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  • L’affaire Asphalte Desjardins : la Cour suprême du Canada renverse la décision de la Cour d’appel du Québec

    Le 25 juillet 2014, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc1. Dans cet arrêt, qui renverse la décision de la Cour d’appel du Québec2, la Cour suprême conclut qu’un employeur qui reçoit un délai de congé raisonnable prévu à l’article 2091 du Code civil du Québec3 (« C.c.Q. ») ne peut à son tour mettre fin unilatéralement et immédiatement au contrat de travail à durée indéterminée sans lui-même donner au salarié un délai de congé ou une indemnité qui en tient lieu.Le 19 mars 2013, la majorité des juges de la Cour d’appel du Québec avait renversé le courant jurisprudentiel majoritaire à l’effet que lorsqu’un salarié avisait son employeur de son intention de démissionner, l’employeur pouvait renoncer au préavis donné par le salarié dans la mesure où il compensait ce dernier pour la balance de ce préavis.Nous vous proposons une analyse succincte des décisions rendues par la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada dans cette affaire.La décision de la Cour d’appel du QuébecDans sa décision, la Cour d’appel avait analysé les principes juridiques en litige : la faculté d’une partie au contrat de travail à durée indéterminée de le résilier unilatéralement en donnant un délai de congé (préavis) raisonnable à l’autre partie (article 2091 du C.c.Q.) et l’obligation de l’employeur de donner l’avis de cessation d’emploi minimal prévu à la Loi sur les normes du travail4(« L.n.t. ») avant de mettre fin à l’emploi d’un salarié (article 82 de la L.n.t.). Essentiellement, la majorité des juges de la Cour d’appel conclut que le droit à un préavis raisonnable prévu à l’article 2091 du C.c.Q. bénéficie à la personne qui le reçoit. Cependant, la faculté de donner un préavis ne s’élève pas au rang d’un « droit » qui peut être invoqué contre la partie qui reçoit ce préavis. Par conséquent, dans un cas tel que celui impliquant Asphalte Desjardins inc., celle-ci pouvait, en tant qu’employeur, renoncer entièrement ou en partie au préavis de démission donné par son salarié, sans avoir à lui donner l’avis de cessation d’emploi prévu à l’article 82 de la L.n.t. En réalité, c’est le salarié qui a résilié le contrat et non l’employeur.Notons que dans le cas spécifique de l’affaire Asphalte Desjardins, le salarié, un directeur de projets ayant accès à des renseignements confidentiels de l’entreprise, démissionnait pour aller travailler chez un concurrent. La décision d’Asphalte Desjardins inc. de demander au salarié de quitter immédiatement plutôt qu’à la date de fin d’emploi annoncée s’explique donc notamment par le risque que représente, pour un employeur, le fait de maintenir à son emploi un salarié qui a accès à de l’information sensible tout en sachant pertinemment qu’il sera à l’emploi d’un compétiteur dans quelques semaines.La décision de la Cour suprême du CanadaLa Cour suprême du Canada renverse la décision de la Cour d’appel du Québec et conclut qu’un employeur qui reçoit un délai de congé raisonnable ne peut, à son tour, mettre fin unilatéralement au contrat de travail à durée indéterminée sans lui-même donner un délai de congé ou une indemnité qui en tient lieu qui comprend notamment l’avis de cessation d’emploi prévu à l’article 82 de la L.n.t.La Cour estime que le contrat de travail à durée indéterminée ne prend pas fin au moment où le délai de congé ou le préavis est donné. Au contraire, la relation contractuelle perdure jusqu’à la date de fin d’emploi prévue. Par conséquent, même après que l’une des parties au contrat de travail à durée indéterminée ait donné un délai de congé à son cocontractant, les parties demeurent tenues de respecter les obligations qui leur incombent en vertu du contrat de travail jusqu’à l’expiration de ce délai, ce qui comprend notamment l’obligation, pour celui qui désire mettre fin au contrat d’emploi avant l’expiration du délai de congé donné par l’autre, de donner à son tour un délai de congé raisonnable. Selon la Cour, il n’est pas opportun de traiter la question sous l’angle de la« renonciation » au préavis et une telle approche ne peut avoir pour effet de permettre à une partie de déroger à ses obligations d’une façon qui pourrait être préjudiciable à l’autre.En somme, lorsque l’employeur refuse de laisser le salarié fournir sa prestation de travail et de le rémunérer pendant le délai de congé proposé par le salarié, il se trouve à « mettre fin au contrat » au sens de l’article 82 de la L.n.t. Toutefois, tel ne serait pas le cas si le salarié annonçait une démission sur-le-champ, en offrant néanmoins de rester à l’emploi pendant un certain temps. Dans un tel cas, la Cour précise que, si l’employeur souhaite effectivement que le salarié quitte sur-le-champ, il ne sera pas tenu de donner un délai de congé si les deux parties consentent à une fin d’emploi immédiate, la fin du contrat de travail faisant dès lors l’objet d’une rencontre des volontés. Enfin, la Cour ajoute qu’on ne saurait imposer à l’employeur un délai de congé décidé unilatéralement par un salarié, précision utile dans les cas où un salarié donnerait un préavis de démission déraisonnablement long5.Enfin, la Cour conclut que la Commission des normes du travail peut réclamer, pour le salarié, une indemnité équivalant à trois semaines de salaire, soit la balance du préavis donné par le salarié, ainsi que la somme due à titre de congé annuel.CommentairesNous constatons que le fait que le salarié démissionnaire ait annoncé qu’il irait travailler pour un concurrent d’Asphalte Desjardins inc. ne semble pas avoir été considéré comme un facteur très pertinent dans les motifs de la Cour suprême du Canada. Appelée à trancher une controverse jurisprudentielle, la Cour a choisi d’énoncer des principes d’application générale, fondés sur l’analyse des dispositions de la Loi sur les normes du travail et du Code civil du Québec, et écarte l’analyse de la Cour d’appel. La Cour retient ainsi que les salariés sont des parties« vulnérables6 ». Elle ajoute également que, le salarié n’ayant pas réclamé la pleine indemnité prévue aux articles 82 et 83 de la L.n.t., « il est préférable de laisser pour plus tard » la question de décider si la durée du préavis prévu à l’article 82 de la L.n.t. et l’indemnité équivalente prévue à l’article 83 relèvent de l’ordre public de protection ou de direction7.Du point de vue des employeurs, il peut sembler inéquitable d’avoir à indemniser un salarié qui vient d’annoncer sa démission pour aller travailler chez un concurrent, alors qu’il serait plutôt naturel de refuser au salarié démissionnaire le droit de demeurer en poste avec un accès probable à de l’information sensible. D’un point de vue pratique, le salarié qui démissionne pour travailler chez un concurrent direct ne se trouve-t-il pas ainsi à profiter du délai de congé donné au détriment de l’employeur? Pour un employeur, payer le salaire d’un salarié qui a choisi de joindre la concurrence ajoute très certainement l’insulte à l’injure, surtout dans les cas où, en raison des circonstances, c’est bien davantage l’entreprise qui est « vulnérable »…À tout événement, une décision ultérieure sur le caractère d’ordre public de protection ou de direction des articles 82 et 83 de la L.n.t. sera assurément intéressante et pourrait compléter l’analyse faite par la Cour suprême dans l’affaire Asphalte Desjardins.Lavery suivra l’application de cet arrêt de la Cour suprême et vous informera de toute tendance ou évolution jurisprudentielle significative._________________________________________1 2014 CSC 51 (« Asphalte Desjardins »).2 Asphalte Desjardins inc. c. Commission des normes du travail, 2013 QCCA 484.3 RLRQ c C-1991.4 RLRQ c N-1.1.5 Asphalte Desjardins, par. 44.6 Id., par. 64.7 Id., par. 71.

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  • Droit de refus et retrait préventif : l’arrêt Dionne c. Commission scolaire des Patriotes

    Au Québec, la Loi sur la santé et la sécurité du travail1 (la « LSST ») a pour objet l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs. Récemment, la Cour suprême du Canada a rendu une décision dans l’affaire Dionne c. Commission scolaire des Patriotes2portant sur le droit que confère la LSST à un travailleur3 de refuser d’exécuter un travail s’il a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger4.Cette décision unanime des juges de la Cour suprême du Canada clarifie la portée du droit de la femme enceinte de refuser de travailler dans le contexte particulier d’un statut d’emploi précaire, soit, en l’occurrence, le statut d’enseignante suppléante occasionnelle.LE DROIT DE REFUS ET LE RETRAIT PRÉVENTIF DE LA FEMME ENCEINTE : NOTIONS JURIDIQUESDans le cas plus spécifique de la travailleuse enceinte, la LSST prévoit la possibilité d’un retrait préventif lorsque la travailleuse fournit à son employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour son enfant à naître ou pour elle-même, en raison de son état de grossesse5. Dans un tel cas, la travailleuse enceinte peut demander d’être affectée à d’autres tâches qui ne comportent pas de tels risques et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir. Si l’employeur ne donne pas ou ne peut donner suite à cette demande, la travailleuse peut exercer son droit de refuser de travailler jusqu’à ce qu’elle puisse être affectée à des tâches qui respectent sa condition ou jusqu’à la date de son accouchement6. La travailleuse en retrait préventif est réputée être au travail et conserve tous les avantages liés à l’emploi qu’elle occupait avant son affectation à d’autres tâches ou son retrait du travail7. Elle a aussi droit à sa pleine rémunération pendant les cinq premiers jours ouvrables de son retrait du travail et reçoit, par la suite, 90 % de son salaire net pour les jours où elle aurait normalement travaillé, n’eut été son retrait préventif8. Ces indemnités de remplacement du revenu sont versées à la travailleuse par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la « CSST »).LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS L’ARRÊT DIONNELES FAITSEn 2006, Mme Dionne est une enseignante suppléante inscrite sur la liste des suppléants de la Commission scolaire des Patriotes (la « Commission scolaire»). Une convention collective oblige la Commission scolaire à utiliser les enseignants qui se trouvent sur cette liste lorsqu’elle a besoin de suppléants, lui laissant le choix des enseignants. Mme Dionne a travaillé fréquemment depuis qu’elle est inscrite sur cette liste de rappel, de sorte qu’en 2006, elle a presque travaillé à temps plein. En septembre 2006, elle apprend qu’elle est enceinte. Peu de temps après, son médecin l’informe qu’elle est vulnérable à un virus contagieux qui peut causer du tort au foetus. Parce que ce virus peut se propager par des groupes d’enfants, son médecin remplit deux certificats visant le retrait préventif et la réaffectation, confirmant que son lieu de travail présente un risque pour la santé. Mme Dionne remet ces certificats à la CSST, qui l’informe qu’elle sera admissible à un retrait préventif le jour où elle « sera appelée au travail par [son] employeur pour effectuer un contrat »9. Mme Dionne reçoit plusieurs offres de suppléance de la Commission scolaire en novembre 2006, qu’elle accepte toutes, mais elle n’est jamais affectée à d’autres tâches qui ne présentent pas de risque pour le foetus.La CSST rend une décision déclarant que Mme Dionne a droit à des indemnités de remplacement du revenu liées à son retrait préventif. Cette décision est contestée par la Commission scolaire devant la Commission des lésions professionnelles (la « CLP »), laquelle annule la décision de la CSST10. Dans sa décision, la CLP juge que puisque Mme Dionne ne peut entrer dans l’école en raison des risques pour sa santé, elle était incapable d’effectuer la tâche d’enseignante suppléante et qu’aucun contrat de travail n’a pu être formé. Plus précisément, la CLP juge que l’incapacité de Mme Dionne l’empêchait de fournir la prestation de travail nécessaire à la formation d’un contrat de travail au sens du Code civil du Québec11 (le « C.c.Q. »). Conséquemment, elle ne pouvait être considérée comme un « travailleur » au sens de la LSST ni être admissible à un retrait préventif et aux indemnités qui en découlent. La Cour supérieure confirme la décision de la CLP12. La Cour d’appel fait de même, bien qu’avec une dissidence13.LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME DU CANADASe basant sur les objectifs et le contexte de la LSST, la Cour suprême du Canada accueille le pourvoi. La Cour rappelle que la LSST a pour objet l’élimination à la source même des dangers pour la santé, l’intégrité et la sécurité des travailleurs14. Après avoir passé en revue les principes applicables au droit de refus prévu à la LSST, la Cour précise que le refus d’exécuter un travail dangereux ne doit pas être considéré comme un refus d’exécuter un contrat de travail, mais plutôt comme « l’exercice d’une protection législative15 ». La LSST étant d’ordre public, ce droit de refus est automatiquement incorporé dans tout contrat de travail16. Quant aux femmes enceintes, la LSST les protège de deux façons importantes : elle protège leur santé en remplaçant des tâches dangereuses par des tâches sécuritaires et elle protège leur emploi en leur assurant la sécurité financière et la sécurité d’emploi17.La Cour reconnaît que pour être considéré un « travailleur » au sens de la LSST, il doit exister un « contrat de travail ». Puisque cette notion n’est pas définie à la LSST, la Cour renvoie à la définition de contrat de travail prévue à l’article 2085 du C.c.Q. Dans le cas de Mme Dionne, la présence d’un danger sur le lieu de travail fait-elle obstacle à la formation d’un contrat de travail ? La CLP a jugé que puisque Mme Dionne ne pouvait entrer sur le lieu de travail pour enseigner, l’élément essentiel de la prestation de travail faisait défaut et aucun contrat de travail ne pouvait être formé. Selon la Cour suprême, cette décision est déraisonnable.La notion de « travailleur » contenue à la LSST doit être distinguée de la notion de « contrat de travail » prévue au C.c.Q. Plusieurs indices témoignent de l’intention du législateur de rejoindre, par la LSST, un ensemble de travailleurs plus large que celui qui est visé par le terme « employé » dans le C.c.Q. L’exigence d’une prestation de travail doit être interprétée de manière à donner un sens au droit de refus prévu à la LSST. Selon la Cour, cette exigence sera respectée même si, après la formation du contrat, le travailleur se retire du lieu de travail pour des raisons de santé et de sécurité puisque, dès lors, la LSST présume qu’il est « au travail »18. Par conséquent, lorsque Mme Dionne a accepté l’offre de suppléance de la Commission scolaire, un contrat de travail a été formé et elle est devenue une travailleuse au sens de la LSST. Sa grossesse n’était pas une incapacité qui l’empêchait d’exécuter son travail; c’est plutôt le lieu de travail dangereux qui l’en empêchait, ce qui a rendu applicable son droit de faire remplacer ce travail par un autre sans danger ou de refuser de travailler19. Le refus d’exécuter un travail dangereux n’est pas un refus d’exécuter un contrat de travail; c’est l’exercice d’un droit prévu par la LSST. La décision de la CLP avait pour effet « anormal » de placer certaines femmes dans la position intenable d’avoir à choisir entre la conclusion d’un contrat de travail et la protection de leur santé et de leur sécurité ou de celle de leur foetus.NOS COMMENTAIRESCette décision aura probablement des répercussions importantes sur les travailleurs à statut occasionnel et les employeurs du secteur de l’éducation québécois. L’interprétation large et libérale faite par la Cour suprême du Canada des droits et protections prévus à la LSST a notamment pour effet d’étendre le droit de refus des travailleurs et les indemnités qui y sont associées aux travailleurs occasionnels qui se voient offrir un travail, qu’ils puissent l’exécuter ou non; le travailleur peut l’accepter et ensuite refuser de s’exécuter en invoquant un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique._________________________________________1 RLRQ c. S-2.1 (la « LSST »).2 2014 CSC 33 (« Dionne »).3 À des fins de commodités, sauf dans les cas où il est spécifiquement question de la travailleuse enceinte, nous n’utilisons que le masculin pour désigner le masculin et le féminin.4 LSST, article 12.5 Id., article 40. Voir également le Règlement sur le certificat délivré pour le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite, RLRQ c. S-2.1, r. 3.6 LSST, article 41.7 Id., articles 14 et 43.8 Id., article 36.9 Id., par. 10.10 Commission scolaire des Patriotes et Dionne, 2008 QCCLP 3215.11 RLRQ c. C-1991, article 2085 (« C.c.Q. »).12 Dionne c. Commission des lésions professionnelles, 2010 QCCS 1550.13 Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, 2012 QCCA 609.14 LSST, article 2.15 Dionne, préc., note 2, par. 22, citant Bell Canada c. Québec (CSST), [1988] 1 R.C.S. 749, p. 801.16 LSST, article 4.17 Dionne, préc., note 2, par. 30.18 Id., par. 38.19 Id., par. 43.

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  • L’affaire Wal-Mart : la Cour suprême du Canada confirme que la mise à pied collective des employés de l’établissement de Jonquière constituait une modification illégale de leurs conditions de travail au sens de l’article 59 du Code du travail

    LES FAITSLa Compagnie Wal-Mart du Canada (ci-après « Wal-Mart ») a ouvert un établissement à Jonquière au cours de l’année 2001. Après que les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 (ci-après le « syndicat ») aient été accrédités en 2004 pour représenter les employés, des pourparlers de négociation pour la conclusion d’une première convention collective ont été engagés. Comme ces pourparlers s’avéraient sans issue, le syndicat a décidé de faire appel au ministre du Travail afin que ce dernier nomme un arbitre de différend pour déterminer le contenu de la première convention collective. Peu de temps après, Wal-Mart a annoncé qu’elle fermait son établissement de Jonquière, ce qu’elle fit de manière définitive le 29 avril 2005.Plusieurs recours ont été intentés par les employés et le syndicat afin de contester cette fermeture, dont un grief en vertu de l’article 59 du Code du travail2 (ci-après le « Code »). Cet article prévoit notamment que l’employeur ne peut modifier les conditions de travail de ses employés pendant la période comprise entre le dépôt d’une requête en accréditation et la conclusion d’une convention collective ou l’exercice du droit de grève ou de lockout. Bref, cet article vise à protéger la période de négociation en imposant un gel relatif des conditions de travail des employés. Il oblige aussi l’employeur à agir suivant la règle du « cours normal des affaires ».L’arbitre chargé de trancher le grief s’est dans un premier temps déclaré sans compétence pour se saisir du litige, étant d’avis que, pour l’essentiel, le grief portait sur des contraventions alléguées aux articles 12 à 14 du Code au sujet desquelles seule la Commission des relations du travail pouvait se prononcer3. Cette décision préliminaire est toutefois cassée en révision judiciaire4. La Cour supérieure est d’avis que l’arbitre n’aurait pas dû se fier de manière aussi stricte au libellé du grief pour conclure à son absence de compétence. Il aurait plutôt dû en dégager l’objet véritable, lequel repose assurément sur l’article 59 du Code. La Cour supérieure a donc renvoyé le dossier à l’arbitre.Saisi alors du fond du litige, l’arbitre est d’avis qu’il fallait se demander si les mises à pied des employés – et non la fermeture définitive de l’établissement – avaient modifié illégalement leurs conditions de travail5. Comme il a conclu que tel était le cas, l’arbitre devait donc vérifier si Wal-Mart avait effectué ces modifications dans le cours normal de ses affaires. Il estime que l’article 59 du Code ne pouvait s’appliquer puisqu’un employeur peut « décider de fermer boutique pour quelque raison que ce soit »6. Selon lui, Wal-Mart n’a pas justifié la fermeture de son établissement autrement qu’en affirmant que celle-ci relevait d’une décision d’affaires. L’arbitre considère que cette explication de Wal-Mart était insuffisante, étant d’avis que les raisons ayant mené à cette décision d’affaires auraient dû être expliquées davantage pour permettre de déterminer si elles s’inséraient dans le cours normal de ses affaires. Il accueille le grief et cette décision fut confirmée par la Cour supérieure en révision judiciaire7.La Cour d’appel fut toutefois d’un autre avis et juge qu’il aurait fallu rejeter le grief du syndicat8. Pour la majorité, la fermeture de l’établissement ne constituait pas une modification des conditions de travail en tant que telle, mais plutôt une suppression de travail, notion allant bien au-delà de celle de condition de travail. De plus, comme l’établissement avait fermé ses portes, il n’était pas possible de replacer les employés dans la situation où ils étaient avant la modification de leurs conditions de travail alléguée. Dans des motifs concordants, le juge Léger affirme qu’il était incohérent et contradictoire de reconnaître le droit pour un employeur de fermer son entreprise pour des raisons qui lui sont propres tout en considérant que le maintien en emploi des employés dans une telle situation constitue une condition de travail. Un tel raisonnement accorderait ainsi aux employés un avantage dont ils ne bénéficiaient pas avant le dépôt de la requête en accréditation, effet que ne peut emporter l’application de l’article 59 du Code. Autrement, un employeur pourrait fermer son entreprise sans justification avant et après la période d’application de cette disposition, mais il ne le pourrait pas durant celle-ci.LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME DU CANADAPour l’essentiel, les juges majoritaires de la Cour suprême – le juge Lebel étant le principal rédacteur – reprennent le discours de l’arbitre et affirment que la décision et le raisonnement de ce dernier ne sont pas déraisonnables et que, dans les circonstances, la Cour d’appel n’aurait pas dû intervenir.Le juge Lebel est d’avis que l’article 59 du Code ne vise pas uniquement le maintien de l’équilibre entre les parties durant sa période d’application; il doit aussi favoriser la mise en oeuvre du droit d’association et la négociation de la convention collective. Le moyen principal dont dispose l’employeur pour influencer ses employés – son pouvoir de gestion – se trouve donc limité par cette disposition.Dans un second temps, le juge Lebel affirme que le maintien du lien d’emploi constitue une condition de travail et que cette condition est intégrée implicitement à tout contrat de travail. Partant, tant que n’intervient pas une cause légitime d’extinction des obligations, c’est le propre d’un contrat que d’obliger les parties à exécuter ses prestations. Associé au fait que les salariés sont en général dépendants de leur emploi, il est permis de croire, selon la Cour, que ces salariés peuvent s’attendre à ce que leur employeur ne remette pas leur emploi en cause, sauf dans la mesure et les circonstances prévues par la loi. Transposé aux modalités d’application de l’article 59 du Code, ce postulat signifie que, durant la période prévue par cette disposition, l’employeur doit démontrer qu’il aurait pris la même décision – soit celle de fermer son établissement – en l’absence d’une requête en accréditation. Pour parvenir à cette conclusion, la décision de l’employeur devra satisfaire à l’un des critères suivants : (1) être cohérente avec ses pratiques antérieures de gestion, ou (2) être conforme à la décision qu’un employeur raisonnable aurait prise dans les mêmes circonstances. Ce cadre de contrôle particulier exige donc de Wal-Mart qu’elle justifie les raisons d’affaires derrière la fermeture de son établissement; le droit de fermer boutique pour quelque raison que ce soit n’est pas suffisant. Par conséquent, en l’absence d’une justification appropriée, il était raisonnable pour l’arbitre de conclure que la mise à pied collective des employés de l’établissement de Jonquière était illégale au sens de l’article 59 du Code.Quant aux remèdes possibles, étant donné que l’article 59 ne limite pas expressément le pouvoir de l’arbitre à la seule réintégration du salarié lésé comme c’est le cas d’autres dispositions du Code – ce qui ne serait par ailleurs pas réalisable dans les circonstances - l’arbitre a le pouvoir d’octroyer des dommagesintérêts en réparation des modifications illégales aux conditions de travail des employés.UNE DISSIDENCE INTÉRESSANTEPour les juges dissidents, le raisonnement de la majorité ne conduit à rien de moins que des résultats absurdes, tant en ce qui a trait à l’applicabilité de l’article 59 en situation de fermeture définitive d’entreprise qu’en ce qui a trait aux remèdes offerts.Pour ces juges, l’article 59 du Code ne s’applique tout simplement pas en cas de fermeture d’entreprise. Premièrement, l’application de cette disposition obligerait l’employeur à justifier sa décision de fermer boutique, ce qui est par ailleurs incompatible avec le droit que ce dernier a de cesser ses activités pour quelque raison que ce soit. La seule exigence qui s’impose dans un tel cas est que la fermeture doit être réelle et définitive. Deuxièmement, une fermeture d’entreprise, par définition, ne peut pas être conforme aux pratiques antérieures de gestion d’une entreprise : on ne ferme qu’une fois. Troisièmement, l’application de l’article 59 aux situations de fermeture entraîne une conséquence résolument absurde : un employeur serait tenu de justifier la fermeture de son entreprise uniquement lors de la période d’application de cette disposition alors que dès la conclusion d’une convention collective, par exemple, il pourrait la fermer selon son bon vouloir. Finalement, l’application de l’article 59 présuppose l’existence d’une entreprise active. Cet article vise à faciliter la conclusion d’une convention collective dans le cadre d’une relation d’emploi existante, et non à maintenir la relation d’emploi elle-même, tout comme une convention collective, une grève ou un lockout ne peuvent survenir que dans le cadre d’une entreprise active.Quant aux remèdes, les juges dissidents affirment que ceux-ci doivent être modelés de manière à rétablir la situation antérieure à un éventuel manquement à l’article 59. Pour cette raison, et puisqu’un arbitre ne pourrait forcer la réouverture d’une entreprise fermée, l’octroi de dommages-intérêts est incompatible avec l’objet de l’article 59, soit le maintien de l’équilibre employeur-salariés durant la période de négociation d’une convention collective. Par ailleurs, les employés de l’établissement de Jonquière ayant tous déjà été indemnisés par Wal-Mart pour la perte de leur emploi, il n’existerait plus aucun préjudice indemnisable relié à la cessation de leur emploi.CONCLUSIONPar cet arrêt, la Cour suprême limite le droit qu’a tout employeur de fermer boutique pour quelque raison que ce soit durant la période d’application de l’article 59 du Code, soit entre le dépôt d’une requête en accréditation et la conclusion d’une convention collective ou le recours à l’exercice du droit de grève ou de lockout. Un employeur qui désire cesser ses activités durant cette période devra désormais justifier sa décision et démontrer qu’elle s’inscrit dans le cours normal de ses affaires ou qu’elle est raisonnable.La question des dommages-intérêts qui seront ou ne seront pas accordés aux ex-employés de Wal-Mart de l’établissement de Jonquière reste toujours à être réglée. Nous vous tiendrons au courant de la suite des événements.Cet arrêt pourrait être marquant et modifier le droit de l’emploi québécois : bien qu’elle ne reconnaît pas le droit au travail comme un droit fondamental – ce qu’elle a toujours refusé de faire – la Cour suprême reconnaît tout de même un droit implicite au travail, du moins, dès qu’une demande d’accréditation est accordée.________________________________1 Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2014 CSC 45.2 RLRQ c C-27.3 Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, [2006] R.J.D.T. 1665 (T.A.).4 Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Ménard, 2007 QCCS 5704 (C.S.).5 [2009] R.J.D.T. 1439 (T.A.).6 A.I.E.S.T., local de scène no 56 c. Société de la Place des Arts de Montréal, 2004 CSC 2, par. 31.7 Compagnie Wal-Mart du Canada c. Ménard, 2010 QCCS 4743 (C.S.).8 Compagnie Wal-Mart du Canada c. Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503, 2012 QCCA 903 (C.A.).

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  • Avis aux employeurs de juridiction fédérale : des modifications au Code canadien du travail entreront en vigueur le 31 octobre 2014

    Le 12 décembre 2013, la loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d’autres mesures1 (le « projet de loi C-4 ») a été sanctionnée. Le projet de loi C-4 comprend plus de trois cent pages et propose bon nombre de modifications législatives visant le Code canadien du travail2 (le « C.C.T. »). Le 18 juin 2014, la date d’entrée en vigueur de ces modifications a été fixée au 31 octobre 20143. Selon un document d'information publié par le gouvernement du Canada, les modifications visant la partie II du C.C.T., intitulée « Santé et sécurité au travail », s'inscrivent dans le contexte suivant :« Il a été déterminé, même après les appels, que dans plus de 80 % des refus de travailler au cours des 10 dernières années – de 2003 à 2013 – il n’y avait pas de situation de danger. La modification proposée visant à rendre la définition de « danger » plus précise permettra aux employés et aux employeurs de mieux gérer les questions de santé et de sécurité au travail dans le cadre du système de responsabilité interne4. »À cette fin, les modifications apportées par le Projet de loi C-4 concernent, notamment, la modification de la définition de « danger », l’abolition des « agents de santé et de sécurité » ainsi que la modification du processus applicable aux enquêtes reliées au droit de refus (article 128 du C.C.T.) ou à une plainte formulée en vertu de l’article 127.1 du C.C.T. (employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention à la Partie II du C.C.T. ou dont est susceptible de résulter un accident ou une maladie lié à l’occupation d’un emploi).Bien avant qu’il ne soit adopté, plusieurs associations de salariés ont réagi au Projet de loi C-4, alléguant notamment qu’il portait atteinte aux droits des travailleurs et des travailleuses en matière de santé et de sécurité au travail et allant même jusqu’à dire que les modifications proposées pouvaient entraîner un accroissement des risques d’accidents et de blessures.Présentement, le C.C.T., à son article 122, définit la notion de « danger » comme suit :« « danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur. »Il est intéressant de noter que cette définition de danger fait suite à des modifications apportées à la Partie II du C.C.T. et entrées en vigueur en septembre 20005. Lors de cette modification législative, la notion de « danger » avait été modifiée pour inclure les dangers potentiels ainsi que les conditions ou activités, courantes ou futures, qui pouvaient raisonnablement causer une blessure ou une maladie. Ces modifications avaient été apportées pour « améliorer » la définition précédente du terme « danger », laquelle avait été « jugée comme trop limitative pour protéger la santé et la sécurité des employés6» :« Selon la jurisprudence basée sur l’ancienne notion de danger, celui-ci devait être présent et immédiat au moment de l’enquête de l’agent de santé et sécurité. La nouvelle définition élargit cette notion pour tenir compte des risques, situations ou tâches éventuels.7»Or, il est intéressant de constater que les modifications apportées par le Projet de loi C-4 semblent rétablir une notion de « danger » qui ressemble davantage à celle qui prévalait avant la modification législative de l’an 2000. En effet, la nouvelle définition de « danger » à l’article 122 du C.C.T prévue par le Projet de loi C-4 se lit désormais comme suit :« danger » « Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.8 »Dès lors, le danger devra être vraisemblable plutôt qu’« existant ou éventuel », en plus de « présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée », par opposition à « susceptible de causer des blessures ou de la rendre malade ». Il est donc possible que l’entrée en vigueur du Projet de loi C-4 modifie l’interprétation jurisprudentielle de la notion de « danger » qui s’est développée au cours des dix dernières années.Le mot « danger » se retrouvant également à l’art. 128 du C.C.T. relatif au droit d’un employé de refuser d’effectuer un travail qu’il considère dangereux, l’interprétation de cette disposition devra aussi se faire à la lumière du nouveau concept de « menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée » dès l’entrée en vigueur du Projet de loi C-4. Le fardeau des employés qui souhaitent invoquer un droit de refus sera donc modifié, car l’exercice de leur droit sera tributaire de la présence d’une situation pouvant « vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse » pour leur vie ou pour leur santé, par opposition à la possibilité raisonnable et objective qu’un risque se matérialise9.D’autre part, le Projet de loi C-4 supprime la notion « d’agent de santé et de sécurité »10. Or, à l’heure actuelle, la partie II du C.C.T. énonce la procédure à suivre lorsqu’une plainte en matière de santé et sécurité au travail est déposée11. Ces plaintes sont, à une certaine étape, renvoyées aux agents de santé et de sécurité au travail pour enquête. La disparition de cette fonction dans la loi ainsi que les autres modifications contenues au Projet de loi C-4 auront pour effet de modifier le processus d’enquête relié à ces plaintes. Dorénavant, il sera question d’une enquête interne entre l’employeur et l’employé et si l’enquête interne ne permet pas de régler la plainte, celle-ci sera renvoyée au ministre du Travail directement12.L’ampleur de l’impact de la suppression des agents de santé et de sécurité reste encore, selon nous, à évaluer. Cependant, le Décret fixant au 31 octobre 2014 la date d’entrée en vigueur de la section 5 de la partie 3 de la loi13, sous la section « Répercussions », mentionne que :« […] [C]es modifications renforceront le système de responsabilité interne afin d’améliorer la protection des travailleurs du Canada et de permettre au Programme du travail de mieux se concentrer sur les enjeux critiques qui touchent la santé et la sécurité des Canadiens au travail. Ces modifications permettront également d’améliorer la qualité et la cohérence des décisions prises par le Programme du travail […]. »Il est également question d’accorder au Programme du travail un pouvoir discrétionnaire et une souplesse accrue afin de lui permettre d’exercer ses fonctions avec une « efficacité optimale ». Enfin, il y est précisé que « le ministre sera autorisé à refuser d’enquêter sur les refus de travailler qui relèvent davantage d’une autre loi ou qu’il juge frivoles, vexatoires, sans objet ou de mauvaise foi. »Lavery suivra l’évolution de la mise en oeuvre des changements apportés par le Projet de loi C-4 après son entrée en vigueur le 31 octobre 2014 ainsi que l’incidence de ces changements à court, moyen et long terme et vous informera de toute tendance significative._________________________________________1 LC 2013, c.-40.2 LRC 1985, c. L-2.3 Décret fixant au 31 octobre 2014 la date d’entrée en vigueur de la section 5 de la partie 3 de la loi, C.P. 2014-13, TR/2014-52 (Gaz. Can. II).4 Gouvernement du Canada, ministère des Finances du Canada, « Projet de loi C-4 », Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, Partie 3 - Diverses mesures : Partie 5 : Code canadien du travail, en ligne : <http://www.fin.gc.ca/pub/c4/7-fra.asp > (site consulté le 15 juin 2014).5 Loi modifiant la partie II du Code canadien du travail, apportant des modifications matérielles à la partie I du Code canadien du travail et modifiant d’autres lois en conséquence, LC 2000, c.-20.6 Welbourne et Canadian Pacific Limitée (22 mars 2001), Décision no 01-008, par. 17.7 Id.8 Projet de loi C-4, article 176 (2).9 Laroche et Procureur général du Canada, 2013 CF 797, par. 60.10 Projet de loi C-4, article 176 (1).11 Voir notamment les articles 127.1 (8) et 129 du C.C.T.12 Projet de loi C-4, articles 179 et suivants.13 Préc., note 3, page 1758.

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  • Manquements graves à l’obligation de loyauté d’une employée des ressources humaines – Congédiement maintenu par la CRT

    La Commission des relations du travail, tant en première instance qu’en révision, a rejeté les plaintes contestant le congédiement d’une employée, malgré l’absence de mesures disciplinaires préalables.La plaignante, embauchée en avril 2001, agissait à titre de technicienne en administration pour le service des ressources humaines de son employeur, un CHSLD. En 2004, la plaignante convoite un poste d’agente en gestion du personnel. Ce poste ne lui fut pas offert lors d’une première vacance en raison du fait qu’elle ne possédait pas les qualifications requises pour l’emploi. Après l’obtention de sa maîtrise en 2007, la plaignante reprend ses démarches afin qu’un tel poste lui soit attribué. Le poste étant alors comblé, sa demande de reclassement lui est de nouveau refusée.Ce refus déclenche chez la plaignante une série d’actes et de comportements qui créeront une ambiance de travail malsaine au sein du service des ressources humaines. La plaignante affirme se sentir surveillée indûment par sa supérieure alors que cette dernière déclare n’agir qu’en raison de plaintes formulées à son endroit suite à des comportements inconvenants auprès des employés. Cette enquête mènera ultimement au congédiement de l’employée; celle-ci dépose alors une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après la « LNT »).Entre-temps, cependant, la plaignante avait commencé à enregistrer des conversations qu’elle tenait avec ses supérieurs. L’employeur ne sera mis au courant de ces enregistrements que lors de l’audition devant la Commission des relations du travail (ci-après la « CRT »). Elle avait aussi déposé à l’endroit de l’une de ses collègues une plainte pour harcèlement psychologique en vertu de la LNT; cette plainte fut toutefois retirée avant son instruction.La CRT a rejeté la plainte déposée à l’encontre du congédiement, notamment pour les raisons suivantes : Les enregistrements clandestins faits par la plaignante sans raison valable ont rompu le lien de confiance avec son employeur et constituent un manquement grave à son obligation de loyauté. La plainte pour harcèlement psychologique était sans fondement et en accusant à tort ses gestionnaires d’un tel comportement, la plaignante a aussi fait preuve d’un grave manquement à son obligation de loyauté.Insatisfaite de cette décision, la plaignante la porte en révision devant l’instance de révision administrative de la CRT.LA DÉCISION EN RÉVISION ADMINISTRATIVE DE LA CRTD’une part, lors de la révision administrative, la CRT confirme que le dépôt par la plaignante d’une plainte pour harcèlement psychologique à l’encontre de collègues alors qu’elle la savait sans fondement constitue un manquement grave à son obligation de loyauté. Il s’agit ici d’un cas clair d’exercice abusif du droit de porter plainte. La CRT rejette les prétentions de la plaignante à l’effet que sa plainte devait forcément être bien fondée puisque la Commission des normes du travail l’avait étudiée et avait accepté de la déférer à la CRT pour instruction au motif qu’on ne pouvait rien inférer de ce simple fait.D’autre part, la CRT est également en accord avec le tribunal de première instance sur la qualification juridique des gestes d’enregistrement de plusieurs conversations que la plaignante a eues avec ses supérieurs. Dans un premier temps, même si l’employeur n’avait pas tenu compte de ce fait en congédiant la plaignante puisqu’il ignorait l’existence même de ces enregistrements jusqu’à l’audition en première instance, la CRT est d’avis qu’il s’agit d’une preuve de faits postérieurs qui était admissible en l’espèce.En effet, cette preuve permet de confirmer le bien-fondé des conclusions de l’employeur quant à la mauvaise foi et la déloyauté de la plaignante comme fondement du congédiement et il n’était pas déraisonnable pour le tribunal d’en tenir compte. En agissant de la sorte, sans raison valable et dans le seul but d’étayer après coup ses allégations de harcèlement, la plaignante a brisé le lien de confiance nécessaire à toute relation de travail, ce qui constitue encore ici un manquement grave à son obligation de loyauté.Finalement, la CRT confirme le raisonnement en première instance quant à la non-application du principe de la progression des sanctions. Elle rappelle que ce principe peut ne pas s’appliquer en cas de faute grave – tel un manquement à l’obligation de loyauté – ou encore en cas de comportement irréversible de la part d’un employé. Jugeant que le comportement de la plaignante répondait à ces deux critères, son employeur était donc bien fondé de la congédier malgré un dossier disciplinaire vierge.Cette décision fait présentement l’objet d’un recours en révision judiciaire devant la Cour supérieure.

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  • Les salariés et le coût de la justice : La Cour d’appel du Québec déclare que le recours en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail est recevable malgré l’existence d’une procédure d’arbitrage interne

    LES FAITSLa plaignante, une salariée non syndiquée, avait été embauchée par l’Université McGill (ci-après l’« Université ») en 1987 et y agissait à titre de membre du personnel administratif. Après avoir occupé le poste d’adjointe administrative depuis 1994, elle fut congédiée par l’Université le 30 juin 2009 pour fraude. Le personnel administratif de l’Université est assujetti à une Politique de résolution des litiges (ci-après la « Politique »), laquelle encadre leurs conditions de travail. Cette Politique, adoptée unilatéralement par l’Université, prévoit notamment qu’elle fait partie du contrat de travail de tous les salariés visés. Elle prévoit aussi un mécanisme de résolution des litiges, dont le renvoi de la plainte à l’arbitrage constitue la dernière étape. Quant à cet arbitrage, il y est stipulé que les frais qu’il engendre doivent être assumés à parts égales entre l’employé et l’Université.À la suite de son congédiement, la plaignante a entrepris ce processus de résolution des litiges. Elle en franchit toutes les étapes jusqu’à demander le renvoi de sa plainte à l’arbitrage. La trace de ce qui est advenu de cette demande d’arbitrage a par la suite été perdue, mais, étant donné ce qui suit, tout porte à croire que celle-ci est devenue sans objet.Parallèlement à ces démarches, la plaignante a aussi déposé une plainte à la Commission des normes du travail en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après la « LNT ») pour contester le même congédiement.Lors de l’audience devant la Commission des relations du travail (ci-après la « CRT »), l’Université s’est opposée à la compétence de ce tribunal administratif en invoquant que la plaignante disposait, en vertu de sa Politique, d’une autre procédure de réparation au sens de l’article 124 LNT. La CRT a rejeté cette objection préliminaire et a conclu, d’une part, que la Politique faisait effectivement partie du contrat de travail de la plaignante et que, d’autre part, le recours prévu à la Politique n’était pas équivalent à celui de l’article 124 LNT puisque la plaignante devait en assumer la moitié des frais, contrairement au recours « gratuit » prévu à l’article 124 LNT. La plaignante pouvait donc se prévaloir du recours prévu par la loi.En révision judiciaire, la Cour supérieure du Québec s’est déclarée en accord avec les conclusions de la CRT et a rejeté le recours de l’Université. Insatisfaite de cette décision, l’Université a porté celle-ci en appel.LA DÉCISION DE LA COUR D’APPELLa Cour d’appel indique tout d’abord que la seule connaissance de la Politique par la plaignante n’a pas pour effet de l’incorporer automatiquement à son contrat de travail. Cependant, la Cour d’appel est d’avis que la CRT a rendu une décision raisonnable en concluant que la plaignante, en se prévalant du mécanisme d’arbitrage de la Politique, avait implicitement admis que cette dernière faisait partie de son contrat de travail.Quant à l’équivalence des recours, la Cour d’appel affirme que la CRT a correctement déterminé que, en fonction de l’intention du législateur, le mécanisme prévu à la Politique n’était pas une procédure de réparation équivalente à celle de l’article 124 LNT en raison des frais qu’il engendre pour la plaignante. En effet, les débats parlementaires portant sur les modifications de 1990 aux articles 124 et 126.1 LNT – dont le recours à l’époque s’effectuait auprès d’un arbitre – faisaient état de la nécessité de prévoir un recours sans frais, car ceux-ci pouvaient représenter un handicap sérieux pour la personne qui voulait faire valoir ses droits, particulièrement celle qui travaillait au salaire minimum. C’est une des raisons pour lesquelles ces modifications législatives (et les autres qui ont suivi) ont transféré la compétence du recours prévu à l’article 124 LNT au commissaire du travail (maintenant la CRT), entraînant notamment les conséquences suivantes : Le salarié n’a pas à supporter les frais du décideur Le salarié a la possibilité d’être représenté sans frais par la Commission des normes du travail Selon la Cour d’appel, la CRT s’est assurée, par sa décision, de l’efficacité du recours de l’article 124 LNT et a ainsi tenu compte de la vulnérabilité du salarié qui, lorsque congédié, ne peut profiter de l’aide d’un syndicat (ou autre association) pour le représenter et assumer les frais d’arbitrage; un recours qui n’est pas accessible n’est pas un recours efficace. Cette approche s’inscrit par ailleurs dans un contexte où l’accès à la justice constitue une préoccupation actuelle importante.Une politique d’arbitrage est donc valide, mais la question de la compétence concurrente de la CRT en vertu de l’article 124 LNT pourrait se poser à nouveau si une telle procédure d’arbitrage n’imposait aucuns frais au salarié.Ce jugement de la Cour d’appel peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2014/2014qcca458/2014qcca458.html_________________________________________1 Université McGill c. Ong, 2014 QCCA 458.

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  • Lourd fardeau pour l’employeur en matière de mitigation des dommages pour salaire perdu : À la suite d’un congédiement, un salarié qui ne fait aucun effort pour mitiger ses dommages pourrait quand même avoir droit à une indemnisation

    La Cour d’appel s’est récemment penchée sur l’étendue du devoir du salarié de mitiger ses dommages pour salaire perdu en vertu du paragraphe 2 de l’article 128 de la Loi sur les normes du travail (« LNT »).1Dans cette affaire, la Cour d’appel accueille en partie l’appel du salarié d’une décision de la Cour supérieure ayant rejeté sa demande de révision judiciaire à l’encontre de deux décisions de la Commission des relations du travail (« CRT »). Dans l’une de ces décisions, la CRT avait notamment refusé d’accorder une indemnité au salarié en vertu de l’article 128 (2) LNT, parce qu’elle considérait que le salarié avait manqué à son obligation de mitiger ses dommages en omettant de se chercher un emploi.Bien qu’elle reconnaisse comme raisonnable l’interprétation généralement donnée par la CRT au paragraphe 2 de l’article 128 LNT, qui incorpore implicitement une obligation de mitigation, la Cour d’appel estime qu’en l’espèce l’application de cette règle par la CRT était déraisonnable.La Cour d’appel rappelle que la mitigation des dommages est une obligation de moyen dont le test est objectif : il faut examiner la conduite qu’aurait empruntée une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Ainsi, contrairement à la croyance populaire, le salarié congédié n’a pas une obligation de prendre tous les moyens que l’on puisse imaginer pour réduire au minimum ses dommages. Il doit plutôt y consacrer des « efforts raisonnables ».La Cour d’appel énonce également que pour tenir compte de l’absence de mitigation, celle-ci doit avoir causé l’aggravation du préjudice subi et ce, conformément à l’article 1479 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Pour illustrer ce principe, elle note qu’il existe des situations où, en toute probabilité, les efforts de mitigation n’auraient rien donné. Enfin, elle rappelle que c’est l’employeur qui a le fardeau d’établir que le salarié a manqué à son obligation de mitigation et l’aggravation du préjudice qui en découle.Appliquant ces principes, la Cour d’appel décide que pour la période durant laquelle le plaignant avait été reconnu apte à travailler par la Commission de la santé et de la sécurité du travail alors que son employeur refusait de le réintégrer (période d’une année au cours de laquelle il a reçu des prestations en vertu de l’article 48 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles), tout effort du salarié en vue de mitiger ses dommages aurait été vain. Selon toute probabilité, il n’aurait pas réussi à se trouver un emploi comparable en raison de ses recours contre l’employeur et de son absence-maladie de trois ans pour cause de dépression. En l’absence d’une preuve prépondérante d’aggravation du préjudice, on ne saurait donc faire un reproche au salarié à cet égard.Quant à la période qui suit, période au début de laquelle la CRT a accueilli sa plainte et annulé son congédiement sans toutefois ordonner sa réintégration, la Cour d’appel estime qu’on ne peut reprocher au salarié de n’avoir entrepris aucune recherche d’emploi dans l’attente du second jugement de la CRT ordonnant sa réintégration. La Cour énonce qu’« il reste que de contraindre l’appelant à chercher entre-temps un emploi, alors qu’il sera vraisemblablement réintégré sous peu, le place dans une situation fort malaisée à l’endroit d’employeurs potentiels et donne à l’obligation de mitigation un caractère bien artificiel. » par. [131].Cette décision qui propose une approche contextuelle recadre l’obligation de mitiger les dommages en matière d’indemnisation pour perte de salaire selon l’article 128 (2) LNT en tenant compte des faits de chaque espèce. Elle ne saurait toutefois s’appliquer aux recours intentés en vertu du droit commun, lequel ne reconnaît pas le droit à la réintégration._________________________________________1 Carrier c. Mittal Canada Inc., 2014 QCCA 679, 4 avril 2014.

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  • Fieldturf Tarkett Inc. c. Gilman(1): La Cour d’appel maintient le paiement de primes liées à des « actions fictives » lorsqu’il est mis fin à l’emploi sans motif valable

    LES FAITSLe 22 janvier 2014, la Cour d’appel du Québec a confirmé la décision rendue en 2012 par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Gilman c. Fieldturf Tarkett Inc.2 La question en litige était de savoir si le paiement de primes liées à des « actions fictives » devait être effectué au profit de certains employés que la société avait congédiés.Le régime d’intéressement en cause dans cette affaire avait été mis sur pied à l’intention de certains employés clés qui n’étaient pas actionnaires de la société. Aux termes de ce régime, des montants précis étaient versés à un fonds de primes spéciales lors de la vente de certaines actions de la société conformément aux dispositions d’une convention de coentreprise et, par la suite, d’une convention d’achat d’actions. Plus précisément, le régime prévoyait la conversion de contributions en capital additionnelles en un certain nombre d’actions fictives de la société. Lorsque les actions véritables de la société étaient achetées, un montant était alors versé au fonds de primes spéciales, ce montant correspondant à la valeur des actions fictives à ce moment. Le régime d’intéressement stipulait également que le chef de la direction de la société, John Gilman, pouvait à son gré décider quels employés clés recevraient les paiements de primes liées aux actions fictives (ci-après désignés les « paiements ») et combien chacun recevrait.Les cinq demandeurs étaient les principaux bénéficiaires de ce régime d’intéressement. Ils avaient reçu ensemble environ 60 % du paiement total versé en septembre 2005 et environ 66 % de celui versé en mars 2007. Malheureusement, John Gilman est décédé subitement en juillet 2007 alors qu’une dernière tranche restait à verser.En septembre 2008, à la suite d’une restructuration interne de la société, quatre des cinq demandeurs sont congédiés sans motif valable et aucun d’entre eux n’a reçu le paiement final. Ce paiement final a été effectué en février 2009 à tous les employés de la société malgré le fait que, conformément au régime d’intéressement, seuls les employés clés à l’emploi de la société le 31 décembre 2008 étaient admissibles à le recevoir.Bien que la société ait accepté que ces quatre personnes aient droit à un préavis de cessation d’emploi de plusieurs mois se terminant en 2009, le nouveau chef de la direction a refusé de leur verser le paiement final.Quant au cinquième demandeur, il a refusé les nouvelles conditions d’emploi qui lui étaient proposées par la société et il a démissionné en janvier 2009. Il n’a pas reçu lui non plus le paiement final.Les cinq demandeurs ont intenté un recours contre la société, prétendant avoir droit de recevoir le paiement final.LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE DU QUÉBECLa Cour supérieure fait droit à la réclamation des demandeurs. Elle rejette l’argument de la société à l’effet que la prime étant payable au seul gré du chef de la direction, la société n’avait aucune obligation d’effectuer le paiement final aux demandeurs. La Cour est d’avis que [TRADUCTION] « un employé qui est congédié sans motif valable a le droit de recevoir tous les avantages qui s’accumulent pendant la période de préavis, y compris les primes. »3 Bien que la Cour accepte que lorsque le paiement d’une prime est entièrement laissé à la discrétion de l’employeur, un employé n’est généralement pas admis à réclamer celle-ci comme faisant partie de sa rémunération pendant la période de préavis, la preuve qu’un employé a régulièrement reçu une prime par le passé peut faire échec à l’argument selon lequel son attribution est discrétionnaire.La Cour conclut que l’étude des pratiques antérieures de la société démontre qu’à la fin de 2008, les paiements faisaient partie intégrante de la rémunération des demandeurs. Plus précisément, la Cour déclare que les demandeurs ont reçu les primes de 2005 et de 2007 et qu’ils avaient une attente raisonnable de recevoir le paiement final à la fin de 2008.Finalement, la Cour souligne que les paiements n’étaient pas entièrement discrétionnaires. Conformément à la convention de coentreprise/convention d’achat d’actions, et sous réserve du rendement financier de la société, ils devaient plutôt être effectués lorsque des actions de la société étaient achetées. Le montant des paiements était en outre fondé sur une formule déterminée et les primes étaient réservées aux « employés clés » de la société. Les demandeurs étaient, selon le juge de première instance, des « employés clés » et John Gilman les considérait assurément comme tels avant son décès. La Cour conclut que [TRADUCTION] « Les pratiques antérieures de John Gilman ont défini ce que l’exercice raisonnable de la discrétion du chef de la direction était devenu à la fin de 2008. »4 Puisque le droit des demandeurs de recevoir le paiement final a été acquis au cours de leur période de préavis, ils étaient admissibles à recevoir ce paiement.LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBECLa Cour d’appel du Québec maintient la décision du juge de première instance. Elle conclut qu’en raison du décès de John Gilman, la disposition du régime d’intéressement qui lui conférait le pouvoir discrétionnaire de décider, entre autres, quels employés clés recevraient les paiements est devenue ambiguë et doit être interprétée à la lumière de l’intention des parties, de la nature du régime d’intéressement et de la façon dont le pouvoir discrétionnaire a été exercé. La Cour considère que la preuve établit clairement que John Gilman a toujours considéré les demandeurs comme des « employés clés » et que rien n’indique que cette situation ait changé entre le décès de John Gilman et la date à laquelle les demandeurs ont été congédiés. La Cour ajoute que dans les circonstances, le nouveau chef de la direction ne pouvait « dans l’exercice de bonne foi de la discrétion dont il était investi en lieu et place de M. Gilman » conclure que les demandeurs avaient cessé d’être des employés clés après juillet 2007 et ce, avant le moment où ils ont été congédiés.En ce qui concerne la condition d’admissibilité (c’est-à-dire que seuls les « employés clés » à l’emploi de la société au 31 décembre 2008 étaient admissibles à recevoir le paiement final), la Cour déclare qu’en vertu du droit québécois, les primes et les options d’achat d’actions font partie de la rémunération globale d’un employé et qu’à ce titre, elles sont généralement considérées comme faisant partie de la rémunération de l’employé durant sa période de préavis. Par conséquent, le congédiement sans motif valable des demandeurs avant la date à laquelle le paiement final ne devienne payable ne saurait les empêcher de toucher les montants réclamés.On peut consulter le jugement de la Cour d’appel en cliquant ici._________________________________________1 2014 QCCA 147.2 2012 QCCS 14293 Ibid au par. 36.4 Ibid au par. 61.

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  • Bulletin trimestriel d’information juridique à l’intention des professionnels de la comptabilité, de la gestion et des finances, Numéro 23

    SOMMAIRE  Le plan budgétaire fédéral 2014 sonne le glas de deux mesures de planification fiscale familiale très prisées tant par les entrepreneurs que par certains professionnels L’expert de la Cour Vous avez signé un contrat de service...avec un employé! Comment bien qualifier la relation entre les parties et quelles sont les conséquences d’une mauvaise qualification? Application de la RGAÉ à une opération de « nettoyage » de dettes transfrontalières : Décision Pièces Automobiles Lecavalier Inc.LE PLAN BUDGÉTAIRE FÉDÉRAL 2014 SONNE LE GLAS DE DEUX MESURES DE PLANIFICATION FISCALE FAMILIALE TRÈS PRISÉES TANT PAR LES ENTREPRENEURS QUE PAR CERTAINS PROFESSIONNELSMartin bédardFRACTIONNEMENT DE REVENUPAR L'INTERMÉDIAIRE D'UNE FIDUCIE OU D'UNE SOCIÉTÉ DE PERSONNESTout d’abord, le Plan budgétaire fédéral 2014 (le « budget ») met fin aux possibilités de fractionnement de revenu des fiducies et sociétés de personnes en ce qui a trait aux revenus d’entreprise et de location attribués à un enfant mineur.De tels revenus seront maintenant considérés comme faisant partie du revenu fractionné de la fiducie ou de la société de personnes et seront imposés au taux marginal.Tel que décrit dans le Budget, les conditions d’application de cette nouvelle mesure sont les suivantes : les revenus proviennent d’une entreprise ou de la location de biens; une personne liée à l’enfant mineur, selon le cas : prend part, de façon active et régulière, à l’activité de la société de personnes ou de la fiducie générant de tels revenus; possède, dans le cas d’une société de personnes, une participation dans la société de personnes soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire d’une autre société de personnes. Les structures visées par ces nouvelles mesures pouvaient être utilisées par des professionnels exerçant leur entreprise par l’intermédiaire d’une société de personnes dont leur enfant mineur ou une fiducie au bénéfice de ce dernier était un associé. Une telle structure permettait d’attribuer directement ou indirectement une part du revenu de la société de personnes à l’enfant mineur et ainsi tirer avantage des taux d’imposition progressifs.À compter de l’année 2014, de telles structures seront visées par les règles du revenu fractionné et ne présenteront plus d’avantage fiscal. Il demeure toutefois possible de fractionner de tels revenus avec des personnes liées ayant atteint l’âge de la majorité.FRACTIONNEMENT DE REVENU POST-MORTEM: LA FIDUCIE TESTAMENTAIRELe Budget met aussi fin aux taux d’imposition progressifs applicables à une fiducie testamentaire, mesure par ailleurs annoncée dans le Plan budgétaire fédéral 2013.À ce jour, les fiducies testamentaires permettaient à leurs bénéficiaires d’obtenir les avantages de plus d’une série de taux d’imposition progressifs. Parmi les possibilités de planification fiscale associées à la disponibilité de tels taux d’imposition progressifs, on retrouvait notamment l’utilisation de nombreuses fiducies testamentaires, le report de l’achèvement de l’administration d’une succession pour des raisons fiscales ou encore l’évitement de l’impôt de récupération de la Sécurité de la vieillesse.Une fiducie testamentaire sera dorénavant uniformément imposable à son taux d’imposition marginal.Toutefois, les taux d’imposition progressifs demeureront applicables dans les deux cas suivants : (i) pour les trente-six (36) premiers mois d’une succession qui est une fiducie testamentaire et (ii) dans le cas d’une fiducie dont les bénéficiaires sont des personnes admissibles au crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées.Le Budget prévoit également que la fin d’année d’une fiducie testamentaire devra désormais correspondre au 31 décembre de chaque année à compter du 31 décembre 2015.Ces mesures s’appliqueront aux années d’imposition 2016 et suivantes.L’EXPERT ET LA COURDominique VallièresDans le cadre de litiges, il est fréquent que les avocats requièrent le témoignage d’experts, notamment de comptables. Cette preuve, lorsqu’elle est bien présentée, peut être déterminante sur l’issue d’un procès. Dans la situation contraire, un débat sur la qualité de l’expert ou la force probante de son témoignage peut s’engager. C’est pourquoi nous examinerons ici le rôle, la qualification et la crédibilité de l’expert.LE RÔLE DE L'EXPERTLe rôle de l’expert est d’exprimer une opinion fondée sur ses connaissances scientifiques, économiques ou autres qui dépassent celles du juge et sans lesquelles il est impossible de tirer des faits les conclusions qui s’imposent. Autrement dit, lorsque le juge est tout aussi capable de comprendre les faits et d’en tirer les inférences qui s’imposent, l’expertise n’est ni nécessaire ni admissible. Par exemple, le calcul des profits bruts d’un contrat, qui ne constitue qu’une opération arithmétique, ne nécessitera pas une expertise particulière et le comptable appelé à témoigner sur cette question sera considéré, au mieux, comme un témoin ordinaire. Le rôle de l’expert est d’éclairer le tribunal d’une manière aussi objective ou impartiale que possible.SA QUALIFICATIONPour exprimer son opinion, l’expert doit d’abord être qualifié comme tel par la Cour. L’expert sera donc d’abord interrogé sur sa formation et son expérience. Si la qualité d’expert est contestée et que le tribunal considère les qualifications du témoin insuffisantes, il peut refuser de l’entendre. Les qualifications de l’expert doivent être reliées aux matières sur lesquelles porte son témoignage.La formation du témoin, tout comme son expérience pratique, seront considérées. Bien que l’une ou l’autre puisse suffire, un expert réellement convaincant bénéficiera généralement d’une formation et d’une expérience solides. Si tel n’est pas le cas, même si le tribunal accepte d’entendre le témoin, il risque d’accorder une importance moindre à son témoignage.LA FORCE PROBANTE DE SON OPINIONComme pour tout autre témoin, le tribunal devra évaluer la crédibilité de l’expert, particulièrement en présence d’opinions contradictoires. Le tribunal pourra notamment examiner le sérieux des démarches faites par l’expert. Il accordera davantage de crédibilité au témoignage de l’expert qui a constaté directement les faits ou les données pertinentes qu’à celui de l’expert qui ne fonde son avis que sur ce qui lui a été rapporté. Une opinion essentiellement théorique ou qui ne fait état que de principes sera également moins probante. Il est important que l’expert explique comment et pourquoi les faits particuliers du cas soumis permettent de tirer telle ou telle conclusion. De même, lorsque des écoles de pensées divergentes existent sur un point donné, le tribunal appréciera que l’expert les considère et explique pourquoi l’une d’elles devrait être favorisée dans la situation sous étude. Le dogmatisme, l’absence de justification et le rejet du revers de la main d’une approche reconnue seront généralement perçus négativement.Cette approche rejoint le fondement même du rôle de l’expert, qui est d’éclairer le tribunal d’une façon impartiale et objective. Le tribunal voudra s’assurer que l’expert conserve la distance et l’indépendance requises pour émettre une opinion crédible. Si le tribunal perçoit que l’expert a un parti pris ou « plaide la cause » de la partie qui a retenu ses services, sa crédibilité sera entachée. Ainsi, bien que recevable, le témoignage et la conduite de l’expert seront scrutés plus attentivement s’il est démontré, par exemple, que celui-ci est l’employé d’une partie ou qu’il s’est déjà prononcé sur des questions similaires.Bien que cette situation soit plus rare, le tribunal pourrait même refuser d’entendre le témoin s’il est convaincu qu’il ne pourra être impartial. Cela pourra notamment être le cas lorsque l’expert milite à titre personnel en faveur de la position défendue par l’une ou l’autre des parties ou qu’il a été personnellement partie à un litige semblable. L’animosité ou la proximité qui peut exister entre l’expert et l’une des parties jouera aussi en sa défaveur. À cet égard, il est indispensable que l’expert soit transparent envers la partie qui retient ses services.CONCLUSIONL’expert réellement utile sera celui dont la conduite peut être résumée par les trois mots suivants : compétence, rigueur, objectivité.VOUS AVEZ SIGNÉ UN CONTRAT DE SERVICE…AVEC UN EMPLOYÉ ! COMMENT BIEN QUALIFIER LA RELATION ENTRE LES PARTIES ET QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES D’UNE MAUVAISE QUALIFICATION ?Valérie Korozs et Martin BédardLa Cour d’appel du Québec a rendu récemment une décision d’intérêt sur ce sujet, dans l’affaire Bermex international inc. c. L’Agence du revenu du Québec1 (ci-après, l’affaire « bermex »).Rappelons que sans égard au fait que les parties aient qualifié leur entente de contrat de service ou d’entente avec un travailleur autonome, un tribunal n’est aucunement lié par une telle qualification.Les tribunaux ont élaboré certains critères pour analyser le statut juridique d’une personne afin de savoir si elle est salariée ou travailleur autonome. Parmi ces critères, le lien de subordination, à savoir si une personne effectue un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, a toujours été déterminant.Qu’en est-il lorsque la personne n’est pas à proprement parler « sous la direction ou le contrôle d’une autre personne »2 puisqu’elle dirige elle-même l’entreprise ? C’est la question à laquelle la Cour d’appel a eu à répondre dans l’affaire Bermex.Or, la Cour a appliqué un concept large du lien de subordination, en considérant le degré d’intégration du travailleur à l’entreprise, critère émanant de la common law.LES FAITSÀ la suite d’une vérification fiscale de quatre entreprises, l’Agence du revenu du Québec (l’« agence ») a conclu que M. Darveau, principal administrateur et dirigeant des entreprises, ne détenait pas le statut de travailleur autonome mais qu’il était plutôt un salarié. Par conséquent, l’Agence était d’avis que les honoraires de gestion versés à M. Darveau devaient être considérés comme des revenus d’emploi et, par conséquent, faisaient partie de la masse salariale des entreprises.Les quatre entreprises visées contestèrent les cotisations établies par l’Agence devant la Cour du Québec, mais sans succès.LA DÉCISION DE LA COUR D'APPELÀ l’instar du juge de première instance, la Cour d’appel conclut que l’intention des parties de convenir d’un contrat de service ne se dégageait pas clairement de la preuve au dossier.Le fait que M. Darveau était actionnaire des sociétés appelantes lui a permis une certaine liberté d’action qui donne l’impression qu’il agissait à titre de travailleur autonome. Il n’est pas surprenant qu’à titre de dirigeant, M. Darveau gérait son propre horaire, son travail, sa rémunération, non plus qu’il n’était pas directement sous la supervision d’une autre autorité. Cette liberté lui venait de son statut de dirigeant et non du contrat de service qu’il invoquait.La Cour d’appel met notamment l’accent sur le fait que ce sont les sociétés appelantes qui ont assumé tout risque de perte et qui ont tiré profit des activités : « Or, une entreprise n’assume pas les erreurs d’un consultant externe »3. M. Darveau n’apportait aucune « expertise nécessitant l’intervention d’une personne externe dans un domaine qu’il possède mieux que tout autre, il règle simplement les problèmes quotidiens de ses entreprises, comme il le reconnaît »4.CONCLUSIONSelon la tendance jurisprudentielle suivie par la Cour d’appel dans l’affaire Bermex, il faut tenir compte des critères que sont le contrôle, la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise dans la détermination du statut de travailleur autonome par opposition à celui d’employé.Une qualification erronée du contrat peut avoir des impacts financiers importants tant pour l’entreprise que pour l’individu concerné, tant au plan fiscal qu’en matière de droit du travail. Il est donc essentiel de procéder à une bonne analyse du statut réel de la personne en cause avant le début de la relation contractuelle._________________________________________1 2013 QCCA 1379.2 Article 2085 du Code civil du Québec.3 Par. 59 de l’arrêt de la Cour d’appel.4 Par. 60 de l’arrêt de la Cour d’appel.APPLICATION DE LA RGAÉ À UNE OPÉRATION DE « NETTOYAGE » DE DETTES TRANSFRONTALIÈRES : DÉCISION PIÈCES AUTOMOBILES LECAVALIER INC.Éric GélinasLa Cour canadienne de l’impôt a récemment rendu une décision traitant de l’application de la règle générale anti-évitement (« RGAÉ ») dans un contexte d’élimination d’une créance transfrontalière entre Greenleaf Canada Acquisitions Inc. (« Greenleaf ») et Ford US, sa société mère américaine, préalablement à la vente des actions de Greenleaf, société débitrice de la créance, à un tiers. En l’espèce, Ford US a souscrit des actions additionnelles de Greenleaf, laquelle a utilisé le produit de souscription pour rembourser sa dette envers Ford US.Les opérations en cause visaient à éviter l’application de l’article 80 de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») lors d’une remise d’une portion de la dette. Sans l’opération de remboursement de la dette, les règles relatives au remisage de dettes contenues aux paragraphes 80.01(6) à (8) LIR auraient fait en sorte que l’article 80 LIR se serait appliqué de façon à réduire les attributs fiscaux de Greenleaf et même inclure dans son revenu la portion du « montant remis » n’ayant pas été « absorbée ».Le ministre du Revenu national (« Ministre ») était d’avis que la RGAÉ s’appliquait à l’opération de « nettoyage » de la dette de sorte que Greenleaf devait réaliser un gain sur règlement de dette de 15 M$. Les attributs fiscaux de Greenleaf ont été réduits en conséquence et certains ajustements au revenu imposable ont été effectués en vertu de l’article 80 LIR.ANALYSE DE LA COURD’entrée de jeu, le contribuable a reconnu que les opérations lui avaient procuré un avantage fiscal, soit la préservation des attributs fiscaux de Greenleaf par l’évitement des dispositions de l’article 80 LIR.Quant à savoir si elles constituaient des « opérations d’évitement », le contribuable a tenté, notamment par le témoignage de l’expert comptable, de faire la preuve qu’elles avaient été effectuées uniquement pour des fins fiscales et comptables américaines, de sorte qu’elles avaient des objets véritables non-fiscaux et qu’il ne s’agissait donc pas d’opérations d’évitement. La Cour n’a pas retenu ce témoignage étant donné qu’il s’agissait de ouï-dire. De plus, la Cour a adopté la doctrine d’inférence négative, car aucun représentant de Ford US n’a témoigné et que les témoignages fournis ont été jugés non crédibles.En ce qui concerne la question de l’abus, la Cour a retenu la prétention du Ministre suivant laquelle les opérations de nettoyage de la dette étaient abusives puisqu’elles visaient à contourner l’objet et l’esprit de l’article 80 LIR : si la créance n’avait pas été remboursée en utilisant le produit de souscription, les règles sur le remisage de dette auraient été applicables de sorte que les attributs fiscaux de Greenleaf auraient été réduits selon l’article 80 LIR.CONCLUSIONCette décision est particulièrement importante dans un contexte de réorganisation de créance dans un groupe de sociétés. Le type d’opération dont il est question dans la décision sous étude est couramment utilisé. Les praticiens devront donc porter une attention particulière aux impacts fiscaux d’une telle opération. Lorsque cela est possible, il sera évidemment préférable de simplement convertir une créance en actions de la société débitrice dans la mesure où l’alinéa 80(2)g) LIR peut s’appliquer et faire en sorte qu’aucun montant remis ne résultera de la conversion.

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  • À la suite du congédiement d’un cadre supérieur, une clause d’un régime d’options d’achat d’actions est déclarée abusive et le comportement de l’employeur jugé oppressif

    Dans l’affaire Dollo c. Premier Tech Ltée1, la Cour supérieure du Québec déclare abusive une clause du régime d’options d’achat d’actions (le « Régime ») offert par Premier Tech Ltée (« Premier Tech ») à certains de ses employés et déclare oppressif au sens de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») le comportement adopté par Premier Tech à l’endroit d’un cadre supérieur congédié. LES FAITSEn mai 1999, Premier Tech embauche Christian Dollo (« Dollo ») à titre de vice-président finances. En 2001, Dollo se fait offrir la possibilité d’acquérir, au fil du temps, des options d’achat d’actions (ci-après « Options ») de l’entreprise en participant au Régime. Les actions de Premier Tech sont alors négociées en bourse et Dollo acquiert certaines de ces actions en vertu du Régime. En juin 2004, il devient président de Premier Horticulture, l’une des principales filiales de Premier Tech.Premier Tech redevient une société privée en février 2007. À ce moment, on demande à certains cadres qui détiennent des Options, dont Dollo, de se porter acquéreur d’actions. Toujours dans le cadre de la privatisation de Premier Tech, de nouvelles Options sont offertes à Dollo.Au cours de l’année 2009, les dirigeants de Premier Tech sont d’avis que le rendement de Dollo répond moins aux attentes de l’entreprise. Ils considèrent également que la relation de confiance diminue. À cette même époque, Dollo prend connaissance de la clause 8.01.2 du Régime, laquelle stipule qu’en cas de cessation d’emploi pour toute raison autre que le décès, la retraite ou l’invalidité du participant, celui-ci perd toutes ses Options acquises et non encore exercées, à moins que le conseil d’administration n’en décide autrement. Inquiet de l’existence de cette clause, il s’informe alors auprès des dirigeants de l’entreprise, qui le rassurent quant à cette possibilité de perdre ses Options acquises en cas de congédiement.En août 2010, Dollo est congédié. Il détient alors 71 100 actions de l’entreprise, ainsi que 207 619 Options acquises. Au cours des mois qui suivent, Premier Tech et Dollo règlent leurs différends, sauf celui relatif aux Options de Dollo. À l’automne 2010, ce dernier demande au conseil d’administration d’exercer sa discrétion en vertu de la clause 8.01.2 du Régime afin de pouvoir conserver ses Options acquises. Le conseil d’administration refuse.En mars 2011, Dollo intente un recours contre Premier Tech et son actionnaire majoritaire. Il demande à la Cour de déclarer abusive la clause 8.01.2 et de lui reconnaître le droit d’exercer ses Options acquises (afin de pouvoir toucher le profit de 1 313 847 $). Il ajoute que Premier Tech abuse de ses droits et agit de manière oppressive au sens de la LCSA. Il soumet également avoir été congédié illégalement et réclame, à ce titre, la valeur des Options qu’il aurait acquises et qu’il aurait pu exercer dans les douze mois suivant son congédiement.LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE DU QUÉBECLA CLAUSE 8.01.2 DU RÉGIME EST-ELLE ABUSIVE ?La Cour conclut tout d’abord que le Régime doit être qualifié de contrat d’adhésion. Elle estime que le contexte de la privatisation de l’entreprise n’offrait aucune réelle possibilité à Dollo d’intervenir au niveau des stipulations essentielles du Régime.En ce qui concerne la clause 8.01.2, la Cour conclut qu’elle est abusive et nulle. Après une analyse approfondie des témoignages d’experts, elle retient qu’une telle clause « ne se retrouve pas dans les règles gouvernant habituellement ce genre de contrats » et que « ce type de clause est rarissime à titre d’usage commercial ». La Cour ajoute que les options acquises de Dollo constituent, en l’espèce, une rémunération à long terme importante et à caractère incitatif. Cette rémunération à long terme n’était pas, en vertu du Régime, liée au rendement de Dollo. En effet, les dernières Options qui lui avaient été octroyées en 2007 devenaient acquises à la fin de chaque mois, sans égard à son rendement. La Cour considère qu’il est déraisonnable que l’utilisation de la clause 8.01.2 annihile une telle rémunération acquise. La perte de cette rémunération acquise par Dollo pour les années antérieures durant lesquelles Premier Tech a bénéficié de son dévouement amène la Cour à conclure que la clause 8.01.2 est non seulement déraisonnable, mais également excessive.Enfin, la clause 8.01.2 s’assimile, selon la Cour, à une clause purement potestative puisqu’en prenant la décision de congédier Dollo, Premier Tech prend aussi une décision qui relève de sa seule volonté, soit de ne pas reconnaître à Dollo son droit de toucher ses options acquises. Bien que la Cour ne déclare pas la clause 8.01.2 comme étant véritablement purement potestative, cette similarité milite, selon elle, en faveur de sa qualification de clause abusive.La Cour rejette toutefois la demande de Dollo concernant les options qu’il aurait acquises dans les douze mois suivant son congédiement puisqu’il serait inapproprié de verser une « rémunération à long terme » pour retenir et motiver un participant au Régime alors que son lien d’emploi est déjà rompu. La justice contractuelle dicte que cette demande soit rejetée.DOLLO A-T-IL ÉTÉ CONGÉDIÉ SANS CAUSE ?Quant au congédiement de Dollo, la Cour note qu’il doit être qualifié de congédiement administratif. Dans ce contexte, les étapes à suivre sont les suivantes :1) le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par son employeur à son égard2) ses lacunes doivent lui avoir été signalées3) il doit avoir obtenu le soutien nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs4) il doit avoir bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster5) il doit avoir été prévenu du risque de congédiement à défaut de s’améliorerLa Cour retient que Dollo n’a été informé des motifs de son congédiement qu’après avoir intenté son recours contre Premier Tech, qu’il n’a reçu aucun soutien pour lui permettre de s’améliorer et qu’il n’a aucunement été mis en garde quant au risque d’être congédié. Compte tenu de ces éléments, la Cour est d’avis que le congédiement de Dollo est sans cause.LE COMPORTEMENT DE PREMIER TECH A-T-IL ÉTÉ OPPRESSIF AU SENS DE LA LCSA ?La Cour examine en dernier lieu la question de savoir si le comportement de Premier Tech et de son actionnaire majoritaire donne ouverture à un recours en oppression au sens de l’article 241 de la LCSA. Elle établit d’abord que Dollo est un plaignant au sens de la LCSA puisqu’il est possible de reconnaître ce statut à une personne à qui on a promis une part du capital-actions d’une société. De plus, lorsqu’il s’est adressé au conseil d’administration concernant l’exercice de ses options acquises, Dollo était encore actionnaire de Premier Tech. Finalement, Dollo est un « actionnaire en puissance » qui aurait droit à des actions supplémentaires n’eut été de la clause abusive 8.01.2.La Cour mentionne que Dollo avait des attentes légitimes de bénéficier du Régime, défini comme étant une rémunération à long terme, de même qu’au respect de ses droits à titre d’employé. Selon la Cour, Dollo pouvait s’attendre à ce que son congédiement se fasse dans le respect des étapes reconnues par la jurisprudence. En raison de ce non-respect, Dollo n’a pu exercer ses options et n’a pu se prémunir contre l’application brutale de la clause 8.01.2. La Cour précise que la seule déclaration de nullité de la clause 8.01.2 peut ne pas être suffisante pour permettre à Dollo de bénéficier de sa rémunération à long terme. En effet, « des écueils légaux et financiers [notamment la question du financement pour l’acquisition des actions] parsèment le parcours d’une solution facile à ce litige »2.La Cour fait donc droit au recours en oppression en concluant que le comportement de Premier Tech et de son actionnaire majoritaire est abusif et applique certaines des mesures de redressement spécifiquement prévues à l’article 241 de la LCSA en :1) prescrivant l’émission d’actions de Premier Tech en faveur de Dollo2) modifiant les clauses d’un contrat auquel Premier Tech est partie afin de régler les problèmes de financement pour l’émission des actions (obligeant Premier Tech à financer l’émission des actions en faveur de Dollo)3) enjoignant à l’actionnaire majoritaire de Premier Tech d’acheter les actions ainsi émises en faveur de Dollo, de rembourser Premier Tech pour le financement de l’émission des actions (soit 612 857 $), puis de verser le solde du prix de vente à Dollo (soit 1 313 847 $); et en4) modifiant certaines clauses de la convention unanime d’actionnaires afin de permettre à Dollo de recevoir le solde du prix de vente de ses actions en faisant ainsi fi de certains articles de cette convention qui auraient pu lui être opposés.Pour accéder au texte intégral de la décision, cliquez ici.Cette décision de la Cour supérieure est présentement en appel._________________________________________1 2013 QCCS 6100.2 Paragraphe 356 de la décision.

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  • Mise à jour en matière de droit pénal et criminel de la santé et sécurité du travail

    Chaque année, plusieurs jugements sont rendus en matière de droit pénal de la santé et sécurité du travail. Les jugements faisant suite à des accusations de négligence criminelle dans un contexte de santé et sécurité du travail sont cependant plus rares. Même si l’entrée en vigueur des articles du Code criminel1 ayant pour effet de faciliter le dépôt d’accusations de négligence criminelle date maintenant de 10 ans2, les déclarations de culpabilité à l’infraction de négligence criminelle faisant suite à un manquement à l’article 217.1 du Code criminel se comptent encore sur les doigts de la main au Québec3.La plus importante condamnation à l’échelle canadienne est encore très récente : il s’agit de celle de la compagnie Metron Construction Corporation (« Metron »), par la Cour d’appel de l’Ontario, le 4 septembre 20134.Nous résumons ici certaines notions applicables et attirons votre attention sur quelques jugements d’intérêt rendus au cours de l’année 2013 en matière de droit pénal et criminel de la santé et sécurité du travail.QUELQUES NOTIONS APPLICABLES EN MATIÈRE DE DROIT PÉNAL ET CRIMINEL DE LA SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAILLes articles 236 et 237 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail5 (« LSST ») décrivent les principales infractions en matière de droit pénal de la santé et sécurité du travail.L’article 236 LSST prévoit que quiconque contrevient à la LSST ou à ses règlements ou refuse de se conformer à une décision ou à un ordre rendu en vertu de cette loi ou de ses règlements, ou incite une personne à ne pas s'y conformer, commet une infraction et est passible d’une amende dont les montants varient, pour l’année 20146 : pour une personne physique : pour une première infraction, entre 634 $ et 1 584 $ pour une récidive, entre 1 584 $ et 3 168 $ pour toute récidive additionnelle, entre 3 168 $ et 6 336 $ pour une personne morale : pour une première infraction, entre 1 584 $ et 3 168 $ pour une récidive, entre 3 168 $ et 6 336 $ pour toute récidive additionnelle, entre 6 336 $ et 12 671 $ Pour sa part, l’article 237 LSST énonce que quiconque, par action ou par omission, agit de manière à compromettre directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l’intégrité physique d’un travailleur commet une infraction et est passible d’une amende dont les montants varient, pour l’année 20147 : pour une personne physique : pour une première infraction, entre 1 584 $ et 3 168 $ pour une récidive, entre 3 168 $ et 6 336 $ pour toute récidive additionnelle, entre 6 336 $ et 12 671 $ pour une personne morale : pour une première infraction, entre 15 839 $ et 63 355 $ pour une récidive, entre 31 678 $ et 158 389 $ pour toute récidive additionnelle, entre 63 355 $ et 316 777 $ Les amendes prévues aux articles 236 et 237 LSST sont revalorisées le 1er janvier de chaque année8.Afin d’obtenir une condamnation à l’une ou l’autre des infractions prévues à ces articles, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») a le fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de celles-ci; ces infractions sont de responsabilité stricte9.En matière de droit criminel de la santé et sécurité du travail, l’article 217.1 du Code criminel crée un devoir à « quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui. » L’employeur qui manque à ce devoir peut être considéré « avoir omis de faire quelque chose » qu’il était de son devoir d’accomplir au sens de l’article 219 du Code criminel et peut, par conséquent, être accusé de négligence criminelle. Les peines imposables reflètent la gravité intrinsèque d’une telle infraction10. Ainsi, un individu accusé de négligence criminelle ayant causé la mort est passible d’emprisonnement à perpétuité11; dans le cas des organisations, il n’y a aucune limite au montant des amendes qui peuvent être imposées12.JUGEMENTS D’INTÉRÊT RENDUS AU COURS DE L’ANNÉE 2013DROIT PÉNALDans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Dollarama, s.e.c.13, la Cour d’appel devait déterminer si une société en commandite coupable de l’infraction prévue à l’article 236 LSST était passible des peines applicables aux personnes morales prévues à cet article ou d’une autre peine. Cette question découlait du fait qu’en droit québécois, une société en commandite n’est pas « une personne morale »14. La Cour conclut que l’article 236 LSST n’est pas ambigu et établit une dichotomie claire entre la personne physique et la personne morale; la société en commandite n’est ni l’une ni l’autre. Elle maintient le jugement de la Cour supérieure15 à l’effet que malgré le vide juridique dans la LSST quant à la peine à infliger à une société en commandite, Dollarama n’est pas absoute pour autant, puisque le Code de procédure pénale16 prévoit expressément la peine qui doit être imposée dans un tel cas (laquelle est cependant moindre que celles prévues à la LSST17)._________________________________________1 L.R.C. 1985, c. C-46.2 Le projet de loi C-45 (Loi modifiant le Code criminel (responsabilités pénales des organisations), sanctionnée le 7 novembre 2003, 2e sess., 37e légis. (Can.)) est entré en vigueur le 31 mars 2004.3 Il s’agit des affaires R. c. Transpavé, 2008 QCCQ 1598, où l’entreprise a été condamnée à une amende de 110 000 $ et R. c. Scrocca, 2010 QCCQ 8218, où l’employeur, une personne physique, a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour avec une suramende de 100 $. Notons que dans l’affaire R. c. Gagné, 2010 QCCQ 12364, les accusés, deux personnes physiques, ont été acquittés.4 R. v. Metron Construction Corporation, 2013 ONCA 541 (« Metron »).5 RLRQ, c. S-2.1.6 Ces montants sont les valeurs suggérées par la CSST dans son guide Cadre d’émission des constats d’infraction, janvier 2014.7 Id.8 LSST, article 237.1.9 Les infractions de responsabilité stricte n’obligent pas la CSST à démontrer l’existence d’une « intention » de commettre l’infraction (« mens rea »). L’accomplissement de l’acte visé par l’infraction comporte la présomption que celle-ci a été commise (R. c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299).10 Notons que la peine, en droit pénal réglementaire, n’a pas le même objectif qu’en droit criminel. En droit pénal réglementaire de la santé et sécurité du travail, « une peine a pour but premier d’assurer le respect de la loi et la prévention des infractions »; elle doit avoir un effet « dissuasif » (Commission de la santé et de la sécurité du travail c. 9189-5201 Québec inc. (Monsieur Filiatreault Couvreur), 2013 QCCQ 14262). En droit criminel, la peine revêt plutôt un caractère punitif et récriminatoire (Metron, préc., note 4, par. 75 à 80).11 Code criminel, article 220 b).12 Id., article 735.13 2013 QCCA 336.14 Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, article 2188.15 2011 QCCS 5630.16 Chapitre C-25.1.17 Jugement de la Cour supérieure, préc., note 15, par. 46 à 49.

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  • Le gouvernement du Québec annonce une augmentation du salaire minimum

    Le 5 février dernier, la ministre du Travail a annoncé que le salaire minimum sera augmenté de 0,20 $ l’heure à compter du 1er mai 2014 pour atteindre 10,35 $ l’heure.Quant au salaire minimum horaire payable au salarié au pourboire, il passera à 8,90 $ l’heure, ce qui représente une hausse de 0,15 $ l’heure.Enfin, le salaire minimum payable aux cueilleurs de framboises ou de fraises continuera d’être établi au taux de rendement au kilogramme. À compter du 1er mai, ce taux sera augmenté pour s’établir à 3,04 $ du kilogramme pour les cueilleurs de framboises et à 0,81 $ du kilogramme pour les cueilleurs de fraises.

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  • Salarié ou travailleur autonome? La Cour d’appel du Québec se prononce

    La Cour d’appel du Québec s’est prononcée récemment sur les critères de qualification du contrat de travail permettant de distinguer celui-ci du contrat de service dans l’affaire Bermex international inc. c. L’Agence du revenu du Québec1.Rappelons qu’indépendamment du fait que les parties aient qualifié leur entente de contrat de service ou d’entente avec un travailleur autonome, un tribunal n’est aucunement lié par une telle qualification.Les tribunaux ont élaboré certains critères pour analyser le statut juridique d’une personne, afin de savoir si elle est salariée ou travailleur autonome.Parmi ces critères, le lien de subordination, à savoir si une personne effectue un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, a toujours été déterminant.Qu’en est-il lorsque la personne n’est pas, à proprement parler, « sous la direction ou le contrôle d’une autre personne »2, puisqu’elle dirige elle-même l’entreprise ?C’est la question à laquelle la Cour d’appel a eu à répondre.Il s’agit d’une décision d’intérêt puisque la Cour retient un concept large du lien de subordination, en considérant le degré d’intégration du travailleur à l’entreprise, critère émanant de la common law.Dans le présent article, nous profiterons de la collaboration de Me Martin Bédard, fiscaliste, pour faire un survol des incidences fiscales découlant d’une mauvaise qualification de la relation entre les parties.LES FAITSLe présent bulletin traite de l’appel d’une décision de la Cour du Québec qui a rejeté la contestation de quatre entreprises à l’égard d’avis de cotisation émis par l’Agence du revenu du Québec (« l’Agence »). Le statut du principal administrateur et dirigeant des entreprises appelantes était au coeur du litige pour déterminer s’il existait un lien de subordination réel faisant de ce dirigeant un salarié plutôt qu’un travailleur autonome.Les appelants, Bermex International (« Bermex »), Finition Chez Soi (« Finition ») et Confortec 2000 (« Confortec »), oeuvrent dans le domaine du meuble. Ces trois entreprises sont contrôlées par Groupe Bermex inc. (« Groupe ») et les actions comportant droit de vote de cette dernière sont détenues par Gestion Richard Darveau inc.Richard Darveau est comptable agréé et le principal administrateur et dirigeant des trois entreprises appelantes. Il se décrit comme consultant en gestion-conseil des entreprises.À la suite d’une vérification fiscale des quatre entreprises, l’Agence a conclu que M. Darveau ne détenait pas le statut de travailleur autonome, mais qu’il était plutôt un salarié au sein des entreprises. Par conséquent, elle était d’avis que les honoraires de gestion versés à M. Darveau devaient être considérés comme des revenus d’emploi et, par conséquent, faisaient partie de la masse salariale des entreprises.Pour les années 2003, 2004 et 2005, les honoraires de gestion versés à M. Darveau étaient respectivement de l’ordre de 800 000 $, 900 000 $ et 900 000 $. Pour sa part, M. Darveau a déclaré ces sommes à titre de revenus d’entreprise sur ses déclarations personnelles de revenus.LES INSTANCES ANTÉRIEURESBermex, Finition, Confortec, et Groupe ont contesté sans succès les avis de cotisation émis par l’Agence, mais ils ont été maintenus.La Cour du Québec a également rejeté l’appel des cotisations déposées par les entreprises. Elle conclut que les cotisations bénéficiaient d’une présomption de validité3 et que les appelantes avaient le fardeau de « démolir »4 cette présomption, ce qu’elles n’ont pas réussi à faire.Une énumération non exhaustive des faits qui ressortent du jugement de la Cour du Québec figure ci-dessous :  Il n’y a aucune entente écrite entre M. Darveau et les entreprises relativement à son travail à titre de consultant; Les services fournis représentent environ 85 % du temps travaillé de M. Darveau; M. Darveau agit comme consultant pour des besoins pratiques, quotidiens et à court terme; Il assiste aux congrès annuels de l’industrie à titre de président-directeur général du Groupe; M. Darveau peut consentir des rabais aux clients; Il travaille principalement dans un bureau chez Bermex; Les entreprises fournissent à M. Darveau les services de secrétariat, de réceptionniste, de photocopie et de matériel, y compris la papeterie, les formulaires, les catalogues, les brochures et le papier en-tête; Son kilométrage et ses repas sont remboursés; Les entreprises assument les conséquences liées aux erreurs de gestion de M. Darveau; Les services de M. Darveau paraissent uniformes sans aucune nuance reliée à la nature des activités de chacune des entreprises; Les montants des honoraires sont uniformes d’un mois à l’autre et sont parfois facturés à l’avance, sans aucun ajustement postérieur en fonction du temps réellement travaillé5; Il n’a produit aucun état financier en lien avec ces services.Ainsi, le juge conclut que plusieurs éléments mis en preuve et déjà retenus par la jurisprudence penchent lourdement à l’encontre de la qualification d’un contrat de service, notamment à la lumière du haut degré d’intégration de M. Darveau dans les activités des entreprises.LES PRÉTENTIONS DES APPELANTESLes appelantes ont soulevé plusieurs moyens d’appel.Premièrement, elles ont fait valoir que le juge de première instance avait erré en rejetant une objection formulée à l’encontre de la production du questionnaire rempli par la vérificatrice. Ce formulaire contenait les réponses fournies par M. Guy Bouillé, le contrôleur de l’entreprise, en présence de M. Darveau.Le deuxième moyen d’appel était fondé sur la présomption de validité des avis de cotisation et le fardeau de preuve de celui qui conteste un tel avis. Les appelantes soutenaient qu’elles s’étaient acquittées de leur fardeau et qu’elles avaient repoussé la présomption de validité des avis de cotisation en litige.Les appelantes ont également plaidé que l’intention des parties aurait dû être prise en compte afin de déterminer la nature du contrat les liant. Elles ont soutenu que M. Darveau disposait d’un statut multiple, soit celui d’employé, de PDG et de travailleur autonome, au sein du Groupe, mais qu’en réalité il n’était qu’un travailleur autonome oeuvrant pour les entreprises liées.Finalement, les appelantes ont prétendu que le juge avait erré en omettant de trancher la question de l’absence de lien de subordination entre les appelantes et M. Darveau. Selon elles, en l’absence de ce lien, « l’analyse ne doit pas être poussée plus loin »6. Plus précisément, elles étaient d’avis que, dans la mesure où les entreprises sont contrôlées à 100 % par M. Darveau, il est difficile de conclure à l’existence d’un lien de subordination entre les appelantes et son prétendu employé.Enfin, les appelantes ont reproché au juge d’avoir importé en droit québécois le critère de l’intégration utilisé en common law afin de déterminer s’il existait un lien d’emploi entre les parties.LA DÉCISION DE LA COUR D’APPELa. L’admissibilité du questionnaire :La Cour d’appel rejette d’emblée la prétention des appelantes concernant l’inadmissibilité du questionnaire rempli par la vérificatrice de l’Agence. Selon la Cour d’appel, le juge de première instance a eu raison d’admettre en preuve les réponses fournies par M. Bouillé et consignées par écrit au formulaire. Il s’agit de déclarations verbales dont la vérificatrice avait une connaissance personnelle et, à ce titre, elles étaient admissibles en preuve.De plus, la Cour conclut que le premier juge était le mieux placé pour déterminer la fiabilité des déclarations faites par M. Darveau. Ayant conclu qu’elles étaient suffisamment fiables, il n’y avait pas lieu d’intervenir à cet égard.b. La présomption de validité des avis de cotisation :Là encore, la Cour d’appel confirme la position du juge de première instance. Elle conclut que ce dernier a appliqué le bon test en affirmant que les appelantes devaient « démolir » la présomption de validité avec une preuve prima facie démontrant en quoi les faits sur lesquels s’appuie la cotisation sont incorrects.De plus, en ce qui concerne le témoignage de M. Darveau, la Cour rappelle que l’appréciation de la crédibilité des témoins est du ressort du juge de procès7.c. L’intention des parties :À l’instar du juge de première instance, la Cour d’appel conclut que l’intention des parties de convenir d’un contrat de service ne se dégage pas clairement de la preuve au dossier.d. Le critère de l’intégration :Les appelantes plaident que le critère fondamental qui distingue le contrat de travail du contrat de service est le lien de subordination et que la preuve ne démontrait pas l’existence d’un tel lien, bien au contraire.Le juge de première instance avait conclu qu’un degré élevé d’intégration du travailleur aux activités du donneur d’ouvrage pouvait indiquer la présence d’un lien de subordination à l’entreprise. Selon cette analyse, un degré élevé d’intégration constitue un indice du lien de subordination8 :« Par références interposées, le juge considère pertinent le fait qu’une personne effectue un travail qui fait partie intégrante de la raison d’être de la société. Le lien de subordination pourrait ainsi se traduire par un degré élevé d’intégration du travailleur aux activités du donneur d’ouvrage; il s’agirait d’un indice du lien de subordination ».Après avoir fait état de la position de deux auteurs québécois en matière de droit du travail et d’une décision de la Cour d’appel fédérale, la Cour d’appel donne son aval à l’utilisation, dans la recherche d’un lien de subordination juridique, du critère de l’intégration du travailleur à l’entreprise. La Cour d’appel confirme ainsi qu’il n’y a pas de contradiction à ce sujet entre le droit civil et la common law9.Le fait que M. Darveau soit actionnaire des sociétés appelantes lui a permis une certaine liberté d’action qui donne l’impression qu’il agit à titre de travailleur autonome. Il n’est pas surprenant qu’à titre de dirigeant, M. Darveau gère son propre horaire, son travail, sa rémunération, non plus qu’il ne soit pas directement sous la supervision d’une autre autorité. Cette liberté lui venait de son statut de dirigeant et non du contrat de service qu’il réclame. Par conséquent, rien n’empêche de conclure que dans l’exécution de ses tâches, M. Darveau détient le statut d’employé et non de travailleur autonome.La Cour d’appel met notamment l’accent sur le fait que ce sont les sociétés appelantes qui ont assumé tout risque de perte et qui ont tiré profit des activités : « Or, une entreprise n’assume pas les erreurs d’un consultant externe »10. M. Darveau n’a apporté aucune « expertise nécessitant l’intervention d’une personne externe dans un domaine qu’il possède mieux que tout autre, il règle simplement les problèmes quotidiens de ses entreprises, comme il le reconnaît »11.La Cour ajoute qu’accepter la thèse des appelantes aurait pour conséquence absurde qu’aucun lien de subordination ne peut exister entre une personne qui contrôle une entreprise et l’entreprise elle-même et que toute entente liant un dirigeant à l’entreprise qu’il contrôle ne pourrait pas être de la nature d’un contrat d’emploi.L’appel est donc rejeté.ASPECTS FISCAUXLa Cour d’appel du Québec suit donc une tendance jurisprudentielle émanant de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale au cours des dernières années. Les tribunaux ont permis l’intégration des critères de common law12 dans l’analyse plus large du test de contrôle québécois13. Ainsi, il est permis de prendre en compte les critères du contrôle, la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes et l’intégration dans l’entreprise dans la détermination du statut de travailleur autonome par opposition à celui d’employé.Cette détermination a des répercussions importantes sur le traitement fiscal, tant du côté du donneur d’ouvrage que du travailleur.Un employeur doit retenir à la source sur le salaire de ses employés l’impôt provincial et fédéral et remettre les sommes ainsi retenues dans les délais réglementaires. L’employeur doit également retenir sur le salaire de l’employé les cotisations salariales de l’employé au Régime de pensions du Canada (« RPC »), à l’Assurance-emploi (« AE »), au Régime des rentes du Québec (« RRQ ») et au Régime québécois d’assurance parentale (« RQAP »).Enfin, l’employeur doit payer des cotisations à titre d’employeur, lesquelles sont généralement influencées par sa masse salariale totale. Les cotisations à titre d’employeur comprennent celles au RPC, à l’AE, au RRQ, au RQAP, au Fonds des services de santé, à la Commission sur la santé et la sécurité au travail, à la Commission des normes du travail et au Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d’oeuvre.L’employeur est généralement responsable des cotisations salariales qui auraient dû être perçues sur le salaire de l’employé, mais pas de l’impôt non retenu, sauf dans le cas d’employés non résidents du Canada.De plus, l’employeur peut se voir appliquer des pénalités pour les sommes non retenues ou les cotisations non effectuées. Au fédéral, la pénalité est de 10 %, qui peut être augmentée à 20 % en cas de récidive, lorsque le défaut a été commis sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Au provincial, la pénalité est de 15 %.Enfin, l’employeur sera tenu de verser des intérêts au taux prescrit sur ces montants (le taux d’intérêt prescrit est actuellement de 6 % au fédéral et au provincial).À l’inverse, dans le cas d’un travailleur autonome, le donneur d’ouvrage co-contractant n’est pas tenu de faire de telles retenues à la source. C’est le travailleur autonome qui a la seule responsabilité de faire les paiements de ses acomptes provisionnels selon les exigences de la Loi de l’impôt sur le revenu.Toutefois, si le travailleur autonome est un non-résident du Canada, des retenues à la source doivent être faites par le donneur d’ouvrage. Un défaut à cet égard peut donner lieu à des pénalités et des intérêts.Par ailleurs, un travailleur autonome doit normalement prélever la TPS et la TVQ sur les services qu’il rend au donneur d’ouvrage. Un travailleur autonome qui aurait erronément été qualifié d’employé pourrait se retrouver en défaut s’il n’a pas fait le paiement de ces taxes et serait alors passible de pénalités équivalent à 5 % des sommes dues, plus 1 % par mois jusqu’à un maximum de 10 %.Les autorités fiscales disposent normalement d’un délai de trois (3) ans pour procéder à une nouvelle cotisation d’un contribuable. Ce délai passe à quatre (4) ans dans le cas de sociétés autres qu’une société privée sous contrôle canadien, comme une société publique ou une société contrôlée par des personnes non résidentes. Toutefois, cette période ne s’applique plus dans le cas où la société a fait une déclaration erronée ou fausse. Il n’y aurait alors plus de délai qui aurait pour effet d’empêcher les autorités fiscales de procéder à une nouvelle cotisation. Une telle levée de la prescription peut être envisagée dans le cas où la détermination du statut du travailleur serait inexacte.Dans un cas où un employeur constate son erreur avant que les autorités fiscales n’interviennent, il aurait la possibilité de pallier son défaut quant aux retenues à la source qu’il aurait dû effectuer en procédant à une divulgation volontaire. Si la divulgation volontaire est acceptée, elle devrait permettre de limiter les sommes payables aux montants qui auraient dû être retenus ou cotisés et à l’intérêt applicable; les pénalités ne sont alors pas réclamées.Il faut également noter que les pouvoirs d’enquête de Revenu Québec et de l’Agence du revenu du Canada leur permettent de procéder à la vérification de l’ensemble du registre du personnel d’une entreprise si une erreur est découverte dans le traitement d’un travailleur.Ainsi, le choix de la qualification du statut d’un travailleur de l’entreprise devrait être effectué en tenant compte de la situation de l’ensemble des travailleurs, puisqu’une vérification élargie pourrait avoir un impact beaucoup plus important sur l’entreprise vérifiée.CONCLUSIONLa Cour d’appel reconnaît qu’il y a lieu de retenir une conception large du lien de subordination. Plus précisément, elle nous enseigne qu’il est possible d’analyser et de considérer le lien d’intégration d’une personne dans les activités d’une entreprise pour déterminer son statut véritable.Le critère du « lien d’intégration » est surtout utile dans le cas de cadres supérieurs, de professionnels ou de travailleurs hautement spécialisés, puisque le critère classique de la subordination est souvent absent en pareille situation.Rappelons qu’une qualification erronée du contrat de travail peut avoir des impacts financiers et juridiques importants tant pour l’entreprise que pour la personne concernée, tant au plan fiscal qu’en matière de droit du travail. Il est donc essentiel de procéder à une bonne analyse du statut réel de la personne en cause._________________________________________1 2013 QCCA 1379.2 Article 2085 du Code civil du Québec.3 En vertu de l’article 1014 de la Loi sur les impôts, L. R.Q., c. I-3.4 Terme utilisé par le juge de première instance et repris par la Cour d’appel.5 « C’est une uniformité étonnante en l’absence d’un contrat à forfait », a précisé le juge de première instance au par. 33 du jugement de la Cour d’appel.6 Par. 44 du jugement de la Cour d’appel.7 La Cour d’appel précise que le juge de première instance a considéré que la crédibilité de M. Darveau avait souffert de certaines réponses qu’il avait données.8 Par. 50 du jugement de la Cour d’appel.9 Par. 53 à 56 du jugement de la Cour d’appel.10 Par. 59 du jugement de la Cour d’appel.11 Par. 60 du jugement de la Cour d’appel.12 Wiebe Door Services Ltd., [1986] 2 C.T.C. 200 (C.A.F.), confirmé par 671122 Ontario Ltd. v. Sagaz Industries, [2001] 4 C.T.C. 139 (C.S.C.).13 Combined Insurance Co. c. MRN, 2007 CarswellNat 601 (C.A.F.) et Grimard c. R, [2009] 6 C.T.C. 7 (C.A.F.), en renversement de 9041-6868 Québec inc. c. MRN, 2005 CarswellNat 5615 (C.A.F.).

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