Employeurs : qu'est-ce que la diffamation et comment bien protéger votre réputation?

À une époque où distinguer une information véridique d’une fake news devient de moins en moins évident et où une photo partagée dans un média social peut faire le tour du monde, les entreprises n’hésitent plus à tout mettre en œuvre pour protéger leur image. Qu’en est-il lorsque ce sont vos propres employés qui ternissent la réputation de votre entreprise ?

Les actes diffamatoires sont de plus en plus fréquents en milieu de travail et ne doivent pas être pris à la légère. Ceux-ci se manifestent sous différentes formes et peuvent affecter de manière irrémédiable la réputation de l’employeur.

Qu’est-ce que la diffamation?

Les tribunaux s’entendent pour dire que la diffamation consiste à communiquer des propos ou des écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un, ou qui encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables.

On pourrait croire qu’une communication se réduit à des paroles ou des écrits. Or, de nos jours, on reconnaît que la diffamation peut être commise de multiples autres façons, notamment par des images ou des gestes1.

L’anonymat permis par le Web et la facilité avec laquelle il est possible de partager de l’information ont grandement modifié la portée éventuelle d’une communication, qui, bien qu’elle soit en apparence bénigne, peut entraîner de nombreuses poursuites judiciaires. Les tribunaux n’ont d’ailleurs pas hésité à qualifier le Web d’outil de communication le plus puissant sur terre, capable de rendre une personne célèbre en quelques minutes ou de détruire sa réputation en un seul clic2!

Les trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur

Selon la Cour suprême3, il existe trois grandes situations susceptibles de constituer de la diffamation.

La première survient lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers, tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui.

La seconde situation se produit lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui, alors qu’elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s’abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité.

Enfin, la troisième situation, souvent oubliée, est celle de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables mais véridiques à l’égard d’un tiers.

En milieu de travail, ces trois situations peuvent tout à fait survenir entre deux employés, entre un supérieur hiérarchique et son employé, ou vice-versa, ou encore, entre un employé et l’entreprise qui l’emploie.

Et la liberté d’expression?

Fréquemment invoquée pour défendre les propos tenus à l’encontre d’un tiers, la liberté d’expression n’est cependant pas sans limites, surtout dans un contexte d’emploi.

Le concept de diffamation exige de concilier le droit à la protection de la réputation avec celui de la liberté d’expression, puisque ce qui appartient au premier est généralement retiré au second. Les tribunaux rechercheront un équilibre entre ces deux droits fondamentaux protégés, au même titre, par la Charte québécoise des droits et libertés.

Ainsi, si les tribunaux reconnaissent, dans certains cas, le droit des employés de s’exprimer sur Internet au sujet de leur employeur, ils s’assureront toutefois que les commentaires ne sont pas le fait d’affirmations factuelles qui s’avèrent fausses, non fondées, déformées ou exagérées4.

Au surplus, l’employé peut avoir souscrit à diverses obligations contractuelles, par exemple, un engagement de non-dénigrement, un engagement de confidentialité ou être tenu au respect de diverses politiques de l’employeur, notamment quant à l’utilisation des médias sociaux ou au respect en milieu de travail. En souscrivant à de tels engagements, l’employé accepte de limiter son droit à la liberté d’expression5.

Avant toutes obligations contractuelles auxquelles un employé aurait souscrit, le Code civil du Québec assujettit celui-ci à des obligations de loyauté envers l’employeur et d’abstention de faire usage de l’information à caractère confidentiel obtenue à l’occasion du travail. Ces obligations s’appliquent non seulement dans le cadre de l’emploi, mais également en tout temps lorsque l’information a trait à la réputation et à la vie privée d’autrui. De plus, elles survivent pendant un délai raisonnable après la cessation du contrat de travail.

Les tribunaux reconnaissent que l’obligation de loyauté englobe la protection de la réputation de l’employeur.

Lorsqu’il y a diffamation, quels sont les recours de l’employeur?

Sanctionner l’employé fautif

Qu’il s’agisse d’un employé ou d’un supérieur hiérarchique, l’employeur ne devrait pas demeurer les bras croisés si quelqu’un allègue être victime de diffamation. En plus de nuire à l’ambiance de travail et à la productivité de l’entreprise, la victime pourrait également être tentée de déposer une plainte pour harcèlement psychologique, d’où l’intérêt d’agir rapidement et de procéder à une enquête sérieuse. Le même raisonnement s’applique lorsqu’un employé tient des propos diffamatoires à l’égard de l’entreprise.

Si l’enquête détermine qu’il y a eu diffamation, l’employeur pourra sanctionner l’employé fautif. Les sanctions applicables sont déterminées au cas par cas, mais peuvent aller jusqu’à un congédiement.

À ce sujet, nous vous invitons à consulter notre guide sur l’imposition d’une mesure disciplinaire, paru dans le site du cabinet.

Poursuivre l’employé fautif

Si la communication des propos contestés constitue une faute et crée des dommages, l’employeur pourrait réclamer une compensation à son auteur, et ce, même s’il s’agit d’un ancien employé, dans la mesure où il démontre le préjudice et un lien de causalité avec les propos reprochés.

À titre d’illustration, nous vous invitons à consulter notre bulletin sur la décision Digital Shape Technologies, aux termes de laquelle une ancienne employée est condamnée à verser 11 000 $ à l’employeur en dommages moraux et punitifs en raison du préjudice causé par la diffusion de deux commentaires négatifs publiés anonymement sur Internet.

Six conseils pour prévenir la diffamation

  1. Mettre en place une politique de non-dénigrement et d’utilisation des médias sociaux et rappeler régulièrement son existence à l’ensemble des employés, sans oublier de faire les liens requis avec les politiques de prévention et de traitement des plaintes de harcèlement, mais également en matière de promotion de la civilité en milieu de travail.

  2. Offrir de la formation aux employés et les sensibiliser à l’utilisation adéquate et néthique des médias sociaux ainsi qu’à la nécessité de respecter leur obligation de loyauté non seulement au travail, mais également à l’extérieur de celui-ci.

  3. Réviser les politiques et conditions de travail (contrats et manuels) pour tenir compte des innovations technologiques et des réseaux nouvellement favoris des internautes.

  4. Rester à l’affût de ce qui s’écrit dans les médias traditionnels et sociaux

    À ce titre, il a déjà été tranché qu’un employeur qui effectue une veille médiatique par un système d’alerte automatisée, qui l’informe lorsque des articles et autres écrits sont publiés à son sujet et qui, de cette façon, trouve des commentaires formulés à son égard par des employés, n’effectue pas de la surveillance illégale6.

  5. Documenter rapidement toute situation à caractère diffamatoire

    Ceci est particulièrement vrai lorsque les propos sont tenus sur Internet. L’employeur devrait garder copie de tout vidéo, commentaire, blogue ou page Internet contenant des propos diffamatoires à son égard, car ceux-ci pourraient être modifiés par l’auteur ou carrément supprimés. Ces fichiers ne doivent pas être altérés ou modifiés. Lorsqu’il s’agit d’une conversation par messagerie électronique, il faudra tenter d’obtenir l’entièreté de la conversation et non seulement le passage diffamatoire qui pourrait être mal interprété hors de son contexte.

    Lorsque les propos ont été tenus verbalement, l’employeur devra tenter de recueillir des témoignages et les faire consigner par écrit lors de son enquête.

    À partir du moment où l’employeur constate que, par suite de son enquête, il est raisonnablement en mesure de conclure qu’une personne porte atteinte à sa réputation, il doit mettre cette personne en demeure de se rétracter et de bloquer tout message réitérant une telle atteinte à sa réputation. Cet employeur devrait également vérifier dans quelle mesure les sites et outils technologiques lui permettent d’intervenir pour ainsi bloquer ou rectifier directement les propos reprochés.

  6. Ne pas oublier que l’employeur a également l’obligation de ne pas commettre d’actes diffamatoires à l’égard de ses employés.

    L’employeur qui prend la parole en public et dénonce les agissements de ses employés s’expose, au même titre, à une condamnation. Ce fut notamment le cas dans l’affaire Kativik7, alors que l’employeur avait fait des déclarations au Journal de Montréal concernant le manque de professionnalisme de l’un de ses employés, lequel avait dénoncé sur la place publique un différend interne. Les commentaires ayant été jugés sans fondement et lus par plus d’un million de lecteurs, l’arbitre de griefs accorda une compensation de 15 000 $ à l’employé.

    Dans le même ordre d’idées, un employeur prudent ne prononcera pas de propos diffamatoires ou ne cherchera pas à nuire à un ex-employé, lorsqu’un autre employeur le contacte afin d’obtenir des références. L’employeur doit fournir des renseignements véridiques, avec l’autorisation préalable de la personne concernée.

    Les gestionnaires prudents parviendront à favoriser un climat respectueux au travail et à l’extérieur de celui-ci par ces moyens de prévention et, en même temps, une réduction des litiges potentiels et cristallisés en définissant explicitement les comportements attendus de tous, mais aussi en agissant promptement en cas de manquements apparents.

 

  1. Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, par. 15.
  2. Laforest c. Collins, 2012 QCCS 3078, par. 117.
  3. Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, par. 36.
  4. Digital Shape Technologies Inc. c. Walker,2018 QCCS 4374, par. 56 et 57.
  5. Idem, par. 29.
  6. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 574 (SEPB-CTC-FTQ) et Librairie Renaud-Bray inc. (Julien Beauregard, griefs patronaux et syndicaux), 2017 QCTA 26.
  7. Association des employés du Nord québécois et Commission scolaire Kativik,AZ-50966087.
Retour à la liste des publications

Restez à l'affût des nouvelles juridiques de l'heure. Abonnez-vous à notre infolettre.

M'abonner aux publications