Les solutions offertes aux gestionnaires canadiens en vertu des règles européennes de commercialisation des FIA

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Martine Samuelian et Virginia BaratJEANTET

Cet article fait suite à notre bulletin Lavery Capital, numéro 9, mai 2016, à l’égard de l’extension potentielle du régime du passeport européen (le « Passeport ») établi en vertu de la Directive 2011/61/UE (la « Directive »), aux gestionnaires de fonds d’investissement canadiens (les « gestionnaires canadiens »). Dans le cadre de cet article, nous avions présenté les conditions d’une extension potentielle du régime de passeport et les obligations des gestionnaires canadiens qui voudraient en bénéficier.

Rappelons, tel que nous l’avions indiqué lors de notre précédent article, que la Directive prévoit pour tout gestionnaire établi dans un pays tiers, c’est-à-dire dans un pays non-membre de l’Union européenne (l’« UE »), la possibilité de commercialiser dans un pays de l’UE des parts ou actions de fonds d’investissement alternatifs (« FIA ») établis dans l’UE ou dans un pays tiers, selon le régime du Passeport (en cas d’extension de ce régime à ces gestionnaires établis dans un pays tiers selon la procédure exposée dans notre précédent article) ou selon les dispositions de l’article 42 de la Directive. L’article 42 de la Directive leur permet de commercialiser les FIA qu’ils gèrent dans la mesure où ils respectent les mécanismes dits « de placements privés » applicables dans chacun des pays de l’UE où ils souhaitent commercialiser leurs FIA.

Dans ce deuxième article, notre analyse portera donc davantage sur les solutions actuellement offertes aux gestionnaires canadiens en vertu de ces régimes de placements privés. Nous aborderons également le régime connu sous le nom de sollicitation inversée.

Nous référons le lecteur à notre discussion dans le cadre du précédent article sur ce qui constitue un FIA pour les fins de la Directive.

1. Les mécanismes de placements privés européens

Tant que le régime du Passeport ne leur aura pas été étendu, les gestionnaires canadiens de FIA ne peuvent bénéficier que des mécanismes de placements privés nationaux, qui sont très disparates au sein des différents pays de l’UE.

Les conditions applicables à la commercialisation sans passeport dans les pays membres de l’UE de parts ou d’actions de FIA gérés par des gestionnaires qui sont établis dans des pays tiers sont précisées à l’article 42 de la Directive.

En application de cet article, les pays membres « peuvent autoriser des gestionnaires établis dans des pays tiers à commercialiser, sur leur territoire uniquement, auprès d’investisseurs professionnels, des parts ou des actions de FIA qu’ils gèrent ».

La Directive pose toutefois certaines conditions à cette commercialisation, destinées à protéger les investisseurs européens. Le gestionnaire d’un pays tiers doit ainsi respecter deux ensembles de conditions : les obligations issues de la Directive et les obligations propres à chaque pays membre ayant autorisé cette commercialisation.

1.1. Les obligations issues de la Directive

Aux termes de l’article 42 de la Directive, les placements privés nationaux sont ouverts aux gestionnaires de pays tiers s’ils respectent un nombre minimum d’exigences, soit :

  • le respect des obligations de transparence prévues aux articles 22, 23 et 24 de la Directive : obligation de rédaction d’un rapport annuel pour chaque FIA commercialisé au sein de l’UE (art. 22), obligation d’information adéquate et périodique des investisseurs du FIA (art. 23) et diverses obligations de comptes rendus à l’égard des autorités compétentes (art. 24);
  • l’existence de modalités de coopération appropriées entre les autorités de tutelle de chacun des pays membres de l’UE où aura lieu la commercialisation et les autorités du pays tiers concerné (soit celui où est établi le gestionnaire), mais également celui où le domicile du FIA est situé dans l’hypothèse d’un FIA domicilié dans un pays autre que celui de son gestionnaire1;
  • l’absence du pays tiers dans lequel le gestionnaire est établi des listes des pays et territoires non coopératifs du Groupe d’action financière pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (GAFI).

1.2. Les obligations issues de pays membres

Les obligations qui précèdent sont qualifiées de « minimum » par la Directive, et chaque pays membre est libre d’imposer des règles plus strictes. Ainsi, les gestionnaires de pays tiers doivent en outre respecter les conditions spécifiques encadrant le mécanisme de placements privés de chacun des pays membres de l’UE dans lesquels la commercialisation du FIA est envisagée.

1.3. Les obligations encadrant le régime des placements privés propres à la France

La législation française n’emploie pas le terme de « placement privé » pour les fins visées par la Directive. En effet, la notion de placement privé existe déjà en droit français, mais désigne un autre type d’opération (levée de capitaux auprès d’un petit nombre d’investisseurs professionnels par opposition à l’appel public à l’épargne).

Néanmoins, un régime a bien été adopté afin de permettre aux gestionnaires de pays tiers de commercialiser des FIA en France.

L’article 42 de la Directive a été transposé en droit français par les articles L. 214-24-1 et D. 21432 du Code monétaire et financier français qui posent les conditions d’une telle commercialisation par des gestionnaires de pays tiers à destination des clients professionnels et non-professionnels sur le territoire français.

a) Conditions applicables aux clients professionnels2 :

Les conditions de la commercialisation issues de la Directive transposées et précisées à l’article D. 214-32 du Code monétaire et financier français sont les suivantes :

  1. le gestionnaire doit respecter les dispositions législatives et réglementaires applicables aux sociétés de gestion relevant de la Directive, et notamment :
    - avoir désigné une ou plusieurs entités pour effectuer les fonctions du dépositaire (prévues à l'article L. 214-24-8 du Code monétaire et financier français)
    - s’être soumis aux autres obligations issues de la Directive pour la gestion du FIA
  2. l’existence de modalités de coopération appropriées, destinées au suivi du risque systémique et conformes aux normes internationales entre l’autorité de tutelle française, à savoir l’Autorité des marchés financiers (France) (l’« AMF ») et les autorités compétentes du pays membre de l’UE dont est originaire le FIA ou les autorités compétentes du pays tiers où le FIA ou son gestionnaire est établi, afin d’assurer un échange d’informations permettant à l’AMF d’exécuter les missions qui lui incombent;
  3. le pays tiers dans lequel le gestionnaire ou le FIA est établi ne doit pas être inscrit sur les listes publiées par le GAFI.

Outre ces obligations, l’article L. 214-24-1 du Code monétaire et financier français précise que les gestionnaires de pays tiers peuvent commercialiser des FIA établis dans un pays membre de l’UE ou dans un pays tiers auprès de clients professionnels à la condition de respecter une procédure de notification à l’AMF, dont les modalités sont fixées à l’article 421-13-1 du Règlement général de l’AMF (« RGAMF »).

Ainsi, aux termes de cet article, les gestionnaires doivent transmettre à l’AMF un dossier pour autorisation préalable dont les conditions sont fixées par une instruction de l’AMF. L’AMF a, en application de ce même article, publié une instruction intitulée « Procédure de commercialisation de parts ou actions de FIA », qui détaille le processus à suivre pour les gestionnaires de pays tiers3.

b) Conditions applicables aux clients non-professionnels :

En sus des obligations de l’article D. 214-32 du Code monétaire et financier français, les gestionnaires doivent également justifier le respect des conditions particulières prévues à l’article 421-13 du RGAMF.

Cet article prévoit d’une part que les gestionnaires de pays tiers peuvent commercialiser des FIA établis dans un pays membre de l’UE ou dans un pays tiers auprès de clients non-professionnels, à la condition de soumettre à l’AMF une demande d’autorisation préalable dont les conditions sont fixées par l’instruction de l’AMF précitée.

L’article 421-13 du RGAMF prévoit d’autre part que cette autorisation est subordonnée au respect des trois conditions complémentaires suivantes, qui s’appliquent selon que le FIA est français ou non :

  1. un instrument d’échange d’information et d’assistance mutuelle dans le domaine de la gestion d’actifs pour le compte de tiers a été mis en place entre l’AMF et, d’une part, l’autorité de surveillance du gestionnaire et, d’autre part, l’autorité de surveillance du FIA, dans l’hypothèse où ce FIA n’est pas établi en France;
  2. le FIA satisfait aux conditions prévues dans une convention de reconnaissance mutuelle portant sur les FIA pouvant être commercialisés auprès de clients non-professionnels, conclue entre l’AMF et l’autorité de surveillance du FIA, dans l’hypothèse où ce FIA n’est pas établi en France;
  3. le gestionnaire satisfait aux conditions prévues dans une convention de reconnaissance mutuelle fixant les exigences particulières applicables à l’agrément des gestionnaires de FIA pouvant être commercialisés auprès de clients non-professionnels, conclue entre l’AMF et l’autorité de surveillance du gestionnaire.

Il convient par ailleurs de préciser que toute demande de commercialisation auprès de clients non-professionnels nécessite d’avoir respecté au préalable la procédure de commercialisation auprès de clients professionnels ou de s’y soumettre concomitamment.

2. Sollicitation inversée

Depuis le 22 juillet 2014, un gestionnaire non européen de fonds qui est actif sur le marché européen n’est plus autorisé à faire de la sollicitation auprès d’investisseurs situés dans les pays membres de l’UE à moins de se soumettre au régime de placement privé de chacun des pays membres où réside un de ses investisseurs. La seule forme de sollicitation possible pour un gestionnaire qui ne se soumet pas à ce ou ces régimes de placement privé est celle communément appelée « sollicitation inversée », c’est-à-dire l’hypothèse dans laquelle les premières démarches relatives à un investissement proviennent de l’investisseur lui-même. Autrement dit, l’investissement est réalisé à la seule initiative de l’investisseur, sans « commercialisation » préalable de la part du gestionnaire.

En effet, la Directive définit la « commercialisation » comme une « offre ou un placement, direct ou indirect, à l’initiative du gestionnaire ou pour son compte, de parts ou d’actions d’un FIA qu’il gère, à destination d’investisseurs domiciliés ou ayant leur siège statutaire dans l’Union ». Or, dans le cas de la « sollicitation inversée », ce n’est pas le gestionnaire qui initie les discussions auprès de l’investisseur, mais bien l’investisseur lui-même, de sorte qu’il ne s’agit pas d’une commercialisation au sens de la Directive.

Toutefois, la difficulté du recours à la sollicitation inversée réside dans le fait de déterminer celui du gestionnaire ou de l’investisseur qui a initié les démarches d’investissement. Les autorités de réglementation définissent la notion de sollicitation inversée de façon différente d’un pays à l’autre, mais cette définition est généralement restrictive.

En France, la notion reste floue, mais très récemment4, l’AMF a mis en garde contre cette pratique.

La sollicitation inversée pourrait ainsi demeurer une option envisageable pour les gestionnaires canadiens (bien qu’elle ait alors une application limitée), même si l’Autorité européenne des marchés financiers décidait de leur étendre le régime du passeport tel qu’il est décrit dans notre article publié en mai 2016.

Conclusion

Malgré les délais avant une potentielle extension du régime du passeport européen aux gestionnaires canadiens, les régimes de placements privés nationaux de chacun de ces pays et le régime de la sollicitation inversée peuvent malgré tout, dans l’entre temps, offrir des solutions viables aux gestionnaires canadiens qui souhaitent commercialiser dans un pays de l’UE des parts ou actions d’un FIA.


  1. En France, la liste des autorités non européennes avec lesquelles l’Autorité des marchés financiers (France) a signé un accord bilatéral de coopération comprend, pour le Canada : l’Alberta Securities Commission, l’Autorité des marchés financiers (Québec), la British Columbia Securities Commission, la Ontario Securities Commission et le Bureau du surintendant des institutions financières.
  2. Se qualifient à titre d’investisseurs professionnels certains investisseurs qui de par leur nature ou taille sont considérés par la législation française comme possédant l’expérience, les connaissances et la compétence nécessaires pour prendre ses propres décisions d’investissement.
  3. Cf. notamment les articles 16 à 20 et l’annexe 3 de l’instruction précitée.
  4. Guide de bonnes pratiques à destination des associations, fondations, fonds de dotation et autres petites institutions (décembre 2015).
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