La question du montant d’assurance étudiée par la Cour d’appel du Québec1 : responsabilité du courtier et/ou de l’évaluateur agréé

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Les faits

Bar et spectacles Jules et Jim Inc. (ci-après le « Bar » ou l’« assuré ») souhaite renouveler la couverture d’assurance de son immeuble alors assuré pour 424 000 $2. Son courtier lui recommande d’obtenir un rapport d’évaluation, ce qu’il fait. Selon ce rapport, le coût de reconstruction de l’immeuble s’élèverait à 565 000 $, ce qui signifie que le Bar est sous-assuré. Ce rapport est transmis par le représentant du Bar au courtier, lequel n’y donne aucune suite et, surtout, ne le transmet pas à l’assureur.

Ce qui devait arriver arriva : un incendie détruit l’immeuble. L’assureur paie l’indemnité d’assurance de 424 000 $ selon le contrat en vigueur. Or, les coûts de reconstruction sont admis à 715 000 $.

Le Bar intente donc une action à la fois contre le courtier et l’évaluateur. En effet, selon le Bar, les coûts de reconstruction, incluant la démolition, s’élèvent à 799 000 $. Il réclame donc la différence entre ce montant et l’indemnité d’assurance reçue (424 000 $), soit 375 000 $.

Il recherche la responsabilité du courtier qui aurait négligé de faire un suivi diligent et rigoureux de sa demande d’ajuster à la hausse son montant d’assurance, sur la foi du rapport de l’évaluateur. Il poursuit également l’évaluateur puisque son rapport comporterait plusieurs erreurs faisant en sorte qu’il conclut à un coût de reconstruction de 565 000 $ au lieu de 799 000 $.3

Le jugement de première instance

Le juge conclut que le courtier a commis plusieurs fautes : d’avoir accumulé les retards dans le processus de renouvellement de la police d’assurance, d’avoir été en défaut de renseigner son client (le Bar) sur la nécessité de tenir compte des coûts de démolition dans le montant d’assurance, son retard à mandater l’évaluateur agréé, son défaut d’effectuer un suivi adéquat de ce mandat, et surtout, de ne pas avoir fait suivre à temps le rapport de l’évaluateur à l’assureur.

Ce faisant, le juge considère que le courtier doit rembourser à son client la différence entre l’indemnité reçue (424 000 $) et le montant d’assurance dont il aurait dû bénéficier (772 000 $) si le courtier s’était bien acquitté de ses obligations professionnelles, à savoir : 348 000 $.4

La faute de l’évaluateur est admise en fin d’audition, mais le tribunal considère que les fautes du courtier, plus importantes, ont brisé le lien de causalité nécessaire pour que les fautes de l’évaluateur engendrent sa responsabilité.

Le courtier porte le jugement en appel en arguant que s’il avait exécuté ses obligations professionnelles, le montant d’assurance aurait été haussé pour passer de 424 000 $ à 565 000 $ en vertu du rapport de l’évaluateur. Il admet donc sa responsabilité pour la différence entre ces deux montants, à savoir 141 000 $. L’évaluateur s’en remet évidemment au jugement de première instance qui a décidé que les fautes de l’évaluateur n’étaient pas causales du dommage, les fautes du courtier ayant brisé le lien de causalité. Le Bar, quant à lui, prétend que peu importe le partage de responsabilité, il devrait obtenir la différence entre le montant d’assurance dont il aurait dû bénéficier (799 000 $) si les défendeurs avaient bien exécuté leurs obligations contractuelles respectives, et l’indemnité reçue (424 000 $), ce qui représente une différence de 375 000 $.

Le jugement de la Cour d’appel du Québec

La Cour rappelle qu’en appel, les fautes du courtier et de l’évaluateur ne sont pas remises en question et que la seule question « porte sur leur responsabilité respective envers l’assuré ».

La Cour d’appel réitère tout d’abord les obligations d’un courtier d’assurance. Elle rappelle que ceux-ci ont une obligation de fournir à leurs clients des renseignements, mais encore de conseiller leurs clients. Elle cite en exemple l’article 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers :

« 39. À l’occasion du renouvellement d’une police d’assurance, l’agent ou le courtier en assurance de dommages doit prendre les moyens requis pour que la garantie offerte réponde aux besoins du client. »

En tout temps, le courtier doit agir avec prudence et diligence, étant reconnu comme un spécialiste de l’évaluation du risque.

Dans certains cas, son obligation de conseil devrait l’inciter à suggérer à son client de faire évaluer ses biens par un évaluateur compétent. S’il le fait, il n’est généralement pas responsable des dommages pouvant résulter d’une mauvaise évaluation.

Quant à l’évaluateur, ses obligations sont régies par le Code de déontologie des membres de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec. En l’espèce, l’évaluateur a commis trois fautes principales :

  • il a évalué le bâtiment à la lumière des critères d’un immeuble résidentiel alors qu’il s’agissait, à tout le moins en partie, d’un immeuble utilisé à des fins commerciales;
  • il a omis de traiter les frais de démolition;
  • il a omis de considérer les frais reliés à la mise aux normes en cas de reconstruction de l’immeuble.

S’il avait bien exécuté son travail, son rapport aurait conclu à une valeur de reconstruction (incluant démolition) s’élevant à 799 000 $ au lieu de 565 000 $.

Tant l’évaluateur que le courtier ont commis chacun une faute de nature contractuelle. Tous admettent que le montant des dommages est la différence entre le montant d’assurance qui aurait dû être souscrit (799 000 $) et celui qui prévalait à la couverture d’assurance existante (424 000 $), soit un montant de 375 000 $.

La Cour d’appel conclut que la faute principale du courtier a été son omission de transmettre le rapport de l’évaluateur à l’assureur. S’il l’avait fait, selon les conclusions du rapport de l’évaluateur, le montant d’assurance aurait été augmenté de 141 000 $. De plus, le courtier, constatant que l’évaluateur n’avait pas tenu compte des frais de démolition, aurait dû faire augmenter le montant d’assurance pour l’établir à 610 000 $. Cela porte donc la responsabilité du courtier à un montant total de 186 000 $ (610 000 $ - 424 000 $).

Quant à l’évaluateur, s’il avait bien fait son travail, son rapport aurait dû s’élever à 799 000 $, ce qui, déduction faite de l’indemnité reçue de l’assureur (424 000 $) et de la partie du dommage imputable au courtier (186 000 $), laisse à l’évaluateur un solde de 189 000 $ à rembourser.

La Cour rappelle que le courtier n’est pas responsable de l’évaluation du montant d’assurance faite par l’assuré par le biais, ou non, d’un évaluateur.

En conclusion, la responsabilité du courtier aurait donc dû être accordée pour un montant de 186 000 $ et celle de l’évaluateur, pour un montant de 189 000 $.

Ce qu’il faut retenir

Tout d’abord, il est important pour toute la chaîne d’intervenants (l’assuré, le courtier et l’évaluateur) de porter attention au montant d’assurance. En effet, au fil des rénovations et améliorations, les immeubles peuvent prendre de la valeur. Les coûts de reconstruction peuvent également fluctuer selon les changements dans les normes de construction et l’inflation.

La responsabilité première d’obtenir le bon montant d’assurance repose sur les épaules de l’assuré. Toutefois, son courtier, à qui incombe un devoir de conseil, doit lui rappeler de faire les vérifications à ce sujet et, selon les circonstances, lui suggérer de faire appel à un évaluateur. Évidemment, il doit agir avec diligence lorsqu’il est mandaté pour modifier le montant d’assurance.

Quant à l’évaluateur, il doit se conformer aux règles de l’art et prévoir dans l’évaluation des coûts de reconstruction, les frais de démolition et les frais de mise aux normes, car celles-ci évoluent avec les années. Il doit également faire son analyse selon les bonnes normes, qui peuvent varier pour un immeuble à usage résidentiel comparativement à un immeuble à usage commercial.

Si le montant d’assurance s’avère insuffisant lors d’un sinistre, l’un ou l’autre des intervenants (l’assuré, le courtier et l’évaluateur) peuvent avoir commis une faute et ce sont les règles du droit civil qui départagent alors la responsabilité respective des fautifs.

À cet égard, l’arrêt de la Cour d’appel comporte des enseignements très intéressants sur des concepts propres au lien de causalité, à savoir les notions de : faute contributoire, faute successive, faute qui constitue un facteur déterminant dans la survenance des dommages ainsi que la théorie du bris du lien de causalité. Il n’est toutefois pas opportun dans ce bulletin de commenter plus en détails ces notions juridiques.


  1. Maison Jean-Yves Lemay Assurances inc. c. Bar et spectacles Jules et Jim inc., 2016 QCCA 1494.
  2. Tous les montants sont arrondis.
  3. Ce dernier montant inclut les frais de démolition.
  4. À noter que la Cour d’appel conclut que, à cet égard uniquement, le juge de première instance a commis une erreur puisque le montant admis des dommages est de 799 000 $ et non de 772 000 $.
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