Bulletin trimestriel d’information juridique à l’intention des professionnels de la comptabilité, de la gestion et des finances, Numéro 20

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 SOMMAIRE

POLICE D’ASSURANCE-VIE : COMMENT SORTIR DES FONDS D’UNE SOCIÉTÉ PAR ACTIONS SANS INCIDENCE FISCALE
Luc Pariseau avec la collaboration de Martin Bédard, stagiaire en droit

La sortie de fonds d’une société par actions par un individu actionnaire peut présenter certains défis fiscaux parfois difficiles à surmonter. Néanmoins, il existe différents moyens d’y parvenir qui limitent ou annulent les conséquences fiscales négatives pour l’actionnaire et la société par actions si certaines conditions sont respectées. Ainsi, la cession d’une police d’assurance-vie par un individu actionnaire à une société par actions avec laquelle il a un lien de dépendance est souvent un moyen efficace pour parvenir à surmonter les défis fiscaux.

La technique est simple. L’actionnaire cède sa police à sa société par actions et reçoit une contrepartie équivalente à la juste valeur marchande de sa police, telle qu’elle est établie par un actuaire. La contrepartie que verse la société par actions peut être sous forme de comptant ou d’un billet à ordre qui sera payé lorsque la société aura les liquidités nécessaires. Par effet de la LIR, le produit de disposition est réputé équivaloir à la valeur de rachat de la police cédée au moment de la disposition1.

L’actionnaire sera alors imposé sur la différence entre la valeur de rachat de la police et son coût de base rajusté, et le gain en découlant, le cas échéant, sera considéré comme un revenu de bien et non un gain en capital2. En présumant que la valeur de rachat de la police est faible et que sa juste valeur marchande est élevée, l’actionnaire peut ainsi bénéficier d’une sortie de fonds importante, avec peu ou pas de conséquences fiscales négatives.

La juste valeur marchande d’une police sera plus élevée que sa valeur de rachat entre autre lorsque l’état de santé de la personne assurée se sera détérioré depuis le moment de la souscription de la police. Ce sera aussi le cas lorsque la prime théorique pour une police comparable est plus élevée que celle qui est payée pour la police pour des raisons financières attribuables au type de police souscrite ou à l’évolution de la tarification.

Quant à la société par actions, elle se trouve à effectuer une sortie de fonds non déductible et à acquérir un intérêt dans une police avec un coût de base rajusté égal à sa valeur de rachat. La société pourra ainsi bénéficier, lors du décès de l’actionnaire, en plus du produit d’assurance, d’une augmentation de son compte de dividendes en capital égale à l’indemnité reçue, moins le coût de base rajusté de la police3.

L’Agence du revenu du Canada reconnaît la validité d’une telle planification, mais est vraisemblablement inconfortable avec son résultat4. Elle a soumis cette situation au ministère des Finances qui a indiqué que celle-ci était en instance de traitement. Toutefois, aucune modification n’a encore été apportée à la LIR à ce jour, plus de 10 ans après que la question ait été soulevée pour la première fois en 2002.

Par ailleurs, la situation où la société par actions détient la police d’assurance et paie les primes présente certains avantages, notamment le fait que le coût des primes après impôt est souvent moins élevé pour la société qu’il ne le serait pour l’individu actionnaire. L’analyse qui précède est évidemment générale et une analyse plus détaillée serait indiquée pour tout individu qui est en position de céder une police individuelle à une société par actions.
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1 Paragraphe 148(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »). 

2 Paragraphe 148(1) et alinéa 56(1)j) LIR. 

3 Paragraphe 89(1) « compte de dividendes en capital » d) LIR. 

4 ARC, Interprétation technique 2002-0127455, « Non arm’s length disposition » (7 mai 2002); ARC, Interprétation technique 2003-0040145, « Transfert d’une police d’assurance-vie » (6 octobre 2003); ARC, Interprétation technique 2008-0303971E5, « Transfer of a life insurance policy » (27 mai 2009).

LE CONGÉDIEMENT DÉGUISÉ ANALYSÉ DANS LE CONTEXTE D’UNE ACQUISITION D’ENTREPRISE
Guy Lavoie et Élodie Brunet avec la collaboration de Brittany Carson, stagiaire en droit

La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire St-Hilaire c. Nexxlink inc.1, a analysé la notion de « congédiement déguisé » dans le contexte particulier d’une acquisition d’entreprise.

Dans cette affaire, Nexxlink a fait l’objet d’une acquisition qui a donné lieu à une série de changements au sein de l’entreprise, dont certains affectaient les conditions de travail de St-Hilaire. Estimant que ces changements constituaient des modifications substantielles à des conditions essentielles de son contrat de travail, St-Hilaire quitte son emploi peu de temps après la transaction et prétend avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé. Il réclame 525 000 $ à Nexxlink en dommages-intérêts.

Confirmant la décision de la Cour supérieure, la Cour d’appel conclut que St-Hilaire n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé.

Selon les critères établis par la Cour suprême du Canada, le congédiement déguisé se traduit par « 1) une décision unilatérale de l’employeur, 2) une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail, 3) le refus des modifications apportées par l’employé et 4) le départ de l’employé.2 » Ces critères s’analysent sous l’angle de la personne raisonnable placée dans une même situation3.

Dans le contexte de la transaction, la modification du titre d’emploi de St-Hilaire de vice-président, développement des affaires pour celui de vice-président aux ventes d’équipement d’infrastructure ne constitue pas une modification substantielle de ses conditions d’emploi, ni une rétrogradation, mais plutôt une modification relative à l’organisation de l’entreprise qui relève du droit de gérance de Nexxlink.

En ce qui concerne les modifications aux responsabilités et au marché cible alléguées par St-Hilaire, celles-ci n’étaient qu’appréhensions. Dans le contexte d’une acquisition d’entreprise, certaines tâches de hauts dirigeants peuvent être modifiées ou précisées avec le temps : « une certaine période d’incertitude ou d’ajustement est tout à fait prévisible. » Selon la Cour, une personne raisonnable placée dans le même contexte que St-Hilaire aurait pu prévoir qu’elle conserverait ses comptes-clients et que diverses opportunités étaient envisageables au sein de la nouvelle entreprise.

Quant à la rémunération de St-Hilaire lors de son entrée en fonction, celle-ci était principalement constituée d’un salaire de base de 170 000 $, d’un plan de bonification de 40 000 $ et de 20 000 $ d’options d’achat d’actions.

Contrairement aux allégations de St-Hilaire, le tribunal conclut que les critères d’octroi du boni annuel n’ont pas été modifiés de manière substantielle. De plus, même si tel avait été le cas, son contrat de travail prévoyait expressément que le plan de bonification pouvait faire l’objet de modifications sur simple approbation du conseil d’administration. Quant à l’annulation des options d’achat d’actions, même si elle pouvait être considérée comme une diminution de la rémunération de St-Hilaire, ce dernier ne s’en était jamais plaint avant de quitter l’entreprise. Selon la Cour, St-Hilaire jugeait sans doute qu’il ne s’agissait pas d’une condition essentielle.

En conclusion, la Cour d’appel a conclu que St-Hilaire connaissait le rôle qui lui était réservé dans la nouvelle entreprise. La structure dont il se plaignait était provisoire et incertaine. Dans le contexte de la transaction, les allégations de congédiement déguisé étaient mal fondées.

L’intérêt de cette décision réside dans le fait qu’elle relativise la notion de congédiement déguisé dans le contexte particulier d’une acquisition d’entreprise, en plus de réitérer le principe voulant que la structure d’une entreprise n’est pas condamnée à demeurer statique.
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1 2012 QCCA 1513 (C.A.)(confi rmant 2010 QCCS 2276 (C.S.)). 

2 Id., par. 29, citant l’arrêt Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846 (ci-après, « Farber »). 

3 Farber, par. 26.

LA FACULTÉ DE DÉDIT, UNE LIBERTÉ CONTRACTUELLE ENCADRÉE
Catherine Méthot

La faculté de dédit, aussi appelée clause de dédit ou d’« opting out », est la faculté qui est donnée, contractuellement ou par la loi, à une partie de se retirer d’une transaction sans justification avant sa conclusion. Bien que la clause de dédit puisse procurer une grande liberté d’action, une partie ne peut pour autant s’en prévaloir de façon cavalière. En effet, une clause de dédit ne peut être utilisée de manière malicieuse ou abusive, ni aller à l’encontre des exigences de la bonne foi. De plus, pour être opposable et efficace, une clause de dédit doit être exécutoire et explicite.

Récemment, la Cour d’appel du Québec nous a rappelé ces principes dans la cause de London c. Kyriacou1. Dans cette affaire, les propriétaires d’une garderie (les « Vendeurs ») ont accepté l’offre d’achat de Mmes Kyriacou et Teologou (les « acheteuses ») et la vente de la garderie devait initialement avoir lieu le 29 septembre 2006. Cette date a cependant été repoussée à plusieurs reprises et les modalités de l’offre ont été modifiées à maintes reprises au fil des mois. Entre autres, les parties se sont entendues pour augmenter le prix de vente de 150 000,00 $ conditionnellement à l’obtention d’une subvention gouvernementale dans les 15 mois suivant la vente. Dès l’automne 2006, les Vendeurs ont présenté les Acheteuses aux parents des enfants fréquentant la garderie comme étant les nouvelles propriétaires de celle-ci à compter de janvier 2007. Dès le mois de mai 2007 les Acheteuses ont commencé à exploiter la garderie et à se comporter en véritables propriétaires de celle-ci, notamment en y effectuant des réparations à leurs frais et en établissant un nouveau programme éducatif. À compter de mai 2007 les parties ont échangé plusieurs projets de convention de vente et la transaction devait se conclure au mois d’août 2007. Or, le 10 août 2007, suivant la réception d’une lettre des autorités gouvernementales confirmant que la garderie serait subventionnée à compter du mois de mars 2008, les Vendeurs ont avisé les Acheteuses qu’ils se retiraient des négociations, ont fait changer les serrures de la garderie et en ont interdit l’accès aux Acheteuses.

Les Acheteuses ont présenté une requête en passation de titre devant la Cour supérieure du Québec pour forcer les Vendeurs à procéder à la transaction prévue. Les Vendeurs s’y sont opposés, alléguant notamment que l’offre d’achat initiale comportait une clause de dédit et qu’ils avaient le droit de s’en prévaloir. La clause se lisait comme suit : « Lorsque la vérification diligente sera complétée et que les parties se seront entendues sur les conditions de la transaction, si une des parties refuse d’aller de l’avant, l’autre partie sera responsable des frais professionnels encourus.2 »

En première instance, la Cour supérieure a refusé d’appliquer la clause parce que les Vendeurs avaient agi de mauvaise foi tout au long du processus de négociations, qu’au surplus, la clause n’était pas explicite, et que même si elle l’avait été les Vendeurs avaient, par leurs agissements (notamment en incitant les intimés à exploiter la garderie et par la teneur des discussions sur la convention de vente), renoncé à son application. La Cour supérieure retient de la preuve que toutes les conditions mentionnées à l’offre originale ont été satisfaites et qu’il y a eu entente sur tous les éléments nouveaux soulevés par les Vendeurs par la suite. Bref, la transaction avait été conclue entre les parties et il ne restait qu’à la documenter. La Cour supérieure a donc ordonné aux parties de signer la convention de vente et la Cour d’appel du Québec a confirmé cette décision.

Bien que l’inclusion d’une clause de dédit dans un contrat ou une lettre d’offre puisse constituer une stratégie très attrayante, la décision résumée dans cet article souligne l’importance de la rédaction soignée d’une telle clause et le fait que mieux vaut consulter un professionnel au moment de la mettre en oeuvre.
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1 2013 QCCA 37. 

2 En anglais dans la décision: « After due diligence is said and done and all conditions have been agreed upon, if one of the parties’ purchaser or vendor refuse to go ahead the other will be liable for professional fees occurred. »

TRANSFERTS DE RÉSIDENCES METTANT EN CAUSE UNE FIDUCIE TESTAMENTAIRE EXCLUSIVE AU CONJOINT
Diana Darilus

La vente d’une maison par une fiducie testamentaire exclusive au conjoint et l’achat d’une nouvelle résidence en remplacement de la première peuvent générer des conséquences fiscales désavantageuses si toutes les précautions requises ne sont pas prises avant d’y procéder.

EXEMPTION POUR RÉSIDENCE PRINCIPALE

Lorsqu’une fiducie testamentaire exclusive au conjoint se retrouve en possession d’une maison à la suite du décès d’un contribuable et qu’elle désire par la suite se départir de cette maison, il faut s’interroger sur la disponibilité de l’exemption pour résidence principale pour réduire le gain en capital imposable résultant du transfert.

En outre, la loi fiscale1 prévoit certaines présomptions lorsqu’un contribuable a disposé d’une maison en faveur d’une fiducie testamentaire exclusive au profit du conjoint par roulement fiscal au décès, afin que la fiducie puisse bénéficier de l’exemption pour résidence principale pour les années durant lesquelles le contribuable décédé était propriétaire de la maison. De façon générale, une fiducie testamentaire exclusive au conjoint pourra bénéficier de l’exemption pour résidence principale lors de la vente de la maison pour toutes les années durant lesquelles le contribuable  décédé ou la fiducie elle-même en était propriétaire, dans la mesure où plusieurs conditions sont satisfaites.

L’une de ces conditions est que lorsque la fiducie était propriétaire de la résidence, celle-ci doit avoir été normalement habitée par un bénéficiaire déterminé, par l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait de ce bénéficiaire ou par un enfant de celui-ci. Un bénéficiaire déterminé signifie de façon générale une personne qui a un droit de bénéficiaire dans la fiducie et qui habitait normalement le logement (ou qui a un conjoint ou un ex-conjoint ou un enfant qui l’habitait normalement).

De plus, avant de procéder à la désignation de la maison comme résidence principale pour les années de détention par le contribuable décédé alors qu’il était vivant ou par la fiducie elle-même, la fiducie doit également s’assurer qu’aucune désignation de résidence principale sur un autre bien n’a été effectuée relativement à ces années ni par la personne décédée ou son unité familiale, ni par un bénéficiaire déterminé ou son unité familiale.

MAINTIEN DU STATUT DE FIDUCIE TESTAMENTAIRE

Dans le cadre d’une transaction de vente et d’achat de résidences mettant en cause une fiducie testamentaire, il faut se garder de mettre en péril le statut de fiducie testamentaire de cette fiducie, statut qui lui confère l’avantage d’être imposée à des taux d’impôt progressifs.

Ainsi, pour conserver son statut de fiducie testamentaire, aucun bien ne doit être remis à la fiducie autrement que par un particulier lors de son décès ou postérieurement et par la suite de ce décès. La fiducie pourrait ainsi perdre son statut de fiducie testamentaire et les avantages fiscaux qui s’y rattachent si, par exemple, la fiducie ne transige pas à la juste valeur marchande lors de l’acquisition de la nouvelle résidence : le vendeur pourrait être considéré comme ayant fait une contribution égale à l’excédent de la juste valeur marchande du bien sur la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par la fiducie.

Sous réserve de certaines exceptions, le statut de fiducie testamentaire de la fiducie peut également être perdu si la fiducie contracte une dette ou une autre obligation dont est créancier ou garant un bénéficiaire de la fiducie (par exemple l’épouse du défunt) ou une autre personne avec laquelle un bénéficiaire de la fiducie a un lien de dépendance.

CONCLUSION

Les transactions d’immeubles mettant en cause une fiducie testamentaire exclusive au conjoint devraient toujours faire l’objet d’un examen préalable minutieux des conséquences fiscales afin d’éviter les mauvaises surprises.
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1 Loi de l’impôt sur le revenu.

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