Coup de sifflet judiciaire contre les coups par-derrière : 8 000 000 $ accordés à un joueur de hockey devenu tétraplégique

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La Cour supérieure du Québec rendait, le 1er février 2016, une décision importante en matière de responsabilité civile dans le cadre de la pratique d’un sport1. Le jugement a eu d’importants échos médiatiques, d’une part en raison de l’ampleur du montant en dommages-intérêts accordé par le juge (8 millions de dollars), et d’autre part parce qu’il est intimement lié à la pratique du sport national des Canadiens. Ce jugement, en vertu duquel un hockeyeur junior devenu tétraplégique après avoir été victime d’une mise en échec par-derrière s’est vu accorder une telle somme, changera-t-il les règles du jeu?

Les faits

Le demandeur, Andrew Zaccardo (ci-après « Zaccardo »), âgé de 16 ans au moment des événements, est un joueur en vue dans le hockey junior amateur. Le 3 octobre 2010, sa vie bascule alors qu’il est victime d’une mise en échec par-derrière du défendeur Ludovic Gauvreau-Beaupré (ci-après « Gauvreau-Beaupré ») qui le projette violemment contre la bande. Zaccardo deviendra tétraplégique. La séquence vidéo, déposée en preuve lors de l’audience, montre un geste (entre la 15e et la 30e seconde) qui ressemble à ceux que verra fréquemment l’amateur de hockey dans les bulletins d’information sportive.

Zaccardo intente une poursuite civile à l’encontre de Gauvreau- Beaupré, son assureur ainsi que Hockey Québec et Hockey Canada, réclamant des dommages-intérêts notamment pour les frais et dépenses liés aux soins requis par son état, et ce, pour le reste de ses jours.

Avant l’audition, Zaccardo se désiste de son recours à l’encontre de Hockey Québec et Hockey Canada. L’audition démontre que les deux entités avaient systématiquement découragé et condamné, et ce depuis plusieurs années, les gestes de mise en échec par-derrière. Les parties conviennent également d’une admission quant au quantum des dommages-intérêts pour un montant de 8 millions de dollars.

Le juge Daniel W. Payette conclut que Gauvreau-Beaupré a commis une faute en assénant sa mise en échec et retient sa responsabilité relativement aux dommages subis par Zaccardo.

Le jugement

Tout d’abord, le juge Payette affirme que les joueurs qui prennent part à des matchs de hockey sont soumis à la loi au même titre que tout citoyen : « une patinoire n’est pas une zone de nondroit ».2 Le juge Payette procède à un examen de la jurisprudence pertinente, tant en provenance du Québec que des provinces de common law et conclut qu’il n’existe pas de « responsabilité sportive » à proprement parler : les joueurs sont soumis aux règles habituelles de la responsabilité civile et doivent ainsi se comporter comme des « joueurs raisonnables placés dans les mêmes circonstances ». Le juge confirme également que la pratique du hockey comporte des risques inhérents qu’un joueur accepte en prenant part à un match, mais que celui-ci n’assume tout de même pas les risques déraisonnables et dont il n’a pas connaissance. Ainsi, la mise en échec violente subie par Zaccardo ne constituait pas un risque que celui-ci aurait pu prévoir en prenant part au match. De plus, le juge note qu’une contravention aux règles du jeu, peu importe qu’elle soit ou non sanctionnée par une punition au cours du match, ne constituera pas dans tous les cas une faute au sens du droit civil.

Le juge condamne donc Gauvreau-Beaupré et son assureur à indemniser Zaccardo pour la somme admise de 8 millions de dollars. À noter qu’en début de procès, l’assureur de Gauvreau- Beaupré a informé le tribunal qu’il n’alléguait pas la faute intentionnelle de l’assuré, et le jugement ne traite donc pas de cette question.

La précision chirurgicale avec laquelle le juge décortique la séquence de la mise en échec laisse deviner que ce dernier a probablement une connaissance ou une expérience personnelle relativement à la pratique du hockey, et donne à croire que ce fait a pu influencer les conclusions du jugement. De plus, le jugement met l’accent sur les efforts déployés par les associations sportives (Hockey Québec et Hockey Canada) pour promouvoir la pratique sécuritaire du hockey.

Des échos qui dépassent la sphère juridique

Outre le fait qu’il s’agit, selon nos vérifications, de la somme la plus élevée jamais accordée à une victime de blessures dans un tel contexte, à tout le moins au Canada, ce jugement a déjà des échos au-delà de l’arène juridique.

Il est difficile pour le moment de déterminer la portée qu’aura cette décision et si celle-ci aura un impact sur le sport en général. En effet, malgré l’importance de la somme accordée à Zaccardo qui, rappelons-le, n’était pas contestée, le juge souligne que chaque cas est un cas d’espèce et qu’il ne s’agit que de l’application des principes généraux de la responsabilité civile. En ce sens, chaque situation devra être analysée selon ses faits propres.

À l’ère des recours collectifs d’ex-athlètes professionnels victimes de commotions cérébrales3 et à la suite de nombreux autres cas de gestes violents aux conséquences graves4, cette décision pourrait avoir un impact sur la culture qui prévaut dans le hockey d’aujourd’hui, laquelle est plus que jamais appelée à changer.

Enfin, rappelons que le 2 mars dernier, Gauvreau-Beaupré et son assureur ont porté la décision en appel5. Les conclusions du juge sur la responsabilité feront donc l’objet d’un nouvel examen dans les 18 à 24 mois.

Conclusion

Le jugement en faveur du jeune Zaccardo, ainsi que les dommages-intérêts impressionnants qui lui ont été accordés en réparation du préjudice, font foi des nombreux efforts déployés au cours des dernières années pour sensibiliser les joueurs au risque de blessures graves associé à la pratique des sports de contact. L’attitude souvent critique du juge Payette à l’égard de l’agresseur démontre également que cette sensibilisation s’est à tout le moins déjà rendue à l’attention du juge. Malgré que tous les appels à la prudence, les règlements et les sanctions plus sévères ne soient pas parvenus à actualiser la culture du hockey6, le coup de sifflet envoyé par le juge Payette fonde l’espoir de voir les changements s’accélérer.


  1. Zaccardo c. Chartis Insurance Company of Canada, 2016 QCCS 398. Une déclaration d’appel a été déposée le 2 mars 2016, sous les numéros 500-09-025937-160 et 500-09-025938-168.
  2. Paragraphe 10 du jugement.
  3. À titre d’illustration, un groupe de plus de 100 ex-joueurs de la Ligue nationale de hockey a déposé une demande d’autorisation pour exercer un recours collectif à l’encontre de celle-ci pour les dommages résultant des chocs répétés à la tête subis alors qu’ils jouaient à titre de professionnels : http://www.cbc. ca/sports/hockey/nhl/grand-ledyard-nhl-lawsuit-1.3432273. Voir aussi: http://www.nhlconcussionlitigation.com
  4. On peut par exemple penser au geste de Todd Bertuzzi à l’endroit de Steve Moore, à la suite duquel celui-ci n’a jamais pu poursuivre sa carrière dans le hockey professionnel : https://www.youtube.com/watch?v=Fz9RE9RGrVY. Le coup de bâton asséné par Marty McSorley à Donald Brashear constitue un autre exemple : https://www.youtube.com/watch?v=eTOfsoJAij4
  5. 500-09-025937-160 et 500-09-025938-168.
  6. Il y a quelques jours à peine, un autre jeune hockeyeur de la région de Montréal a subi une blessure au cou suite à une mise en échec par-derrière assénée par un autre joueur. Ce jeune homme a toutefois eu plus de « chance » que le jeune Zaccardo, sa moelle épinière n’ayant pas été touchée : http://montrealgazette.com/news/local-news/local-midget-hockey-player-suffers-broken-neck-after-illegal-hit
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