Autorisations de soins et d’hébergement : la Cour d’appel du Québec impose des balises aux demandes de remise et rappelle l’admissibilité du ouï-dire en matière d’expertise

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Le 28 octobre dernier, la Cour d’appel du Québec1 a confirmé une décision de la Cour supérieure du Québec qui avait accueilli une demande en autorisation de soins présentée par le Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (le « CISSS »).

Essentiellement, le patient faisait valoir trois moyens d’opposition. D’abord, le refus du juge de première instance de donner suite à sa demande d’ajournement l’avait privé de son droit de présenter une expertise, niant de ce fait son droit à une défense pleine et entière. Ensuite, le patient prétendait que les conditions prescrites par la législation et la jurisprudence afin d’accueillir la demande du CISSS n’étaient pas remplies. Enfin, il soutenait que la durée de l’ordonnance obtenue était excessive et devait être réduite à une année.

Tout comme dans l’affaire F.D. c. Centre universitaire de santé McGill2, la Cour considère que la décision de reporter ou non une audition relève de la gestion d’instance. La Cour d’appel doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard des juges d’instance titulaires de larges pouvoirs discrétionnaires afin d’assurer la bonne conduite des débats dont ceuxci sont saisis3. Ainsi, une décision portant sur une demande de remise ne pourra être infirmée que si elle est déraisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire et contraire au meilleur intérêt de la justice4.

En l’espèce, le patient était alors détenu à l’Hôpital de St-Jérôme dans l’attente d’une audience devant la Commission d’examen pour troubles mentaux (la « CETM ») depuis déjà plusieurs mois au moment où le CISSS déposa sa demande en autorisation de soins en Cour supérieure. Devant l’agitation du patient, l’audience devant la CETM avait d’ailleurs dû être ajournée et le patient, maintenu en détention et ce, jusqu’au prononcé de la décision de la Cour supérieure sur la demande en autorisation de soins qui était présentable le 19 mai 2016. À cette date, une première demande de remise avait été faite par le patient et accordée pour que celui-ci puisse se constituer un procureur. Dès cet instant, la Cour rappellera l’urgence afin d’assurer le respect des droits du patient. Le 26 mai suivant, la Cour ajourna pour une deuxième fois le dossier et fixa l’audition au fond de la cause au 21 juillet, date convenue entre les parties. Avant même que le dossier ne soit entendu, le procureur du patient demanda que l’affaire soit reportée pour une troisième fois au motif que le psychologue qu’il souhaitait faire entendre n’était pas disponible et ce, sans fournir davantage de précisions sur l’opportunité de faire entendre un autre expert. Après avoir suggéré un report d’une semaine, lequel fut par ailleurs refusé par le procureur du patient, le juge de première instance rejeta la troisième demande de remise.

C’est dans ce contexte que la Cour d’appel considéra que cette décision n’était pas déraisonnable, et qu’elle rappellera que les demandes rattachées à l’intégrité de la personne ont priorité sur toutes les autres5, ce qui signale leur urgence intrinsèque. En effet, la Cour rappelle ce qui suit : « que les dossiers concernant l’intégrité des personnes doivent procéder avec célérité et que tous sont appelés à collaborer à cette fin, y compris la partie visée par la demande »6. Ici, l’urgence s’imposait d’autant plus que le patient était maintenu en détention à l’Hôpital de St-Jérôme en attente de son audience devant la CETM. De plus, le procureur n’avait pas facilité le cheminement du dossier du patient et avait admis n’avoir contacté qu’un seul expert. Selon la Cour, le contexte d’une demande de remise exige davantage de précisions de celui qui la requiert, lequel ne peut se limiter à dire, sans plus de précisions, que d’autres personnes non identifiées seraient éventuellement contactées. En somme, la Cour conclut que cette demande de report avait un caractère dilatoire.

Quant à savoir si la Cour supérieure a erré en faisant droit à la demande en autorisation de traitement du CISSS, la Cour d’appel a répondu par la négative. Le fait que le juge ait rendu un jugement plutôt court ne permet pas nécessairement de conclure qu’il a fait fi dans son analyse des critères énoncés par la jurisprudence. Dans son appréciation des critères, le juge n’a commis aucune erreur de droit en retenant le témoignage de l’expert, lequel était par ailleurs largement fondé sur du ouï-dire. En citant les auteurs Royer et Lavallée7, la Cour conclut que la jurisprudence crée une exception à la prohibition du ouïdire en matière d’expertise dans des cas de nécessité et de commodité. Le témoin expert est donc habilité à donner une opinion basée sur des faits qu’il a recueillis hors de cours sans qu’il soit nécessaire que ceuxci ne soient établis en preuve pour donner une valeur probante à son opinion. C’est en ce sens que la Cour rappellera que cette preuve est recevable et pertinente.

Malgré la demande de l’appelant de réduire la durée de l’ordonnance à deux ans, la Cour d’appel a maintenu la durée du traitement à trois ans tout en rappelant que le délai demandé dans ce type de dossier ne saurait être fixé selon des standards généraux, mais doit plutôt être évalué et personnalisé en fonction de la situation particulière de chaque patient. Par ailleurs, la Cour rappellera l’existence de deux mécanismes de révision en pareille matière, à savoir la révision biannuelle par le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens et la révision prévue à l’article 322 du C.p.c., qui permet à la Cour supérieure de réviser en tout temps une décision rendue en présence de faits nouveaux.


  1. D.A. c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides, 2016 QCCA 1734.
  2. F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria), 2015 QCCA 1139.
  3. Id., par. 30.
  4. Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 9 al. 3 et 17-20 (ci-après « C.p.c. »).
  5. Art. 395 C.p.c.
  6. D.A. c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides, préc., note 1, par. 15.
  7. Jean-Claude Royer, La preuve civile, 4e éd., par Jean-Claude Royer et Sophie Lavallée, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 339.
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