Octroi de dommages moraux à la suite d’un licenciement collectif

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La Cour supérieure du Québec a récemment affirmé dans l’affaire Peintures Industrielles Évotech1 que l’arbitre de grief avait agi dans le cadre de sa compétence en attribuant des dommages moraux aux salariés licenciés sans avertissement à la suite du déménagement par l’employeur de ses opérations de production en Ontario.

Le contexte de l’affaire Évotech

Évotech, qui oeuvre dans le secteur de la fabrication, de la distribution et de la vente de peinture industrielle, négociait avec le Syndicat des employés le renouvellement de la convention collective expirée depuis quelques mois.

Alors que le bail d’un de ses deux locaux situés au Québec prenait fin, Évotech a déménagé ses inventaires et équipements à Cornwall en Ontario, ce qui lui a permis de bénéficier d’une subvention importante et de quitter ses installations devenues vétustes et dangereuses.

Le directeur de l’usine a ainsi convoqué tous les salariés à la cafétéria de l’entreprise afin de leur annoncer qu’ils étaient licenciés le jour même et qu’ils recevraient une indemnité compensatrice de préavis d’une durée de huit semaines de travail en plus de l’indemnité de licenciement prévue à la convention collective. Plusieurs gardes de sécurité étaient présents lorsque le directeur a lu une brève déclaration confirmant le licenciement immédiat et avisant les salariés qu’ils devaient prendre rendez-vous afin de récupérer leurs effets personnels. Les salariés, selon la preuve faite, étaient en état de choc.

Le syndicat a déposé deux griefs afin de contester la décision de l’employeur, alléguant que le déménagement avait pour conséquence de confier du travail à des salariés ou cadres exclus du certificat d’accréditation, en violation de la convention collective.

Saisi des griefs, l’arbitre Charles Turmel a conclu dans sa sentence que le déménagement des opérations assorti d’un licenciement collectif contrevenait à la clause de la convention collective limitant le droit de répartir le travail2. De ce fait, l’arbitre de grief a condamné l’employeur à verser à chaque salarié licencié 1 000 $ à titre de dommages moraux en plus de l’équivalent de trois semaines de salaire par année de service. Il convient de noter que ces sommes s’ajoutaient à l’indemnité de licenciement collectif de huit semaines et à l’indemnité additionnelle contenue à la convention collective.

Selon l’arbitre, l’attribution de dommages moraux aux salariés était justifiée par le « caractère subit de leur congédiement »3.

L’arbitre a en outre condamné Évotech à verser au syndicat 10 000 $ à titre de dommages en raison de son omission de négocier de bonne foi le renouvellement de la convention collective, reprochant ainsi à l’entreprise d’avoir entamé les négociations pour le renouvellement de la convention collective tout en planifiant le déménagement de ses activités.

La décision en révision judiciaire

Le 10 avril dernier, la Cour supérieure a accueilli en partie le pourvoi en contrôle judiciaire en modifiant certaines des conclusions de la sentence arbitrale qu’elle juge déraisonnables.

La juge Chantal Tremblay a confirmé que la conclusion de l’arbitre voulant que la cessation des activités de l’employeur au Québec constituait un déménagement et non une fermeture d’entreprise faisait partie des issues possibles et raisonnables. En outre, la juge a confirmé que l’employeur n’avait pas respecté la clause de la convention collective selon laquelle l’entreprise ne peut confier du travail à des salariés exclus de l’unité de négociation.

La Cour a considéré que l’octroi de dommages moraux de 1 000 $ à chacun des salariés faisait également partie des issues possibles et raisonnables, eu égard aux circonstances entourant le licenciement collectif.

Le Tribunal est cependant intervenu pour modifier la conclusion de l’arbitre concernant l’indemnité de réparation équivalente à trois semaines de salaire par année de service parce qu’elle ne tient pas compte de l’obligation des salariés de mitiger leurs dommages et des indemnités déjà versées par l’employeur.

Le Tribunal a enfin annulé la conclusion de l’arbitre qui condamnait l’employeur à verser des dommages de 10 000 $ au syndicat, au motif qu’une plainte visant la mauvaise foi de l’employeur dans le cadre des négociations d’une convention collective devait être adressée au Tribunal administratif du travail.

Commentaires

En révision judiciaire, la juge Tremblay a considéré que l’octroi de dommages moraux faisait partie des issues possibles et acceptables et qu’il n’y avait pas lieu pour la Cour supérieure d’intervenir. On peut toutefois penser qu’un refus de l’arbitre d’attribuer de tels dommages moraux aurait tout autant pu faire partie des issues possibles et acceptables.

L’affaire Évotech met en cause le pouvoir discrétionnaire de l’arbitre de grief d’accorder des dommages moraux à des salariés afin de compenser un préjudice qui n’est pas susceptible de réparation en nature4. Bien que de tels dommages aient été récemment octroyés dans le cadre d’un congédiement abusif5, de la mise en oeuvre de conditions de travail injustes et déraisonnables à l’endroit de certains salariés6 ou dans le cadre d’une contravention à une clause de la convention collective, tel le délai prévu pour la communication au syndicat de tout contrat de sous-traitance7, l’octroi de dommages moraux à la suite d’un licenciement collectif abrupt constitue une première.

Le 12 juin dernier, la Cour d’appel du Québec a accueilli la requête pour permission d’appeler présentée par l’employeur sur la base de deux questions, soit l’interprétation d’un article de la convention collective et le pouvoir de la Cour supérieure de modifier le dispositif d’une sentence arbitrale au lieu de la casser8. D’ici la décision de la Cour d’appel, les employeurs devront garder à l’esprit que des dommages pourraient leur être infligés en cas de fermeture sans avis préalable.

En attendant la suite, nous suivons attentivement ce dossier et nous vous tiendrons informés des développements à cet égard.


  1. Peintures Industrielles Évotech c. Turmel, 2017 QCCS 1375, déclaration d’appel et requête pour permission d’appeler, 2017-05-05 (C.A.), 500-09-026780-171.
  2. Peintures Industrielles Évotech inc. c. Syndicat des employés de Sico inc., section Évotech (CSN) (grief syndical), 2015 QCTA 809.
  3. Id., paragr. 152.
  4. À ce sujet, voir : Fernand MORIN et Rodrigue BLOUIN avec la collaboration de Jean-Yves BRIÈRE et Jean-Pierre VILLAGGI, Droit de l’arbitrage de grief, 6e édition, Éditions Yvon Blais, 2012, par. IX-34.
  5. Kugler c. IBM Canada Limited, 2016 QCCS 6576.
  6. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal c. Jobin, 2017 QCCS 1583.
  7. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2881 et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal (Centre de santé et de services sociaux de Dorval-Lachine-LaSalle) (griefs syndicaux), 2016 QCTA 893.
  8. Peintures industrielles Évotech c. Syndicat des employés de Sico inc. (CSN), section Évotech, 2017 QCCA 932.
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