La permission d’appeler du défendeur au stade de l’autorisation de l’action collective : La Cour d’appel du Québec adopte une approche restrictive

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Le 22 novembre dernier, la Cour d’appel du Québec rendait un jugement inédit sur l’application de l’article 578 du nouveau Code de procédure civile (« NCPC ») dans les affaires DuProprio inc. c. La fédération des chambres immobilières du Québec, Énergie éolienne Des Moulins S.E.C. c. Labranche et La Centrale des syndicats du Québec c. Allen1.

Sous la plume du juge Jacques Chamberland, la Cour d’appel a rejeté à l’unanimité les demandes des défendeurs visant la permission d’en appeler du jugement de première instance autorisant l’exercice de l’action collective de leur dossier respectif. Considérant le caractère nouveau de cet article, la Cour d’appel avait réuni ces trois affaires pour fins d’audition et référé le litige à un banc de trois juges.

Historique du droit d’appel

Le juge Chamberland dresse d’abord un portrait de l’historique législatif du droit d’appel d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective. Introduite en 1978, l’action collective, alors appelée recours collectif, permettait au demandeur et au défendeur de porter en appel le jugement autorisant l’exercice d’une action collective.

En 1982, le législateur a mis en place le droit d’appel asymétrique, retirant ainsi le droit au défendeur de faire appel au stade de l’autorisation tout en préservant ce droit pour le demandeur.

Dans le cadre de la réforme du NCPC, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, le législateur a adopté l’article 578 NCPC qui permet désormais l’appel sur permission des jugements accueillant une demande en autorisation d’exercer une action collective. Cependant, le législateur n’a pas précisé les critères requis pour accorder une telle permission.

La norme d’intervention

La Cour souligne que la norme d’intervention en appel d’une décision accueillant ou rejetant la demande d’exercer une action collective est « exigeante ». La Cour d’appel interviendra seulement si le juge de première instance a commis une erreur de droit ou a manifestement erré dans son appréciation des quatre critères régissant l’autorisation du recours2.

Le test applicable

S’appuyant sur le commentaire de la ministre de la Justice qui précise que « l’appel portant sur l’autorisation ne devrait porter que sur les conditions pour l’accorder », le juge Chamberland explique que « le test ne doit pas être sévère au point de stériliser le droit d’appel sur permission, mais non plus souple au point de placer les deux parties sur le même pied en ce qui a trait au droit d’appel ». Pour définir le test applicable, la Cour prend en compte le fait que le seuil requis pour obtenir l’autorisation d’exercer une action collective est peu élevé et que le juge bénéficie d’une « vaste latitude » afin d’accorder une telle requête.

Ainsi, le tribunal affirme que le test doit être « exigeant » et que l’appel doit être réservé à des « cas exceptionnels » :

« Le juge accordera la permission de faire appel lorsque le jugement lui paraîtra comporter à sa face même une erreur déterminante concernant l’interprétation des conditions d’exercice de l’action collective ou l’appréciation des faits relatifs à ces conditions, ou encore, lorsqu’il s’agira d’un cas flagrant d’incompétence de la Cour supérieure3 ».

Selon la Cour, ce test respecte l’intention du législateur, notamment en ce qu’il : i) ne porte que sur les conditions d’exercice de l’action collective, ii) écarte les appels inutiles ou ne portant que sur des éléments accessoires, iii) respecte la discrétion du juge de première instance, iv) n’alourdit pas le fardeau d’intenter une action collective pour le demandeur et v) permet d’éviter un long et couteux débat sur le fond lorsque l’action collective est mal fondée.

Conclusion

Appliquant le test précité aux faits propres à chacune des affaires, la Cour d’appel rejette toutes les demandes de permission de faire appel du jugement autorisant l’exercice d’une action collective, avec les frais de justice contre les appelants.

Commentaires

Cet arrêt démontre encore une fois l’approche libérale adoptée par les tribunaux rendant minimales les exigences pour obtenir l’autorisation d’intenter une action collective. L’obiter récent de la juge Bich4 dans lequel elle invite le législateur à se pencher sur l’utilité d’une telle étape dans sa forme actuelle n’en est que le reflet.

Il y a lieu de s’interroger sur les bénéfices réels de limiter de la sorte le droit d’appel du jugement autorisant l’exercice d’une action collective. En effet, un véritable mécanisme de filtrage avec un droit d’appel au stade de l’autorisation permet au demandeur d’être fixé à une étape préliminaire sur la viabilité du recours, et ce, avant d’y consacrer temps et argent. Il risque d’être ainsi privé de l’éclairage de la Cour d’appel sur les écueils et embûches susceptibles de compromettre le succès du recours au fond. À l’inverse, un jugement de la Cour d’appel confirmant l’autorisation de l’action collective peut s’avérer un argument de taille pour influencer la négociation d’un règlement, évitant ainsi de mobiliser des ressources judiciaires importantes pour la tenue d’un procès sur le fond.


  1. L’affaire DuProprio (500-09-026070-169); l’affaire Énergie éolienne des moulins (200-09-009270-163 et 200-09-009273-167); l’affaire CSQ : (200-09-009238-160), (200-09-009241-164) (200-09-009247-161).
  2. Art. 575 C.p.c.
  3. Au paragraphe 59 de la décision.
  4. Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716 (CanLII).
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