Introduction aux secrets commerciaux : de quoi s’agit-il et pourquoi sont-ils importants pour votre entreprise?

Les avocats en propriété intellectuelle se font fréquemment poser la question suivante : « Comment puis-je empêcher les autres d’utiliser la technologie que j’ai mise au point et qui représente une valeur importante pour mon entreprise? ». La réponse à cette question est souvent de conseiller aux clients de déposer une demande de brevet. Cependant, il existe un autre type de protection de la propriété intellectuelle, appelé le « secret commercial », qui peut être plus approprié dans certaines situations ou pour certaines technologies.

La présente infolettre traitera principalement de ce sujet : l’importance des secrets commerciaux. Plus précisément, elle expliquera de manière générale ce que sont les secrets commerciaux et vous informera ensuite sur les différentes manières dont une entreprise peut utiliser les secrets commerciaux et ce qu’elle doit faire pour les protéger.

Bref survol des secrets commerciaux

La définition du secret commercial est incroyablement large; en fait, le terme « secret commercial » peut regrouper toute information commerciale qui a une valeur du fait qu’elle est secrète. Cette information peut être de nature financière, commerciale ou scientifique, et comprendre par exemple des schémas, des plans, des compilations, des formules, des programmes, des codes, des prototypes ou des techniques.

Selon l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, pour pouvoir protéger un secret commercial au Canada et bénéficier de cette protection, une entreprise doit :

  • tirer une valeur commerciale du secret;
  • tenir secrets les renseignements de l’entreprise; et
  • prendre toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les renseignements de l’entreprise restent secrets.

En général, si les critères susmentionnés sont respectés, l’information en question peut être considérée comme étant un secret commercial. Certains des plus célèbres secrets commerciaux sont par exemple des recettes (comme celle du Coca-ColaMC et celle de la recette originale du Poulet Frit KentuckyMC), des formules chimiques (comme celle du WD-40MC) et des renseignements sur les clients des plateformes de réseaux sociaux et applications de rencontre (comme FacebookMC ou TinderMC).

Bien que la définition de ce que constitue un secret commercial puisse sembler très générale, c’est précisément cette portée très large du secret commercial qui en fait un outil si puissant : il permet à votre entreprise de monopoliser une information ou une technologie qu’il pourrait ne pas être possible de protéger par d’autres moyens, comme les brevets. De plus, la protection qu’accorde le secret commercial en conservant secrète une information de valeur peut durer indéfiniment (en fait jusqu’à ce que le secret soit révélé).

La prémisse qui sous-tend le secret commercial est que, en conservant secrète une information de valeur, les tiers ne peuvent y accéder ni l’utiliser, ce qui donne à votre entreprise un avantage par rapport à vos concurrents.

Par conséquent, si votre entreprise possède des informations dont elle tire une valeur (comme une nouvelle technologie), le secret commercial pourrait constituer une solution de rechange très intéressante aux brevets et aux autres formes de protection de la propriété intellectuelle.

Meilleures pratiques des entreprises à l’égard de leurs secrets commerciaux

Après ce bref survol de ce qui constitue un secret commercial, nous nous concentrerons maintenant sur des considérations pratiques, plus particulièrement sur les moyens de protéger le caractère confidentiel des secrets commerciaux, même lorsqu’ils doivent être partagés avec des employés ou des tiers.

Les entreprises ont souvent besoin de partager leurs secrets commerciaux avec d’autres. Par exemple, il n’est pas rare que certains employés d’une entreprise aient accès à certains (voire à l’ensemble) des secrets commerciaux de l’entreprise. De même, des entreprises doivent souvent partager leurs secrets commerciaux avec des tiers, notamment des consultants externes dont elles ont retenu les services. Aussi, une entreprise qui vient de développer une nouvelle technologie dont elle veut conserver le secret peut être obligée de divulguer de quelle façon est élaborée la technologie en question à un tiers fabricant. Dans de telles situations, il est important de mettre en place certaines mesures qui vous aideront à vous assurer que vos secrets commerciaux demeureront secrets.

Obligations contractuelles

Lorsqu’elles sont bien utilisées, les clauses contractuelles peuvent offrir une protection suffisante pour les secrets commerciaux d’une entreprise. Particulièrement, en ce qui concerne les employés ou les tiers susceptibles d’avoir accès aux secrets commerciaux, il serait prudent de leur faire signer une convention écrite étanche stipulant les obligations de ces employés ou de ces tiers relativement aux secrets commerciaux auxquels ils ont accès. Les clause suivantes relatives aux secrets commerciaux peuvent être incluses dans un contrat d’emploi ou un contrat avec un tiers :

  • Une définition de ce que constitue une « information confidentielle » ou un « secret commercial ». Cette clause permettrait d’établir quelle information fournie à l’employé ou au tiers est considérée comme un secret commercial.
  • Une obligation de non-divulgation et de non-utilisation. Cette clause préciserait que l’employé ou le tiers en question n’est pas autorisé à utiliser ou à communiquer l’information qu’il reçoit, sauf dans le cadre d’une « utilisation autorisée ».
  • Une définition de ce que constitue une « utilisation autorisée ». Cette clause établirait de quelle manière l’employé ou le tiers peut utiliser ou communiquer l’information confidentielle qu’il reçoit.
  • Un engagement à ne pas utiliser/communiquer/publier/reproduire l’information confidentielle de tiers (par ex., un ancien employeur). Cette clause rappellerait à l’employé ou au tiers qu’il lui est interdit d’utiliser ou de communiquer une information confidentielle qu’il a reçue d’un ancien employeur ou donneur d’ouvrage.
  • Une clause relative à la destruction de données ou au retour de documents. Celle-ci préciserait que l’employé ou le tiers est tenu de détruire ou de retourner toutes les informations confidentielles qu’il a reçues de l’entreprise lors de la terminaison de son contrat.
  • Une obligation de rapporter toute transmission accidentelle d’information. Cette clause préciserait à quel moment et dans quelles circonstances un employé ou un tiers doit aviser l’entreprise si des informations qu’il avait en sa possession ont été communiquées ou utilisées d’une manière qui contrevient à ses obligations contractuelles.
  • Une clause pénale (articles 1622 et 1623 du Code civil du Québec). Cette clause préciserait que l’employé ou le tiers est obligé de payer une certaine somme à l’entreprise si l’information confidentielle qu’il reçoit est communiquée ou utilisée d’une manière qui contrevient à ses obligations contractuelles.

Les clauses ci-dessus constituent quelques exemples des clauses importantes qui peuvent être incluses dans un contrat écrit pour tout employé ou tout tiers qui aura accès aux secrets commerciaux d’une entreprise. Il existe d’autres façons de mettre en œuvre les clauses dont il est question ci-dessus; elles peuvent par exemple être incluses dans le manuel des politiques de l’entreprise qui est remis aux employés à leur embauche.

Il est aussi important de rappeler aux employés ou aux tiers leurs obligations concernant les secrets commerciaux de l’entreprise en temps opportun. Par exemple, lorsque le contrat d’un employé ou d’un tiers prend fin ou est résilié, il serait pertinent de lui rappeler qu’il a l’obligation de retourner ou de détruire l’ensemble des informations confidentielles ou des documents que l’entreprise lui a fournis. Ce rappel peut être fait dans un courriel, dans une quittance que doit signer l’employé ou même au cours d’un entretien de départ.

Devoir de loyauté de l’employé

Il nous semble important de mentionner que, au Québec, tous les employés ont un devoir de loyauté envers leur employeur aux termes de l’article 2088 du Code civil du Québec, qui mentionne entre autres que « Le salarié […] doit agir avec loyauté et honnêteté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail. Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat […]. » (nos soulignés). Par conséquent, même en l’absence d’un contrat d’emploi écrit contenant les clauses susmentionnées, les employés sont quand même tenus de conserver le caractère confidentiel des secrets commerciaux et de ne pas s’approprier le matériel ou la propriété intellectuelle de leur employeur. Cependant, étant donné que cette protection demeure plutôt limitée (par exemple, elle ne s’applique que pendant une durée raisonnable après la fin du contrat d’emploi) et qu’il est important que les employés connaissent bien leurs obligations, il est toujours plus prudent de définir explicitement les obligations de l’employé à l’égard des secrets commerciaux, notamment dans un contrat d’emploi ou dans un manuel des politiques de l’entreprise.

Il est à noter également que l’article 2088 du Code civil du Québec concerne les employés uniquement, et qu’il ne s’applique pas aux tiers qui obtiennent un accès aux secrets commerciaux.

Recours

Même avec les meilleures mesures de protection, un employé ou un tiers, actuel ou ancien, pourrait néanmoins utiliser ou divulguer des secrets commerciaux de votre entreprise. Bien qu’une telle situation soit malheureuse, il existe un certain nombre de recours légaux qui peuvent vous permettre de diminuer les dommages subis, et de recouvrer des sommes auprès des parties fautives.

Ainsi, il est généralement possible d’obtenir une injonction ou des mesures de protection contre les parties qui se seraient indûment approprié les secrets commerciaux de votre entreprise. De plus, il est généralement possible de recouvrer des dommages-intérêts auprès de ces parties.

Ces recours peuvent être très sévères dans certaines circonstances. Par exemple, dans le cadre d’une poursuite intentée aux États-Unis en 2017 par Motorola Solutions contre Hytera Communications, Motorola alléguait entre autres que trois de ses anciens employés avaient été recrutés par Hytera et qu’ils avaient emporté avec eux des secrets commerciaux de Motorola. Hytera se serait ensuite servie de ces secrets commerciaux pour mettre au point ses produits de radio numérique mobile. Dans le verdict qu’elle a rendu plus tôt cette année, la Cour a octroyé à Motorola des dommages-intérêts de 764,6 millions de dollars.

Cet exemple démontre non seulement à quel point les recours juridiques peuvent être de puissants instruments pour la protection des secrets commerciaux, mais aussi pourquoi il est important de respecter les secrets commerciaux des autres. Dans le cas contraire, votre entreprise pourrait être entraînée dans une poursuite semblable à celle qui a été intentée par Motorola. Il est aussi important de mentionner que, même si Motorola a intenté sa poursuite judiciaire aux États-Unis, l’injonction qu’elle a demandée (qui n’a pas encore été tranchée) interdirait à Hytera de vendre tout produit de radio numérique mobile contesté n’importe où dans le monde.

Outre les recours civils (comme ceux dans l’exemple ci-dessus), la violation des secrets commerciaux des autres peut aussi exposer le contrevenant à des sanctions pénales. Au Canada, en raison du nouvel Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) qui vient d’entrer en vigueur, le Canada a adopté des procédures et des sanctions pénales particulières pour les vols de secrets commerciaux. L’adoption de telles mesures constitue sans aucun doute un incitatif additionnel au respect des secrets commerciaux des concurrents.

Conclusion

Nous espérons que l’exposé qui précède vous aura démontré l’importance des secrets commerciaux et que nous aurons su attirer votre attention sur la manière dont ils peuvent être utilisés ainsi que sur les raisons pour lesquelles il faut respecter ceux des concurrents. Toutefois, bien que les lignes directrices qui précèdent constituent un bon point de départ pour la protection des secrets commerciaux de votre entreprise, la meilleure stratégie à adopter (y compris quant à savoir si les secrets commerciaux sont préférables entre autres aux brevets) dépendra beaucoup de votre entreprise, de l’information ou de la technologie en question et de nombreux autres facteurs. Par conséquent, notre équipe de propriété intellectuelle sera heureuse de vous aider et de répondre à vos questions concernant la meilleure façon de protéger l’information et la technologie que votre entreprise considère précieuse.

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