Exemptions à la contrefaçon pour les activités de recherche selon le droit canadien

Plusieurs juridictions prévoient des exemptions à la contrefaçon de brevet pour des activités de recherches ou non commerciales, comme par exemple pour la collecte d’informations destinées à obtenir une approbation réglementaire pour un produit médicinal. Le Canada ne fait pas exception, et prévoit une exemption enchâssée dans la loi ainsi qu’une exemption de « common law ».

Exemption prévue par la loi

L’exemption prévue à la contrefaçon par la loi en droit canadien est fondée sur l’article 55.2 (1) de la Loi sur les brevets :

55.2 (1) Il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit.

Cet article concerne généralement les activités liées à la préparation et à la production du dossier d’information exigé par un organisme de réglementation. Aux États-Unis, la disposition correspondante est parfois appelée « Hatch-Waxman exemption », « 271(e)(1) exemption », « Bolar exemption » ou « FDA safe harbor ».

Bien que la disposition canadienne se rapporte à l’approbation réglementaire des inventions dans n’importe quel domaine de technologie (c.-à-d. ne se limite pas aux médicaments), les causes ayant été portées devant les tribunaux canadiens sont principalement liées au secteur pharmaceutique, le plus souvent dans le cadre d’un fabricant de médicaments génériques effectuant des tests à l’égard d’un médicament breveté. De plus, cette disposition se rapporte aux renseignements qui peuvent être exigés par n’importe quel organisme de réglementation (c.-à-d., pas seulement au Canada).

Exemption de la « common law »

L’exemption de la « common law » s’ajoute à l’exemption prévue par la loi. L’arrêt de principe illustrant cette exception est la décision Micro Chemicals 1 de la Cour suprême, dans laquelle Micro Chemicals a effectué diverses expériences afin d’établir qu’elle était capable de produire un médicament breveté, pour lequel elle avait l’intention d’obtenir une licence obligatoire de la part du titulaire du brevet. La Cour suprême a conclu que les activités de Micro Chemicals à cet égard ne constituaient pas de la contrefaçon, en particulier sur la base des critères suivants :

  • Le composé a été produit en petites quantités ;
  • Le composé a été conservé par Micro Chemicals et n’a jamais été mis en marché ;
  • Le breveté n’a subi aucun dommage en raison de ces activités ;
  • Micro Chemicals n’a réalisé aucun profit sur la base de ces activités ; et
  • Les activités ont été considérées comme des expériences de bonne foi.

Toutefois, certains passages de la décision Micro Chemicals pouvaient laisser croire que le raisonnement de la Cour a été influencé par le fait que ces activités de recherche se sont déroulées dans le cadre du régime antérieur de licences obligatoires pour les médicaments, qui a depuis été abrogé.

La Cour d’appel fédérale a réexaminé l’exemption prévue par la loi et l’exemption de la « common law » dans l’affaire Merck c. Apotex, 2006 2.

Merck c. Apotex, 2006

En ce qui concerne l’exemption prévue par la loi, la Cour a adopté une interprétation large de l’article 55.2(1), considérant que les échantillons d’essai en question étaient « raisonnablement associés » à la soumission réglementaire :

L’exception prévue par cette disposition s’applique à tout échantillon nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi ou un règlement. Elle ne se limite pas à l’information effectivement produite.

En ce qui concerne l’exemption de la « common law », la Cour a rejeté les arguments du breveté selon lesquels l’exemption définie dans Micro Chemicals ne s’applique plus en l’absence d’un régime de licences obligatoires, et a émis le commentaire suivant :

Je rejette l’allégation selon laquelle l’exception dont il est question dans l’arrêt Micro Chemicals est limitée et ne s’applique qu’à titre accessoire à la délivrance de licences obligatoires. […] Selon moi, tout ce qu’on exige c’est que le produit litigieux ait été fabriqué dans le cadre d’une expérience de bonne foi et non avec l’intention de le vendre ou de l’exploiter sur le marché commercial.

La Cour a toutefois noté que :

[…] une fois que la phase d’expérimentation et d’essai est terminée et que celle de la fabrication, de la promotion et de la vente du produit a commencé, l’exception relative à l’utilisation équitable ne s’applique plus.

Il semble donc que les activités limitées à l’expérimentation ou à l’essai et n’ayant pas avancées au stade de la fabrication, de la promotion ou de la vente puissent relever de l’exemption de la « common law ».

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Des décisions plus récentes des tribunaux ont indiqué que l’utilisation et le statut de tels échantillons expérimentaux devraient être soigneusement documentés, advenant le cas où il serait nécessaire d’établir qu’ils n’étaient pas destinés au commerce. Dans Apotex c. Sanofi-Aventis 3, l’omission de produire des documents indiquant que certains lots ont été détruits, a amené la Cour à conclure que l’exemption relative à l’usage expérimental et réglementaire ne s’appliquait pas à ces lots. L’importance d’une telle tenue de documents a été confirmée dans l’affaire Teva et Apotex c. Novartis 4, la Cour ayant relevé que :

[…] il incombe à Apotex de démontrer que l’inventaire d’imatinib était utilisé à des fins expérimentales ou réglementaires, et qu’aucune quantité n’a été ou ne sera employée à des fins commerciales.

La Cour a estimé que l’inventaire était exempt de contrefaçon, étant donné qu’Apotex était en mesure de rendre compte de l’inventaire, et a en outre assuré que l’inventaire ne serait pas commercialisé, et serait détruit lorsqu’expiré.


Conclusions

Dans la pratique, les questions d’exemption à la contrefaçon sont spécifiques aux faits et doivent être évaluées au cas par cas. Il semble que les activités de recherche purement liées à l’expérimentation de bonne foi, à l’égard d’échantillons qui ne sont jamais commercialisés (le tout bien documenté), sont considérées comme exemptées de la contrefaçon au Canada.

Veuillez communiquer avec nous pour de plus amples informations par rapport à la propriété intellectuelle au Canada.

Veuillez noter que l’information contenue dans le présent article est de nature générale et ne vise pas à replacer des conseils légaux pour des cas spécifiques.


  1. Micro Chemicals Limited c. Smith Kline & French Inter-American Corporation, [1972] RCS 506, 2 CPR (2d) 193.
  2. Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 323.
  3. Sanofi-Aventis c. Apotex Inc., 2013 CAF 186.
  4. Teva Canada Limited c. Novartis AG, 2013 CF 141.
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