Fieldturf Tarkett Inc. c. Gilman(1): La Cour d’appel maintient le paiement de primes liées à des « actions fictives » lorsqu’il est mis fin à l’emploi sans motif valable

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LES FAITS
Le 22 janvier 2014, la Cour d’appel du Québec a confirmé la décision rendue en 2012 par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Gilman c. Fieldturf Tarkett Inc.2 La question en litige était de savoir si le paiement de primes liées à des « actions fictives » devait être effectué au profit de certains employés que la société avait congédiés.

Le régime d’intéressement en cause dans cette affaire avait été mis sur pied à l’intention de certains employés clés qui n’étaient pas actionnaires de la société. Aux termes de ce régime, des montants précis étaient versés à un fonds de primes spéciales lors de la vente de certaines actions de la société conformément aux dispositions d’une convention de coentreprise et, par la suite, d’une convention d’achat d’actions. Plus précisément, le régime prévoyait la conversion de contributions en capital additionnelles en un certain nombre d’actions fictives de la société. Lorsque les actions véritables de la société étaient achetées, un montant était alors versé au fonds de primes spéciales, ce montant correspondant à la valeur des actions fictives à ce moment. Le régime d’intéressement stipulait également que le chef de la direction de la société, John Gilman, pouvait à son gré décider quels employés clés recevraient les paiements de primes liées aux actions fictives (ci-après désignés les « paiements ») et combien chacun recevrait.

Les cinq demandeurs étaient les principaux bénéficiaires de ce régime d’intéressement. Ils avaient reçu ensemble environ 60 % du paiement total versé en septembre 2005 et environ 66 % de celui versé en mars 2007. Malheureusement, John Gilman est décédé subitement en juillet 2007 alors qu’une dernière tranche restait à verser.

En septembre 2008, à la suite d’une restructuration interne de la société, quatre des cinq demandeurs sont congédiés sans motif valable et aucun d’entre eux n’a reçu le paiement final. Ce paiement final a été effectué en février 2009 à tous les employés de la société malgré le fait que, conformément au régime d’intéressement, seuls les employés clés à l’emploi de la société le 31 décembre 2008 étaient admissibles à le recevoir.

Bien que la société ait accepté que ces quatre personnes aient droit à un préavis de cessation d’emploi de plusieurs mois se terminant en 2009, le nouveau chef de la direction a refusé de leur verser le paiement final.

Quant au cinquième demandeur, il a refusé les nouvelles conditions d’emploi qui lui étaient proposées par la société et il a démissionné en janvier 2009. Il n’a pas reçu lui non plus le paiement final.

Les cinq demandeurs ont intenté un recours contre la société, prétendant avoir droit de recevoir le paiement final.

LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE DU QUÉBEC
La Cour supérieure fait droit à la réclamation des demandeurs. Elle rejette l’argument de la société à l’effet que la prime étant payable au seul gré du chef de la direction, la société n’avait aucune obligation d’effectuer le paiement final aux demandeurs. La Cour est d’avis que [TRADUCTION] « un employé qui est congédié sans motif valable a le droit de recevoir tous les avantages qui s’accumulent pendant la période de préavis, y compris les primes. »3 Bien que la Cour accepte que lorsque le paiement d’une prime est entièrement laissé à la discrétion de l’employeur, un employé n’est généralement pas admis à réclamer celle-ci comme faisant partie de sa rémunération pendant la période de préavis, la preuve qu’un employé a régulièrement reçu une prime par le passé peut faire échec à l’argument selon lequel son attribution est discrétionnaire.

La Cour conclut que l’étude des pratiques antérieures de la société démontre qu’à la fin de 2008, les paiements faisaient partie intégrante de la rémunération des demandeurs. Plus précisément, la Cour déclare que les demandeurs ont reçu les primes de 2005 et de 2007 et qu’ils avaient une attente raisonnable de recevoir le paiement final à la fin de 2008.

Finalement, la Cour souligne que les paiements n’étaient pas entièrement discrétionnaires. Conformément à la convention de coentreprise/convention d’achat d’actions, et sous réserve du rendement financier de la société, ils devaient plutôt être effectués lorsque des actions de la société étaient achetées. Le montant des paiements était en outre fondé sur une formule déterminée et les primes étaient réservées aux « employés clés » de la société. Les demandeurs étaient, selon le juge de première instance, des « employés clés » et John Gilman les considérait assurément comme tels avant son décès. La Cour conclut que [TRADUCTION] « Les pratiques antérieures de John Gilman ont défini ce que l’exercice raisonnable de la discrétion du chef de la direction était devenu à la fin de 2008. »4 Puisque le droit des demandeurs de recevoir le paiement final a été acquis au cours de leur période de préavis, ils étaient admissibles à recevoir ce paiement.

LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC
La Cour d’appel du Québec maintient la décision du juge de première instance. Elle conclut qu’en raison du décès de John Gilman, la disposition du régime d’intéressement qui lui conférait le pouvoir discrétionnaire de décider, entre autres, quels employés clés recevraient les paiements est devenue ambiguë et doit être interprétée à la lumière de l’intention des parties, de la nature du régime d’intéressement et de la façon dont le pouvoir discrétionnaire a été exercé. La Cour considère que la preuve établit clairement que John Gilman a toujours considéré les demandeurs comme des « employés clés » et que rien n’indique que cette situation ait changé entre le décès de John Gilman et la date à laquelle les demandeurs ont été congédiés. La Cour ajoute que dans les circonstances, le nouveau chef de la direction ne pouvait « dans l’exercice de bonne foi de la discrétion dont il était investi en lieu et place de M. Gilman » conclure que les demandeurs avaient cessé d’être des employés clés après juillet 2007 et ce, avant le moment où ils ont été congédiés.

En ce qui concerne la condition d’admissibilité (c’est-à-dire que seuls les « employés clés » à l’emploi de la société au 31 décembre 2008 étaient admissibles à recevoir le paiement final), la Cour déclare qu’en vertu du droit québécois, les primes et les options d’achat d’actions font partie de la rémunération globale d’un employé et qu’à ce titre, elles sont généralement considérées comme faisant partie de la rémunération de l’employé durant sa période de préavis. Par conséquent, le congédiement sans motif valable des demandeurs avant la date à laquelle le paiement final ne devienne payable ne saurait les empêcher de toucher les montants réclamés.

On peut consulter le jugement de la Cour d’appel en cliquant ici.
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1 2014 QCCA 147.
2 2012 QCCS 1429
3 Ibid au par. 36.
4 Ibid au par. 61.

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