Le projet de loi 42 et la réorganisation des institutions québécoises en matière de travail

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Le 12 juin dernier, le projet de loi 42, intitulé « Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du travail1 » (la « Loi regroupant la CÉS, la CNT et la CSST et instituant le TAT » ou la « Loi ») a été sanctionné. Les grandes lignes de cette Loi sont sans équivoque : elle a pour objet la réorganisation des structures administratives en matière de travail. 

ESSENTIELLEMENT, LA LOI PRÉVOIT :

  • la fusion de la Commission de l’équité salariale (« CÉS »), de la Commission des normes du travail (« CNT ») et de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») en un seul et unique nouvel organisme administratif, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST »);
  • la fusion de la Commission des relations du travail (« CRT ») et de la Commission des lésions professionnelles (« CLP ») en un seul tribunal, le Tribunal administratif du travail (« TAT »).

Il est prévu que les nouvelles structures seront fonctionnelles le 1er janvier 2016, date d’entrée en vigueur des principales dispositions de cette Loi.

LA COMMISSION DES NORMES, DE L’ÉQUITÉ, DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

Cette nouvelle commission regroupera trois organismes dont la finalité est fort différente, bien qu’ils possèdent tous des pouvoirs d’inspection et d’enquête :

  • la CSST, qui gère le régime d’indemnisation des travailleurs victimes d’une lésion professionnelle et veille à l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »), de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (« LSST ») et de leurs règlements;
  • la CNT, qui a pour mandat d’assurer le respect de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») et de ses règlements et, le cas échéant, de prendre les procédures administratives, civiles ou pénales nécessaires pour inciter les employeurs à respecter la Loi ou réclamer les sommes dues à un employé;
  • la CÉS, qui a pour mandat de veiller au processus d’évaluation des emplois pour s’assurer de l’équité salariale entre les employés de sexe masculin et féminin au sein d’une entreprise.

À l’avenir, les employeurs devront traiter avec un seul organisme, la CNESST. Toutefois, en raison du caractère distinct des missions dont sera désormais investie la CNESST, il ne serait pas surprenant qu’il se crée, dans les faits, une division de la santé et de la sécurité du travail, une division des normes du travail et une division de l’équité salariale.

De plus, comme le souligne le Conseil du patronat du Québec (« CPQ ») dans ses commentaires sur le projet de loi 422, « la direction de la nouvelle commission devra inévitablement prendre les moyens appropriés pour éviter tout conflit dans des questions potentiellement connexes, en application de régimes différents ». Le CPQ fait notamment référence aux situations de harcèlement psychologique pouvant faire l’objet à la fois d’une plainte en matière de normes du travail et d’une réclamation pour lésion professionnelle, dossiers soumis à des critères d’appréciation différents selon le régime applicable. Le CPQ ajoute que « la prévention des conflits d’intérêts sera nécessaire également sur le plan des services juridiques de la nouvelle commission, dans la mesure où certains des juristes de cet organisme seront appelés à représenter des employés en vertu de la Loi sur les normes du travail3

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

La Loi prévoit que le TAT acquière les droits et assume les obligations de la CRT et de la CLP4, lesquelles ont également des vocations fort différentes. La CRT est chargée de disposer des recours formés en vertu de plusieurs lois du travail, dont le Code du travail, la LNT et la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, alors que la CLP est chargée de disposer des recours formés en vertu de la LATMP et de la LSST.

Pour traduire cette diversité, la Loi prévoit spécifiquement que le TAT sera composé de quatre divisions :

  • la division des relations du travail
  • la division de la santé et la sécurité du travail
  • la division des services essentiels
  • la division de la construction et de la qualification professionnelle

En somme, ce nouveau tribunal aura compétence sur les matières contentieuses découlant de la plupart des lois particulières en matière de travail.

La Loi prévoit une uniformisation de la procédure applicable pour s’adresser au TAT et confère à son président des pouvoirs très étendus. À titre d’exemple, il est prévu que le président du TAT affectera ses membres à une ou plusieurs de ses divisions et pourra changer une affectation ou affecter temporairement un membre à une autre division5.

Ces dispositions relatives à l’affectation d’un membre à une section du TAT revêtent une importance certaine. Il est évident que les membres de la CLP ont développé une expertise médico-légale en matière de lésions professionnelles que les membres de la CRT ne possèdent pas. À l’inverse, ces derniers ont développé une expertise notamment en matière de relations du travail patronales/ syndicales et de congédiement.

Bien que la Loi prévoie que le président tienne compte des connaissances et de l’expérience spécifiques de ses membres dans la répartition du travail6, rien ne l’y oblige. Il sera donc intéressant de voir si le président du TAT privilégiera une approche généraliste selon laquelle les membres du TAT seront affectés à plusieurs divisions ou si, à l’inverse, la spécialisation des membres du nouveau tribunal sera sauvegardée par des affectations à une division en particulier.

À titre d’exemple, en vertu du droit actuel, un employé qui prétend avoir été congédié ou avoir subi des représailles parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle peut porter plainte devant la CSST en vertu de l’article 32 de la LATMP et la décision de la CSST peut être contestée devant la CLP. Or, les dispositions de la Loi ne prévoient pas comment, par exemple, une telle plainte sera désormais traitée. Une telle plainte sera-t-elle entendue par un membre de la division de la santé et de la sécurité du travail du TAT ou par un membre affecté à la division des relations du travail ?

Un autre exemple de situation dont la Loi ne dispose pas de manière définitive est celui des règles de preuve et de procédure applicables devant le TAT. Présentement, la CRT et la CLP ont des règles de preuve et de procédure distinctes. La Loi prévoit une procédure unique pour les recours devant le TAT7, mais celle-ci devra être complétée par l’adoption d’un règlement précisant les règles de preuve et de procédure propres au TAT, dont nous ne connaissons pas encore les tenants et aboutissants. Toutefois, ces nouvelles règles pourraient influencer de manière considé- rable le processus de déroulement de l’instance tel que nous le connaissons présentement.

Par ailleurs, la Loi prévoit que, dans le cadre d’une audition, un membre du TAT peut visiter les lieux ou ordonner qu’une expertise soit préparée par une personne qualifiée qu’il désigne pour l’examen et l’appréciation des faits relatifs à l’affaire dont il est saisi8. Ainsi, l’adjudicateur peut demander à une tierce personne qu’il désigne de lui faire part de son opinion et de son appréciation des faits d’un litige qui est devant lui. Présentement, la CLP dispose de tels pouvoirs9, mais pas la CRT. La Loi ne précise pas si ce pouvoir sera limité à la division de la santé et de la sécurité du travail ou s’il sera applicable à toutes les divisions. Une telle généralisation de ce pouvoir est susceptible d’avoir des répercussions importantes sur la façon dont les litiges en matière de relations du travail seront adjugés devant le nouveau tribunal administratif.

QUELQUES AUTRES ASPECTS DE LA LOI REGROUPANT LA CÉS, LA CNT ET LA CSST ET INSTITUANT LE TAT

La Loi prévoit également les changements suivants :

  • La CNT est actuellement financée exclusivement par des contributions d’employeurs. Le surplus de plusieurs dizaines de millions de dollars accumulé par la CNT, suivant les dispositions de la Loi10, sera transféré au fonds consolidé du revenu afin de l’affecter au fonds des générations, lequel vise à réduire la dette publique.
  • Le TAT sera financé en grande partie par les cotisations versées par les employeurs, notamment en vertu de la LATMP et de la LNT11.
  • Un travailleur dont la réclamation pour une lésion professionnelle fait l’objet d’une demande de partage de coûts par l’employeur aura désormais le droit d’intervenir dans cette demande de partage de coûts12. À première vue, puisque le transfert de sommes imputées à un dossier à la suite d’une lésion professionnelle n’affecte en rien les prestations reçues par un travailleur, celui-ci aurait peu ou pas d’intérêt à intervenir dans un tel litige et ce nouveau droit ne pourrait qu’alourdir le processus en matière de partage de coûts.
  • En milieu syndiqué, le délai pour porter plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail, qui traite de plaintes à l’égard de manquements d’un syndicat, est précisé. La Loi prévoit que le salarié doit porter plainte à l’égard de tout manquement « dans les six mois de la connaissance de l’agissement dont il se plaint13 ». Or, le Code du travail prévoit actuellement qu’une telle plainte doit être déposée dans les six mois, sans référence à la connaissance de l’agissement à l’origine de cette plainte. En raison des délais qui peuvent s’écouler entre la prise d’une décision à l’égard d’un salarié et l’exercice par celui-ci de ce droit tel que prévu par la Loi, les employeurs devront s’assurer de bien documenter les mesures prises à l’égard de salariés, puisqu’un dossier pourra refaire surface plusieurs mois après la prise d’une décision.
  • En vertu du Code du travail actuellement en vigueur, l’autorisation de la CRT est nécessaire pour déposer une de ses décisions auprès de la Cour supérieure dans le but d’en forcer l’exécution. Or, la Loi élimine cette étape et prévoit que l’exécution forcée d’une décision du TAT se fera désormais simplement « par le dépôt de celle-ci au greffe de la Cour supérieure14 ».

CONCLUSION

Malgré la dissolution planifiée des organismes de travail actuels, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale affirme que les services et la mission de ceux-ci seront maintenus15. Reste à voir si, dans les faits, tant la CNESST que le nouveau TAT préserveront réellement l’expertise développée par leurs organismes prédécesseurs spécialisés. L’adoption de règles de preuve et procédure particulières qui seront applicables devant le TAT est également à surveiller.


1 L.Q. 2015, c. 15.
2 Conseil du patronat du Québec, « Commentaires sur le projet de loi n° 42 », avril 2015,
3 Id., 11.
4Loi regroupant la CÉS, la CNT et la CSST et instituant le TAT, art. 255.
5 Id., art. 83.
6 Id.
7 Id., art. 262 et 263.
8 Id., art. 41.
9 LATMP, art. 429.40
10 Loi regroupant la CÉS, la CNT et la CSST et instituant le TAT, art. 240.
11 Id., art. 97 et s.
12 Id., art. 113.
13 Id., art. 131 et 132.
14 Id., art. 51.
15 Journal des débats de l’Assemblée nationale, 1ère sess., 41e légis., 21 mai 2015, « Adoption du principe du projet de loi n° 42 – Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du Travail », 11h30 (M. Hamad).

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