Cacher des rapports environnementaux : une affaire risquée

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Une décision récente de la Cour d’appel de l’Ontario porte sur un litige qui illustre de façon exemplaire les multiples problèmes que peut causer la présence de contamination sur le terrain d’un centre d’achats. Tous les intervenants dans le cadre d’une vente d’entreprise y trouvent leur compte. S’il y a une leçon à tirer de cette affaire, c’est qu’avant d’accepter les risques associés à un terrain contaminé, il convient de les connaître.

LES FAITS
Nous relaterons les faits en détail afin de faciliter la compréhension de nos conclusions. Pour ce qui est des parties au litige, « Sumra » et « Yang » sont les dirigeants de « compagnies à numéros ». Yang et sa société sont les demandeurs. Les défendeurs sont l’ancienne avocate de Yang, Sumra, et la société de Sumra. Nous utilisons les noms des dirigeants afin de faciliter la lecture du texte.

ACHAT DE LA PROPRIÉTÉ SANS ÉTUDE ENVIRONNEMENTALE
Sumra se porte acquéreur d’un centre d’achats à Ottawa en 1997. Aucun rapport environnemental n’est demandé par son prêteur hypothécaire. À cette même époque Yang, qui possède un doctorat en chimie et vient d’arriver d’Australie, se lance en affaires et fait l’achat et la vente de plusieurs terrains et commerces dans la région d’Ottawa.

ÉTUDE PHASE I POUR OBTENIR LE RENOUVELLEMENT DE L’HYPOTHÈQUE
En 2003, l’hypothèque de Sumra doit être renouvelée. Le prêteur demande qu’une étude environnementale de type Phase I soit réalisée pour le site. La société AMEC est engagée pour faire une inspection visuelle des lieux et réviser la documentation disponible concernant l’historique de l’utilisation de la propriété. Le rapport d’AMEC signale la présence antérieure d’une entreprise de nettoyage à sec sur les lieux.

Le nettoyage à sec est une source notoire de contamination de l’eau souterraine en raison de fuites et de déversements de produits chimiques survenus à une époque où l’on ne se préoccupait pas de la dangerosité de ceux-ci pour l’environnement et la santé humaine.

Cependant, ce commerce aurait - sans que cela ne soit confirmé - utilisé un système de nettoyage à circuit fermé et le rapport conclu qu’AMEC n’a recensé aucun risque environnemental qui justifierait de procéder à une caractérisation du terrain, c’est-à-dire prélever des échantillons de sol ou d’eau souterraine pour analyse en laboratoire. La banque accepte le rapport Phase I d’AMEC et approuve le prêt. L’avocat de Sumra garde une copie du rapport au dossier. En 2005 Sumra met la propriété en vente.

PREMIER ACQUÉREUR POTENTIEL ET DÉCOUVERTE DE LA CONTAMINATION
Un acquéreur potentiel engage la société Paterson pour réaliser une évaluation environnementale Phase I sur la propriété du centre commercial. Au terme de celle-ci, Paterson recommande qu’un forage soit réalisé à l’emplacement de l’ancien nettoyeur afin de prélever du sol et de l’eau souterraine pour analyse en laboratoire. Le sol prélevé rencontre les normes mais l’échantillon d’eau souterraine affiche un dépassement dans la concentration de perchloroethylène (PERC), un produit chimique associé aux opérations de nettoyage à sec. Paterson recommande de procéder à des forages additionnels afin de circonscrire la zone d’impact. L’acquéreur potentiel se désiste.

ACQUÉREUR POTENTIEL 2 ET FORAGES ADDITIONNELS
Un deuxième acquéreur potentiel se présente. Sumra paie la moitié du prix du premier rapport de Paterson afin que le premier acquéreur potentiel lui permette de s’en servir. Le rapport est divulgué au deuxième acquéreur potentiel.

Sumra donne suite à la recommandation de Paterson et engage cette société pour réaliser des forages additionnels. Le PERC dans l’eau souterraine dépasse les critères applicables dans trois des cinq forages additionnels. Paterson est d’avis que la contamination présente un risque important de responsabilité mais qu’elle ne pose pas de risque pour la santé des occupants de l’immeuble ou pour l’environnement. Appelée à fournir un estimé des coûts de décontamination, Paterson souligne qu’il n’est pas possible de les chiffrer avec exactitude sur la base des renseignements disponibles, mais que pour fins de discussions, un budget de $100,000 à $150,000 serait à prévoir. Le deuxième acquéreur potentiel se désiste.

Le courtier immobilier avise Sumra que les rapports environnementaux devront être divulgués à tout acquéreur potentiel subséquent et qu’aucune banque ne financera l’acquisition du centre d’achats tant que le problème environnemental ne sera pas réglé. L’affiche « à vendre » est enlevée et le courtier ne présente plus d’acquéreurs potentiels à Sumra.

YANG ACHÈTE LA PROPRIÉTÉ ET FAIT SEMBLANT D’IGNORER LA QUESTION ENVIRONNEMENTALE
C’est alors que Yang s’intéresse à la propriété. Cet homme d’affaires aguerri fait appel aux services d’une avocate d’Ottawa qui travaille à son compte depuis plusieurs années et a l’habitude de lui fournir du soutien dans le cadre d’opérations immobilières et autres. Yang a déjà acheté un terrain qu’il savait contaminé. Il avait alors eu recours à un financement privé pour éviter les exigences environnementales d’une banque. Yang demande et obtient une réduction du prix de vente de l’ordre de $200,000. Après avoir fait fi des conseils de son avocate, qui lui recommandait de faire effectuer ses propres études environnementales (et lui a fait signer une renonciation à cet égard), les conditions de clôture sont levées et l’opération est conclue.

LE VOISIN POURSUIT YANG
Selon Yang, ce n’est qu’en 2009, après qu’un voisin ait intenté un recours pour troubles de voisinage contre Yang au motif que de la contamination provenant du centre d’achats aurait migré sur son terrain, que Yang s’intéresse à la question environnementale. Il engage Paterson pour proposer différentes options pour la réhabilitation du site. Selon l’échéancier disponible, celles-ci vont de l’atténuation naturelle (solution multi-années, coût 0$) à l’excavation des sols contaminés (solution instantanée, coût $1.7M).

YANG PRÉTEND QU’IL N’AURAIT JAMAIS ACHETÉ ET POURSUIT SON AVOCATE, SUMRA ET SA SOCIÉTÉ
Devant cet exposé des faits, il est évident que la question principale en litige lorsque Yang a voulu réclamer des dommages à Sumra et à sa propre avocate était celle de savoir si le demandeur disait la vérité lorsqu’il a prétendu ne pas avoir été mis au courant de la situation environnementale des lieux avant 2009.

RETOUR À LA CASE DE DÉPART
Voici le texte de la condition environnementale contenue à l’offre d’achat (subséquemment l’annexe A du contrat d’achat vente) [notre traduction]:

Cette offre est conditionnelle à ce que l’acquéreur s’assure, à ses propres frais : que toutes les lois et règlements en matière environnementale sont respectés, qu’aucune situation ou matière dangereuse n’est présente sur la propriété, qu’aucune contrainte ou restriction n’existe qui puisse affecter l’utilisation de la propriété sauf celles mentionnées expressément aux présentes, qu’il n’y a aucun litige en cours en matière environnementale, ni d’ordonnance, d’enquête, d’avis ou de poursuite du ministère de l’environnement à l’égard de questions environnementales, que le site n’a jamais servi à des fins d’élimination de matières résiduelles et que toutes les autorisations applicables sont en vigueur. Le vendeur convient de fournir à l’acquéreur sur demande tout document, dossier et rapport en matière environnementale en sa possession. Le vendeur autorise également le courtier immobilier à remettre à l’acquéreur, son courtier ou son avocat, tout renseignement qui se trouve au dossier du ministère concernant la propriété vendue. À moins que l’acquéreur n’avise le vendeur par écrit livré au vendeur au plus tard à 20h00 le 26 novembre 2005 que la condition préalable a été satisfaite, cette offre deviendra caduque et sans effet et le dépôt sera intégralement rendu à l’acquéreur sans déduction. Cette condition est stipulée en faveur de l’acquéreur et peut être levée à la seule discrétion de ce dernier par avis écrit donné au vendeur dans le délai ci-haut mentionné.

À la lecture de ce paragraphe, on constate que la très longue première phrase contient la liste des déclarations en matière environnementale normalement faites par le vendeur. Ici, la clause est formulée de façon à transférer le risque à l’acquéreur. C’est ce dernier qui doit s’assurer du respect des lois et règlements en matière environnementale; le vendeur ne garantit rien. Ce qui importe également de noter, c’est que ce genre de clause est normalement libellé de façon à exiger que le vendeur fournisse à l’acquéreur potentiel tous les dossiers en environnement en sa possession ou sous son contrôle. Ici, les dossiers seront fournis « sur demande ». Ainsi, le vendeur ne cache rien à l’acheteur, mais il revient à l’acheteur de faire les premiers pas.

Il s’agit selon nous d’une situation où les parties souhaitaient faire semblant que les démarches habituelles en matière de vérification diligente environnementale avaient été effectuées sans pour autant consigner par écrit quoique ce soit qui indiquerait la connaissance de l’acquéreur de la situation environnementale des lieux. Or, cette approche a mené à des conséquences fâcheuses de part et d’autre lorsqu’un tiers à poursuivi Yang en raison de la migration de la contamination.

Examinons la situation de plus près pour ensuite dresser la liste des leçons qu’on peut tirer de cette affaire.

Aux termes de la première phrase de la condition environnementale, Yang devait s’assurer de la situation environnementale des lieux. À titre d’homme d’affaires pratique et pressé, Yang a probablement accordé beaucoup de poids à la conclusion de Paterson suivant laquelle il n’existait pas de risque pour l’environnement ou la santé humaine. Aussi, d’un point de vue juridique, bien que les critères génériques étaient dépassés dans le cas de l’eau souterraine, en l’absence d’une obligation législative claire d’aviser le ministère de l’environnement et/ou de procéder à la décontamination en cas de découverte d’une contamination historique, un homme d’affaire pouvait conclure que les lois et règlements étaient « respectés » en ce sens que le terrain était non conforme mais pas nécessairement les agissements du vendeur à l’égard de celui-ci. L’objectif principal des parties devient alors de s’assurer que les renseignements générés par la firme Paterson ne tombent pas entre les mains d’un prêteur hypothécaire.

Devant le tribunal, Yang a prétendu qu’il n’a jamais demandé à Sumra de lui fournir les dossiers environnementaux en sa possession, qu’il s’est fié à son avocate pour s’occuper de cet aspect de la vérification diligente, et que cette dernière ne lui aurait jamais parlé de rapports environnementaux. Il a également affirmé que s’il avait été mis au courant des conclusions de Paterson, il n’aurait jamais acheté la propriété.

Pour sa part, l’avocate de Yang a prétendu ne pas avoir obtenu de son client le mandat de procéder à une quelconque vérification diligente (environnementale ou autre), ce qui explique qu’elle n’a pas demandé au vendeur de lui donner accès à ses dossiers environnementaux. Or, un évaluateur dont les services ont été retenus par Yang afin de demander un financement à la banque CIBC a obtenu une copie du rapport d’AMEC, qu’il a présenté à la banque. Celle-ci a accordé le financement sur la foi de ce rapport. Devant le tribunal, l’évaluateur n’a pu se souvenir de l’identité de la personne qui lui a fourni une copie du rapport d’AMEC.

Après avoir entendu tous les témoignages, le tribunal conclut que Yang avait reçu les trois rapports environnementaux des mains de Sumra et qu’il les avait en sa possession bien qu’il n’en ait remis qu’un seul à l’évaluateur pour transmission à la banque. Il rejette le recours en dommages et intérêts de Yang contre son avocate et Sumra.

LEÇONS À TIRER DE CETTE AFFAIRE
Au Québec, il existe un cadre législatif qui exige que les terrains sur lesquels ont été menées des activités potentiellement polluantes soient caractérisés et décontaminés au besoin lors de la cessation des activités de l’entreprise ou lors d’un changement d’usage. Le nettoyage à sec ne figure pas dans la liste des activités visées que l’on retrouve dans un règlement adopté en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement. Ainsi, si les terrains des anciens nettoyeurs sont caractérisés, c’est normalement à la demande des banques.

Ceci étant dit, voici quelques constats découlant de l’affaire Sumra et Yang :

La banque CIBC a été dupée. On peut se demander à quelle fréquence les prêteurs hypothécaires se font refiler des informations trompeuses concernant l’état des propriétés qu’ils acceptent en garantie de leurs prêts. En même temps, la découverte d’une contamination historique freine l’activité commerciale, forçant parfois les entreprises et les particuliers à se financer auprès de sources privées à des taux usuraires ou tout simplement faire faillite. Normalement ce ne sont que les entreprises dont les affaires vont bien qui ont les moyens de financer des travaux de réhabilitation.

Yang a été trop cavalier dans son approche. Il a négocié une réduction du prix d’achat et n’avait aucunement l’intention de se servir de l’argent épargné pour régler le problème environnemental. Sumra aurait dû exiger par contrat qu’une somme équivalente à la réduction du prix de vente serve à cette fin.

Les parties au contrat de vente croyaient probablement qu’elles avaient pensé à tout. Or, elles ont oublié de s’entendre sur ce qui arriverait en cas de réclamation d’un tiers. Un voisin, par exemple.

Finalement, et comme les faits le démontrent de façon criante, aucun avocat possédant les connaissances nécessaires n’a été consulté dans ce dossier. L’avocate de Yang lui a fortement recommandé de faire effectuer ses propres études environnementales et elle a bien fait. Elle aurait également dû lui recommander de consulter un avocat exerçant dans le domaine de l’environnement pour s’assurer de bien comprendre les risques associés à l’achat d’un terrain contaminé et les moyens disponibles pour s’en prémunir.

On peut être tenté de croire que la gestion du risque environnemental passe par la sélection de bons ingénieurs. Cela est vrai dans une certaine mesure seulement. Il peut être très risqué de demander à des sociétés conseils en environnement de générer des données et des rapports concernant l’état d’un terrain sans connaître les risques juridiques que cela comporte. La décision de se protéger par contrat ou par des travaux de décontamination dépend d’une série de facteurs qui varient d’un cas à l’autre. Trouver la solution optimale (temps, risque, coût, etc.) requiert la concertation de spécialistes dans les deux domaines, soit le droit et les sciences de l’environnement.

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