Exclusion de garde, direction ou gestion en assurance – L’interprétation de la CSC

Le 19 octobre 2018, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt 3091-5177 Québec inc. (Éconolodge Aéroport) c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard1 sous la plume de l’Honorable Clément Gascon, en appel de la Cour d’appel du Québec. Il y est principalement question de l’application de la clause d’exclusion standard de garde, direction ou gestion, également connue sous le vocable « garde et contrôle ».

À retenir

Cet arrêt permet de clarifier l’application de l’exclusion de garde, direction ou gestion à la lumière de la distinction entre la notion de garde de la simple détention physique. Les assureurs doivent déterminer, en fonction des faits propres à chacune des réclamations, si leur assuré s’est véritablement vu transférer la garde avant d’invoquer cette exclusion tout en gardant à l’esprit que celle-ci ne doit pas anéantir une garantie dont l’application est prévisible ou raisonnable pour l’assuré.

Les faits

Éconolodge Aéroport (ci-après « Éconolodge ») offrait un service d’hébergement, de stationnement et de navette (« park and fly ») près de l’Aéroport Pierre-Elliot-Trudeau, à Montréal. Pendant la saison hivernale, les clients devaient obligatoirement remettre les clés de leur véhicule aux représentants d’Éconolodge pour permettre le déneigement du stationnement.

À l’hiver 2005-2006, deux clients d’Éconolodge se font voler leur véhicule dans ledit stationnement. Après avoir indemnisé leur client respectif, les assureurs des biens de ces clients ont chacun entrepris un recours subrogatoire contre Éconolodge afin de recouvrer l’indemnisation versée, faisant valoir que cette dernière n’avait pas pris des mesures raisonnables pour empêcher les vols. Dans les deux dossiers, l’assureur d’Éconolodge, la Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard (« Lombard »), était soit poursuivi directement, soit appelé en garantie. Ultimement, les actions relativement aux deux vols ont été réunies.

Lombard plaidait qu’elle n’avait pas à payer les réclamations, invoquant l’exclusion selon laquelle l’assureur n’était pas responsable pour la perte des véhicules dont Éconolodge avait la garde et la gestion. Cette exclusion se lisait comme suit :

Sont exclus de la présente assurance :

(...)

H) La privation de jouissance, la détérioration ou la destruction :

(...)

d) De biens meubles dont vous avez la garde ou sur lesquels vous avez pouvoir de direction ou gestion;

L’historique judiciaire

Les cours d’instances inférieures ont toutes conclu qu’Éconolodge était responsable pour le vol des deux véhicules. En qualifiant le contrat entre Éconolodge et ses clients de contrat de service, elles ont conclu qu’Éconolodge avait manqué à son obligation, au sens de l’article 2100 du Code civil du Québec, de veiller avec prudence et diligence aux mieux des intérêts de ses clients.

En ce qui concerne la clause d’exclusion de garde, direction ou gestion, la Cour du Québec avait conclu qu’elle ne s’appliquait pas, car Éconolodge n’avait ni la garde ni un réel pouvoir de gestion ou de direction sur les véhicules. Pour elle, la remise des clés dans le but de permettre les opérations de déneigement du stationnement n’opérait pas un réel transfert de la garde des véhicules.

La Cour d’appel, pour sa part, était plutôt d’avis que la remise des clés par les clients aux représentants d’Éconolodge impliquait nécessairement que cette dernière exerçait la garde des véhicules. Selon cette Cour, il était également incongru de conclure à un devoir de prudence et de diligence à l’égard des véhicules sans conclure à un transfert de la garde de ceux-ci. Ainsi, la Cour d’appel aurait appliqué la clause d’exclusion.

La décision de la CSC

Tout comme les instances inférieures, la Cour suprême conclut qu’Éconolodge était responsable pour le vol des véhicules. Cependant, elle infirme la conclusion de la Cour d’appel du Québec selon laquelle la clause d’exclusion invoquée par Lombard s’appliquait, déterminant que l’hôtelier n’avait pas la garde et la gestion des véhicules au sens juridique de ces termes.

Elle considère en l’espèce que la clause d’exclusion ne comportait aucune ambiguïté qui requérait d’être dissipée par un exercice d’interprétation. Pour les fins de l’application de cette clause, la Cour devait déterminer quel était l’effet de la remise des clés sur la notion de garde, rappelant qu’il existe une distinction entre la garde et la simple détention physique d’un bien. La question de savoir si une personne détient un pouvoir de garde sur un bien ou si elle en a plutôt la simple détention physique est contextuelle.

Dans ces cas-ci, les clients laissaient leurs clés à l’hôtelier pour une raison bien précise, soit pour faciliter le déneigement du stationnement. Les clients n’étaient d’ailleurs pas tenus de laisser leurs clés durant l’été. La Cour détermine qu’Éconolodge n’assumait donc pas réellement la garde des véhicules puisqu’elle ne pouvait exercer qu’un pouvoir circonscrit et limité sur ceux-ci, soit celui de déplacer les véhicules en cas d’accumulation de neige.

Dans le cadre de son analyse, la Cour mentionne que la raison d’être de la clause d’exclusion était d’éviter à l’assureur de « lier son obligation d’indemniser à des aléas résultant des initiatives que peut entreprendre l’assuré […] et qui n’auraient rien à voir avec le genre d’activités commerciales auquel il s’adonne et que l’assureur connaît ». Or, selon la Cour, le stationnement constitue un élément essentiel de l’éventail de services offerts par Éconolodge à titre d’hôtel de type « park and fly ». Lombard connaissait donc la formule commerciale de son assuré et avait émis la police d’assurance en toute connaissance de cause. La Cour est d’avis que l’application de l’exclusion minerait l’utilité de la garantie à l’égard de l’une des trois activités principales de l’assuré. Enfin, selon la Cour, il serait insensé que l’application de l’exclusion soit dépendante des saisons. Pour finir, la Cour conclut que Lombard est tenue d’indemniser Éconolodge pour le vol des voitures.

Conclusion

La nature très contextuelle associée à la qualification de la notion de garde commande une analyse rigoureuse des faits entourant la relation juridique entre l’assuré et le bien endommagé ou perdu. Dans le cadre de cette analyse, les assureurs devront tâcher de déterminer si leur assuré s’est véritablement vu transférer la garde du bien plutôt que sa simple détention physique. Au surplus, il convient de rappeler que l’application de l’exclusion ne doit pas ultimement avoir pour effet de miner ou d’anéantir une garantie dont l’application est prévisible ou raisonnable pour l’assuré. 

 

  1. 3091-5177 Québec inc. (Éconolodge Aéroport) c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard, 2018 CSC 43.
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