Les influenceurs doivent dévoiler l’identité de ceux qui les influencent!

Cette publication a été coécrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil.

Qui n’a pas déjà lu un article ou visionné une vidéo en ligne sans déceler qu’il s’agissait en fait d’une publicité.

En recourant au service d’un influenceur, les commerçants et les agences publicitaires s’exposent à plusieurs risques réputationnels et juridiques puisque la ligne entre contenu commandité et recommandation spontanée est parfois mince. Elle est d’ailleurs réglementée par les Normes canadiennes de la publicité (« NCP ») et le Bureau de la concurrence (le « Bureau »). La Loi sur la concurrence ou la Loi sur la protection du consommateur (« L.p.c. ») peuvent également s’appliquer.

Le marketing d’influence regroupe l’ensemble des pratiques par lesquelles un annonceur effectue la promotion de produits par l’intermédiaire des influenceurs présents sur différentes plateformes de médias sociaux : Twitter, Facebook, Instagram, Snapchat, YouTube.

L’importance et la puissance des influenceurs dans le marketing numérique est sans équivoque : ils ont un lien direct avec les consommateurs et ce lien authentique permet aux annonceurs d’atteindre leur clientèle cible.

Le lien matériel : déterminant pour les responsabilités des parties

Tout témoignage, appui, critique ou autre déclaration (indépendamment du média utilisé) doit indiquer clairement l’existence d’un lien matériel entre la personne qui fait la déclaration et l’entité qui met le produit ou le service à sa disposition1.

Peuvent constituer un lien matériel :

  • la réception gratuite d’un produit en échange d’une mention;
  • le prêt ou la location gratuite du bien en échange d’une mention;
  • la rémunération en échange d’une mention du produit;
  • le fait d’être employé de l’annonceur;
  • l’incitatif à promouvoir le produit (tel qu’un coupon-rabais sur un achat subséquent).

En vertu du Code canadien des normes de la publicité, le lien matériel doit être divulgué de façon claire et bien visible à proximité immédiate de la publication portant sur le produit ou le service2 par:

  • La publication d’un hashtag clair (#Ad #Sponsored ou #Promoted) divulgué dans les trois premières lignes d’une description3 et qui ne demande pas à l’audience de faire défiler verticalement la page pour apprendre qu’il s’agit d’un contenu sponsorisé4;
  • L’application des mesures proposées par les plateformes de médias sociaux comme l’entête paid partnership with sur Instagram qui permet aux utilisateurs d’identifier clairement qu’il s’agit d’une publicité tout en permettant aux annonceurs et aux agences d’avoir accès aux statistiques de la publication.

À éviter :

  • Des hashtags tels que #Ambassador #Client #Partner qui sont ambigus.

On peut se demander si la divulgation du lien matériel peut mener un consommateur à conclure que l’influenceur est un représentant du commerçant dont il vante les produits. La définition de « représentant » contenue à la L.p.c. comprend la personne « au sujet de laquelle un fabricant a donné des motifs raisonnables de croire qu’elle agit en son nom ». Lorsque c’est le cas, les déclarations de l’influenceur peuvent devenir un message publicitaire au sens de la L.p.c. À tout événement, l’influenceur pourrait aussi être un « publicitaire » au sens où l’entend la L.p.c.5

L’influenceur n’a pas à divulguer la nature (allocation de voyage, produits gratuits, rémunération directe, rabais sur achat, etc.) ou la valeur globale de l’incitatif qu’il a reçu6.

L’annonceur peut-il dicter le message de l’influenceur?

La déclaration de l’influenceur doit être véridique et authentique. L’article 238 L.p.c. énonce qu’ « aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut faussement, par quelque moyen que ce soit (a) prétendre qu’il est agréé, recommandé, parrainé, approuvé par un tiers, ou affilié ou associé à ce dernier ou (b) prétendre qu’un tiers recommande, approuve, agrée ou parraine un bien ou un service »7.

Cela signifie donc que les témoignages, opinions ou déclarations de préférence faisant partie d’un message publicitaire doivent être exempts d’allégations inexactes, mensongères ou trompeuses8. Au surplus, l’omission de divulguer le lien matériel entre l’annonceur et l’influenceur pourrait équivaloir à passer sous silence un fait important, pratique interdite en vertu de l’article 228 L.p.c.

Voici quelques conseils pour la rédaction du message :

  • Il ne doit omettre aucun renseignement si l’omission rend la publicité mensongère9.
  • Il ne doit pas exagérer la nature ou l’importance des différences entre les concurrents10 selon le Code canadien des normes de la publicité.
  • Il doit présenter des vraies opinions sur les produits ou les services formulées par leurs utilisateurs.

Les annonceurs ne doivent pas utiliser les influenceurs pour transmettre un message qui constituerait une déclaration fausse et trompeuse si elle était publiée directement par l’annonceur.

Expérience vécue :

En 2016, le détaillant américain Lord&Taylor, en collaboration avec le magazine virtuel Nylon, avait recruté 50 influenceuses afin qu’elles publient, le même jour, une photo d’une robe spécifique accompagnée d’un lien vers un article du magazine (publicité commerciale commandée par Lord&Taylor) et le lien pour acheter l’item. La commandite de cet article de magazine par Lord&Taylor et le lien matériel (réception de la robe gratuitement et rémunération entre 1000 $ et 4000 $ par influenceuse)11 n’avaient pas été divulgués. La campagne a rejoint 11,4 millions d’utilisateurs. La FTC a jugé que l’omission de divulgation constituait une publicité fausse et trompeuse et l’entreprise a dû se soumettre, entre autres, à un programme d’approbation pour les campagnes de publicité subséquentes12. Au Québec, l’effet combiné du Code canadien des normes de la publicité et de la L.p.c. pourrait mener à un résultat similaire.

Lorsque la contrepartie obtenue pour la mention est minime, doit-elle tout de même être divulguée ?

Oui. Si le consommateur accorde une valeur à une recommandation, il vaut mieux être transparent et déclarer le lien matériel.

Qui a la responsabilité de divulguer le lien : l’annonceur ou l’influenceur ?

Puisque le Code canadien des normes de la publicité s’applique spécifiquement aux agences, entreprises, institutions ou organismes désireux d’améliorer leur image publique ou de mettre de l’avant un point de vue13, il est possible d’affirmer que la responsabilité de divulguer le lien incombe à l’annonceur. Par ailleurs, si la question est analysée sous l’angle de la L.p.c., l’obligation de divulgation pourrait aussi incomber à l’influenceur.

Quelles pourraient être les conséquences de ne pas se conformer aux obligations de divulgation ?

Aux États-Unis, la FTC a le pouvoir d’enquêter et d’imposer des sanctions aux contrevenants en vertu de l’article 5 de la Federal Trade Commission Act14 qui prohibe les pratiques commerciales fausses ou trompeuses.

Au Canada, NCP est un organisme d’autoréglementation, ce qui signifie qu’il ne peut que réagir aux plaintes et qu’il n’a pas le pouvoir d’imposer des amendes ou des pénalités. Dans des cas flagrants de refus de collaborer, NCP pourrait toutefois transférer la plainte au Bureau de la concurrence qui traite des publicités commerciales fausses et trompeuses si l’effet de ces déclarations est néfaste à la libre concurrence. Le Bureau a également confirmé que les influenceurs et annonceurs qui ne divulguent pas le lien matériel font de l’ « astroturfing », une pratique par laquelle des faux commentaires de consommateurs sont publiés en ligne ce qui affecte la perception des consommateurs sur un produit15.

Au Québec, l’Office de la protection du consommateur possède un pouvoir d’enquête étendu et pourrait aussi intervenir dans un contexte de déclarations fausses ou trompeuses ou lorsque les influenceurs omettent de divulguer le lien matériel qui les unit aux commerçants ou fabricants.

Les divulgations des liens matériels nuisent-ils à l’impact du message publicitaire ?

Divulguer qu’un produit ou service est sponsorisé ne diminue pas l’authenticité de l’influenceur. Au contraire, ne pas divulguer l’incitatif peut induire en erreur le consommateur à la recherche d’information en ligne. Cela pourrait avoir un effet négatif sur l’image de la compagnie et éroder la confiance des consommateurs dans l’économie numérique.

Il appartient maintenant aux parties prenantes d’adopter des pratiques exemplaires en matière d’utilisation d’influenceurs et de divulgation des liens matériels qui les unissent à ces derniers. Le secteur des médias sociaux en est un où la créativité bouillonne et il est possible de faire tourner à son avantage cette obligation de divulgation!

Annexe : Quels sont les organismes qui surveillent les pratiques du marketing d’influence ?

Au Canada :

Plusieurs sources régissent les critères d’une publicité acceptable sur les médias sociaux et les obligations des influenceurs, notamment :

Des lois générales pourraient également s’appliquer en matière de marketing d’influence. Pensons notamment à la Loi sur la concurrence et à ses dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses16 ou la Loi sur la protection du consommateur (Québec) qui impose notamment aux commerçants ou aux participants de l’industrie publicitaire de ne pas faire, par quelque moyen que ce soit, de déclaration fausse ou trompeuse à un consommateur ou de ne pas passer sous silence un fait important17. L’Office de la protection du consommateur est responsable de l’application de la L.p.c. et son président peut enquêter sur toute question qui y est reliée.

 

  1. Normes de la publicité, Ligne directrice no 5 – Témoignages, appuis et critiques, octobre 2016, disponible en ligne : http://www.adstandards.com/fr/Standards/interpretationGuideline5.aspx.
  2. Ibid.
  3. Federal Trade Commission, Influencers, are your #materialconnection #disclosures #clearandconspicuous?, Tips & Advice, Avril 2017, disponible en ligne : https://www.ftc.gov/news-events/blogs/business-blog/2017/04/influencers-are-your-materialconnection-disclosures.
  4. Federal Trade Commision, How to Make Effective Disclosure in Digital Advertising, Mars 2013, p.9, disponible en ligne : https://www.ftc.gov/sites/default/files/attachments/press-releases/ftc-staff-revises-online-advertising-disclosure-guidelines/130312dotcomdisclosures.pdf.
  5. Art. 2 L.p.c. : « publicitaire »: une personne qui fait ou fait faire la préparation, la publication ou la diffusion d’un message publicitaire;
  6. Federal Trade Commission, Endorsement Guides : What People Are Asking, Septembre 2017, disponible en ligne : https://www.ftc.gov/tips-advice/business-center/guidance/ftcs-endorsement-guides-what-people-are-asking.
  7. Le « publicitaire » est ainsi défini à l’article 1 m) de la L.p.c. : « une personne qui fait ou fait faire la préparation, la publication ou la diffusion d’un message publicitaire ».
  8. Art. 1 a), Code canadien des normes de la publicité; arts. 219 et 229 L.p.c.
  9. Art. 1 b), Code canadien des normes de la publicité.
  10. Art. 6, Code canadien des normes de la publicité; art. 228 L.p.c.
  11. https://www.ftc.gov/system/files/documents/cases/160315lordandtaylcmpt.pdf.
  12. Ibid.
  13. Définition du Code canadien des normes de la publicité.
  14. Art. 5, Federal Trade Commission Act.
  15. Référence ?
  16. Art. 52(1), Loi sur la concurrence, L.R.C. ch. C-34.
  17. Titre II de la L.p.c.
Retour à la liste des publications

Restez à l'affût des nouvelles juridiques de l'heure. Abonnez-vous à notre infolettre.

M'abonner aux publications