La discrimination au travail : l’affaire de tous?

Ariane Villemaire et Véronique Morin
 

La Cour suprême du Canada a confirmé que le Human Rights Code de la Colombie-Britannique protège les employés contre toute discrimination dans le contexte de leur emploi, même lorsque l’auteur de cette discrimination n’est pas leur employeur.

Le 15 décembre 2017, la Cour suprême a rendu un jugement1 fort intéressant sur la discrimination relativement à l’emploi d’une personne ou aux modalités de son emploi.

La Cour suprême a conclu que l’article 13 (1) du Human Rights Code de la Colombie-Britannique ne se limite pas à protéger les employés contre la discrimination de la part d’un supérieur, mais également celle de la part d’un collègue de travail, même si ce dernier travaille pour un autre employeur.

Résumé des faits

M. Mohammadreza Sheikhzadeh-Mashgoul était un ingénieur civil à l’emploi d’Omega & Associates Engineering Ltd. (« Omega »).

Dans le cadre d’un contrat entre Omega et la ville de Delta pour des travaux de réfection d’une route, M. Sheikhzadeh-Mashgoul supervisait les travaux de l’entrepreneur général, Clemas Contracting Ltd (« Clemas »). Clemas embauchait M. Edward Schrenk à titre de contremaître du site et directeur des travaux.

Alors qu’il était au travail, M. Schrenk a émis plusieurs commentaires désobligeants relativement à la religion, au lieu d’origine et à l’orientation sexuelle de M. Sheikhzadeh-Mashgoul. Malgré les interventions d’Omega et de Clemas, M. Schrenk  a continué de faire des commentaires à connotation raciste et homophobe. Clemas a finalement congédié M. Schrenk.

M. Sheikhzadeh-Mashgoul a déposé une plainte devant le British Columbia Human Rights Tribunal (« Tribunal ») contre M. Schrenk et Clemas. Ces derniers ont  demandé le rejet de la plainte, alléguant l’absence de lien d’emploi avec le plaignant et  par conséquent, l’inapplicabilité de l’article 13 (1) du Human Rights Code.

Décisions des tribunaux inférieurs

L’article 13 (1) du Human Rights Code se lit comme suit :

[TRADUCTION]

« 13 (1) Une personne ne peut

(a)    soit refuser d’employer ou de continuer d’employer une personne,

(b)   soit faire preuve de discrimination envers une personne relativement à son emploi ou aux modalités de son emploi,

du fait de sa race, de sa couleur, de son ascendance, de son lieu d’origine, de ses opinions politiques, de sa religion, de son état matrimonial, de sa situation familiale, de ses déficiences mentales ou physiques, de son sexe, de son orientation sexuelle, de son identité ou expression de genre ou de son âge, ou en raison de sa déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction criminelle ou d’une infraction punissable par procédure sommaire qui n’ont aucun rapport avec l’emploi actuel ou envisagé de la personne en question. »

(nos soulignements)

Le Tribunal a rejeté la demande de M. Schrenk, considérant que l’expression « personne » pouvait ne pas seulement viser  l’employeur du plaignant et soulignant la nécessité de protéger toutes les personnes œuvrant à une entreprise commune (dans le présent cas, un chantier de construction) 2.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique a maintenu la décision du Tribunal, mais la Cour d’appel a jugé que celui-ci avait commis une erreur et qu’il n’avait pas la compétence pour examiner la plainte.

Décision de la Cour suprême du Canada

La Cour a accueilli l’appel.   

Cinq des neuf juges concluent que le Tribunal est compétent pour entendre la plainte de M. Sheikhzadeh-Mashgoul et que l’article 13 (1) du Human Rights Code protège les employés de toute discrimination qui présente un «lien suffisant avec le contexte d’emploi »3, peu importe qui est l’auteur de cette discrimination.

La majorité analyse le libellé de l’article 13 (1) pour conclure que le terme « personne » doit être interprété largement et vise toute personne et non uniquement un employeur ou une personne exerçant un pouvoir de contrôle sur l’employé. Elle détermine aussi que l’expression « relativement à son emploi » signifie que la discrimination doit être reliée au contexte de l’emploi. Ainsi, la majorité souligne que cette expression ne se limite pas à la discrimination qui a lieu dans un contexte hiérarchique en milieu de travail.

La majorité affirme qu’un employé est vulnérable dans un contexte d’emploi, puisqu’il est captif des gens qui exercent une discrimination contre lui dans son milieu de travail.

Enfin, la majorité se penche sur l’économie du Human Rights Code ainsi que sur ses objectifs pour conclure que son article 13 (1) protège les employés contre la discrimination dans le contexte de leur emploi, que celle-ci soit exercée par leurs supérieurs ou toute autre personne. Elle confirme donc que le Tribunal est compétent pour entendre la plainte de M. Sheikhzadeh-Mashgoul à l’égard de M. Schrenk.

Nous soulignons que les juges McLachlin, Côté et Brown sont dissidents et considèrent plutôt que l’article 13 (1) du Human Rights Code vise uniquement la discrimination dans une relation employé-employeur ou une relation semblable.

À noter qu’uniquement M. Schrenk avait demandé une révision judiciaire et porté en appel les décisions des tribunaux inférieurs. Ainsi, la Cour suprême se concentre uniquement sur la question de savoir si l’article 13 (1) du Human Rights Code s’applique à M. Schrenk. Ceci étant dit, en confirmant le jugement du Tribunal, il faut en conclure que cet article vise aussi Clemas. La plainte contre l’employeur de M. Schrenk est donc maintenue. 

Impact de la décision au Québec

La Charte des droits et libertés de la personne (« Charte ») comporte des dispositions différentes de l’article 13 du Human Rights Code.

L’article 10 protège toute personne contre la discrimination en indiquant que :

« 10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. »

Son article 16 réfère à la «discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi»4.

De prime abord, ces aspects apparaissent davantage relever de l’employeur d’une personne.

Par ailleurs, l’article 10.1 de la Charte (toutefois relatif au harcèlement) pourrait viser des tiers et non seulement l’employeur du plaignant :

« 10.1. Nul ne doit harceler une personne en raison de l’un des motifs visés dans l’article 10. » 5

Notons aussi l’article 46 de la Charte qui fournit une garantie en matière de droits économiques et sociaux, stipulant que «  toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique »6.

Enfin, l’article 4 de la Charte assure un droit à la sauvegarde de la dignité de toute personne.

Conclusion

Bien que cette décision récente de la Cour suprême concerne une loi de la Colombie-Britannique, il demeurera intéressant d’en suivre l’application, notamment lorsque des tribunaux du Québec se prononceront sur la portée de dispositions de la Charte en matière d’emploi.

Dans cette affaire, la Cour suprême a évidemment souligné l’objectif de protection des droits de la personne, mais s’est clairement fondée sur les termes et expressions contenus dans les dispositions à analyser ainsi que sur l’historique législatif du Human Rights Code de la Colombie-Britannique. Prudence et distinctions s’imposent donc avant de tirer des conclusions trop hâtives.

 

  1. British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62.
  2. Id., par.17.
  3. Id., par. 3
  4. Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
  5. Id.
  6. Id.
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