La vérification diligente de la propriété intellectuelle dans un contexte d’investissement

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La vérification diligente des droits de propriété intellectuelle constitue une étape importante lors de l’acquisition d’une entreprise ou lorsqu’on y investit des sommes importantes. Pour les entreprises technologiques, les droits de propriété intellectuelle sont souvent les actifs qui représentent l’essentiel de la valeur de l’entreprise. Une vérification diligente permet notamment d’obtenir une image plus précise de ces actifs et des problèmes potentiels qui y sont liés.

Divers types de propriété intellectuelle peuvent faire l’objet d’une vérification diligente. La plupart du temps, il s’agit de marques de commerce, de brevets et de secrets commerciaux, ainsi que de droits d’auteurs, par exemple lorsque l’entreprise possède des droits sur des codes sources de programmes informatiques. Toutefois, il faut garder à l’esprit que tout type de propriété intellectuelle doit être attentivement considéré.

Au Canada, que la marque de commerce soit enregistrée ou non, elle constitue un actif transférable selon la Loi sur les marques de commerce1, et il est donc important de retracer la chaîne des titres relative à une marque depuis qu’elle est en usage. Lorsque la marque est enregistrée, il est aussi important de vérifier si les produits et les services déclarés lors de l’enregistrement correspondent adéquatement à la réalité opérationnelle de l’entreprise et si les dates de premier emploi qui ont été déclarées sont correctes. En effet, un enregistrement peut être invalidé lorsque la date de premier emploi réelle de la marque est postérieure à la date qui a été déclarée.

En matière de brevets, il faut distinguer la vérification des demandes en instance de celle des brevets accordés. Lorsqu’une demande de brevet est en instance, il est important de vérifier la correspondance reçue des bureaux des brevets, notamment pour y déceler toute indication à l’effet que le brevet ne sera pas accordé ou que sa portée sera restreinte. Lorsqu’il s’agit d’une demande effectuée selon le Traité de coopération en matière de brevet (souvent désigné sous le nom PCT en référence à sa désignation anglophone), il est opportun d’analyser toute opinion préliminaire émise dans le cadre de ce traité. Comme la demande de brevet est un document essentiellement technique, il peut être pertinent de demander à un expert dans le domaine son opinion quant à la portée de l’invention. Un brevet délivré est présumé valide, mais il demeure essentiel d’en évaluer la portée par rapport à l’invention telle qu’exploitée commercialement par l’entreprise.

Les droits sur un brevet appartiennent au départ aux inventeurs, à moins de convention écrite à l’effet contraire. Il faut donc vérifier les conventions ayant été signées avec les inventeurs2. À cet égard, deux situations sont à éviter : premièrement, les cas où divers inventeurs ont cédé leurs droits à des entreprises différentes, plaçant les entreprises exploitantes dans une situation d’indivision difficile à gérer; deuxièmement, les cas où les inventeurs déclarés aux autorités gouvernementales ne sont pas, dans les faits, les bonnes personnes. Un brevet obtenu sans y désigner les réels inventeurs peut être impossible à faire respecter ou même carrément invalide3. Enfin, si le brevet ou la demande de brevet a fait l’objet de cessions successives, il faut s’assurer de l’existence d’écrits constatant ces différentes cessions, tel que requis par la Loi sur les brevets4.

La Loi sur le droit d’auteur5 comporte quant à elle une présomption à l’effet que les oeuvres (incluant les codes sources de programmes informatiques) sont la propriété de l’employeur si elles sont développées dans le cadre de l’emploi. Toutefois, cette présomption n’existe pas si le travail a été fait par un sous-traitant ou un consultant; des vérifications plus approfondies à cet égard s’imposent. Notons que la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu qu’un arrangement d’éléments d’un programme informatique peut faire l’objet de droits d’auteur, même lorsque ces éléments ne peuvent pas être eux-mêmes protégés individuellement6. Enfin, même si l’enregistrement des droits d’auteur n’est pas obligatoire, toute cession du droit d’auteur ou concession par une licence d’un intérêt dans ce droit n’est valable que si elle est constatée par un écrit signé par le titulaire du droit; ceci doit aussi faire l’objet de vérifications.

Quant aux secrets commerciaux, une entreprise ne peut en tirer un avantage économique que si les informations sont réellement secrètes, d’où l’importance de vérifier les ententes de confidentialité et de non-concurrence lors de la vérification diligente. Il peut être essentiel de vérifier également quelles sont les mesures réellement mises en place pour protéger les secrets, telles des restrictions dans les systèmes informatiques qui empêchent les employés qui ne sont pas impliqués dans un projet d’accéder à certains fichiers ou des mesures de fractionnement des connaissances au sein des différentes divisions ou des différents groupes d’une entreprise.

Finalement, il sera nécessaire de vérifier l’absence de procédure administrative ou judiciaire pouvant affecter la propriété intellectuelle de quelque type que ce soit, de même qu’on devra s’assurer qu’il n’existe aucune prétention, écrite ou verbale, qu’un tiers invoque une contravention à ses propres droits.

Il arrive que la vérification diligente mène à l’abandon complet du projet d’investissement. Par contre, dans d’autres cas, la vérification diligente permet d’élaborer des mesures correctives que l’entreprise venderesse devra entreprendre pour pouvoir conclure la vente ou que l’entreprise acheteuse verra à mettre en place afin de protéger son investissement à plus long terme.


1 L.R.C. (1985), ch. T-13.
2 Voir, par exemple, Élomari c. Agence spatiale canadienne, 2004 CanLII 39806 (QC CS).
3 Voir, par exemple, Ethicon, Inc. v. United States Surgical corp. 135 F.3d 1456 (U.S. Fed. Cir. 1998) et Pannu v. Iolab Corp., 155 F.3d 1344, 1351 (U.S. Fed. Cir. 1998).
4 L.R.C. (1985), ch. P-4.
5 L.R.C. (1985), ch. C-42.
6 Delrina Corp. v. Triolet Systems Inc., 2002 CanlII 11389 (ON CA).

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