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Perte de renseignements personnels : la Cour supérieure rejette une action collective
Dans une décision rendue le 26 mars 2021, la Cour supérieure a rejeté une action collective entreprise à l’encontre de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (« OCRCVM ») liée à la perte des renseignements personnels de milliers d’investisseurs canadiens1. L’absence d’une preuve de préjudice indemnisable ainsi que la diligence de l’OCRCVM constituent les principaux motifs du rejet de l’action collective. Les faits Le 22 février 2013, un inspecteur de l’OCRCVM a oublié son ordinateur portable dans un lieu public. L’ordinateur, qui contenait des renseignements personnels d’environ 50 000 Canadiens n’a jamais été retrouvé. Ces renseignements avaient initialement été recueillis par différents courtiers en valeurs mobilières sous la surveillance de l’OCRCVM. Monsieur Lamoureux, dont les renseignements étaient contenus dans l’ordinateur, a intenté une action collective au nom de toutes les personnes ayant vu leurs renseignements personnels perdus dans le cadre de cet incident. Il réclamait des dommages compensatoires pour le stress, l’anxiété et l’inquiétude liés à la perte des renseignements personnels ainsi qu’une compensation pour le préjudice lié à l’usurpation ou aux tentatives d’usurpation de l’identité des membres. Il réclamait également des dommages punitifs pour atteinte illicite et intentionnelle au droit au respect de la vie privée protégé par la Charte québécoise des droits et libertés. Sur ce point, les membres prétendaient que l’OCRCVM aurait été insouciante et qu’elle aurait tardé à aviser les personnes concernées, les courtiers et les autorités compétentes. Décision L’action collective est rejetée en totalité. Les dommages compensatoires La Cour supérieure a d’abord pris acte de l’admission de l’OCRCVM qui ne contestait pas avoir commis une faute en raison de la perte de l’ordinateur et du fait que ce dernier n’était pas crypté conformément à ses politiques internes et aux standards de l’industrie. En ce qui a trait aux dommages compensatoires, la Cour a réitéré le principe selon lequel l’existence d’une faute ne présuppose pas celle d’un préjudice; chaque cas doit s’analyser en fonction de la preuve administrée2. En l’espèce, le préjudice allégué par les membres se résumait à : l’inquiétude, la colère, le stress et l’anxiété ressentis face à l’incident; l’obligation de surveiller leurs comptes financiers, notamment les cartes de crédit et comptes bancaires; les inconvénients et la perte de temps pour faire les démarches auprès des agences de renseignements de crédit et veiller à la protection de leurs renseignements personnels; la honte ressentie et les délais occasionnés par la vérification d’identité dans le cadre de leurs demandes de crédit en raison des alertes à leurs dossiers. Dans son analyse, la Cour a retenu que hormis le fait que les membres ont été troublés de façon générale par la perte de leurs renseignements personnels, aucune preuve n’a été faite de difficultés particulières et significatives liées à leur état psychologique. S’appuyant sur l’arrêt Mustapha c. Culligan du Canada Ltée3, la Cour a réitéré que « le droit ne reconnaît pas les contrariétés, la répulsion, l’anxiété, l’agitation ou les autres états psychologiques qui restent en deçà d’un préjudice ». Si le préjudice n’est pas grave et de longue durée et qu’il se limite à des désagréments et craintes ordinaires tributaires de la vie en société, il ne constitue pas un dommage indemnisable. En l’espèce, la Cour a conclu que les sentiments négatifs ressentis à la suite de la perte de renseignements personnels ne permettaient pas de dépasser le seuil des désagréments, angoisses et craintes ordinaires que les personnes vivant en société doivent accepter. Le fait d’avoir à exercer une surveillance plus accrue de ses comptes personnels ne peut se qualifier de préjudice indemnisable puisque les tribunaux assimilent cette pratique à celle « d’une personne raisonnable qui doit protéger ses actifs »4. La Cour a aussi tenu compte du fait que l’OCRCVM a offert gratuitement aux membres l’abonnement à des services de surveillance de crédit et de protection. Par conséquent, elle a conclu qu’aucun dommage ne pouvait être compensé à ce titre. Enfin, les experts ayant été mandatés pour analyser les circonstances et les utilisations illicites des renseignements personnels des investisseurs ont conclu que rien n’indiquait clairement que ces renseignements étaient tombés entre les mains d’un individu ou d’un groupe d’individus à des fins malveillantes bien que la preuve de l’utilisation illicite des renseignements personnels ne soit pas essentielle pour faire valoir une réclamation. Les dommages punitifs Le demandeur, au nom de l’ensemble des membres du groupe, réclamait en outre des dommages punitifs en alléguant que l’OCRCVM aurait fait preuve d’insouciance dans sa gestion de l’incident. Afin d’analyser la diligence de l’OCRCVM, la Cour a retenu les faits suivants. Dans la semaine suivant la perte de l’ordinateur le 22 février 2013, l’OCRCVM a déclenché une enquête interne. Le 4 mars 2013, l’enquête a révélé que l’ordinateur contenait vraisemblablement les renseignements personnels de milliers de Canadiens. L’OCRCVM a porté plainte à la police. Le 6 mars 2013, elle a mandaté Deloitte pour recenser les renseignements personnels des individus visés, les firmes de courtage et les individus affectés ainsi que pour l’assister dans la gestion des risques et obligations liés à la perte des renseignements personnels. Le 22 mars 2013, Deloitte a informé l’OCRCVM que l’ordinateur contenait des informations « hautement sensibles » et « de sensibilité accrue » de milliers d’investisseurs canadiens. Le 27 mars 2013, l’OCRCVM a avisé la Commission d’accès à l’information (la « CAI ») et le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Entre le 8 et le 9 avril 2013, l’OCRCVM a rencontré les représentants des firmes de courtage affectés. En parallèle, l’OCRCVM a mandaté des agences de renseignements de crédit pour mettre en place des mesures de protection pour les investisseurs et les firmes de courtage. Elle a également mis en place un centre d’appels bilingue, publié un communiqué relatant la perte de l’ordinateur et transmis une lettre aux investisseurs concernés. La Cour a aussi retenu la preuve d’expert selon laquelle la réponse de l’OCRCVM correspondait aux meilleures pratiques de l’industrie et que les mesures mises en place étaient appropriées dans les circonstances et conformes à d’autres réponses à des incidents de même nature. À la lumière de ces éléments, la Cour a conclu que la perte de l’ordinateur non crypté et la violation du droit à la vie privée qui en découle étaient isolées et non intentionnelles et a en conséquence rejeté la réclamation pour dommages punitifs. Il en ressort que l’OCRCVM n’a pas fait preuve d’insouciance, mais a plutôt agi en temps opportun. Commentaires Cette décision pave la voie dans l’analyse de la conduite diligente d’une entreprise qui verrait les renseignements personnels qu’elle détient potentiellement compromis et confirme qu’une réponse rapide et diligente à un incident de sécurité peut permettre de faire obstacle à une poursuite civile. Cette affaire confirme également que la seule perte des renseignements personnels, aussi sensibles soient-ils, n’est pas suffisante en soi pour justifier une compensation financière, encore faut-il la démonstration probante d’un dommage. Or, les contrariétés et les inconvénients passagers de nature ordinaire ne constituent pas un préjudice indemnisable. La surveillance de ses comptes financiers ne constitue pas une démarche exceptionnelle, mais est plutôt considérée comme la norme à laquelle on s’attend d’une personne raisonnable qui protège ses actifs. Au moment d’écrire ce bulletin, le délai d’appel n’était pas écoulé et le demandeur n’avait pas annoncé ses intentions quant à la possibilité d’appeler du jugement. Lamoureux c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2021 QCCS 1093. Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2014 QCCS 4061, par. 21 et 22. Mustapha c. Culligan du Canada Ltée, 2008 CSC 27, [2008] 2 R.C.S. 114 Lamoureux c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, 2021 QCCS 1093, par. 73.
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Jugement d'intérêt pour l’industrie du divertissement
L’organisateur d’un événement est-il responsable du retard d’un artiste? Il faut regarder le contexte, répond la Cour supérieure, en rejetant la demande d'autorisation d'exercer une action collective contre Gestion Evenko inc.1 relativement au retard de Travis Scott lors du Festival musique et arts Osheaga à l'été 2018. Aperçu de la première action collective québécoise en la matière. Contexte Organisé par la défenderesse Evenko, le festival Osheaga se présente comme une grande fête dédiée à la musique et aux arts visuels où, pendant trois jours, des artistes de tous genres offrent des prestations sur les nombreuses scènes extérieures aménagées au parc Jean-Drapeau de l’île Notre-Dame. Le rappeur Travis Scott était au programme de la soirée du 3 août 2018. Sa prestation était prévue de 21 h 45 à 22 h 55 sur la scène de la Rivière. Désireuse d'assister à ce concert, la demanderesse, détentrice « d'une passe » week-end, s'y installe dès 20 h 45. Malheureusement, Travis Scott est retenu aux douanes ce soir-là. La séquence des événements peut se résumer ainsi : À 21 h 55, Evenko affiche un premier message sur les écrans géants du site, indiquant que le spectacle serait retardé pour une raison hors de son contrôle. À 22 h 15, Evenko diffuse un second message, sur les écrans géants et par Twitter, indiquant que Travis Scott a été retardé aux douanes et qu’il est en route pour l’île Notre-Dame. À 22 h 30, la demanderesse quitte les lieux; elle allègue n'avoir pas cru Evenko, craindre le couvre-feu et trouver la foule agressive. À 22 h 40, Evenko diffuse un troisième message sur les écrans géants, confirmant l'arrivée de Travis Scott sur l'île. À 22 h 55, Evenko diffuse un quatrième message, annonçant aux festivaliers que le spectacle est sur le point de commencer. Le spectacle commence à 23 h, pour se terminer vers 23 h 40. Une demande d'autorisation d'exercer une action collective est déposée le lendemain. La demanderesse cherche à représenter près de 50 000 festivaliers qui, selon elle, auraient subi un préjudice imputable à Evenko. Elle prétend que le retard de 90 minutes de Travis Scott constitue une inexécution contractuelle telle de la part d'Evenko que tous les membres du groupe devraient pouvoir obtenir un remboursement équivalent à la valeur « d'une passe » quotidienne. Jugement Procédant à l'analyse exigée par l'article 575 C.p.c., le juge André Prévost conclut que les faits allégués ne paraissent pas justifier les conclusions recherchées. La demande d’autorisation d’exercer une action collective est par conséquent rejetée. D'entrée de jeu, le tribunal met en doute certaines allégations de la demande : par exemple, l'affirmation « de la demanderesse que la prestation de Travis Scott a été la considération principale du contrat conclu avec Evenko » lui semble incompatible avec le fait qu'elle ait acheté « une passe » de trois jours (par. 51, 56); de même, aucune preuve ne soutient sa prétention que la foule était agressive (par. 54). Ce sont toutefois surtout deux lacunes du syllogisme juridique qui mènent le tribunal à conclure que la demande d’autorisation ne présente pas une cause défendable ayant quelque chance de succès (par. 66). D'abord, le tribunal refuse de réduire l'expérience du festival Osheaga à une seule performance, même celle d'une tête d’affiche. Il qualifie plutôt l'événement « d’expérience globale […] dont l’intérêt réside dans la multiplicité et la simultanéité des expériences culturelles » (par. 48). En effet, aux artistes invités, musicaux, culturels, du cirque, s'ajoutent diverses activités, foires, croisières, remises de prix, pour n'en nommer que quelques-unes (par. 48). Il souligne que l'ensemble des documents ayant trait à la programmation et à l’horaire d’Osheaga contient l’un ou l’autre des avertissements suivants : « Horaire et programmation sujets à changement » ou « Artistes et horaire sujets à changement » (par. 47). De tels avertissements constituent une indication forte que de tels retards sont loin d'être inusités ou, dans les mots du tribunal, «[ce] n’est pas chose exceptionnelle pour qui fréquente le milieu culturel » (par. 57). Dans ce contexte, aucune faute ne peut être reprochée à Evenko. Le tribunal poursuit son analyse ajoutant que, même s'il y avait faute, ce qui n'est pas le cas, la situation n'a entraîné aucun préjudice indemnisable : citant les arrêts Sofio2 et Mustapha3, le tribunal rappelle qu'une simple contrariété n'est pas un préjudice et que, dans les faits, « rien ne démontre que le retard dans la prestation de Travis Scott ait comporté des inconvénients plus graves que ceux subis habituellement par les personnes participant à des festivals de cette nature » (par. 65). Bref, dans le cadre d'un festival multigenre, le retard d'un artiste ne constitue pas nécessairement un préjudice indemnisable et n'équivaut pas automatiquement à un défaut du promoteur d'exécuter ses obligations. Que retenir? La décision est d'importance pour l'industrie de l'événementiel en ce qu'elle reconnaît que l'organisateur d'un événement d'envergure doit parfois faire face à des imprévus et qu'il dispose d'une marge de manœuvre raisonnable pour s'ajuster. Bien sûr, chaque situation sera un cas d'espèce, mais un promoteur bien avisé prendra soin d'indiquer dans sa documentation que des changements sont possibles. La décision reconnaît également qu'une expérience culturelle globale dépasse la somme de ses composantes : le retard d'un seul artiste n'annule pas l'ensemble. Cette conclusion est susceptible de s'appliquer à plusieurs autres industries : Osheaga offre un exemple type d'un ensemble de prestations distinctes et simultanées, mais c'est également le cas de l'ensemble des manèges d'un parc d'attractions ou de chacune des sections d'un jardin zoologique. Nos associées, Myriam Brixi et Laurence Bich-Carrière ont représenté avec succès les intérêts d'Evenko dans ce dossier. Le Stum c. Gestion Evenko inc., 2019 QCCS 2422. Le délai d'appel a expiré le 22 juillet 2019. Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820. Mustapha c. Culligan du Canada ltée, [2008] 2 RCS 114, 2008 CSC 27.
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Cyberattaque : la Cour supérieure rejette la demande d’autorisation d’une action collective contre Yahoo! Inc.
La Cour supérieure du Québec rejette la demande d’autorisation d’une action collective visant à condamner Yahoo! Inc.1 ( « Yahoo! ») à verser des dommages-intérêts en raison de cyberattaques ayant porté atteinte à la confidentialité des données de ses usagers. Contexte En septembre 2016, Yahoo! publie un communiqué de presse annonçant que près de 500 millions de ses usagers auraient été victimes d’une cyberattaque qui remonte à 2014. En décembre 2016, la compagnie informe ses usagers d’une autre cyberattaque qui, pour sa part, aurait eu lieu en 2013. En février 2017, les usagers sont informés du fait que l’utilisation de cookies falsifiés aurait permis à un tiers d’accéder aux renseignements contenus dans leur compte entre 2015 et 2016. Alors qu’une action collective est intentée en Ontario en décembre 2016, une demande d’autorisation d’exercer une action collective est déposée au Québec le mois suivant avec pour objet l’indemnisation des usagers victimes d’une ou de plusieurs de ces cyberattaques. Le jugement Absence d’une cause d’action défendable Après avoir limité la taille du groupe aux résidents québécois dont les renseignements ont été perdus et/ou volés entre 2013 et 2019, la Cour aborde le critère du paragraphe 2 de l’article 575 du Code de procédure civile. Suivant ce critère, la demanderesse doit démontrer que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées. La Cour doit distinguer les allégations factuelles des arguments, des opinions, des inférences et des hypothèses non étayées, ainsi que des affirmations peu plausibles ou fausses. Cette analyse s’effectue à la lumière du recours de la demanderesse. En l’espèce, la demanderesse possède un compte de courriel avec Yahoo!. Elle allègue qu’elle a subi un préjudice puisque son compte aurait été piraté lors de la cyberattaque de 2013, bien que les informations compromises ne soient pas encore connues. Elle ajoute qu’elle subit un préjudice additionnel en raison de la menace « imminente » et « certaine » de vol d'identité et de fraude découlant de la vente de ses renseignements sur le marché noir et de leur utilisation par des criminels. Elle aurait également été embarrassée puisque certains de ses amis auraient reçu des pourriels en son nom. Elle doit désormais prendre des mesures pour protéger ses renseignements personnels et financiers. Fort des principes dégagés par les arrêts Sofio2 et Mustapha3, la Cour réitère que la démonstration d'une faute alléguée ne présuppose pas l'existence d'un préjudice et que ce dernier doit être sérieux et de longue durée. L'embarras et les inconvénients passagers de nature ordinaire ne constituent pas des dommages indemnisables. Contrairement aux allégations de la Demande, la Cour estime que les réponses de la demanderesse lors de son interrogatoire démontrent qu’elle n'a aucune raison de croire qu'elle a été victime d'un vol d'identité ou d'une fraude puisqu'elle n'a pas identifié de frais suspects et n'a pas reçu de mauvais dossier de crédit. De plus elle continue à utiliser son compte Yahoo! et a admis ne pas avoir acheté de services de protection de l'identité tels que la surveillance du crédit. Ainsi, le seul préjudice qu’aurait subi la demanderesse est le fait qu’elle a dû changer ses mots de passe dans tous les comptes associés à son adresse de courriel Yahoo! et l'embarras subi en raison des pourriels qui ont été envoyés à ses amis. Sur ce point, la Cour remarque qu’aucun des pourriels n’a été déposé au dossier de la Cour et qu’aucun récipiendaire de ses pourriels n’a subi de préjudice. Par conséquent, la Cour conclut que la demanderesse n'a pas démontré l'existence d'une cause défendable. La Cour distingue les faits en l’espèce de ceux des jugements Zuckerman4 et Belley5 où les demandeurs avaient engagé des dépenses pour la protection de leurs renseignements ou avaient été victimes de fraude ou de vol d’identité. Absence d’une représentation adéquate La représentation adéquate suppose que le représentant proposé détient une réclamation personnelle valable. Or, un recours en responsabilité civile exige la démonstration d’un dommage, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. En résumé : Il ne suffit pas d’alléguer l’existence d’une faute, encore faut-il qu’un dommage en découle; La notion de « préjudice indemnisable » doit dépasser la simple contrariété. Conclusion Les recours pour atteinte à la protection des données ont augmenté de façon exponentielle au cours des dernières années. Le cybercrime est devenu le deuxième type de fraude financière le plus courant. Toute entreprise qui conserve des données sur ses clients devrait être au fait des risques associés aux cyberattaques et des litiges qui pourraient en découler. Afin de minimiser les risques, plusieurs mesures peuvent être mises en place, telles que l’adoption d’un plan de réponse aux cyberattaques, la formation aux employés et la mise à jour régulière des mesures de sécurité. À titre d’exemple, les normes PCI DSS (normes de sécurité des données de l'industrie des cartes de paiement) offrent un cadre détaillé permettant aux entreprises de mettre en place des processus de transactions sécuritaires. Pour bien guider les entreprises, il est recommandé de consulter un spécialiste en TI ou d’embaucher un expert à l’interne. Il est également souhaitable de contacter son assureur pour vérifier l’étendue de sa police d’assurance et se prémunir, le cas échéant, d’une assurance cyber risques. Pour les praticiens en actions collectives, ce jugement démontre encore une fois l’importance de ne pas sous-estimer l’incidence que peut avoir l’interrogatoire du représentant proposé sur l’issue du litige. Bourbonnière c. Yahoo! Inc., 2019 QCCS 2624 Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820. Mustapha c. Culligan of Canada Ltd, 2008 SCC 27. Zukerman c. Target Corporation, 2015 QCCA 1809. Belley c. TD Auto Finance Services Inc/Services de financement auto TD inc, 2015 QCCS 168/2015 QCCA 1255.
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L’arrêt Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec | La Cour suprême tranche en faveur d’Hydro-Québec : l’interaction entre la bonne foi et l’économie du contrat
Introduction Bien que 24 ans de jurisprudence se soient écoulés depuis sa codification à l’article 1375 du Code civil du Québec, la notion de bonne foi demeure un concept flou dont l’incidence sur l’exécution du contrat est toujours incertaine. Bien qu’il soit de plus en plus évident que la bonne foi n’est pas qu’une simple notion interprétative dépourvue de signification substantielle, l’incertitude la plus fondamentale subsiste ou, plus précisément, subsistait jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada rende l’arrêt objet du présent bulletin. Cette incertitude touche la question de savoir dans quelle mesure le devoir général de bonne foi peut changer le contenu du contrat dûment intervenu entre les parties? En d’autres termes, le juge pourrait-il, sur le fondement de l’article 1375 C.c.Q., intervenir dans le contrat, loi des parties, afin de le remodeler à l’image de ce qui lui apparaît être la bonne foi? Contexte Dans cette affaire, la demanderesse Churchill Falls soutenait que sa cocontractante Hydro-Québec avait une obligation de renégocier le prix dans le cadre d’un contrat aux termes duquel cette dernière s’était engagée à acheter à prix fixe, sur une période de 65 ans, la majeure partie de l’électricité produite par la centrale de Churchill Falls. Selon Churchill Falls, cette obligation de renégociation du prix découlait de la bonne foi et s’imposait à Hydro-Québec en raison de changements survenus sur le marché de l’électricité qui faisaient en sorte que le prix fixé dans le contrat était devenu trop bas par rapport aux prix payables sur ce marché. La Cour devait ainsi décider si elle pouvait, se fondant sur la notion de bonne foi, ajouter au contrat prévoyant la vente à prix fixe, une obligation de renégocier le prix. Arrêt La Cour suprême du Canada a répondu par la négative à cette question, tout comme l’avaient fait la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec. Pour ce faire, elle a analysé et écarté chacun des arguments soumis par Churchill Falls. Nous examinons de façon sommaire ces arguments et la manière dont la Cour suprême les a écartés. Le contrat n’est pas un contrat de coentreprise Churchill Falls prétendait dans un premier temps que le contrat qu’elle avait conclu avec Hydro-Québec en était un de coentreprise (joint venture) qui, de par sa nature, suppose un partage équitable des risques et des profits, de sorte qu’il comporterait une obligation de renégociation du prix afin de mieux partager les profits réalisés à partir de la vente d’électricité. La nature juridique du contrat de coentreprise est controversée puisque certains auteurs, à l’instar de la jurisprudence québécoise, sont d’avis qu’il s’agit d’une véritable société en participation alors que d’autres défendent l’existence en droit québécois d’un contrat sui generis de coentreprise. Sans trancher ce débat, les juges majoritaires se sont déclarés d’avis que le contrat ici en litige ne remplissait ni les critères d’un contrat de société en participation ni ceux d’un contrat sui generis de coentreprise. En effet, quant à la société en participation, la preuve ne révélait aucune volonté commune de former une société (animus societatis) ni aucune mise en commun de ressources. Quant au contrat sui generis de coentreprise, les juges majoritaires ont dégagé de la doctrine qui défend cette forme juridique innommée le critère déterminant de «la volonté d’assumer ensemble la responsabilité qui découle de la réalisation du projet envisagé»; or, le contrat sous étude définissait et départageait clairement la responsabilité de chacune des parties contractantes de sorte qu’aucune volonté de partager la responsabilité du projet ne pouvait en être déduite. Le contrat n’en est pas un relationnel Churchill Falls prétendait ensuite que le contrat qu’elle a conclu avec Hydro-Québec en était un relationnel qui, de par sa nature, suppose une obligation de bonne foi plus exigeante qui va, compte tenu du changement de circonstances, jusqu’à obliger les parties à renégocier le prix afin de mieux partager les profits tirés de la vente d’électricité. Les juges majoritaires ont rejeté cet argument parce qu’ils étaient d’avis que le contrat dont il est question n’était pas du type relationnel. Ils ne se sont pas prononcés sur la seconde partie de cet argument, soit la question de savoir quelle serait la portée de l’obligation de bonne foi s’il s’agissait d’un contrat relationnel. Sur la qualification de contrat relationnel, la position des juges majoritaires est de nature à faire école. En effet, alors que la jurisprudence et la doctrine ont défini le contrat relationnel de diverses façons quelque peu éclectiques, les juges majoritaires ne retiennent que la définition proposée en 1998 par le professeur Belley : le contrat relationnel peut se définir comme celui qui établit les normes d’une coopération étroite que les parties souhaitent maintenir à long terme; de par sa nature, ce contrat suppose une coordination économique plutôt qu’une série de prestations définies; ainsi, le fait de mettre l’accent sur la relation entre les parties a pour corollaire le fait de définir de manière très peu détaillée leurs prestations respectives. Or, le contrat dont il est ici question définissait et départageait avec précision et en détail les prestations de chacune des parties de sorte qu’aucune prestation importante ne restait à définir. Selon les juges majoritaires, cela témoignait de l’intention des parties que le projet se déroule suivant la lettre du contrat et non en fonction de leur capacité à s’entendre et à collaborer au jour le jour pour combler d’éventuelles lacunes contractuelles : «Le contrat prévoit une série de prestations déterminées et détaillées plutôt qu’une coordination économique flexible. Il ne s’agit donc pas d’un contrat relationnel.» Aucune obligation implicite de renégocier le prix Churchill Falls (CFLCo) prétendait aussi qu’il découlait de la nature de ce contrat, en vertu de l’art. 1434 C.c.Q. une obligation implicite de collaboration et de renégociation du prix. Les juges majoritaires ont rejeté cet argument. À cet égard aussi, la position des juges majoritaires est de nature à faire école. En effet, les juges majoritaires ont éclairci et resserré quelque peu la doctrine des obligations contractuelles implicites découlant de l’art. 1434 C.c.Q. Selon eux, une obligation implicite peut découler de la nature d’un contrat lorsque cette obligation semble nécessaire pour que le contrat soit cohérent et lorsqu’elle s’inscrit dans son économie générale; l’obligation implicite ne doit pas simplement ajouter au contrat d’autres obligations susceptibles de l’enrichir; elle doit combler une lacune dans les conditions de celui-ci de sorte qu’il soit possible de présumer que la clause reflète l’intention des parties, qui est déduite de leur choix de conclure un contrat d’une certaine nature. Or, les juges majoritaires ont noté qu’en l’espèce, rien n’indiquait que les prestations des parties seraient incompréhensibles, sans fondement ou sans effet utile en l’absence d’obligation implicite incombant à Hydro-Québec soit de collaborer avec CFLCo au-delà des exigences ordinaires de la bonne foi, soit de redistribuer des profits inattendus : «Le Contrat régit le financement de la Centrale et la vente de l’électricité qu’elle produit, en plus d’encadrer de manière stricte la quantité d’électricité que doit fournir CFLCo et le prix que doit payer Hydro-Québec. L’effet utile de cette vente pour les parties est clairement identifiable : Hydro-Québec obtient de l’électricité, alors que CFLCo en reçoit le prix. Le fait que ce prix puisse ne pas être en phase avec les prix du marché ne vient pas annihiler la logique même de la vente ou la priver de tout effet utile. Les avantages que chaque partie tire de cette vente sont en outre reliés aux autres prestations relatives à la construction de la Centrale. L’économie du Contrat ne comporte aucune lacune ou faille exigeant que notre Cour lise dans celui-ci une obligation implicite pour le rendre cohérent.» Les limites de la bonne foi et le rejet de la théorie de l’imprévision Churchill Falls plaidait enfin qu’indépendamment de la nature du contrat, Hydro-Québec était de toute façon tenue en droit de le renégocier puisque les notions de bonne foi et d’équité modulent, en droit civil québécois, l’exercice des droits créés par tout type de contrat. Ces notions empêcheraient Hydro-Québec d’invoquer la lettre du contrat, étant donné qu’agir ainsi dans des circonstances où le contrat se traduit concrètement par des prestations disproportionnées constituerait un comportement qui irait à l’encontre de son obligation d’agir de bonne foi et dans le respect de l’équité. Et comme les prestations dues par les parties étaient incommensurables depuis les changements survenus sur le marché, le refus d’Hydro-Québec de renégocier le Contrat constituerait une violation de ses obligations de bonne foi depuis ce jour. À ce sujet, les juges majoritaires ont commencé par affirmer catégoriquement que la théorie de l’imprévision à laquelle semble faire appel indirectement Churchill Falls ne faisait pas partie du droit civil québécois. Les juges majoritaires ont noté que Churchill Falls voulait se servir des notions de bonne foi et d’équité d’une manière qui transcende les limites mêmes de la théorie de l’imprévision que le législateur québécois a pourtant refusé d’intégrer dans le droit civil de la province; or, ajoutent-ils, «si l’imprévision elle-même a été rejetée, une protection qui s’apparenterait à celle-ci et qui ne se rattacherait qu’aux changements de circonstances, sans égard aux conditions centrales de l’imprévision reconnues ailleurs en droit civil, ne saurait devenir la règle en droit québécois». Quant à l’équité comme fondement d’une éventuelle obligation de renégocier le prix, les juges majoritaires l’ont rejeté, car l’équité «servirait alors à introduire indirectement dans notre droit, de manière universelle, soit la lésion, soit l’imprévision». Les juges majoritaires ont ajouté que l’équité prévue à l’article 1434 comme source d’obligations implicites «n’est pas malléable au point de la détacher de la volonté des parties et de leur intention commune, révélée et établie par une analyse fouillée de l’ensemble de la preuve pertinente». En effet, la preuve révélait que les deux parties au contrat étaient aguerries et en ont longuement négocié les clauses avec l’intention claire de faire supporter par l’une d’elles le risque de variation des prix de l’électricité. Quant à la bonne foi comme fondement d’une éventuelle obligation de renégocier le prix, les juges majoritaires ont également rejeté cet argument. Leur analyse à cet égard s’est fondée sur les deux postulats suivants qui sont de nature à éclaircir la notion de bonne foi. D’abord, selon eux, la bonne foi est une norme qui se rattache au comportement des parties et qui ne peut servir à imposer des obligations détachées de celui-ci; en d’autres termes, pour que la bonne foi puisse être invoquée avec succès, un comportement déraisonnable d’une des parties doit être prouvé. Or, ici, Hydro-Québec n’a fait que réclamer l’exécution du contrat tel qu’il avait été convenu. Le second postulat est que la bonne foi sert à maintenir la pertinence des prestations à la base du contrat notamment en interdisant aux parties de faire quelque chose qui nuirait à sa réalisation ou à son effet utile. Or, d’ajouter les juges majoritaires, «la renégociation et la modification des prestations principales du contrat auront rarement pour effet de maintenir la pertinence de ces mêmes prestations.». En d’autres termes, «puisque la bonne foi prend sa forme des modalités du contrat, elle ne peut servir à aller à l’encontre de son paradigme. D’après la Cour supérieure et la Cour d’appel, c’est précisément ce que CFLCo soutient en l’espèce : elle demande qu’Hydro-Québec renonce à son accès à une source de production d’électricité à coût stable, soit le bénéfice principal qu’elle tire du Contrat.» Commentaire Cet arrêt apporte un éclairage fort utile sur l’interaction entre la bonne foi et le contenu ou l’économie du contrat. Fermant la porte à l’application générale de la théorie de l’imprévision, la Cour a plutôt favorisé la force obligatoire du contrat et la stabilité contractuelle. Contrairement aux prétentions de Churchill Falls, l’obligation d’agir de bonne foi ne peut obliger les parties à renégocier les modalités fondamentales du contrat, mais vise plutôt à permettre la réalisation des prestations prévues à celui-ci. Cependant, si exiger le respect d’un contrat est en principe légitime, la rigidité d’un cocontractant ne doit pas atteindre le seuil de l’abus de droit, auquel cas son comportement pourrait tout de même être sanctionné et sa responsabilité engagée s’il en découle un dommage. Par ailleurs, divers outils juridiques peuvent permettre de pallier les imprévus. Si la situation imprévue est d’une gravité telle qu’elle peut être qualifiée de force majeure au sens du Code civil en ce qu’elle empêche un cocontractant d’accomplir ses obligations, il pourra en être libéré. Les parties sont par ailleurs libres de définir la notion de force majeure dans leur rapport au moyen d’une clause contractuelle. De même, les parties peuvent limiter les risques associés aux imprévus dans des contrats de longue durée par des clauses de réajustement, lesquelles peuvent prendre plusieurs formes (clauses d’indexation, clauses de revalorisation, clause de renégociation, etc.). Cela pourrait être particulièrement utile dans un contrat à forfait où les risques sont normalement attribués à l’avance au prestataire de services. Par contre, et l’affaire Churchill Falls le montre bien, la partie qui a accepté par contrat d’assumer un risque sans prévoir de tels mécanismes d’ajustement devra en assumer les conséquences.
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Le droit québécois de la consommation et l’industrie automobile : prenez le volant!
Lavery a récemment assisté au colloque « Strictly Automotive », organisé par le Defence Research Institute à Detroit, au Michigan. Le colloque portait sur les questions de droit auxquelles l’industrie automobile est actuellement confrontée partout dans le monde. Le présent bulletin donne un aperçu des principes juridiques dont les fabricants et les commerçants de véhicules devraient tenir compte lorsqu’ils exercent des activités au Québec. Toutes les opérations touchant des consommateurs au Québec sont régies par la Loi sur la protection du consommateur (« LPC »)1 . La LPC couvre plusieurs aspects des activités des fabricants et des commerçants d’automobiles, notamment les garanties, les contrats de crédit, la publicité et l’annonce des prix. Les garanties La LPC prescrit plusieurs garanties en faveur des consommateurs, que les commerçants, les fabricants et les intermédiaires doivent accorder2 . Les deux principales garanties légales sont : (1) la garantie d’usage3 (les biens doivent être tels qu’ils puissent servir à l’usage auquel ils sont normalement destinés) et (2) la garantie de durabilité4 (les biens doivent être tels qu’ils puissent servir à un usage normal pendant une durée raisonnable eu égard à leur prix, aux dispositions du contrat et à leurs conditions d’utilisation)5 . Ces garanties s’ajoutent aux autres garanties prévues par le Code civil du Québec. Elles ont pour effet de réduire le fardeau de preuve des consommateurs qui exercent leurs droits en justice. Une fois qu’un déficit d’usage ou un manque de durabilité a été établi par un consommateur, il incombe au commerçant ou au fabricant de prouver qu’il n’y a pas de vice caché, que le vice découle de l’usage inapproprié par le consommateur, que le consommateur connaissait le vice au moment de l’achat ou que le manque de durabilité découle de l’usure normale. Les contrats de crédit La forme et le contenu des contrats de crédit (de même que des états de compte) sont strictement réglementés en vertu de la LPC6 . Les principales obligations des commerçants qui concluent des contrats de crédit sont les suivantes : (1) l’obligation de divulguer pleinement les frais de crédit et le taux de crédit; (2) l’interdiction d’exiger des frais non divulgués dans le contrat; (3) le calcul approprié du taux de crédit. La LPC régit également la publicité relative au crédit, imposant des obligations strictes de divulgation7 . Pour s’assurer de se conformer aux obligations prescrites par la LPC, les commerçants et les fabricants doivent suivre minutieusement ces exigences. Au fil des ans, l’industrie du crédit a fait l’objet de plusieurs actions collectives, dont bon nombre portaient sur les exigences de divulgation afférentes aux contrats de crédit8 La législature québécoise songe à moderniser les dispositions de la LPC relatives aux contrats de crédit depuis de nombreuses années. À l’heure actuelle, l’Assemblée nationale du Québec œuvre au projet de loi 134, Loi visant principalement à moderniser des règles relatives au crédit à la consommation et à encadrer les contrats de service de règlement de dettes, les contrats de crédit à coût élevé et les programmes de fidélisation9 . Le projet de loi 134 renferme des mesures qui, si elles sont adoptées, permettront aux consommateurs d’intenter une action contre les prêteurs et invoquer les garanties légales et conventionnelles contre eux10. Au moment d’écrire ces lignes, le projet de loi 134 est en lecture finale « article par article » et devrait donc être adopté sous peu. Nous ferons état de ces nouvelles mesures en détails dans un bulletin à venir La publicité Un chapitre complet de la LPC couvre les pratiques de commerce, y compris la publicité11. Ces pratiques comprennent notamment : l’interdiction de faire des déclarations fausses ou trompeuses aux consommateurs en général12 ou concernant les avantages ou d’autres caractéristiques attribués aux biens ou aux services13, l’identité du commerçant14, les rabais ou primes offerts15, la nature de l’opération16 et le prix des biens ou des services17. Il est également interdit d’omettre de mentionner un fait important dans la publicité commerciale ou une déclaration18. Ces pratiques de commerce interdites s’apparentent à ce que l’on qualifie de pratiques de publicité trompeuse dans les territoires de common law. La norme d’analyse de la détermination des pratiques trompeuses est appliquée du point de vue du consommateur moyen, inexpérimenté et crédule19. La LPC prévoit que la commission d’une pratique interdite crée une présomption selon laquelle, si le consommateur avait eu connaissance de cette pratique, il n’aurait pas contracté ou n’aurait pas payé un prix si élevé20. Dans l’importante décision Richard c. Time, la Cour suprême du Canada a conclu que le recours à une pratique interdite comme la publicité fausse ou trompeuse crée une présomption absolue de préjudice en faveur du consommateur si (1) le commerçant ou le fabricant ne remplit pas une obligation imposée par la LPC, (2) le consommateur a pris connaissance de la déclaration constituant une pratique interdite, (3) cela a entraîné la formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation et (4) il y a proximité suffisante entre la teneur de la déclaration et les biens ou services visés par le contrat. Lorsque ces quatre éléments sont établis, les tribunaux peuvent conclure que « la pratique interdite est réputée avoir eu un effet dolosif sur le consommateur ». Dans un tel cas, le contrat formé, modifié ou exécuté constitue, en soi, un préjudice subi par le consommateur21. Il y a un lien étroit entre les dispositions de la LPC qui régissent les garanties et celles qui régissent les pratiques de commerce interdites. Les deux groupes de disposition portent sur les déclarations commerciales, mais ils offrent des recours différents. Par exemple, le défaut de divulguer un vice caché connu par le fabricant peut entraîner la responsabilité fondée non seulement sur la garantie légale, mais aussi sur le défaut de mentionner un fait important dans une déclaration faite à un consommateur La publicité concernant les véhicules autonomes constituera une question intéressante au cours des prochaines années. Avant de lancer une campagne de publicité pour ce type de véhicule, il faudra tenir compte du paragraphe 220 a) de la LPC. Cette disposition interdit à un fabricant d’attribuer faussement, par quelque moyen, certains avantages spéciaux à des biens ou à des services dans une annonce publicitaire. De plus, en raison de l’effet de nouveauté de ces véhicules, les commerçants devront prendre soin de ne pas omettre de mentionner un fait important concernant leur usage22. Les prix La LPC prévoit des règles strictes concernant l’affichage des prix et l’étiquetage. Elle prévoit qu’un commerçant ne peut pas réclamer des frais à un consommateur sauf si leur montant est clairement indiqué dans le contrat23. Cela englobe les contrats de crédit et les contrats de location. À titre de corollaire des dispositions concernant l’affichage des prix, la LPC énonce que les commerçants ne peuvent pas exiger pour des biens ou des services un prix supérieur à celui qui est annoncé24. Les tribunaux ont appliqué de façon relativement stricte ces dispositions, laissant peu de marge de manœuvre pour les erreurs de prix et concluant qu’une erreur de prix n’est pas une excuse25. Les commerçants doivent être très diligents lorsqu’ils font la publicité ou qu’ils divulguent des prix et des frais, car plusieurs actions collectives au Québec ont été fondées sur le défaut de divulguer des frais ou d’autres montants facturés dans les contrats26. Conclusion Les fabricants et les commerçants de l’industrie automobile doivent porter une attention particulière aux dispositions de la Loi sur la protection du consommateur. Si le fabricant ou le commerçant néglige de se conformer à une obligation qui lui est imposée par la LPC, le consommateur peut exiger, sans préjudice à ses autres recours, l’exécution en nature de l’obligation (par exemple, la réparation du produit, le remplacement des pièces défectueuses ou des travaux d’entretien), que ses obligations soient réduites ou que le contrat soit résilié, résolu ou annulé. Le consommateur peut également demander des dommages punitifs27. La LPC contient en outre des dispositions pénales prévoyant des amendes de 2 000 $ à 100 000 $28. L’éventail de questions juridiques auxquelles sont confrontés les acteurs du secteur de l’industrie automobile connaît une croissance exponentielle sans ralentissement prévisible. Un grand nombre de poursuites, y compris des actions collectives ont été instituées contre des commerces du secteur, notamment en matière de responsabilité de produits et pratiques de commerce interdites. La meilleure façon de prévenir ces actions consiste à prendre des mesures préventives pour éviter la non-conformité à la LPC. Loi sur la protection du consommateur, P-40.1. Articles 53 et 54 LPC. Article 37 LPC. On peut aussi la surnommer « garantie d’aptitude ». Article 38 LPC. La LPC prévoit également une garantie de disponibilité des pièces et des services de réparation : article 39 LPC. Section III, articles 66 à 150 LPC. Articles 243, 244 et 247 LPC. Par exemple : Dion c. Compagnie de services de financement automobile Primus Canada, 2015 QCCA 333; Pilon c. Mazda Canada inc., 2013 QCCS 748; Thibert c. Hyundai Motor America, 2013 QCCS 744, Bourgeois c. Ford du Canada ltée, 2013 QCCS 745; Contat c. General Motors du Canada ltée, 2009 QCCA 1699. Projet de loi 134. Article 103.1 proposé par l’article 19 du projet de loi 134. Titre II, articles 215 à 253 LPC. Article 219 LPC Articles 220 et 221 LPC. Article 242 LPC Articles 231 et 232 LPC. Article 229 LPC. Paragraphe 224 c) LPC Article 228 LPC. Articles 218 et 219 LPC; voir aussi Richard c. Time Inc. et autres, 2012 CSC 8. Article 253 LPC Richard c. Time Inc. et autres 2012 CSC 8, par. 124. Article 228 LPC Article 12 LPC. Paragraphe 224 c) LPC Voir Boutin c. 9151-8100 Québec inc. (St-Basile Toyota), 2016 QCCQ 5282; Ouellet c. Charest Expert inc., 2010 QCCQ 11313; Vermeulen c. Marine Nor Sport inc., 2015 QCCQ 926; Comtois c. Vacances Sunwing inc., 2015 QCCQ 2684. Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 R.C.S. 725, 2014 CSC 55 (CanLII); Dion c. Compagnie de services de financement automobile Primus Canada, 2015 QCCA 333; Pilon c. Mazda Canada inc., 2013 QCCS 748; Thibert c. Hyundai Motor America, 2013 QCCS 744; Bourgeois c. Ford du Canada ltée, 2013 QCCS 745; Contat c. General Motors du Canada ltée, 2009 QCCA 1699. Article 272 LPC. Articles 277, 278 CPA.
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La permission d’appeler du défendeur au stade de l’autorisation de l’action collective : La Cour d’appel du Québec adopte une approche restrictive
Le 22 novembre dernier, la Cour d’appel du Québec rendait un jugement inédit sur l’application de l’article 578 du nouveau Code de procédure civile (« NCPC ») dans les affaires DuProprio inc. c. La fédération des chambres immobilières du Québec, Énergie éolienne Des Moulins S.E.C. c. Labranche et La Centrale des syndicats du Québec c. Allen1. Sous la plume du juge Jacques Chamberland, la Cour d’appel a rejeté à l’unanimité les demandes des défendeurs visant la permission d’en appeler du jugement de première instance autorisant l’exercice de l’action collective de leur dossier respectif. Considérant le caractère nouveau de cet article, la Cour d’appel avait réuni ces trois affaires pour fins d’audition et référé le litige à un banc de trois juges. Historique du droit d’appel Le juge Chamberland dresse d’abord un portrait de l’historique législatif du droit d’appel d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective. Introduite en 1978, l’action collective, alors appelée recours collectif, permettait au demandeur et au défendeur de porter en appel le jugement autorisant l’exercice d’une action collective. En 1982, le législateur a mis en place le droit d’appel asymétrique, retirant ainsi le droit au défendeur de faire appel au stade de l’autorisation tout en préservant ce droit pour le demandeur. Dans le cadre de la réforme du NCPC, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, le législateur a adopté l’article 578 NCPC qui permet désormais l’appel sur permission des jugements accueillant une demande en autorisation d’exercer une action collective. Cependant, le législateur n’a pas précisé les critères requis pour accorder une telle permission. La norme d’intervention La Cour souligne que la norme d’intervention en appel d’une décision accueillant ou rejetant la demande d’exercer une action collective est « exigeante ». La Cour d’appel interviendra seulement si le juge de première instance a commis une erreur de droit ou a manifestement erré dans son appréciation des quatre critères régissant l’autorisation du recours2. Le test applicable S’appuyant sur le commentaire de la ministre de la Justice qui précise que « l’appel portant sur l’autorisation ne devrait porter que sur les conditions pour l’accorder », le juge Chamberland explique que « le test ne doit pas être sévère au point de stériliser le droit d’appel sur permission, mais non plus souple au point de placer les deux parties sur le même pied en ce qui a trait au droit d’appel ». Pour définir le test applicable, la Cour prend en compte le fait que le seuil requis pour obtenir l’autorisation d’exercer une action collective est peu élevé et que le juge bénéficie d’une « vaste latitude » afin d’accorder une telle requête. Ainsi, le tribunal affirme que le test doit être « exigeant » et que l’appel doit être réservé à des « cas exceptionnels » : « Le juge accordera la permission de faire appel lorsque le jugement lui paraîtra comporter à sa face même une erreur déterminante concernant l’interprétation des conditions d’exercice de l’action collective ou l’appréciation des faits relatifs à ces conditions, ou encore, lorsqu’il s’agira d’un cas flagrant d’incompétence de la Cour supérieure3 ». Selon la Cour, ce test respecte l’intention du législateur, notamment en ce qu’il : i) ne porte que sur les conditions d’exercice de l’action collective, ii) écarte les appels inutiles ou ne portant que sur des éléments accessoires, iii) respecte la discrétion du juge de première instance, iv) n’alourdit pas le fardeau d’intenter une action collective pour le demandeur et v) permet d’éviter un long et couteux débat sur le fond lorsque l’action collective est mal fondée. Conclusion Appliquant le test précité aux faits propres à chacune des affaires, la Cour d’appel rejette toutes les demandes de permission de faire appel du jugement autorisant l’exercice d’une action collective, avec les frais de justice contre les appelants. Commentaires Cet arrêt démontre encore une fois l’approche libérale adoptée par les tribunaux rendant minimales les exigences pour obtenir l’autorisation d’intenter une action collective. L’obiter récent de la juge Bich4 dans lequel elle invite le législateur à se pencher sur l’utilité d’une telle étape dans sa forme actuelle n’en est que le reflet. Il y a lieu de s’interroger sur les bénéfices réels de limiter de la sorte le droit d’appel du jugement autorisant l’exercice d’une action collective. En effet, un véritable mécanisme de filtrage avec un droit d’appel au stade de l’autorisation permet au demandeur d’être fixé à une étape préliminaire sur la viabilité du recours, et ce, avant d’y consacrer temps et argent. Il risque d’être ainsi privé de l’éclairage de la Cour d’appel sur les écueils et embûches susceptibles de compromettre le succès du recours au fond. À l’inverse, un jugement de la Cour d’appel confirmant l’autorisation de l’action collective peut s’avérer un argument de taille pour influencer la négociation d’un règlement, évitant ainsi de mobiliser des ressources judiciaires importantes pour la tenue d’un procès sur le fond. L’affaire DuProprio (500-09-026070-169); l’affaire Énergie éolienne des moulins (200-09-009270-163 et 200-09-009273-167); l’affaire CSQ : (200-09-009238-160), (200-09-009241-164) (200-09-009247-161). Art. 575 C.p.c. Au paragraphe 59 de la décision. Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716 (CanLII).
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La garantie d’usage en droit de la consommation : la Cour d’appel se prononce
Cette publication a été coécrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil. Lavery suit de près l’évolution des recours collectifs en droit de la consommation et se faIt un devoir de tenir le milieu des affaires informé en cette matière en publiant régulièrement des bulletins traitant des nouveautés jurisprudentielles ou législatives qui sont susceptibles d’influencer, voire de transformer, les pratiques du milieu. Dans Fortin c. Mazda Canada inc.1, la Cour d’appel du Québec infirme la décision de première instance2 et condamne Mazda à payer des dommages aux conducteurs des véhicules de modèle Mazda 3 des années 2004 à 2007 affectés d’un défaut de conception. Il appert que le verrouillage du côté du conducteur serait défectueux, de sorte qu’une simple pression dirigée stratégiquement au-dessus de la poignée de la portière côté conducteur suffirait pour neutraliser le système de verrouillage de ce véhicule. Les membres du recours collectif sont divisés en deux groupes. D’abord ceux dont le véhicule a été l’objet d’une attaque, qui réclament la valeur des objets volés, le coût de la réparation de la portière endommagée et la franchise d’assurance, le cas échéant (« Groupe 1 »), et ceux qui réclament une compensation pour les inconvénients occasionnés par l’installation gratuite d’un mécanisme de renforcement du système de verrouillage de la portière (« Groupe 2 »). De plus, les deux groupes réclament une diminution du prix de vente au motif que Mazda a omis de divulguer un fait important, et des dommages punitifs. JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE La Cour supérieure du Québec a rejeté sur le fond le recours collectif au motif que le mécanisme de verrouillage de la portière ne comporte pas de vice de conception puisque selon l’usage auquel il est destiné, le mécanisme crée un obstacle suffisant, permettant de diminuer de façon substantielle la possibilité d’un vol. Incidemment, il n’existe aucun standard de sécurité régissant l’efficacité d’un système de verrouillage pour les automobiles. Par conséquent, la facilité à contourner ce système de protection ne relève pas du déficit d’usage. La Cour n’a pas retenu non plus que Mazda s’était livrée à une pratique de commerce interdite en omettant de divulguer un fait important sur un élément de sécurité. À tout événement, l’intervention criminelle d’un tiers a rompu le lien de causalité entre le vice allégué et les dommages subis. Pour ce qui est de la réclamation des membres dont le véhicule n’a pas été l’objet d’une attaque (Groupe 2), la Cour estime qu’il n’ont subi aucune manifestation du vice. Le fait qu’ils aient dû se rendre chez leur concessionnaire pour l’installation d’un mécanisme de renforcement du système de verrouillage fait partie des troubles ordinaires de la vie et ne justifie donc pas l’octroi de dommages-intérêts. En l’absence d’une preuve d’insouciance de la part de Mazda face à ses obligations légales, la Cour a également rejeté la réclamation en dommages punitifs. JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL LA LOI SUR LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR (LPC) ET LA NOTION DE VICE CACHÉ La LPC prévoit qu’un bien doit pouvoir servir à l’usage auquel il est normalement destiné (article 37 LPC) pendant une durée raisonnable, qui peut varier selon le prix payé, les dispositions du contrat et les conditions d’utilisation (article 38 LPC). Si le bien ne permet pas l’usage auquel le consommateur peut raisonnablement s’attendre, il y a alors présomption que le défaut est antérieur à la vente. De plus, ni le commerçant ni le fabricant ne peuvent opposer au consommateur le fait qu’ils ignoraient ce vice ou ce défaut (article 53 LPC). La Cour confirme que les garanties précitées sont une application particulière de la notion de vice caché connue en droit civil québécois. La Cour ajoute une nuance importante : par l’effet de la LPC, le fardeau de preuve d’un consommateur souhaitant invoquer le défaut d’usage en vertu de l’article 37 LPC est atténué en comparaison avec celui d’un acheteur qui invoque la garantie de qualité du Code civil du Québec (CCQ). En effet, un recours invoquant la garantie de qualité en vertu du CCQ doit satisfaire quatre critères; 1) être occulte, 2) être suffisamment grave, 3) être inconnu de l’acheteur et 4) être antérieur à la vente. Or, la Cour est d’avis que, à l’instar de la garantie prévue à l’article 38 LPC, la garantie contre le déficit d’usage en vertu de l’article 37 LPC dispense le consommateur de démontrer l’existence d’un défaut occulte, dans la mesure où le consommateur s’est livré à un examen ordinaire du bien avant l’achat. La Cour précise que la présomption d’existence d’un défaut occulte élargit la « conception traditionnelle » du vice caché en ce qu’un consommateur pourrait bénéficier de la garantie prévue à l’article 37 LPC sans que le bien ne soit atteint d’un défaut matériel. Le consommateur doit seulement démontrer qu’il existe un déficit d’usage sérieux et qu’il en ignorait l’existence au moment de la vente. LES CONDITIONS D’APPLICATION DE LA GARANTIE D’USAGE La Cour souligne que la garantie d’usage imposée au commerçant et au manufacturier crée une obligation de résultat. Cette obligation s’apprécie essentiellement sur les attentes raisonnables de l’acheteur. Un tribunal devra appliquer la norme objective c’est-à-dire l’attente d’un consommateur moyen appréciée au regard de la nature du produit et de sa destination. La Cour relève que bien que ce soit une défense souvent invoquée, le fait que le commerçant respecte les normes légales ou standards de l’industrie ne l’exonère pas pour autant d’une conclusion de déficit d’usage. De plus, elle précise que « l’absence de normes ne libère pas le manufacturier de son obligation de tenir compte des besoins et des attentes raisonnables de sa clientèle ». La Cour supérieure a donc erré lorsqu’elle a conclu que, dans le cadre d’un usage normal, le mécanisme de verrouillage fonctionne très bien. En effet, cette analyse ne tient pas compte de l’attente du consommateur qui croit légitimement que son véhicule est équipé d’un système de verrouillage capable de créer « un obstacle raisonnable contre les intrusions malveillantes ». En appliquant les présomptions d’antériorité du vice et d’existence d’un défaut occulte conférées par l’application de l’article 37 LPC, le consommateur n’a qu’à démontrer que la faiblesse du système de verrouillage était substantielle et que, s’il l’avait su, il n’aurait pas acheté le véhicule. À cet égard, la Cour fait siens les arguments de l’appelant et estime que tout consommateur informé de la faiblesse du système de verrouillage aurait renoncé à acquérir ce modèle pour le prix payé. Par conséquent, la Cour infirme le jugement de première instance et conclu que les véhicules Mazda visés par le recours étaient atteints d’un important déficit d’usage donnant lieu aux mesures réparatrices prévues à l’article 272 LPC. L’OBLIGATION D’INFORMATION L’article 228 LPC interdit au commerçant, fabricant ou publicitaire de passer sous silence un fait important. Contrairement au juge de première instance, la Cour d’appel est d’avis que le « fait important » prévu à l’article 228 LPC ne « vise pas uniquement à protéger la sécurité physique du consommateur », mais cible également tout élément déterminant d’un contrat. Un élément sera déterminant s’il est susceptible d’interférer avec le choix éclairé du consommateur. Mazda avait l’obligation de divulguer la défaillance du système de protection dès qu’elle en a pris connaissance puisque les membres du groupe n’auraient pas contracté selon les mêmes modalités. Par conséquent, tous les consommateurs ayant acquis un véhicule entre la date où Mazda a appris que son système de verrouillage était défaillant (3 octobre 2006) et la date où Mazda a lancé son programme spécial de correction (28 janvier 2008), et qui ignoraient la défaillance du système de sécurité, ont le droit de réclamer une diminution du prix conformément à l’article 272 LPC. LES DOMMAGES PUNITIFS La Cour d’appel rappelle que le manquement à une disposition de la LPC ne donne pas automatiquement droit à des dommages punitifs, insistant sur le caractère lourd du fardeau de preuve requis en cette matière. En accord avec le juge de première instance, la Cour d’appel indique que l’analyse des faits ne démontre pas que Mazda a agi de « manière intentionnelle, malveillante ou vexatoire, ou encore que sa conduite peut se qualifier d’ignorance sérieuse, d’insouciance ou de négligence atteignant ce niveau de gravité » et, par conséquent, les membres n’ont pas droit à des dommages punitifs. LES DOMMAGES EXTRACONTRACTUELS (GROUPE 1) Selon la Cour d’appel, l’intervention criminelle d’un tiers n’a pas brisé la chaîne de responsabilité de Mazda (novus actus interveniens). Le système de protection des véhicules était affecté d’un défaut de conception, et c’est en raison de cette faiblesse que des malfaiteurs ont pu profiter de cette condition. Le dommage subi par les membres dont le véhicule a été endommagé ou volé est donc le résultat de la faute commise par Mazda de ne pas avoir conçu un système de verrouillage capable d’offrir « un obstacle raisonnable contre les intrusions malveillantes ». LES TROUBLES, ENNUIS ET INCONVÉNIENTS Les membres du Groupe 2 réclament une compensation pour les inconvénients occasionnés par la campagne de rappel de Mazda visant à corriger le défaut affectant le système de sécurité de ses véhicules. Or, bien que la Cour d’appel reconnaît le désagrément qu’a pu engendrer une telle campagne, elle estime que ces inconvénients ne sont pas supérieurs aux « inconvénients normaux auxquels tous les propriétaires de véhicules sont confrontés ici et là dans le cours normal d’une année ». Sur le plan procédural, la Cour d’appel reconnaît que lorsque l’adjudication d’une telle réclamation nécessite la prise en compte d’éléments subjectifs, propres à chaque membre d’un groupe, l’action collective ne serait pas le véhicule approprié. En effet, des réclamations fondées sur des inconvénients subis présentent des aspects fortement individuels. Reprenant la maxime latine de minimis non curat lex, la Cour d’appel souligne qu’il n’est pas adéquat d’accaparer les tribunaux pour des réclamations ayant peu de conséquences. Les deux groupes réclament également des dommages pour troubles, ennuis et inconvénients pour avoir subi la peur que leur véhicule soit vandalisé et les inconvénients liés à la recherche continuelle d’un stationnement sécuritaire. Cette réclamation est rejetée. La Cour d’appel rappelle que l’objectif de compenser une partie n’a pas pour ambition d’indemniser toutes « frustrations et susceptibilités liées au moindre manquement de la part de celui avec qui elle interagit ». Elle réitère par ailleurs que considérant son aspect individuel, ce type de réclamation se prête difficilement à une indemnisation collective. CONCLUSION La Cour d’appel conclut que les véhicules de modèle Mazda 3 des années 2004 à 2007 étaient affectés d’un important déficit d’usage. Cependant, Mazda a démontré qu’elle a remédié à ce défaut lors de sa campagne de correction (paragr. 272 a) L.p.c.) Les membres du Groupe 1 ne peuvent donc pas obtenir, en plus de cette mesure de réparation, une indemnisation additionnelle sous forme de réduction de leur obligation. Les membres du Groupe 1 ont cependant droit à des dommages compensatoires (272 LPC) en vertu du recours autonome des mesures de réparation spécifiques prévues à l’article 272 a) à f) LPC. Pour ce qui est des membres du Groupe 2, la Cour estime leurs réclamations non fondées. Finalement, la Cour est d’avis que Mazda a omis de divulguer à sa clientèle une information importante (228 LPC) et ce manquement à la loi permet à certains membres du Groupe 1 et du Groupe 2 d’obtenir une réduction de leur obligation (272 LPC), soit les consommateurs qui ignoraient la défaillance du système de sécurité et qui ont acheté un véhicule entre la date où Mazda a appris que son système de verrouillage était défaillant et la date où elle a lancé son programme spécial de correction. COMMENTAIRES Cette décision de la Cour d’appel clarifie plusieurs éléments tant en matière procédurale qu’en droit substantif. La Cour y affirme qu’un commerçant peut s’acquitter en nature de ses obligations découlant de la garantie légale, en application de l’article 272 a) LPC. Cela démontre l’importance d’une réaction rapide de la part d’un fabricant qui prend connaissance de l’existence d’un déficit d’usage affectant un produit qu’il met sur le marché. La Cour impose en pareil cas des obligations de transparence élevées aux fabricants, qui peuvent en retour obtenir un certain réconfort résultant des mesures, préventives ou curatives, qu’ils pourront mettre en place et l’aideront à écarter ou à réduire au minimum une responsabilité potentielle. Si les enseignements de la Cour sont suivis, il ne devrait pas être possible de réclamer compensation sur la simple base qu’une procédure de rappel a été lancée et que cela a causé des inconvénients pour ceux qui s’y sont soumis. L’importance d’informer sa clientèle des défauts qui affectent ses produits fait partie intégrante de l’exécution des obligations de renseignements qui incombent à tous les fabricants et commerçants. 2016 QCCA 31. 2014 QCCS 2617. 1. le gestionnaire doit respecter les dispositions législatives et réglementaires applicables aux sociétés de gestion relevant de la Directive, et notamment : le respect des obligations de transparence prévues aux articles 22, 23 et 24 de la Directive : obligation de rédaction d’un rapport annuel pour chaque FIA commercialisé au sein de l’UE (art. 22), obligation d’information adéquate et périodique des investisseurs du FIA (art. 23) et diverses obligations de comptes rendus à l’égard des autorités compétentes (art. 24); l’existence de modalités de coopération appropriées entre les autorités de tutelle de chacun des pays membres de l’UE où aura lieu la commercialisation et les autorités du pays tiers concerné (soit celui où est établi le gestionnaire), mais également celui où le domicile du FIA est situé dans l’hypothèse d’un FIA domicilié dans un pays autre que celui de son gestionnaire2; l’absence du pays tiers dans lequel le gestionnaire est établi des listes des pays et territoires non coopératifs du Groupe d’action financière pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (GAFI). -->
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La médiation obligatoire à la division des petites créances : commerçants, préparez-vous!
Lavery suit de près l’évolution de droit de la consommation et se fait un devoir de tenir la communauté d’affaires informée en cette matière en publiant régulièrement des bulletins traitant des nouveautés jurisprudentielles ou législatives qui sont susceptibles d’influencer, voire de transformer les pratiques de milieu de commerce de détail. Les projets actuels du législateur quant à la gestion judiciaire des dossiers en droit de la consommation pourraient fort bien modifier les pratiques de plusieurs commerçants en ce qui concerne le traitement des plaintes des consommateurs. À ce titre, le droit de la consommation est un enfant privilégié de la réforme du Code de procédure civile.En effet, le gouvernement du Québec a récemment institué un projet pilote de médiation obligatoire à la Division des petites créances de la Cour du Québec. Le 15 mai 2015 est entré en vigueur le Règlement établissant un projet pilote de médiation obligatoire pour le recouvrement des petites créances découlant d’un contrat de consommation1 (le « Règlement »)2. En vertu du Règlement, la médiation obligatoire est imposée aux parties dès que la réclamation devant la Cour des petites créances découle d’un contrat de consommation. Le contrat de consommation comprend tout accord entre un commerçant et un consommateur visant l’acquisition de biens ou de services3. Si l’on considère que la division des petites créances a compétence pour entendre des affaires dont la valeur peut aller jusqu’à 15 000 $, c’est donc une grande partie du secteur du commerce du détail qui est visée par ce projet pilote. D’une durée de trois ans, le projet pilote ne vise pour le moment que les districts judiciaires de Gatineau et de Terrebonne4, mais nous croyons que le gouvernement étendra l’application du Règlement à l’ensemble de la province si les résultats sont probants. Dans une certaine mesure, le Québec emboîterait ainsi le pas à sa voisine l’Ontario où la médiation est obligatoire en toute matière devant la Cour des petites créances5. QU’EST-CE QUI JUSTIFIE LA MÉDIATION OBLIGATOIRE ? La médiation obligatoire concrétise un des principes directeurs du Nouveau Code de procédure civile (ci-après le « NCpc »), entré en vigueur le 1er janvier 2016, qui est d’assurer l’accessibilité aux tribunaux et la célérité de la justice civile. Ceci s’illustre entre autres par le fait que le législateur a dédié le Titre I du Livre I du NCpc aux modes privés de prévention et de règlement des différends. Contrairement à ces modes privés de prévention et règlement de différends que sont la négociation, la médiation et l’arbitrage « choisis d’un commun accord par les parties intéressées »6, le projet pilote établit une médiation obligatoire. Le législateur donne ainsi une place de choix aux réclamations judiciaires entre les consommateurs et les commerçants. Ceci peut s’expliquer par deux objectifs : (i) Désengorger les tribunaux et favoriser un accès rapide à la justice Environ le quart des dossiers à la Division des petites créances concernent des réclamations qui mettent en cause des contrats de consommation7. De plus, une étude de l’Office de la protection du consommateur publiée en 2010 révélait que 83 % des commerçants continuaient de refuser la médiation8. On peut penser que le législateur a souhaité renverser la vapeur et contraindre les parties à reprendre le dialogue rompu et régler leurs différends suivant des conditions mutuellement convenues. Cette mesure aura pour effet de désengorger les tribunaux et, par le fait même, favorisera un accès rapide à la justice. (ii) Rétablir l’équilibre entre les parties à un contrat de consommation Le déséquilibre entre le consommateur et le commerçant9 a toujours été source de préoccupation pour le législateur. En rendant la médiation obligatoire dans le cadre du projet pilote, le gouvernement réitère sa volonté de protéger le consommateur en obligeant le commerçant à dialoguer avec lui devant un tiers impartial dans le but de régler un différend qui s’est judiciarisé. Cette priorisation de soumettre le contrat de consommation à la médiation obligatoire s’explique par le fait que le contrat de consommation est l’un des contrats les plus répandus, les dépenses personnelles de consommation au Québec se chiffrant annuellement à plus de 100 milliards de dollars (ce qui comprend les secteurs de l’automobile et de l’alimentation)10. L’obligation de porter ces dossiers en médiation participe ainsi au maintien de l’harmonie entre les parties, un élément essentiel à la bonne santé du secteur. À QUOI FAUT-IL S’ATTENDRE ? Le processus débute lorsque le greffier de la Division des petites créances avise les parties qu’elles sont assujetties à la médiation11. Notre interprétation du Règlement nous fait conclure que cet avis sera transmis par le greffier une fois que la défense sera déposée au dossier de la Cour. Le greffier doit offrir le mandat de médiation à un médiateur dont le nom figure sur la liste de médiateurs qu’il a dressée12. Ces médiateurs sont des avocats ou des notaires accrédités à ce titre par leur ordre professionnel13. Une fois nommé, le médiateur communique avec les parties pour convenir de la date et de l’heure de la médiation14. Le processus se veut rapide : le médiateur doit tenir la séance de médiation dans les 30 jours suivant la date où le mandat lui a été confirmé par écrit15. Si une partie ne se présente pas à la séance de médiation ainsi fixée ou ne convient pas de la tenue d’une telle séance, le médiateur dépose au greffe le constat d’impossibilité de procéder à la médiation et l’affaire peut alors être entendue par le tribunal16. Le tribunal peut cependant sanctionner le défaut d’une partie de participer à la médiation obligatoire en la condamnant à payer les frais de justice ou des dommages-intérêts, ou en réduisant ou en annulant les intérêts qui lui sont dus si la partie en défaut est le créancier17. Si la médiation réussit, les parties déposent soit un avis indiquant que le dossier a fait l’objet d’un règlement à l’amiable, soit l’entente qu’ils ont signée18. Dans le cas contraire, le médiateur transmet au greffier, dans les 10 jours de la séance de médiation, un rapport faisant état des faits, des positions des parties et des points de droit soulevés19. L’affaire peut alors être entendue par le tribunal20. PEUT-ON DEMANDER UNE EXEMPTION ? Le gouvernement, qui porte un intérêt particulier à la réussite de ce projet pilote, a prévu qu’une partie ne peut être exemptée de participer à la séance de médiation obligatoire que pour des motifs sérieux21. La partie qui désire être exemptée du processus de médiation obligatoire doit en faire la demande par écrit au plus tard 20 jours après avoir été avisée par le greffier qu’une affaire y est assujettie22. Le greffier informe alors les autres parties de cette demande, suite à quoi celles-ci disposent de 10 jours pour présenter leurs observations par écrit23. COMMENT SE PRÉPARE-T-ON À LA MÉDIATION ? En rendant la médiation obligatoire, le gouvernement livre un message clair aux commerçants : ils seront tenus de modifier certaines de leurs pratiques de traitement des plaintes. Afin de rendre le processus efficace, et compte tenu du fait que le temps devant le médiateur est limité, la préparation préalable de la séance de médiation aura un impact important sur son orientation et l’issue du litige. Bien préparé, le commerçant pourra bénéficier d’une meilleure compréhension de son dossier, tant du point de vue factuel que juridique, et saura faire ressortir les points faibles du dossier du consommateur, s’il en est. Afin de bien se préparer pour l’éventualité où il ferait l’objet d’une poursuite et devrait alors se présenter devant un médiateur, il est primordial que le commerçant effectue un travail en amont. Il a ainsi avantage à établir une politique claire de gestion des plaintes et des réclamations. Bien que la structure de la politique de gestion dépende de la nature et de l’envergure des opérations de l’entreprise, le commerçant devrait à tout le moins aborder les questions suivantes dans l’élaboration de sa politique : Est-ce que les appels avec les consommateurs sont enregistrés ? Avec leur consentement ? Est-ce que des notes fiables de toutes les communications et interventions auprès du consommateur sont prises ? De quelle manière ? Est-ce qu’une ou des personnes en particulier sont assignées à temps plein à la gestion des plaintes et des réclamations ou le dossier est-il attribué au représentant qui a une meilleure connaissance des faits du dossier ? Est-ce que le commerçant souhaite examiner l’objet en litige, le cas échéant ? Est-ce qu’il souhaite mandater un expert ? Comment doit-il s’y prendre ? Est-ce qu’une réponse à la mise en demeure est envoyée, le cas échéant ? Dans quel cas ? Dans quels cas communiquera-t-on avec le client par téléphone ? Est-ce que des tiers ou des témoins sont impliqués dans l’affaire ? Est-ce qu’un dédommagement autre que pécuniaire peut être offert au consommateur afin de résoudre le différend ? --> a Est-ce que les appels avec les consommateurs sont enregistrés ? Avec leur consentement ? b Est-ce que des notes fiables de toutes les communications et interventions auprès du consommateur sont prises ? De quelle manière ? c Est-ce qu’une ou des personnes en particulier sont assignées à temps plein à la gestion des plaintes et des réclamations ou le dossier est-il attribué au représentant qui a une meilleure connaissance des faits du dossier ? d Est-ce que le commerçant souhaite examiner l’objet en litige, le cas échéant ? e Est-ce qu’il souhaite mandater un expert ? Comment doit-il s’y prendre ? f Est-ce qu’une réponse à la mise en demeure est envoyée, le cas échéant ? Dans quel cas ? Dans quels cas communiquera-t-on avec le client par téléphone ? g Est-ce que des tiers ou des témoins sont impliqués dans l’affaire ? h Est-ce qu’un dédommagement autre que pécuniaire peut être offert au consommateur afin de résoudre le différend ? Une fois cette politique établie, il faudra, pour chaque dossier : établir les faits en litige de façon chronologique préparer la preuve documentaire ou matérielle (ex : factures, correspondance, enregistrements, etc.) déterminer les pratiques du secteur dans une situation similaire déterminer la position et l’argumentation chiffrer la réclamation fixer un barème afin de calculer combien le commerçant serait prêt à payer pour régler le litige --> a établir les faits en litige de façon chronologique b préparer la preuve documentaire ou matérielle (ex : factures, correspondance, enregistrements, etc.) c déterminer les pratiques du secteur dans une situation similaire d déterminer la position et l’argumentation e chiffrer la réclamation f fixer un barème afin de calculer combien le commerçant serait prêt à payer pour régler le litige Finalement, il serait judicieux que le commerçant tienne des rencontres périodiques avec ses conseillers juridiques afin de faire le point sur les réclamations qui sont soumises à la médiation obligatoire. Ceci lui permettra de valider le cadre juridique de son dossier et la stratégie à adopter lors de la médiation. Si le commerçant établit une politique claire de gestion des plaintes et des réclamations et s’assure que cette politique est bien intégrée dans son entreprise, ces rencontres périodiques se dérouleront de façon rapide et efficace. QUELS SONT LES AVANTAGES ? La médiation obligatoire présente des avantages certains pour le commerçant. Premièrement, c’est un processus rapide et peu coûteux. En effet, les services du médiateur sont gratuits, ses honoraires étant pris en charge par le ministère de la Justice24. Aussi, le consommateur ne peut qu’être satisfait de cette occasion qui lui est donnée de présenter sa cause à une personne impartiale sans être soumis aux formalités judiciaires usuelles devant le tribunal. Deuxièmement, la médiation réussie permet au commerçant d’éviter le risque de voir le nom de son entreprise associé à un jugement défavorable, parfois cité hors contexte, lui permettant alors de protéger son image. Troisièmement, la médiation est un processus flexible, les parties sont libres de négocier les paramètres de leur entente afin d’en arriver à une solution mutuellement satisfaisante. Par ailleurs, puisque la médiation est confidentielle25, l’information partagée au cours de ce processus ne pourra être utilisée dans les procédures judiciaires si ce mode de résolution échoue. Finalement, le processus pourra permettre au commerçant de mieux comprendre le dossier du consommateur et de se préparer en conséquence pour un procès, advenant l’échec de la médiation. Il faut cependant mettre un bémol important à cet énoncé. Même si la médiation dévoile les cartes de l’autre partie, il faut toujours garder à l’esprit que les parties sont tenues d’y participer de bonne foi26. En d’autres mots, le commerçant ne devrait pas participer à la séance de médiation dans le seul but de vérifier la solidité du dossier du consommateur, mais plutôt avec l’objectif de rechercher une solution au litige27. QUE FAUT-IL RETENIR ? Il faut garder à l’esprit qu’avec le projet pilote rendant obligatoire la médiation pour les réclamations découlant d’un contrat de consommation, le législateur a voulu privilégier le dialogue entre le consommateur et le commerçant. Le commerçant peut participer à ce dialogue de façon efficace en établissant une politique claire de gestion de plaintes et de réclamations, qui pourrait aussi inclure un processus de résolution en amont du système judiciaire. Une telle approche permet au commerçant de démontrer rapidement le sérieux de son dossier, maximisant ainsi ses chances d’en arriver à un règlement profitable. Le commerçant ne peut qu’y voir des avantages. Le dialogue avec les consommateurs est le reflet d’une bonne compréhension des besoins de la clientèle. Règlement établissant un projet pilote de médiation obligatoire pour le recouvrement des petites créances découlant d’un contrat de consommation, RLRQ, c. C-25.01, r. 1. Conformément aux articles 28 et 836 de la Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014 c. 1 . Selon l’article 1 du Règlement, la définition donnée à l’expression « contrat de consommation » est celle énoncée à l’article 1384 du Code civil du Québec, soit le contrat « par lequel l’une des parties, étant une personne physique, le consommateur, acquiert, loue, emprunte ou se procure de toute autre manière, à des fins personnelles, familiales ou domestiques, des biens ou des services auprès de l’autre partie, laquelle offre de tels biens ou services dans le cadre d’une entreprise qu’elle exploite ». Préc., note 1, art. 1. Règles de la Cour des petites créances, Règl. 258/98 (Ont.), art. 13.01. Préc., note 2, art. 1. Pierre-Claude Lafond, L’accès à la justice civile au Québec : portrait général, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 140. Pierre-Claude Lafond, L’accès à la justice civile au Québec : portrait général, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 138. Pierre E. Audet, « La médiation obligatoire pour les petites créances d’au plus 15 000 $ découlant d’un contrat de consommation », Justice privée et décrochage judiciaire, Les entretiens Jacques-Cartier, Montréal, 3 octobre 2014. Luc Thibaudeau, Guide pratique de la société de consommation, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 157. En 2014, le commerce de détail a représenté plus de 505 milliards de dollars au Canada http://www.statcan.gc.ca/tables-tableaux/sum-som/l02/cst01/trad15a-fra.htm. Id. Préc., note 1, art. 6. Id., art. 7. Id., art. 22. Id., art. 21. Id., art. 26. Id., art. 27. Préc., note 1, art. 28. Id., art. 29. Id. Id., art. 2. Par motifs sérieux on entend entre autres : l’existence d’une ordonnance empêchant une partie d’être en présence d’une autre partie, le fait que les frais de déplacement relatifs à la participation de la partie à la séance de médiation en excèdent les avantages probables, ou encore le fait que les parties aient déjà participé à une séance de médiation pour le même litige. Id., art. 3. Id. Préc., note 1, art. 12. Id., art. 18 à 20. Id., art. 16. Id., art. 16.
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Droit de la consommation et recours collectifs : Attention aux modifications unilatérales du contrat à exécution successive
Cette publication a été coécrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil. Lavery suit de près l’évolution des recours collectifs en droit de la consommation et se fait un devoir de tenir la communauté d’affaires informée en cette matière en publiant régulièrement des bulletins traitant des nouveautés jurisprudentielles ou législatives qui sont susceptibles d’influencer, voire de transformer, les pratiques de milieu Au cours des derniers 18 mois, la Cour supérieure du Québec a analysé des clauses de modifications unilatérales1 de contrats de services du secteur des télécommunications dans le cadre de trois différents recours collectifs2. Dans ces décisions, que l’on pourrait surnommer la « trilogie des télécoms », la Cour a refusé de reconnaître la validité des clauses qui lui avaient été soumises et a ordonné la restitution de frais additionnels payés par les consommateurs à la suite de modifications de tarifs. La Cour a rappelé l’importance de dévoiler à son cocontractant l’ensemble des frais qu’il pourrait être appelé à payer pendant la durée d’un contrat de services à exécution successive, y compris les frais connexes ou additionnels3. La divulgation des frais dans le contrat est rigoureusement encadrée par les dispositions de La Loi sur la protection du consommateur4 et du Code civil du Québec5. Ces décisions consacrent donc une fois de plus le principe de la force exécutoire d’un contrat de services à durée fixe et ce, malgré les risques inhérents auxquels les commerçants sont soumis en raison de changements imprévisibles de la conjoncture du marché. Dans un contrat à durée déterminée, ce sont généralement les commerçants qui assument ces risques6. Par contre, dans un contrat à durée indéterminée, le consommateur doit décider, après réception d’un avis du commerçant qui désire changer les modalités du contrat, s’il accepte ces changements et nouvelles modalités ou s’il met fin au contrat. LES CLAUSES DE MODIFICATION UNILATÉRALE ET L’ARTICLE 12 L.P.C. Dans les trois cas analysés par la Cour, les contrats de services contenaient une clause qui, moyennant un préavis écrit de 30 jours7, permettait la modification unilatérale par le fournisseur de services de certaines modalités du contrat, y compris les tarifs et frais d’utilisation du service. Dans deux des cas, le fournisseur avait introduit de nouveaux frais applicables aux messages textes entrants alors que dans le dernier cas, le fournisseur avait établi un nouveau plafond de consommation internet qui entraînait une facture plus élevée pour l’utilisateur. Dans les trois cas, les fournisseurs avaient transmis à leurs clients des préavis de 30 jours annonçant la modification des modalités du contrat. Toutefois, la Cour a jugé que le processus de modification qui avait été suivi n’était pas conforme au libellé de l’article 12 L.p.c., qui interdit aux commerçants de réclamer du consommateur des frais non mentionnés de façon précise au contrat8. Le but de cet article est de s’ « assurer que le consommateur s’engage en toute connaissance de cause, au moment de conclure le contrat de consommation »9. Or, les clauses de modification contenues dans les contrats des fournisseurs n’énonçaient aucun critère objectif précisant la nature ou la fréquence des modifications et augmentations futures10, ce qui empêchait le consommateur de prévoir ou de déterminer les coûts supplémentaires susceptibles de s’ajouter aux obligations déjà établies aux termes des contrats. LES CLAUSES DE MODIFICATION UNILATÉRALE ET LE CODE CIVIL DU QUÉBEC Dans la décision Laflamme, le tribunal a également étudié la question sous le prisme des dispositions du C.c.Q.11. L’article 1373 C.c.Q. énonce qu’une prestation découlant d’un contrat doit être « possible et déterminée ou déterminable ». L’article 1374 C.c.Q. ajoute que la prestation « peut porter sur tout bien, même à venir, pourvu que le bien soit déterminé quant à son espèce et déterminable quant à sa quotité ». Appliquant ces dispositions, la juge Nantel conclut qu’une clause de modification n’est pas illégale en soi, mais doit comporter les éléments suivants : l’objet sur lequel la modification portera; des indices prédéterminés, critères objectifs et balises qui « ne relèvent pas du seul contrôle du bénéficiaire de la clause »12 permettant « d’anticiper l’élément déclencheur et l’ampleur de la modification »13. Or, dans Laflamme, la clause de modification14 ne permettait pas d’établir ou de déterminer clairement quel serait le coût de la modification au contrat, ce qui la rendait également illégale en vertu du C.c.Q. LES CLAUSES DE MODIFICATION UNILATÉRALE ET L’ARTICLE 11.2 L.P.C. Le 30 juin 2010, le législateur a introduit l’article 11.2 L.p.c. qui permet, dans certains cas, de modifier unilatéralement des contrats de consommation lorsque certaines conditions sont respectées15, tel que l’envoi par le commerçant d’un préavis de 30 jours au consommateur mentionnant la nature de la modification, sa date d’entrée en vigueur ainsi que le droit du consommateur de la refuser et de résilier le contrat sans pénalité, et ce jusqu’à 30 jours après l’entrée en vigueur de la modification. En revanche, la modification d’un élément essentiel du contrat à durée fixe n’est pas autorisée. Parmi ces éléments essentiels, l’article 11.2 L.p.c. mentionne notamment la nature du bien ou du service faisant l’objet du contrat, son prix ou encore la durée du contrat. À ce jour, aucun tribunal n’a appliqué ni interprété l’article 11.2 L.p.c qui n’était pas applicable aux trois recours collectifs puisque les clauses contestées ont été utilisées par les fournisseurs avant l’adoption de cet article. La juge Paquette, dans l’affaire Martin, émet toutefois certains commentaires à ce sujet16. Elle note que l’article 11.2 L.p.c. a été adopté en continuité avec l’article 12 L.p.c. et non pas en contradiction avec celui-ci et qu’il a pour but de consolider le principe selon lequel le consommateur ne doit pas être pris par surprise. Elle conclut que si l’article 11.2 L.p.c. avait été en vigueur au moment où le fournisseur a augmenté le prix d’un des services prévu au contrat, la modification aurait été inopposable au consommateur puisque ce dernier ne pouvait mettre fin au contrat sans pénalité. De plus, la modification visait le prix, un élément essentiel du contrat qui ne peut être modifié, même en appliquant l’article 11.2 L.p.c., étant donné que le contrat est à durée fixe. Bien que l’article 11.2 L.p.c. prévoit un processus très strict devant être suivi par les commerçants qui désirent modifier les modalités d’un contrat, il semble que cette disposition soit quand même plus flexible que les articles 1373 et 1374 C.c.Q., à tout le moins tel que ces dispositions ont été interprétées par la Cour dans la trilogie. En effet, l’article 11.2 L.p.c. n’exige pas qu’une clause modificatrice prévoit des « indices prédéterminés qui […] permettent d’avoir une idée des modifications éventuelles qui pourraient être apportées » ou des « critères objectifs et des balises ». L’article 11.2 ne pose pas non plus de condition exigeant que « la clause […] permette clairement au consommateur de connaître de façon précise le montant des frais qui lui seront réclamés pour un service donné en cours de contrat ». CONCILIER LE CODE SUR LES SERVICES SANS-FIL DU CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS (LE « CRTC ») ET L’ARTICLE 11.2 L.P.C. Le Code sur les services sans-fil adopté par le CRTC (le « Code ») est entré en vigueur le 2 décembre 2013. Le Code est le fruit d’une série de consultations auprès des différents acteurs du domaine des télécommunications et vise à encadrer les pratiques de ce secteur. Il interdit aux entreprises de télécommunication de modifier unilatéralement les clauses principales d’un contrat de services, mais non ses autres modalités. Rien n’est toutefois précisé en ce qui concerne les modifications d’autres modalités lorsqu’elles affectent le prix. Le Code a été invoqué dans deux recours, mais plus particulièrement par le fournisseur dans l’affaire Martin. Toutefois, les juges ont conclu qu’il ne pouvait s’appliquer aux faits qui leur étaient soumis, ceux-ci étant survenus avant son entrée en vigueur. La juge Paquette a cependant mentionné que les modalités du contrat concernant les services payables à l’usage tels que les frais de messagerie ne faisaient pas partie de la catégorie des modalités principales et qu’ils pourraient donc, en vertu du Code, faire l’objet de modifications au moyen d’une clause unilatérale17. Cette interprétation fera sûrement l’objet de commentaires et réactions. L’interprétation des termes « éléments principaux » et « autres modalités » fera certainement l’objet d’un débat qu’il faudra suivre de près au cours des prochaines années. Les tribunaux apporteront peut-être une réponse à ces questions prochainement puisqu’un recours collectif contre deux autres fournisseurs de services a récemment été autorisé par la Cour supérieure du Québec, cette décision ayant été confirmée par la Cour d’appel du Québec18. LES SANCTIONS Le commerçant qui ne respecte pas l’article 12 de la L.p.c. s’expose aux sanctions énumérées à l’article 272 L.p.c.19 y compris la possibilité pour le consommateur de demander la résiliation du contrat et l’octroi de dommages punitifs. Dans les trois décisions de la trilogie, la Cour a ordonné que les clients soient compensés pour les frais supplémentaires engendrés par la modification de leurs contrats respectifs. Dans Union, la Cour a également accordé des dommages punitifs en faveur d’un des sous-groupes20 puisque le fournisseur n’avait pas averti les nouveaux clients, lors de la conclusion du contrat, de la modification imminente de certains frais alors que la décision de les ajouter avait déjà été prise. De l’avis de la Cour, le fournisseur avait passé sous silence un fait important, contrevenant ainsi à l’article 228 de la L.p.c. Cette violation a à elle seule justifié l’octroi de dommages punitifs de 500 $ par membre du sous-groupe. L’utilisation de ce remède particulier que représente une condamnation à des dommages punitifs démontre une fois de plus que le recours collectif constitue l’un des plus puissants dissuasif de la L.p.c. COMMENTAIRES La trilogie des télécoms rappelle aux commerçants qu’ils doivent divulguer le montant de tous les frais qui seront facturés à leurs clients. Par ailleurs, l’article 11.2 L.p.c. ajoute maintenant à ce principe certaines procédures à suivre lorsque le commerçant veut se prévaloir d’une clause modificatrice. Ces trois décisions ont été portées en appel. Il sera intéressant de voir si la Cour d’appel clarifiera la portée de l’article 11.2 L.p.c. et définira les conditions de sa cohabitation avec l’article 12 L.p.c. On peut aussi se demander si la politique du CRTC peut atténuer la rigueur des dispositions de la L.p.c. et donner aux fournisseurs de services de télécommunications des arguments permettant de centrer le débat non pas sur le prix, mais sur ce qui constitue une modalité accessoire par rapport à un élément principal du contrat. D’autres décisions sont aussi à prévoir en ce qui concerne la modification unilatérale du contrat. Pensons par exemple aux programmes de fidélisation21. En effet, deux recours collectifs alléguant des modifications illégales de tels programmes ont déjà été autorisés22 et une troisième demande d’autorisation a récemment été déposée23. Il est donc à prévoir que les tribunaux préciseront encore davantage, dans une nouvelle trilogie, les droits et obligations des commerçants relativement aux modifications unilatérales de contrat. 1 Une clause de modification unilatérale permet à une partie contractante, en l’espèce le fournisseur de services, d’apporter des changements à un contrat avant son échéance. 2 Laflamme c. Bell Mobilité Inc., 2014 QCCS 525 (2014-02-18), inscription en appel, 2014-03-18 (C.A.) (« Laflamme »); Martin c. Société Telus Communications, 2014 QCCS 1554 (2014-04-08), inscription en appel, 2014-05-08 (C.A.) et Requête en rejet d’appel, 2014-05-28 (C.A.) (« Martin »); Union des consommateurs c. Vidéotron s.e.n.c., 2015 QCCS 3821 (2015-08-21) (« Union »). 3 Il est à noter que la qualification des frais (connexes ou additionnels) n’a pas encore été analysée. 4 RLRQ, c. P-40.1 (« L.p.c. »), articles 11.2 et 12. 5 RLRQ, c. C-1991 (« C.c.Q. »), articles 1373 et 1374. 6 Sous réserves de nuances traitées dans ce bulletin. 7 Les contrats de services contenaient tous des termes du genre « sur préavis d’au moins 30 jours », « moyennant un préavis minimal de 30 jours » ou « après vous avoir donné un préavis de 30 jours ». 8 Laflamme, par. 46. 9 Martin, par. 37. 10 Martin, par. 38. 11 Un des sous-groupes visés par le recours collectif n’était pas composé de consommateurs au sens de la L.p.c. 12 Garderie éducative La Souris Verte inc. c. Chrétien, 2010 QCCS 4843, par. 49, repris dans Laflamme, par. 66. 13 Laflamme, par. 66. 14 La clause se lisait comme suit : « Nous n’augmenterons pas les frais de votre Forfait voix mensuel de base ou les frais de temps d’antenne excédentaire pendant la période d’engagement, pourvu que vous demeuriez admissible, durant toute la période d’engagement, au Forfait et aux services que vous avez choisis. (…) Pendant la durée, nous pourrions hausser d’autres frais (y compris les frais d’accès au réseau), ainsi qu’imposer des frais additionnels, après vous avoir donné un préavis de 30 jours. », Laflamme, par. 33. 15 Les articles 11.2 et 12 L.p.c. s’appliquent à tous les types de contrats de consommation. Nous examinons exclusivement leur application dans le cadre de contrats de services en télécommunication, mais les principes de base demeurent les mêmes peu importe le type de contrat, à l’exception des contrats de crédit variable visés par l’article 129 L.p.c. auxquels les règles de l’article 11.2 L.p.c. ne s’appliquent pas. 16 Martin, par. 59-63. 17 Martin, par. 67. 18 Amram c. Rogers Communications inc. (et Fido Solutions inc.), 2012 QCCS 4453. Appel accueilli à la seule fin de modifier certains paragraphes du jugement de première instance, 2015 QCCA 105. Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2015-09-24). 19 Pour plus d’informations concernant l’application de cet article, nous vous référons à notre bulletin Droit de savoir publié en août 2015 : https://www.lavery.ca/publications/nos-publications/1882-nouveautes-en-droit-de-la-consommation.html. 20 Le sous-groupe était composé des membres qui avaient souscrit au forfait Internet haute vitesse extrême après le 28 juin 2007. 21 La fidélisation est, pour une marque, une entreprise ou une organisation, l’art de créer et de gérer une relation durable personnelle avec chacun de ses clients, notamment en leur attribuant des avantages tels que réductions ou cadeaux lorsqu’ils ont cumulé des points acquis lors d’achats antérieurs. 22 Option consommateurs c. Corporation Shoppers Drug Mart, 2012 QCCS 1078; Neale c. Groupe Aéroplan inc., 2012 QCCS 902. 23 Recours contre la Banque Toronto Dominion déposé le 17 juillet 2015 : https://services.justice.gouv.qc.ca/DGSJ/RRC/DemandeRecours/DemandeRecoursRecherche.aspx.
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Québec – Recours collectif historique contre les cigarettiers : la Cour supérieure octroie des dommages-intérêts de plus de 15 milliards de dollars
Dans un jugement rendu le 27 mai 2015 dans deux recours collectifs1, la Cour supérieure du Québec condamne les trois principales compagnie de tabac canadienne à verser plus de 15 milliards de dollars en dommages moraux et en dommage punitifs. Cette décision fait suite à plus de 253 jours d’audience2 et 16 ans de procédure. LES RECOURS COLLECTIFS En février 2005, le juge Pierre Jasmin a autorisé deux recours collectifs contre les défenderesses JTI-Macdonald (JTM), Imperial Tobacco (ITL) et Rothmans, Benson & Hedges (RBH). Le premier recours collectif a été intenté par Cécilia Létourneau au nom de 918 000 fumeurs dépendants de la cigarette. La somme réclamée s’élevait à 5 000 $ en dommages moraux et 5 000 $ à titre de dommages punitifs par membre du groupe. Le second recours collectif, mieux connu comme le dossier Blais, a été intenté par le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS) au nom de près de 100 000 fumeurs et anciens fumeurs ayant été diagnostiqués avec le cancer du poumon, le cancer de la gorge ou l’emphysème. La somme réclamée s’élevait à 100 000 $ en dommages moraux et 5 000 $ à titre de dommages punitifs par membre du groupe. Les demandeurs avaient renoncé à leur droit de présenter des réclamations individuelles pour dommages-intérêts compensatoires. Les deux recours collectifs, couvrant la période de 1950 à 19983, ont été regroupés en une seule instance. LE JUGEMENT Dans un jugement de 276 pages, le juge Brian Riordan a conclu que les compagnies de tabac connaissaient les dommages causés par le tabagisme, qu’elles avaient caché des renseignements essentiels et qu’elles avaient sciemment fait des déclarations publiques fausses et trompeuses. La Cour a examiné le comportement de chaque défenderesse et a tiré les conclusions suivantes : Les compagnies de tabac ont fabriqué et vendu un produit qui était dangereux et mauvais pour la santé des consommateurs. Les compagnies de tabac connaissaient les risques et dangers associés à l’utilisation de leur produit. Les compagnies de tabac ont minimisé les risques et dangers du tabagisme et ont omis de divulguer des renseignements sur le sujet pendant toute la durée des recours collectifs. À compter de 1962, les compagnies de tabac ont comploté pour empêcher les consommateurs de connaître les risques inhérents à l’utilisation de leurs produits. Les compagnies de tabac ont porté atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à l’intégrité des membres du groupe, faisant intentionnellement passer leurs profits avant la santé des fumeurs. LA FAUTE Les défenderesses ont commis des fautes graves en vertu du Code civil du Québec, de la Loi sur la protection du consommateur et de la Charte des droits et libertés de la personne . La Cour est d’avis que les compagnies de tabac : ont contrevenu à leur obligation générale de ne pas causer de préjudice à autrui4; ont contrevenu à l’obligation d’un fabricant d’informer ses clients des risques et des dangers que comporte l’utilisation de ses produits5; ont porté atteinte de façon illicite à un droit protégé par la Charte québécoise6; se sont livrées à une pratique interdite visée par la Loi sur la protection du consommateur7. L’EXONÉRATION PARTIELLE En droit civil québécois, le fabricant peut être exonéré s’il démontre que le consommateur connaissait ou était en mesure de connaître le défaut de sécurité du bien8. Dans son jugement, le juge Riordan a précisé que dans le cas de produits dangereux pour le bien-être physique des consommateurs, le critère d’évaluation de la connaissance du public est plus « rigoureux » et nécessite l’application de normes plus élevées. Malgré les avertissements figurant sur les paquets de cigarettes depuis 1972, il a été déterminé que de tels énoncés étaient incomplets et insuffisants. La Cour a établi qu’à compter du 1er janvier 1980, les consommateurs connaissaient ou auraient raisonnablement dû connaître les risques de contracter les maladies liées à l’usage du tabac9, et que, à compter du 1er mars 1996, ils connaissaient les risques de dépendance. Par conséquent, les membres qui ont commencé et continué à fumer après ces périodes10 ont commis une faute contributive. La Cour a attribué 80 % de la responsabilité aux compagnies de tabac et 20 % aux membres du recours. LE LIEN DE CAUSALITÉ Les fautes commises par les compagnies de tabac sont l’un des facteurs ayant causé le tabagisme chez les membres du recours. Le juge Riordan a privilégié le critère de la raisonabilité, indiquant que la présence d’autres facteurs externes menant au tabagisme n’a pas eu comme effet d’exonérer les compagnies de tabac de leur responsabilité. Les présomptions de fait ne doivent pas nécessairement éliminer toutes les autres possibilités, dans la mesure où les demandeurs démontrent que les fautes commises ont amené d’une manière logique, directe et immédiate les membres à fumer. Concernant le lien de causalité individuel entre les maladies dont ont souffert les membres et les fautes commises par les défenderesses, le juge Riordan a convenu que la preuve épidémiologique suffisait pour le démontrer. Il a cependant précisé que cette preuve était permise en raison de l’application de l’article 15 de la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac11 qui prévoit que le lien de causalité peut être établi « sur le seul fondement de renseignements statistiques ou d’études épidémiologiques ». LES DOMMAGES-INTÉRÊTS Le tribunal ordonne le recouvrement collectif si la preuve permet d’établir d’une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres12. Pour ce qui est du dossier Létourneau, malgré le fait que la Cour ait jugé que les trois éléments de la responsabilité étaient réunis, elle n’a pas attribué de dommages moraux car la preuve ne permettait pas d’établir d’une façon suffisamment exacte la nature et le degré des dommages entre les membres du groupe. Dans le dossier Blais, la Cour a attribué des dommages moraux solidaires de 6 858 864 000 $13. Les défenderesses étant respectivement responsables à 67 % pour ITL, 20 % pour RBH et 13 % pour JTM. De plus, la Cour a jugé que les trois sociétés s’étaient livrées à un comportement répréhensible qui justifiait l’octroi de dommages-intérêts punitifs en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne et de la Loi sur la protection du consommateur. À la lumière du comportement des parties et de leur capacité respective de payer, le juge a ordonné aux défenderesses de verser la somme de 1,31 milliard de dollars à titre de dommages punitifs14 aux membres des deux groupes. Il faut souligner qu’au Québec, dans les affaires de recouvrement collectif où la liquidation individuelle est ordonnée, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de ne pas remettre le remboursement de la partie non réclamée aux défenderesses. Il dispose du reliquat en tenant compte de l’intérêt des membres15. Le solde est généralement attribué à titre de donation à des organismes à but non lucratif dont les activités sont reliées aux intérêts des membres du groupe. LE DÉPÔT INITIAL Un jugement ordonnant le recouvrement collectif des réclamations enjoint le débiteur soit de déposer la somme établie soit de prendre une mesure réparatrice déterminée, ou d’exécuter les deux16. Afin de garantir l’indemnisation des membres, la Cour a fixé un dépôt initial de 1 milliard de dollars. Le juge a réservé aux demandeurs le droit de solliciter des sommes additionnelles si ce montant devait se révéler insuffisant. L’EXÉCUTION PROVISOIRE NONOBSTANT APPEL Compte tenu de la nature exceptionnelle de cette affaire, la Cour a accueilli la demande par laquelle les demandeurs ont sollicité l’exécution provisoire partielle des dommages attribués. Le juge a souligné que l’affaire avait commencé 17 ans auparavant et qu’un appel pourrait prendre jusqu’à six ans. Considérant que le tabagisme affecte le bien-être physique des membres, le juge Riordan a estimé qu’il était dans l’intérêt de la justice que ceux-ci soient indemnisés dès que possible. Conséquemment, la Cour a ordonné l’exécution provisoire nonobstant appel d’une somme correspondant au dépôt initial à titre de dommages moraux plus les montants attribués en dommages punitifs, pour un total d’environ 1 milliard de dollars. Les défenderesses devront déposer ces sommes en fiducie dans les 60 jours suivant le jugement et le mode de répartition de ces fonds sera déterminé ultérieurement. CONCLUSION Les défenderesses ont déjà annoncé leur intention d’interjeter appel de la décision et de demander à la Cour d’appel de suspendre l’ordonnance d’exécution provisoire. Il faut souligner qu’au moins sept recours collectifs similaires se poursuivent au Canada, de même que dix poursuites judiciaires en recouvrement des coûts de soins de santé. Les sommes réclamées dans bon nombre de ces affaires sont supérieures à la somme accordée par la Cour supérieure du Québec. Il s’agit du premier recours collectif dans lequel les membres du groupe obtiennent des dommages-intérêts dans une affaire impliquant des cigarettiers au Canada. Notons que la certification d’un recours collectif similaire avait été refusée en Ontario en 2004 dans l’affaire Caputo17. Il sera intéressant d’observer l’impact qu’aura le présent jugement sur le dénouement des autres instances actuellement pendantes. SUMMARY TABLES OF DAMAGES AWARDED18 SOCIÉTÉ DOMMAGES-INTÉRÊTS MORAUX BLAIS DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS BLAIS DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS LÉTOURNEAU ITL 670 000 000 $ 30 000 $ 72 500 000 $ RBH 200 000 000 $ 30 000 $ 46 000 000 $ JTM 130 000 000 $ 30 000 $ 12 500 000 $ DOMMAGES-INTÉRÊTS MORAUX RESPONSABILITÉ Les membres du groupe Blais qui ont commencé à fumer avant le 1er janvier 1976 Sociétés – 100 % Les membres du groupe Blais qui ont commencé à fumer à compter du 1er janvier 1976 Sociétés – 80 % / Membres 20 % Les membres du groupe Létourneau qui ont commencé à fumer avant le 1er mars 1992 Sociétés – 100 % Les membres du groupe Létourneau qui ont commencé à fumer à compter du 1er mars 1992 Sociétés – 80 % / Membres 20 % DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS RESPONSABILITÉ La réclamation du groupe Blais accumulée avant le 20 novembre 1995 Prescrite La réclamation du groupe Létourneau accumulée avant le 30 septembre 1995 Sociétés – 100 % La réclamation du groupe Blais accumulée au 20 novembre 1995 Sociétés – 100 % La réclamation du groupe Létourneau accumulée au 30 septembre 1995 Sociétés – 100 % _________________________________________ 1 Létourneau c. JTI-MacDonald Corp. (C.S., 27-05-2015), 2015 QCCS 2382. 2 Le procès a débuté le 12 mars 2012 et s’est terminé le 11 décembre 2014. 3 Date de signification des requêtes pour autorisation. 4 Art. 1457 du Code civil du Québec. 5 Art. 1468 et suivants du CCQ. 6 Art. 1 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne. 7 Art. 219 et 228 de la Loi sur la protection du consommateur. 8 Art. 1473 CCQ. 9 Cancer du poumon et de la gorge ou emphysème. 10 La Cour a estimé qu’il faut environ quatre ans pour devenir dépendant de la cigarette. Par conséquent, les membres du groupe Blais qui ont commencé à fumer après le 1er janvier 1976 et les membres du groupe Létourneau qui ont commencé à fumer après le 1er mars 1992 et qui ont continué de fumer par la suite doivent assumer une partie de la responsabilité. 11 Art. 15 de la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac ch.R-2.2.0.0.1 (Qc) adoptée en 2009. Dans une action prise sur une base collective, la preuve du lien de causalité existant entre des faits qui y sont allégués, notamment entre (...) l’exposition à un produit du tabac et la maladie ou la détérioration générale de l’état de santé (...) peut être établie sur le seul fondement de renseignements statistiques ou tirés d’études épidémiologiques, d’études sociologiques ou de toutes autres études pertinentes, y compris les renseignements obtenus par un échantillonnage (…). 12 Art. 1031 CPC. 13 Une fois que l’on ajoute les intérêts et l’indemnité additionnelle du Code civil, cette somme augmente à 15 500 000 000 $. 14 Le juge a estimé que les circonstances justifiaient que 90 % des dommages-intérêts punitifs totaux soient octroyés aux membres du groupe Blais et 10 % aux membres du groupe Létourneau. Compte tenu du montant attribué pour les dommages-intérêts moraux dans le dossier Blais, la Cour a ordonné à titre symbolique à chaque société de verser des dommages punitifs de 30 000 $, à savoir un dollar pour chaque décès que cette industrie cause au Canada chaque année. 15 Art. 1036 CPC. 16 Art. 1032 CPC. 17 Caputo c. Imperial Tobacco Ltd., 2004 24753 (CS ON). 18 Tableaux 910 et 1113 de la décision.