Le contrat peut rester en vigueur malgré le dol ou le vice caché : parce que le consommateur a lui aussi des obligations

Cette publication a été écrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil.

Le devoir d’information est une des principales obligations des vendeurs envers leurs acheteurs. Ceci est vrai autant en droit civil qu’en droit commercial et en droit de la consommation. Le devoir d’information se fonde sur l’obligation de bonne foi que toute partie doit à son cocontractant. La jurisprudence en fait souvent état. Deux décisions récentes de la Cour du Québec en donnent de bons exemples.

Dans une première affaire1, le juge J. Sébastien Vaillancourt condamne un commerçant de véhicules automobiles à rembourser à son client une partie du prix d’achat d’un véhicule, parce que le représentant du commerçant, lors de la vente, n’avait pas informé le client de l’ampleur des dommages subis par le véhicule lors de deux accidents préalables à l’achat.

Le représentant du commerçant avait pourtant informé le consommateur que le véhicule avait été accidenté et que le coût des réparations avait été élevé. Cependant, le juge Vaillancourt retient que c’étaient les propos rassurants du commerçant selon lesquels « le coût élevé des réparations n’était causé que par le coût élevé des pièces de remplacement », qui avaient convaincu le client d’acheter le véhicule. Or, il est apparu par la suite que le véhicule avait subi des dommages d’ordre structurel, ce qui a permis de conclure que le coût élevé des dommages n’était pas dû au prix des pièces, mais bien à l’importance des dommages subis.

Le juge conclut que le consentement du client avait été vicié et qu’il n’aurait pas acheté le véhicule s’il avait connu l’étendue des dommages causés et si on ne lui avait pas faussement représenté que leur coût était dû au prix des pièces. Il évoque l’article 228 de la Loi sur la protection du consommateur (la « LPC »), qui interdit à un commerçant de passer sous silence un fait important dans une représentation qu’il fait à un consommateur2.

Lorsqu’un commerçant se livre à une telle pratique interdite, il y a présomption que si le consommateur avait eu connaissance de la pratique, il n’aurait pas contracté ou n’aurait pas donné un prix aussi élevé3. Dans ce cas, le consommateur demandait la nullité du contrat. La nullité d’un contrat implique que les parties doivent être remises dans l’état où elles étaient avant le contrat. Autrement dit, le véhicule est remis au commerçant et le prix d’achat est remboursé au client consommateur. C’est la remise en état.

Même si le client avait été trompé, le juge Vaillancourt a refusé d’annuler le contrat. Il a noté que le client avait parcouru plus de 30000 kilomètres avec le véhicule, sans connaître de problème mécanique, et qu’il admettait son bon fonctionnement. Un consommateur ne peut demander l’annulation de quelque chose qu’il a utilisé sans problème. De plus, une condition essentielle faisait défaut : il n’offrait pas le retour du véhicule, mais continuait à l’utiliser. La remise en état était donc impossible.

Le consommateur rétorquait que l’on pouvait soustraire du remboursement du prix d’achat la valeur de l’usage qu’il avait fait du véhicule. Par souci de justice envers le commerçant, le tribunal a rejeté cet argument et a refusé d’appliquer une dépréciation équivalente à la valeur de l’usage du véhicule. Le juge écrit : « la preuve n’est pas probante quant à la valeur de la dépréciation causée par l’usage du véhicule et elle rendrait arbitraire la détermination de cette valeur par le Tribunal, risquant ainsi de causer une injustice à l’égard de la défenderesse s’il y avait remise en état » (soulignement ajouté).

Le juge Vaillancourt conclut que le client avait quand même droit à une réduction du prix de vente. Il a refusé de suivre l’opinion d’un témoin expert qui avait estimé à 25 % la dépréciation causée au véhicule en raison des accidents. Il a plutôt estimé que si l’ampleur des dommages avait été divulguée lors de l’achat, le prix aurait été réduit de 20 %. Le juge Vaillancourt a condamné le commerçant à payer au client-consommateur une somme équivalant à 20 % du prix d’achat du véhicule, majorée des taxes.

Cette décision illustre bien l’importance du devoir d’information des commerçants mais rappelle aussi que les consommateurs ont leurs propres obligations. La logique du juge suit un courant jurisprudentiel établi et rappelle deux décisions de la Cour d’appel rendues à quelques jours d’intervalle en 19954. Dans ces dossiers, la Cour d’appel avait confirmé des décisions de juges de première instance qui avaient refusé d’annuler des contrats de vente, au motif que les consommateurs avaient continué d’utiliser les véhicules. Ces deux décisions de la Cour d’appel sont fréquemment citées dans des affaires ou un consommateur recherche la nullité d’un contrat d’achat de véhicule automobile en raison d’un vice caché. L’utilisation qu’un consommateur peut faire d’un bien alors qu’il poursuit en justice le commerçant qui le lui a vendu est un élément très pertinent à la validité de sa réclamation. Le consommateur qui demande la nullité d’un contrat a l’obligation de cesser d’utiliser le bien et de l’offrir en consignation, à titre d’offre réelle. L’utilisation continue du bien peut lui faire perdre son droit d’action ou y nuire grandement.

Dans une autre décision récente5, le juge Christian Brunelle de la Cour du Québec refuse lui aussi une demande d’annulation de vente d’un véhicule automobile. Dans cette affaire, même si le client avait été informé du fait que le véhicule acheté avait été endommagé lors d’une opération de déneigement, il n’avait pas été informé que le véhicule avait subi deux accidents et subi des dommages.

Fait particulier, même s’il avait acheté le véhicule d’un commerçant, le client-consommateur connaissait bien l’ancien propriétaire puisque c’était lui qui lui avait dit qu’il changeait de véhicule. Il avait donc pu s’informer amplement des caractéristiques du véhicule auprès de l’ancien propriétaire. Le commerçant plaidait en défense qu’il s’agissait d’une vente d’accommodation dont il n’était pas responsable. Le juge Brunelle a refusé de traiter l’affaire comme une vente d’accommodation. Dans les faits, le commerçant n’avait pas fait remplir au consommateur le formulaire prescrit par l’article 71 du Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur6. La LPC trouvait donc application au contrat conclu entre le client et le commerçant. Dura lex sed lex (la loi est dure mais c’est la loi). On constate que le commerçant aurait pu prévenir la poursuite du consommateur s’il avait adopté de meilleures pratiques.

Sur le fond, le juge Brunelle conclut d’abord que le commerçant n’avait pas manqué à son devoir d’information. Pour qu’un tel manquement ait lieu, fallait-il que le commerçant ait connaissance du fait que le véhicule avait été impliqué dans des accidents. Aucune preuve ne démontrait cette connaissance. Pour pouvoir conclure qu’un commerçant passe sous silence un fait important, il faut prouver qu’il avait lui-même connaissance de ce fait. Ce n’était pas le cas.

Cependant, c’est sur la base de la présence d’un vice caché que la responsabilité du commerçant a été retenue. Le simple fait que le véhicule ait été impliqué dans deux accidents représentait, aux yeux du juge, une détérioration au sens de l’article 1729 du Code civil du Québec (le « CCQ »)7, ce qui permettait de présumer la présence d’un vice8 :

[55] De l’avis du Tribunal, la voiture d’occasion accidentée, puis réparée – même selon les règles de l’art – présente, par rapport à une voiture identique ou de même espèce qui n’a jamais été accidentée, une certaine « détérioration » bien présente « au moment de la vente ».

Ainsi cette « détérioration » énoncée à l’article 1729 CCQ peut équivaloir à une réparation sur le véhicule, de nature à déprécier le bien. Cette réparation, non connue de l’acheteur, équivaut à un vice caché pour lequel le consommateur peut réclamer un remède.

Ici encore, le client-consommateur demandait l’annulation du contrat d’achat conclu avec le commerçant. À l’instar du juge Vaillancourt, le juge Brunelle a refusé d’accorder l’annulation et a plutôt prononcé une réduction du prix d’achat. Il a d’abord considéré que le client avait été informé du fait que le véhicule avait été endommagé lors d’une opération de déneigement. Il a aussi souligné que malgré toute l’information qu’il avait reçue du commerçant lors de l’achat, le client n’avait fait qu’une inspection très sommaire du véhicule avant l’achat. Le juge Brunelle écrit : « ce qui a eu pour effet que des défauts apparents ont échappé à son regard, par manque de diligence et de vigilance ».

Par cette décision, le juge Brunelle confirme que la LPCne dispense pas le consommateur de faire un examen raisonnable d’un bien avant de l’acheter d’un commerçant. Pour le juge Brunelle, l’ « inspection ordinaire » qui est imposée aux consommateurs en vertu de l’article 53 LPC9 doit respecter un certain plancher, de « diligence et de vigilance ». On constate que même si la LPC impose des devoirs très stricts aux commerçants, les consommateurs ont, eux aussi, certaines obligations lorsqu’ils se procurent des biens.

Finalement, tout comme dans l’affaire précédente, le juge Brunelle a constaté que le client-consommateur avait profité du véhicule pour l’avoir utilisé quotidiennement jusqu’au jour de l’audience, ayant même parcouru 26 000 kilomètres sans ennui mécanique de quelque nature que ce soit. On comprend que dans ce cas, les dommages accordés au consommateur ont été assez limités.

Le devoir d’information est au cœur de la relation consommateur-commerçant et constitue l’une des fondations du droit de la consommation. La LPCimpose plusieurs devoirs de renseignement aux commerçants et édicte des remèdes variés et adaptés aux circonstances lorsque le commerçant n’a pas respecté les dispositions de la loi.

Il faut cependant que le consommateur soit dans une position qui lui permette de réclamer les remèdes prévus à la loi. La LPC n’a pas été édictée pour permettre aux consommateurs d’obtenir compensation en invoquant des vétilles10.

Gardez vos clients informés!

 

  1. Gauthier c. 2818876 Canada inc., 2017 QCCQ 11087 (C.Q., Chambre civile)
  2. Article 228 LPC : « 228. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, dans une représentation qu’il fait à un consommateur, passer sous silence un fait important. »
  3. Article 253 LPC
  4. Beauchamp c. Relais Toyota, [1995] R.J.Q. 741 (C.A.); Nichols c. Toyota Drummondville (1982) inc., [1995] R.J.Q. 746 (C.A.)
  5. Bilodeau c. Mercedes Benz de Québec (Chatel Automobiles ltée), 2017 QCCQ 9663 (C.Q., Chambre civile)
  6. « 71. Est exempté de l’application des articles 37, 38, 53, 54 et 155 à 165 de la Loi, un commerçant qui vend une automobile d’occasion ou une motocyclette d’occasion lorsque :
    1. l’automobile d’occasion ou la motocyclette d’occasion a été donnée en échange au commerçant par un consommateur lors de l’achat d’une automobile ou d’une motocyclette;
    2. la vente de l’automobile d’occasion ou de la motocyclette d’occasion est effectuée à un consommateur désigné par celui qui l’a donnée en échange;
    3. le prix de vente maximal de l’automobile d’occasion ou de la motocyclette d’occasion correspond au prix comptant accordé par le commerçant au consommateur pour cet échange. L’exemption mentionnée au premier alinéa ne s’applique qu’au contrat comportant l’attestation écrite du consommateur qui a donné en échange l’automobile d’occasion ou la motocyclette d’occasion à l’effet que ce véhicule est vendu au consommateur qu’il avait désigné. » (soulignément ajouté)
  7. Article 1729 CCQ : « 1729.En cas de vente par un vendeur professionnel, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur. » (soulignement ajouté)
  8. Dans CNH Industrial Canada Ltd. c. Promutuel Verchères, société mutuelle d'assurances générales, 2017 QCCA 154, par. 28 (C.A.), le juge Pelletier de la Cour d’appel écrit : « Selon moi, l’application de la règle posée par cet article a pour effet pratique de mettre en œuvre non pas une double, mais bien une triple présomption en faveur de l’acheteur, soit celle de l’existence d’un vice, celle de son antériorité par rapport au contrat de vente et, enfin, celle du lien de causalité l’unissant à la détérioration ou au mauvais fonctionnement ».
  9. Article 53 LPC : 53. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur un vice caché du bien qui a fait l’objet du contrat, sauf si le consommateur pouvait déceler ce vice par un examen ordinaire. 
  10. Crédit Ford du Canada ltée c. Gatien, [1981] C.A. 638, 644 (C.A.). Pour des cas d’application récents, voir : Caisse populaire Desjardins du Portage c. Létourneau, 2013 QCCQ 4395, par. 24 (C.S.); Caisse populaire du Cœur des Vallées, c. Robitaille, 2017 QCCQ 3834, par. 58 & 76 (C.Q.). Voir aussi : Courval (Syndic de), J.E. 89-1256 (C.A.).
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