC). Si le bien ne permet pas l’usage auquel le consommateur peut raisonnablement s’attendre, il y a alors présomption que le défaut est antérieur à la vente. De plus, ni le commerçant ni le fabricant ne peuvent opposer au consommateur le fait qu’ils ignoraient ce vice ou ce défaut (article 53 LPC).

La Cour confirme que les garanties précitées sont une application particulière de la notion de vice caché connue en droit civil québécois. La Cour ajoute une nuance importante : par l’effet de la LPC, le fardeau de preuve d’un consommateur souhaitant invoquer le défaut d’usage en vertu de l’article 37 LPC est atténué en comparaison avec celui d’un acheteur qui invoque la garantie de qualité du Code civil du Québec (CCQ).

En effet, un recours invoquant la garantie de qualité en vertu du CCQ doit satisfaire quatre critères; 1) être occulte, 2) être suffisamment grave, 3) être inconnu de l’acheteur et 4) être antérieur à la vente. Or, la Cour est d’avis que, à l’instar de la garantie prévue à l’article 38 LPC, la garantie contre le déficit d’usage en vertu de l’article 37 LPC dispense le consommateur de démontrer l’existence d’un défaut occulte, dans la mesure où le consommateur s’est livré à un examen ordinaire du bien avant l’achat.

La Cour précise que la présomption d’existence d’un défaut occulte élargit la « conception traditionnelle » du vice caché en ce qu’un consommateur pourrait bénéficier de la garantie prévue à l’article 37 LPC sans que le bien ne soit atteint d’un défaut matériel. Le consommateur doit seulement démontrer qu’il existe un déficit d’usage sérieux et qu’il en ignorait l’existence au moment de la vente.

LES CONDITIONS D’APPLICATION DE LA GARANTIE D’USAGE
La Cour souligne que la garantie d’usage imposée au commerçant et au manufacturier crée une obligation de résultat. Cette obligation s’apprécie essentiellement sur les attentes raisonnables de l’acheteur. Un tribunal devra appliquer la norme objective c’est-à-dire l’attente d’un consommateur moyen appréciée au regard de la nature du produit et de sa destination.

La Cour relève que bien que ce soit une défense souvent invoquée, le fait que le commerçant respecte les normes légales ou standards de l’industrie ne l’exonère pas pour autant d’une conclusion de déficit d’usage. De plus, elle précise que « l’absence de normes ne libère pas le manufacturier de son obligation de tenir compte des besoins et des attentes raisonnables de sa clientèle ».

La Cour supérieure a donc erré lorsqu’elle a conclu que, dans le cadre d’un usage normal, le mécanisme de verrouillage fonctionne très bien. En effet, cette analyse ne tient pas compte de l’attente du consommateur qui croit légitimement que son véhicule est équipé d’un système de verrouillage capable de créer « un obstacle raisonnable contre les intrusions malveillantes ».

En appliquant les présomptions d’antériorité du vice et d’existence d’un défaut occulte conférées par l’application de l’article 37 LPC, le consommateur n’a qu’à démontrer que la faiblesse du système de verrouillage était substantielle et que, s’il l’avait su, il n’aurait pas acheté le véhicule. À cet égard, la Cour fait siens les arguments de l’appelant et estime que tout consommateur informé de la faiblesse du système de verrouillage aurait renoncé à acquérir ce modèle pour le prix payé.

Par conséquent, la Cour infirme le jugement de première instance et conclu que les véhicules Mazda visés par le recours étaient atteints d’un important déficit d’usage donnant lieu aux mesures réparatrices prévues à l’article 272 LPC.

L’OBLIGATION D’INFORMATION
L’article 228 LPC interdit au commerçant, fabricant ou publicitaire de passer sous silence un fait important. Contrairement au juge de première instance, la Cour d’appel est d’avis que le « fait important » prévu à l’article 228 LPC ne « vise pas uniquement à protéger la sécurité physique du consommateur », mais cible également tout élément déterminant d’un contrat. Un élément sera déterminant s’il est susceptible d’interférer avec le choix éclairé du consommateur. Mazda avait l’obligation de divulguer la défaillance du système de protection dès qu’elle en a pris connaissance puisque les membres du groupe n’auraient pas contracté selon les mêmes modalités. Par conséquent, tous les consommateurs ayant acquis un véhicule entre la date où Mazda a appris que son système de verrouillage était défaillant (3 octobre 2006) et la date où Mazda a lancé son programme spécial de correction (28 janvier 2008), et qui ignoraient la défaillance du système de sécurité, ont le droit de réclamer une diminution du prix conformément à l’article 272 LPC.

LES DOMMAGES PUNITIFS
La Cour d’appel rappelle que le manquement à une disposition de la LPC ne donne pas automatiquement droit à des dommages punitifs, insistant sur le caractère lourd du fardeau de preuve requis en cette matière. En accord avec le juge de première instance, la Cour d’appel indique que l’analyse des faits ne démontre pas que Mazda a agi de « manière intentionnelle, malveillante ou vexatoire, ou encore que sa conduite peut se qualifier d’ignorance sérieuse, d’insouciance ou de négligence atteignant ce niveau de gravité » et, par conséquent, les membres n’ont pas droit à des dommages punitifs.

LES DOMMAGES EXTRACONTRACTUELS (GROUPE 1)
Selon la Cour d’appel, l’intervention criminelle d’un tiers n’a pas brisé la chaîne de responsabilité de Mazda (novus actus interveniens). Le système de protection des véhicules était affecté d’un défaut de conception, et c’est en raison de cette faiblesse que des malfaiteurs ont pu profiter de cette condition. Le dommage subi par les membres dont le véhicule a été endommagé ou volé est donc le résultat de la faute commise par Mazda de ne pas avoir conçu un système de verrouillage capable d’offrir « un obstacle raisonnable contre les intrusions malveillantes ».

LES TROUBLES, ENNUIS ET INCONVÉNIENTS
Les membres du Groupe 2 réclament une compensation pour les inconvénients occasionnés par la campagne de rappel de Mazda visant à corriger le défaut affectant le système de sécurité de ses véhicules. Or, bien que la Cour d’appel reconnaît le désagrément qu’a pu engendrer une telle campagne, elle estime que ces inconvénients ne sont pas supérieurs aux « inconvénients normaux auxquels tous les propriétaires de véhicules sont confrontés ici et là dans le cours normal d’une année ».

Sur le plan procédural, la Cour d’appel reconnaît que lorsque l’adjudication d’une telle réclamation nécessite la prise en compte d’éléments subjectifs, propres à chaque membre d’un groupe, l’action collective ne serait pas le véhicule approprié. En effet, des réclamations fondées sur des inconvénients subis présentent des aspects fortement individuels. Reprenant la maxime latine de minimis non curat lex, la Cour d’appel souligne qu’il n’est pas adéquat d’accaparer les tribunaux pour des réclamations ayant peu de conséquences.

Les deux groupes réclament également des dommages pour troubles, ennuis et inconvénients pour avoir subi la peur que leur véhicule soit vandalisé et les inconvénients liés à la recherche continuelle d’un stationnement sécuritaire. Cette réclamation est rejetée. La Cour d’appel rappelle que l’objectif de compenser une partie n’a pas pour ambition d’indemniser toutes « frustrations et susceptibilités liées au moindre manquement de la part de celui avec qui elle interagit ». Elle réitère par ailleurs que considérant son aspect individuel, ce type de réclamation se prête difficilement à une indemnisation collective.

CONCLUSION

La Cour d’appel conclut que les véhicules de modèle Mazda 3 des années 2004 à 2007 étaient affectés d’un important déficit d’usage. Cependant, Mazda a démontré qu’elle a remédié à ce défaut lors de sa campagne de correction (paragr. 272 a) L.p.c.) Les membres du Groupe 1 ne peuvent donc pas obtenir, en plus de cette mesure de réparation, une indemnisation additionnelle sous forme de réduction de leur obligation.

Les membres du Groupe 1 ont cependant droit à des dommages compensatoires (272 LPC) en vertu du recours autonome des mesures de réparation spécifiques prévues à l’article 272 a) à f) LPC.

Pour ce qui est des membres du Groupe 2, la Cour estime leurs réclamations non fondées.

Finalement, la Cour est d’avis que Mazda a omis de divulguer à sa clientèle une information importante (228 LPC) et ce manquement à la loi permet à certains membres du Groupe 1 et du Groupe 2 d’obtenir une réduction de leur obligation (272 LPC), soit les consommateurs qui ignoraient la défaillance du système de sécurité et qui ont acheté un véhicule entre la date où Mazda a appris que son système de verrouillage était défaillant et la date où elle a lancé son programme spécial de correction.

COMMENTAIRES

Cette décision de la Cour d’appel clarifie plusieurs éléments tant en matière procédurale qu’en droit substantif.
La Cour y affirme qu’un commerçant peut s’acquitter en nature de ses obligations découlant de la garantie légale, en application de l’article 272 a) LPC. Cela démontre l’importance d’une réaction rapide de la part d’un fabricant qui prend connaissance de l’existence d’un déficit d’usage affectant un produit qu’il met sur le marché. La Cour impose en pareil cas des obligations de transparence élevées aux fabricants, qui peuvent en retour obtenir un certain réconfort résultant des mesures, préventives ou curatives, qu’ils pourront mettre en place et l’aideront à écarter ou à réduire au minimum une responsabilité potentielle. Si les enseignements de la Cour sont suivis, il ne devrait pas être possible de réclamer compensation sur la simple base qu’une procédure de rappel a été lancée et que cela a causé des inconvénients pour ceux qui s’y sont soumis. L’importance d’informer sa clientèle des défauts qui affectent ses produits fait partie intégrante de l’exécution des obligations de renseignements qui incombent à tous les fabricants et commerçants.

 

  1. 2016 QCCA 31.
  2. 2014 QCCS 2617.

 

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