À la suite du congédiement d’un cadre supérieur, une clause d’un régime d’options d’achat d’actions est déclarée abusive et le comportement de l’employeur jugé oppressif

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Dans l’affaire Dollo c. Premier Tech Ltée1, la Cour supérieure du Québec déclare abusive une clause du régime d’options d’achat d’actions (le « Régime ») offert par Premier Tech Ltée (« Premier Tech ») à certains de ses employés et déclare oppressif au sens de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») le comportement adopté par Premier Tech à l’endroit d’un cadre supérieur congédié.

LES FAITS
En mai 1999, Premier Tech embauche Christian Dollo (« Dollo ») à titre de vice-président finances. En 2001, Dollo se fait offrir la possibilité d’acquérir, au fil du temps, des options d’achat d’actions (ci-après « Options ») de l’entreprise en participant au Régime. Les actions de Premier Tech sont alors négociées en bourse et Dollo acquiert certaines de ces actions en vertu du Régime. En juin 2004, il devient président de Premier Horticulture, l’une des principales filiales de Premier Tech.

Premier Tech redevient une société privée en février 2007. À ce moment, on demande à certains cadres qui détiennent des Options, dont Dollo, de se porter acquéreur d’actions. Toujours dans le cadre de la privatisation de Premier Tech, de nouvelles Options sont offertes à Dollo.

Au cours de l’année 2009, les dirigeants de Premier Tech sont d’avis que le rendement de Dollo répond moins aux attentes de l’entreprise. Ils considèrent également que la relation de confiance diminue. À cette même époque, Dollo prend connaissance de la clause 8.01.2 du Régime, laquelle stipule qu’en cas de cessation d’emploi pour toute raison autre que le décès, la retraite ou l’invalidité du participant, celui-ci perd toutes ses Options acquises et non encore exercées, à moins que le conseil d’administration n’en décide autrement. Inquiet de l’existence de cette clause, il s’informe alors auprès des dirigeants de l’entreprise, qui le rassurent quant à cette possibilité de perdre ses Options acquises en cas de congédiement.

En août 2010, Dollo est congédié. Il détient alors 71 100 actions de l’entreprise, ainsi que 207 619 Options acquises. Au cours des mois qui suivent, Premier Tech et Dollo règlent leurs différends, sauf celui relatif aux Options de Dollo. À l’automne 2010, ce dernier demande au conseil d’administration d’exercer sa discrétion en vertu de la clause 8.01.2 du Régime afin de pouvoir conserver ses Options acquises. Le conseil d’administration refuse.

En mars 2011, Dollo intente un recours contre Premier Tech et son actionnaire majoritaire. Il demande à la Cour de déclarer abusive la clause 8.01.2 et de lui reconnaître le droit d’exercer ses Options acquises (afin de pouvoir toucher le profit de 1 313 847 $). Il ajoute que Premier Tech abuse de ses droits et agit de manière oppressive au sens de la LCSA. Il soumet également avoir été congédié illégalement et réclame, à ce titre, la valeur des Options qu’il aurait acquises et qu’il aurait pu exercer dans les douze mois suivant son congédiement.

LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE DU QUÉBEC
LA CLAUSE 8.01.2 DU RÉGIME EST-ELLE ABUSIVE ?
La Cour conclut tout d’abord que le Régime doit être qualifié de contrat d’adhésion. Elle estime que le contexte de la privatisation de l’entreprise n’offrait aucune réelle possibilité à Dollo d’intervenir au niveau des stipulations essentielles du Régime.

En ce qui concerne la clause 8.01.2, la Cour conclut qu’elle est abusive et nulle. Après une analyse approfondie des témoignages d’experts, elle retient qu’une telle clause « ne se retrouve pas dans les règles gouvernant habituellement ce genre de contrats » et que « ce type de clause est rarissime à titre d’usage commercial ». La Cour ajoute que les options acquises de Dollo constituent, en l’espèce, une rémunération à long terme importante et à caractère incitatif. Cette rémunération à long terme n’était pas, en vertu du Régime, liée au rendement de Dollo. En effet, les dernières Options qui lui avaient été octroyées en 2007 devenaient acquises à la fin de chaque mois, sans égard à son rendement. La Cour considère qu’il est déraisonnable que l’utilisation de la clause 8.01.2 annihile une telle rémunération acquise. La perte de cette rémunération acquise par Dollo pour les années antérieures durant lesquelles Premier Tech a bénéficié de son dévouement amène la Cour à conclure que la clause 8.01.2 est non seulement déraisonnable, mais également excessive.

Enfin, la clause 8.01.2 s’assimile, selon la Cour, à une clause purement potestative puisqu’en prenant la décision de congédier Dollo, Premier Tech prend aussi une décision qui relève de sa seule volonté, soit de ne pas reconnaître à Dollo son droit de toucher ses options acquises. Bien que la Cour ne déclare pas la clause 8.01.2 comme étant véritablement purement potestative, cette similarité milite, selon elle, en faveur de sa qualification de clause abusive.

La Cour rejette toutefois la demande de Dollo concernant les options qu’il aurait acquises dans les douze mois suivant son congédiement puisqu’il serait inapproprié de verser une « rémunération à long terme » pour retenir et motiver un participant au Régime alors que son lien d’emploi est déjà rompu. La justice contractuelle dicte que cette demande soit rejetée.

DOLLO A-T-IL ÉTÉ CONGÉDIÉ SANS CAUSE ?
Quant au congédiement de Dollo, la Cour note qu’il doit être qualifié de congédiement administratif. Dans ce contexte, les étapes à suivre sont les suivantes :

1) le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par son employeur à son égard
2) ses lacunes doivent lui avoir été signalées
3) il doit avoir obtenu le soutien nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs
4) il doit avoir bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster
5) il doit avoir été prévenu du risque de congédiement à défaut de s’améliorer

La Cour retient que Dollo n’a été informé des motifs de son congédiement qu’après avoir intenté son recours contre Premier Tech, qu’il n’a reçu aucun soutien pour lui permettre de s’améliorer et qu’il n’a aucunement été mis en garde quant au risque d’être congédié. Compte tenu de ces éléments, la Cour est d’avis que le congédiement de Dollo est sans cause.

LE COMPORTEMENT DE PREMIER TECH A-T-IL ÉTÉ OPPRESSIF AU SENS DE LA LCSA ?
La Cour examine en dernier lieu la question de savoir si le comportement de Premier Tech et de son actionnaire majoritaire donne ouverture à un recours en oppression au sens de l’article 241 de la LCSA. Elle établit d’abord que Dollo est un plaignant au sens de la LCSA puisqu’il est possible de reconnaître ce statut à une personne à qui on a promis une part du capital-actions d’une société. De plus, lorsqu’il s’est adressé au conseil d’administration concernant l’exercice de ses options acquises, Dollo était encore actionnaire de Premier Tech. Finalement, Dollo est un « actionnaire en puissance » qui aurait droit à des actions supplémentaires n’eut été de la clause abusive 8.01.2.

La Cour mentionne que Dollo avait des attentes légitimes de bénéficier du Régime, défini comme étant une rémunération à long terme, de même qu’au respect de ses droits à titre d’employé. Selon la Cour, Dollo pouvait s’attendre à ce que son congédiement se fasse dans le respect des étapes reconnues par la jurisprudence. En raison de ce non-respect, Dollo n’a pu exercer ses options et n’a pu se prémunir contre l’application brutale de la clause 8.01.2. La Cour précise que la seule déclaration de nullité de la clause 8.01.2 peut ne pas être suffisante pour permettre à Dollo de bénéficier de sa rémunération à long terme. En effet, « des écueils légaux et financiers [notamment la question du financement pour l’acquisition des actions] parsèment le parcours d’une solution facile à ce litige »2.

La Cour fait donc droit au recours en oppression en concluant que le comportement de Premier Tech et de son actionnaire majoritaire est abusif et applique certaines des mesures de redressement spécifiquement prévues à l’article 241 de la LCSA en :

1) prescrivant l’émission d’actions de Premier Tech en faveur de Dollo
2) modifiant les clauses d’un contrat auquel Premier Tech est partie afin de régler les problèmes de financement pour l’émission des actions (obligeant Premier Tech à financer l’émission des actions en faveur de Dollo)
3) enjoignant à l’actionnaire majoritaire de Premier Tech d’acheter les actions ainsi émises en faveur de Dollo, de rembourser Premier Tech pour le financement de l’émission des actions (soit 612 857 $), puis de verser le solde du prix de vente à Dollo (soit 1 313 847 $); et en
4) modifiant certaines clauses de la convention unanime d’actionnaires afin de permettre à Dollo de recevoir le solde du prix de vente de ses actions en faisant ainsi fi de certains articles de cette convention qui auraient pu lui être opposés.

Pour accéder au texte intégral de la décision, cliquez ici.

Cette décision de la Cour supérieure est présentement en appel.
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1 2013 QCCS 6100.
2 Paragraphe 356 de la décision.

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