Riches en information pertinente, nos publications vous permettent d’être à l’affût de l’actualité juridique qui vous touche, quel que soit votre secteur d’activité. Nos professionnels s’engagent à vous tenir au fait des dernières nouvelles juridiques, à travers l’analyse des derniers jugements, modifications et entrées en vigueur législatives et réglementaires.
Publications
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Commerce électronique : comment protéger votre travail?
Le site Internet constitue un outil puissant pour faire commerce, étant un canal de distribution avec un rayonnement mondial. En ces temps de pandémie, son rôle devient même névralgique. Un site Internet est un ensemble de pages accessibles à partir d’une adresse hébergée sur un serveur par le biais du réseau mondial Internet ou d’un intranet. Un site Internet est un amalgame de divers éléments protégés en droit de propriété intellectuelle. Nous nous attardons aux suivants : Le droit d'auteur Il protège toute création originale (c.-à-d., la création intellectuelle propre à son auteur) dans la mesure où elle comporte l’exercice du talent et du jugement. Il s’agit d’un droit exclusif qui permet à son détenteur de produire ou de reproduire la création sous une forme matérielle quelconque, de l’exécuter, de la représenter, de la publier et d’exercer d’autres droits exclusifs. Relativement à un site Internet, on pense aux créations suivantes : page-écran, aspect graphique, animation, textes, images fixes et animées, sons, bases de données (recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants), logiciels relatifs, par exemple, à la création, au fonctionnement, à la diffusion du site, programme d’ordinateur, photographies, dessins animés, vidéos. Qui détient le droit d’auteur? Le droit d’auteur est la propriété de l’auteur, à moins que celui-ci (i) n’ait cédé son droit ou (ii) ne soit l’employé d’une entreprise et que l’œuvre ait été créée dans le cadre de son emploi, auquel cas le droit appartient à l’employeur. Il convient d’identifier les différents détenteurs des droits d’auteur relativement aux œuvres apparaissant sur le site Internet. Si une entreprise demande à une firme externe de créer un site Internet, l’entreprise ne sera pas d'emblée titulaire des droits d’auteur sur le site Internet. Lorsqu’une firme externe conçoit le site, elle prendra généralement la précaution de prévoir au contrat qu’elle retient les droits d’auteur. Il est souvent prévu que la cession des droits de propriété intellectuelle au bénéfice de la cliente qui a mandaté la réalisation du site interviendra après parfait paiement du prix. Ceci pose une difficulté lorsque le fournisseur du site Internet n’en termine pas la création ou qu’un différend survient en cours de mandat. Les banques de photos Généralement les sites qui offrent des photographies ne cèdent pas les droits d’auteur dans les photographies. Ils accordent une licence d’emploi (un droit d’usage) et ce, pour une durée limitée et à une fin particulière. Il faut donc bien lire les conditions des licences. Cession des droits Une cession doit obligatoirement être écrite pour transférer les droits d’auteur à l’entreprise qui a commandé la réalisation du site Internet. Droits moraux Les droits moraux permettent à l’auteur ou à l’artiste interprète (même s’il n’est pas titulaire du droit d’auteur) : de revendiquer la création de l’œuvre; de revendiquer le respect de l’intégrité de l’œuvre (de prémunir l’œuvre contre la déformation, la mutilation ou la modification, ou d’une manière préjudiciable à l’honneur ou à la réputation de l’auteur ou de l’artiste interprète ou d’associer l’œuvre à un produit ou à un service sans son accord). Protection dans quel territoire? Comme le Canada est signataire de la convention de Berne, le droit d'auteur détenu par un ressortissant canadien (société constituée au Canada, citoyen canadien…) est reconnu dans d’autres pays du monde, sans qu’il y ait nécessité d’enregistrer son droit d’auteur dans ces autres pays. Au Canada, l’enregistrement de droit d’auteur n’est pas obligatoire, mais procure des présomptions de droit qu’il est judicieux d’obtenir minimalement pour les œuvres d’importance pour l’entreprise, afin de lutter plus efficacement contre la contrefaçon. La contrefaçon est la reproduction totale ou d’une partie importante d’une œuvre protégée sans autorisation. Autant le contenu d’un exploitant ne peut être copié sans autorisation, autant l’exploitant de site Internet devra s’assurer qu’il n’importe pas et ne publie pas sur son site des œuvres protégées par droit d’auteur sans en avoir au préalable obtenu la permission. Le nom de domaine Certains noms de domaine sont protégés par le droit des marques, certains ne le sont pas. Cela dépend de la nature du nom de domaine et de l’exploitation qui en est faite. Le simple enregistrement d’un nom de domaine ne crée pas un droit susceptible d’interdire l’emploi d’un nom de domaine conflictuel ou d’une marque conflictuelle. L’utilisation d’un nom de domaine distinctif pourrait conférer à son titulaire le droit de s’opposer à l’utilisation ultérieure par des tiers d’un nom de domaine, d’une marque de commerce, d’un nom commercial, qui prête à confusion. Un mécanisme d’arbitrage de nom de domaine efficace existe à l’échelle internationale dans le cas des .com et à l’échelle canadienne dans le cas des .ca s’il y a appropriation de mauvaise foi d’un nom de domaine conflictuel. La marque de commerce Il est fortement recommandé à tout exploitant d’un site Internet qui emploie sur son site une marque de commerce pour identifier ses produits ou ses services de la protéger par enregistrement. Sans faire la nomenclature des avantages à enregistrer sa marque, il suffit de souligner qu’il est excessivement moins coûteux d’enregistrer ses droits que de tenter de les récupérer une fois appropriés par un tiers. Le titulaire d’une marque peut s’opposer à tout emploi de marque, de nom commercial ou de nom de domaine prêtant à confusion (le test prend en compte divers facteurs) si ses droits sont antérieurs aux autres détenteurs concernés. Dans le cas d’appropriation sans autorisation du logo ou de la marque figurative d’un tiers, le détenteur pourra, dans plusieurs cas, non seulement invoquer une contrefaçon de marque, mais aussi de droit d’auteur. Le droit à l'image et à la vie privée Le Code civil du Québec stipule que toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels que le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. Des dispositions semblables existent dans d’autres lois, telle la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et la Charte canadienne des droits. Le droit est semblable dans les autres provinces canadiennes et des législations à effet similaire existent dans divers autres pays du monde. Il en découle, comme règle générale, que l’exploitant d’un site Internet : (i) ne peut diffuser ou publier, par exemple, une photographie ou une image d’une personne sans son consentement. Cette règle doit être pondérée par celle relative à l’intérêt du public au droit à la liberté d’expression et au droit à l’information; (ii) ne peut porter atteinte à la réputation d’une personne; (iii) ne peut faire dire ou laisser croire à l’endossement d’un produit ou d’un service par une personne sans son consentement. Le Code civil du Québec prévoit de plus que l’utilisation de la correspondance, des manuscrits ou des autres documents d’une personne, sans son consentement, forme une atteinte à sa vie privée. Le secret de commerce Diverses composantes du site Internet peuvent être protégées par secret commercial si le détenteur a pris la peine de faire signer un engagement de confidentialité et que l’information demeure secrète. Il pourrait en être ainsi du codage du site Internet. Beaucoup d’idées préconçues circulent sur la propriété intellectuelle dans le monde du commerce en ligne. Plusieurs croient à tort qu’ayant commandé la réalisation de leur site Internet, ils en détiennent les droits de propriété intellectuelle ou alors qu’ils peuvent publier sans autorisation sur leur site la photo d’un produit d’un autre site puisqu’ils vendent ce produit. Malgré son accès aisé, rapide et gratuit, un site Internet est régi en propriété intellectuelle par un cadre juridique auquel l’exploitant doit se conformer. Nous ne pouvions traiter dans ces quelques lignes de toute la panoplie de droits qui entrent en jeu dans un site Internet. Notons par exemple que pour certains sites, des considérations relatives aux brevets d’invention et aux dessins industriels devront aussi être prises en compte. Toutes ces questions juridiques ne vont pas de soi. Il y a plusieurs règles à suivre pour éviter les pratiques illégales, pour s’épargner la mauvaise surprise de constater qu’on ne détient pas les droits de propriété intellectuelle sur certains éléments ou sur l’ensemble du site ou pour éviter d’être menacé de poursuite en violation des droits de tiers. De plus, il est possible que tout le travail qu’une entreprise aura investi pour réaliser et faire fonctionner son site Internet ne lui procure aucune valeur additionnelle si elle a négligé de protéger ses droits, alors que la propriété intellectuelle devrait, au contraire, constituer l’un de ses actifs importants. Il est donc important de bien se familiariser avec ces règles, de protéger ses droits et de prévenir les embûches juridiques, et ce, idéalement, avant le lancement d’un site. Si la question des droits de propriété intellectuelle est traitée après le lancement, il pourrait ne pas être trop tard pour protéger vos droits ou pour tenter de corriger les problèmes juridiques. Que votre site soit déjà en ligne ou sur le point d’être lancé, vous devriez faire réaliser un audit des droits. Ceci vous permettra d’identifier les situations problématiques et, le cas échéant, de protéger vos droits, de signer les contrats et de résoudre les problèmes. Vous pourrez ainsi remédier aux situations illégales ou aux situations qui placent votre entreprise dans une position désavantageuse.
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Commerce électronique : vos obligations en matière de protection du consommateur et de concurrence
Avant de vendre vos produits et services en ligne, vous devrez déterminer la forme que prendra votre contrat ainsi que son contenu et vous assurer de respecter les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur (la « LPC »). La LPC s’applique à tout contrat conclu au Québec entre un consommateur et un commerçant, notamment les contrats de vente en ligne, à titre de « contrat conclu à distance ». Règles applicables aux contrats conclus sur Internet Forme Le contrat conclu sur Internet doit être sous forme écrite, doit contenir le nom et l’adresse du commerçant ainsi que la date de transaction. De plus, certaines informations doivent obligatoirement être données aux consommateurs avant la conclusion du contrat, notamment : les renseignements sur l’identification de votre entreprise; une description détaillée des biens ou des services que vous vendez, y compris leurs caractéristiques et leurs spécifications techniques; le prix de chaque bien ou les modalités de paiement; la date de livraison ou la date à laquelle le service sera fourni; et d’autres précisions quant à la livraison, les politiques d’annulation et toute autre restriction ou condition applicable. Ces renseignements obligatoires doivent être présentés de manière évidente, compréhensible et être expressément portés à la connaissance du consommateur. Cela pourrait être fait par le biais d’une page Web contenant ces renseignements qui apparaissent obligatoirement à l’écran avant que le consommateur ne paye pour les articles dans le panier. Acceptation Avant la conclusion du contrat, le commerçant doit donner expressément au consommateur la possibilité d’accepter ou de refuser l’offre et d’en corriger les erreurs le cas échéant. Exemplaire Un exemplaire du contrat doit être remis au consommateur dans les 15 jours de la conclusion du contrat. L’exemplaire remis doit pouvoir être aisément conservé ou imprimé sur support papier. Livraison Un consommateur peut mettre fin au contrat s’il n’a pas reçu son bien (ou si le service n’a pas été exécuté) dans les 30 jours de la date convenue au contrat ou suivant la date de la conclusion du contrat si aucune date n’est indiquée au contrat. À noter qu’un bien qu’on a tenté de livrer à la date convenue sera considéré comme livré. Annulation La LPC permet aux consommateurs d’annuler le contrat dans plusieurs cas, notamment lorsque le commerçant ne respecte pas les dispositions énoncées ci-dessus. Chaque commerçant est libre de prévoir une politique d’annulation et d’en fixer les conditions. Le consommateur doit être informé de cette politique avant la conclusion du contrat et elle doit être inscrite dans le contrat. Garanties Garantie légale La Loi sur la protection du consommateur prévoit une garantie légale qui s’applique automatiquement à l’achat d’un bien, que ce soit en magasin ou à distance. En vertu de cette garantie légale, un bien doit pouvoir servir à l’usage auquel il est normalement destiné et à un usage normal pendant une durée raisonnable eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien. Un consommateur a également un recours contre le commerçant en cas de vice caché du bien. Garantie supplémentaire Il est également possible pour un commerçant d’offrir une garantie supplémentaire en ligne aux consommateurs, à condition de respecter les dispositions prévues à cet effet de la LPC. Application et exceptions Veuillez noter que les règles énoncées ci-dessus s’appliquent généralement, mais peuvent ne pas s’appliquer dans le cadre de certains contrats, dont les contrats de vente de biens susceptibles de dépérir rapidement, tels que la nourriture. La Loi sur la protection du consommateur contient des exceptions ou des dispositions particulières à certains secteurs de consommation. Différentes lois et différents règlements pourraient également s’appliquer à certains types de biens et services que vous vendez. Les enjeux du droit de la concurrence La LPC contient des obligations relatives à la concurrence qui sont spécifiques au Québec. Tout commerçant au Québec devra également respecter les dispositions de la Loi sur la concurrence du Canada. Cette loi a pour objectif i) de préserver et de favoriser la saine concurrence entre les entreprises au Canada; ii) d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs; et iii) d’offrir aux consommateurs un choix dans les produits et de les protéger contre les pratiques frauduleuses ou interdites. Pratiques commerciales interdites Affichage trompeur des prix En vertu de la LPC, lorsque vous annoncez le prix d’un produit ou d’un service, vous avez l’obligation d’annoncer un prix « tout inclus », qui comprend toutes les sommes que le consommateur devra payer pour le produit ou le service. Le prix tout inclus doit être mis davantage en évidence que les sommes qui le composent. Les taxes (TPS/TVQ) entre autres choses peuvent être exclues du prix annoncé, mais devront être ajoutées au moment du paiement. L’indication et l’affichage des prix sont également assujettis à des règles précises en vertu de la Loi sur la concurrence. Renseignements faux ou trompeurs Un message publicitaire contenant des renseignements faux, trompeurs ou passant sous silence un fait important est prohibé en vertu de la LPC. La Loi sur la concurrence quant à elle,interdit de fournir au public une indication fausse ou trompeuse sur un point important. Les dispositions de la Loi sur la concurrence portant sur les indications fausses et trompeuses s’appliquent à plusieurs sujets, dont ceux qui suivent : Indications de rendement non fondées : il est interdit de fournir au public des indications sur le rendement, l’efficacité ou la durée de vie utile d’un produit si ces indications ne s’appuient pas sur une épreuve suffisante et appropriée. Épreuves ou attestations fausses ou non autorisées : il est interdit d’utiliser des attestations ou des épreuves de rendement de produits (ex. tests scientifiques, témoignages de consommateurs, etc.) sans autorisation. Celles-ci ne peuvent bien évidemment pas être déformées. Garanties trompeuses : il est interdit d’offrir à un consommateur une garantie contenant des indications trompeuses sur un point important susceptible d’influencer sa décision d’achat. L’impression générale projetée par une indication ainsi que le sens littéral de celle-ci servent à déterminer si la garantie est trompeuse. Concours publicitaires trompeurs : certains renseignements reliés à la tenue des concours publicitaires doivent obligatoirement être communiqués au public. De plus, l’envoi de toute documentation qui laisserait croire à tort au destinataire qu’il a gagné un prix ou tout autre avantage est interdit. À noter qu’au Québec, il existe des règles spécifiques liées aux concours publicitaires. Autres pratiques interdites La Loi sur la concurrence vise à prévenir les abus de position dominante et prévoit donc des normes plus sévères qui s’appliquent aux entreprises qui occupent une position dominante d’un marché. Les dispositions relatives au complot visent à empêcher une entreprise de réduire indûment la concurrence, ou encore à augmenter déraisonnablement le prix d’un produit. Cette loi prohibe également le refus de vendre un produit, dans la mesure où une entreprise n’a pas le droit de nuire à une cliente en refusant de l’approvisionner de façon suffisante aux conditions normales du marché. Finalement, les restrictions verticales, soit des pratiques telles que l’exclusivité, les ventes liées et la limitation du marché sont prohibées dans la mesure où elles imposent de façon générale des conditions qui restreignent la liberté des consommateurs. Sanctions Tant la Loi sur la protection du consommateur que la Loi sur la concurrence prévoient des sanctions en cas de pratique interdite. En vertu de la Loi sur la concurrence, certains actes sont considérés comme étant criminels si une personne les faits sciemment ou sans se soucier des conséquences qu’ils peuvent avoir sur le public.
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Commerce électronique : certaines lois et règles que vous devez connaître
Diverses manières de faire du commerce électronique Le commerce électronique prend plusieurs formes : il est dit « direct », lorsque le contrat de vente ou de service est conclu électroniquement et que le produit ou le service est également livré électroniquement (par exemple, la conclusion en ligne d’un contrat d’abonnement à une publication uniquement disponible en ligne), et « indirect » lorsque le contrat de vente ou de service est conclu électroniquement et que le bien est un bien matériel ou que le service est rendu autrement qu’en ligne. Le commerce électronique peut se faire entièrement en ligne ou de manière hybride lorsque le vendeur exerce ses activités à la fois en ligne et au moyen de magasins traditionnels. Il est « fermé », lorsqu’il intervient entre un nombre de participants relativement peu élevé qui ont déjà des liens contractuels ou professionnels entre eux. Il peut intervenir entre une entreprise et un consommateur, on l’appelle alors B2C, ou entre une entreprise et une autre entreprise, on dit alors qu’il est B2B. Le commerce électronique pose des défis particuliers pour les entreprises et si ces défis ne sont pas adéquatement relevés, ils sont susceptibles d’exposer l’entreprise à des responsabilités additionnelles nouvelles. Ces défis font en sorte que le commerce électronique peut être particulièrement risqué pour les entreprises néophytes qui s’y lancent sans être adéquatement préparées. Par exemple, certaines données personnelles des clients, telles que leur nom et leur adresse et leur numéro de carte de crédit, devront nécessairement être mises en la possession directe du commerçant ou encore en sa possession indirecte par le biais d’un fournisseur de plateforme de commerce électronique. L’utilisation de ces données personnelles est soumise aux dispositions des lois sur la protection des renseignements personnels et, de plus, comme elles ont une grande valeur pour des voleurs ou des fraudeurs potentiels, elles devront être protégées. Le commerçant pourrait aussi être victime de commandes frauduleuses ou encore de paiements effectués au moyen de cartes de crédit dont les numéros ont eux-mêmes été volés. Pour mieux contrôler ses risques, l’entreprise néophyte peut donc avoir intérêt à faire affaire avec des fournisseurs de plateformes de commerce électronique déjà établies, telles Shopify, BigCommerce, Squarespace ou encore GoDaddy, lesquelles ont mis en place des infrastructures robustes à l’intention de leurs clients. Malgré tout, l’entreprise devrait tout de même « faire ses devoirs » avant de choisir l’une ou l’autre des plateformes de commerce électronique établies. Ainsi, l’entreprise devrait se renseigner quant aux modalités de la convention de services qu’elle conclura avec le fournisseur choisi et, en particulier, quant aux services offerts (ce qui comprend aussi la manière dont la plateforme traite les retours et la rétrofacturation), quant à la façon dont la plateforme protège ses clients en cas de vol de données ou de fraude, quant aux frais facturés, etc. De plus, dans tous les cas, que l’entreprise fasse ou non affaire avec un fournisseur de plateforme de commerce électronique, elle devrait s’assurer de ne conserver sur ses propres serveurs et ordinateurs que l’information absolument nécessaire et éviter, autant que possible, de conserver une fois la transaction complétée des données personnelles appartenant à un client, comme son nom, son adresse et son numéro de carte de crédit. L’entreprise qui décide de se lancer dans le commerce électronique doit aussi être consciente de certains aspects juridiques particuliers liés, d’une part, aux particularités du commerce électronique lui-même et, d’autre part, au fait que sa clientèle peut se trouver n’importe où dans le monde. Pour les fins de cet article, nous allons nous attarder sur les règles applicables à tous les types de commerces électroniques; un futur article traitera des règles particulières prévues à la Loi sur la protection du consommateur. Taxe à la consommation La majorité des États et provinces imposent une taxe à la consommation sur les biens et, parfois, sur les services vendus sur leur territoire. Les lois applicables en matière de taxes à la consommation prévoient généralement que les entreprises qui ont une présence dans le territoire doivent percevoir la taxe applicable et la remettre aux autorités compétentes. Pour une entreprise qui n’a par ailleurs aucune présence dans un territoire, le simple fait d’y vendre un bien n’est en général pas suffisant pour qu’elle doive s’enregistrer auprès des autorités fiscales de ce territoire, percevoir la taxe applicable et la remettre à ces autorités. Il faut toutefois être conscient que la définition de ce qui constitue une présence suffisante pour exiger l’enregistrement de l’entreprise et la perception et la remise de la taxe à la consommation varie d’un territoire à l’autre. L’entreprise qui veut vendre ses biens et services électroniquement doit donc s’assurer d’être au fait des règles applicables en matière de taxes à la consommation dans les principaux territoires où elle vend ses biens ou fournit ses services. Licences et permis Bien que pour la grande majorité des biens typiquement vendus en ligne, il n’est pas nécessaire que le fabricant ou le vendeur se procure une licence, un permis ou une autre autorisation gouvernementale, des licences, des permis ou d’autres autorisations peuvent être obligatoire avant de pouvoir vendre en ligne ou autrement, au pays ou à l’étranger, certains produits, particulièrement dans le domaine médical ou pharmaceutique. Notons qu’une entreprise pourrait avoir le droit de vendre un bien sans licence, permis ou autre autorisation dans un territoire, mais n’aurait pas le droit de le faire dans un autre. Ainsi, si un commerçant veut vendre son produit dans un territoire où un permis, une licence ou une autre autorisation est nécessaire, il devra s’assurer d’obtenir ce permis ou cette licence avant de procéder à ses ventes. De plus, dans certains territoires la vente au détail de certains biens doit nécessairement se faire par le biais d’entreprises qui détiennent un monopole d’État. De telles restrictions sont encore la norme au Canada en ce qui concerne les boissons alcoolisées. Ainsi, un résident de l’Ontario ne peut commander directement sur Internet des produits alcooliques auprès d’un producteur de boissons alcooliques d’une autre province et se les faire livrer en Ontario, ce qui empêche un producteur artisanal de boissons alcoolisées québécois de vendre ses produits en ligne à des clients ontariens pour livraison en Ontario. Expédition Tous les biens ne peuvent pas être expédiés de la même manière, certains doivent être conditionnés de manière particulière et il est même interdit d’expédier certains autres biens par les moyens ordinaires que sont Postes Canada et les principales sociétés de messagerie. Par exemple, Postes Canada exige que le poisson, le gibier, la viande, les fruits, les légumes ou autres produits périssables soient conditionnés de façon appropriée et satisfassent à certaines autres exigences. D’autres produits ne peuvent tout simplement pas être expédiés par la poste. Il en va ainsi des objets classifiés comme matière dangereuse. Dans un tel cas, il faudra faire affaire avec un service de messagerie qui expédie de telles matières. Enfin, les lois canadiennes interdisent l’exportation de certains biens ou soumettent leur exportateur à l’obtention de permis spéciaux. De la même façon, le commerçant devra s’assurer que les lois du territoire de destination permettent l’importation sur son territoire des biens expédiés. Tous les pays interdisent l’importation de certains biens sur leur territoire ou soumettent leur importateur à l’obtention d’un permis ou d’une licence émis par leur gouvernement. Restrictions quant à l’âge En vertu des lois et règlements applicables, certains biens ne peuvent être vendus qu’à des personnes ayant atteint un certain âge ou ne peuvent être vendus à des enfants. Ces restrictions peuvent varier d’un territoire à l’autre. Par exemple, alors que l’âge pour acheter de l’alcool est de 18 ans au Québec, il est de 19 ans ailleurs au Canada et de 21 ans aux États-Unis. Les commerçants qui veulent vendre des boissons alcoolisées en ligne doivent donc tenir compte de ces restrictions. Il en va de même de la vente de tout autre bien assujetti à des restrictions quant à l’âge. Conformité aux normes PCI-DSS Les entreprises émettrices de cartes de crédit que sont American Express, Discover Financial Services, JCB International, MasterCard et Visa ont constitué en 2006 le Conseil des normes de sécurité PCI pour uniformiser les règles et les normes applicables aux paiements effectués au moyen de leurs cartes de crédit. Pour atteindre cet objectif, le conseil a adopté une série de règles, mieux connues sous leur acronyme anglais PCI-DSS (Payment Card Industry Data Security Standard), auxquelles doivent adhérer tous les marchands qui souhaitent recevoir des paiements par carte de crédit, y compris les paiements directs en ligne. Ainsi, tout marchand qui souhaite traiter des paiements par carte de crédit sur son site Internet doit, à moins de faire affaire avec une plateforme de paiement elle-même conforme, se conformer aux normes PCI-DSS, et ce, peu importe la taille de son entreprise. Les normes PCI DSS spécifient les 12 conditions de conformité suivantes, regroupées dans six groupes appelés « objectifs de contrôle ». Le tableau qui suit, tiré du document intitulé « Industrie des cartes de paiement (PCI) — Norme de sécurité des données — Conditions et procédures d’évaluation de sécurité1, résume la teneur de ces normes. Objectif de contrôle Conditions du PCI DSS Création et gestion d’un réseau et d’un système sécurisé 1. Installer et gérer une configuration de pare-feu pour protéger les données du titulaire de carte 2. Ne pas utiliser les mots de passe système et autres paramètres de sécurité par défaut définis par le fournisseur Protection des données de titulaire de carte 3. Protéger les données de titulaires de carte stockées 4. Crypter la transmission des données du titulaire sur les réseaux publics ouverts Gestion d’un programme de gestion des vulnérabilités 5. Protéger tous les systèmes contre les logiciels malveillants et mettre à jour régulièrement les logiciels ou programmes anti-virus 6. Développer et maintenir des systèmes et des applications sécurisés Mise en œuvre de mesures de contrôle d’accès strictes 7. Restreindre l’accès aux données de titulaires de carte aux seuls individus qui doivent les connaître 8. Identifier et authentifier l’accès à tous les composants du système 9. Restreindre l’accès physique aux données du titulaire de carte Surveillance et test réguliers des réseaux 10. Effectuer le suivi et surveiller tous les accès aux ressources réseau et aux données du titulaire de carte 11. Tester régulièrement les processus et les systèmes de sécurité Gestion d’une politique de sécurité des informations 12. Gérer une politique qui adresse des informations de sécurité pour l’ensemble du personnel Bien que les normes PCI-DSS soient obligatoires, seules Visa et MasterCard exigent que les commerçants et fournisseurs de services qui acceptent les cartes Visa et MasterCard soient en conformité avec ces normes. L’entreprise qui ne serait pas conforme à ces normes engage sa pleine responsabilité si une fraude, associée à un vol des données du titulaire de la carte, a lieu. De plus, dans le cas d’une faille de sécurité, toutes les entreprises exposées qui ne sont pas conformes aux normes PCI-DSS devront payer une amende. Il incombe aux commerçants et aux fournisseurs de services de réaliser, de démontrer et de maintenir leur conformité par le biais d’une validation annuelle. Des fournisseurs offrent leurs services aux entreprises pour leur permettre de se conformer aux normes PCI-DSS et il existe aussi des outils utiles sur Internet pour leur permettre de s’assurer qu’elles sont conformes à ces normes2. Par ailleurs, une entreprise qui ne désire pas passer à travers le processus de conformité aux normes PCI peut toujours décider de faire affaire avec une passerelle de paiement qui elle, sera conforme à ces normes3. PCI Security Standards Council, « Industrie des cartes de paiement (PCI) — Norme de sécurité des données — Conditions et procédures d’évaluation de sécurité » (Version 3.2.1, mai 2018), en ligne (pdf) : Site officiel du conseil de normes de sécurité PCI Une recherche au moyen des mots clés « PCI DSS conformité » ou « PCI DSS conformity » renvoie à une grande partie de ces outils. Une recherche au moyen des mots clés « PCI DSS passerelle de paiement » renvoie également à plusieurs fournisseurs de telles passerelles.
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Comment négocier des ententes ou contrats temporaires en période de crise?
La propagation rapide du coronavirus (COVID-19) et l’instauration de mesures gouvernementales strictes limitent ou modifient les opérations d’un grand nombre d’entreprises. Ces mesures imposent des restrictions inhabituelles qui rendent la réalisation de certaines obligations contractuelles plus difficile. Dans un tel contexte, plusieurs entreprises voudront évaluer la possibilité de modifier certains engagements et certaines modalités de leurs contrats afin de survivre à la pandémie et reprendre leurs activités commerciales plus tard, lors de l’après-crise. À ces fins, nous vous proposons ci-après quelques pistes de réflexion sur la façon d’envisager la négociation d’une entente temporaire, quelques principes juridiques susceptibles de trouver application pour entreprendre les discussions et la négociation, et certains autres éléments à considérer dans une approche de négociation. Comment peut-on s’y prendre et par où commencer : quelques pistes Il est pertinent de revoir l’ensemble de vos contrats, de les classer de manière à déterminer ceux qui sont primordiaux pour le fonctionnement de votre entreprise et ceux qui comportent le plus d’incidences financières. Pensez également à votre cocontractant, qui peut également subir les contrecoups de la pandémie. Celui-ci est-il en défaut d’exécuter ses obligations envers vous, ou subit-il un préjudice quelconque du fait de votre incapacité à acquitter vos obligations? La majeure partie des obligations contenues dans un contrat ne peuvent être modifiées de manière unilatérale. Cependant, les parties à un contrat doivent malgré tout exécuter leurs obligations respectives de bonne foi. La survenance d’une situation exceptionnelle comme la COVID-19 est susceptible de forcer chacune des parties à faire preuve de plus de souplesse afin de s’acquitter de son devoir d’agir de bonne foi. Il est possible de vérifier si certains de ces contrats sont de par leur nature toujours pertinents ou s’ils le demeureront une fois que la courbe sera aplanie et que les activités économiques reprendront. Quant aux contrats moins pertinents à vos opérations, vous pouvez vérifier s’ils comportent des dispositions permettant d’y mettre fin unilatéralement, de consentement entre les parties ou selon un mécanisme particulier. Dans le cas contraire, il peut être avisé de réfléchir à la pertinence d’entreprendre une discussion avec votre ou vos cocontractants afin de négocier certaines modalités de vos contrats de manière à en amenuiser le plus possible les incidences négatives durant la pandémie. Pour les contrats qui doivent être maintenus, vous pouvez, pour chacun d’eux, dresser une liste de l’ensemble des obligations auxquelles vous ne pourrez vraisemblablement pas satisfaire en tout ou en partie, ainsi que celles que votre ou vos cocontractants ne pourraient non plus être en mesure de respecter, et ce, afin d’ouvrir la porte à une négociation à l’amiable de certaines dispositions pour les prochains mois. Dans le cadre de votre analyse, portez une attention particulière aux clauses suivantes : Défaut : qu’est-ce qui constitue un défaut aux termes du contrat? Quelles sont les conséquences d’un défaut? Un défaut aux termes du contrat constitue-t-il également un défaut aux termes d’un ou de plusieurs autres contrats? Le contrat prévoit-il une période de temps pour corriger un défaut? À quelles conditions? Délai : le contrat établit-il des délais particuliers pour exécuter certaines obligations? Lesquels? Le contrat prévoit-il la possibilité d’obtenir un délai supplémentaire afin de s’exécuter? Un avis doit-il être envoyé à cet égard? Expire-t-il prochainement? Exclusivité : le contrat est-il de nature exclusive? Peut-on déroger à cette exclusivité? Dans quelles circonstances et à quelles conditions? Force majeure : le contrat contient-il une clause de force majeure excusant l’incapacité d’une partie d’exécuter ses obligations? Qu’en est-il des obligations de chacune des parties, notamment de nature financière, dans un contexte de force majeure? Bien que le Code civil du Québec définit cette notion, le contrat peut toujours prévoir sa propre définition. Un cas de force majeure nécessite habituellement la présence d’un événement imprévisible, irrésistible et extérieur à la partie qui prétend s’en prévaloir. Information continue : le contrat prévoit-il l’obligation de tenir informé son cocontractant lors de la survenance de certains événements? Si oui, lesquels? La COVID-19 ou une quelconque pandémie en fait il partie? Négociation : le contrat prévoit-il la possibilité pour les parties de renégocier certaines modalités? Lesquelles? À quel moment? À quelles conditions? Paiement : le contrat établit-il des délais pour le paiement du cocontractant ou pour effectuer tout autre type de paiement?selon la nature du contrat? Prévoit-il l’établissement d’un délai supplémentaire pour effectuer le paiement? Quelles sont les conséquences de retarder ou ne pas effectuer le paiement? Performance financière : le contrat établit-il des critères financiers de performance (respect de certains ratios financiers par exemple)? À quelle fréquence? Quelles sont les conséquences de ne pas se conformer à ces critères de performance? Pénalités : le contrat contient-il des pénalités en cas de retard de paiement de certaines sommes ou advenant un manquement à certaines obligations? À quel moment cette pénalité est-elle exigible? À combien peut-elle s’établir? Responsabilité : la responsabilité des cocontractants est-elle illimitée aux termes du contrat ou le contrat prévoit-il plutôt des limites au montant qui peut être réclamé?(montant maximal/montant minimal)? Doit-on présenter une réclamation dans un délai prédéterminé? Prévoit-on l’envoi d’un avis particulier à cet égard? Résolution de conflit : le contrat prévoit-il une méthode de résolution de conflit? La médiation ou encore l’arbitrage? Quelles sont les conditions?d’exercice de ces mécanismes? Établissez la liste de toutes les conséquences d’un non-respect de vos obligations (ex. pénalités, avis de défaut, intérêts), et dressez une liste de propositions viables que vous pouvez présenter à votre cocontractant à titre d’alternative. Juridiquement, quels principes sont susceptibles de vous permettre de négocier avec votre cocontractant une entente temporaire ou un atermoiement de vos obligations? Certaines dispositions ou principes juridiques peuvent donner ouverture à la résiliation d’un contrat ou servir d’arguments pour convenir d’une entente temporaire ou d’un atermoiement de vos obligations. En voici quelques exemples non limitatifs. Force majeure Certaines parties à un contrat voudront se prévaloir du concept de force majeure pour y mettre fin ou en suspendre temporairement les effets. Bien que cette notion soit intéressante, elle ne s’applique qu’à des situations bien précises, et ne reçoit pas d’application généralisée. Tel qu’il est mentionné précédemment, le Code civil du Québec1 prévoit que la force majeure est un événement imprévisible et irrésistible, et qui ne de doit pas découler des faits et gestes des parties au contrat. Selon la nature des obligations visées, un contractant pourra être libéré de ses obligations, ou voir ses obligations de nature successive suspendues pendant cette période de force majeure. Le contrat peut également prévoir d’autres paramètres et circonscrire des événements susceptibles de constituer un cas de force majeure entre les parties. Le droit d’invoquer la force majeure doit s’évaluer au cas par cas dans le cadre de chaque contrat et de la nature de la relation entre les parties. Ultimement, une partie qui n’est pas en mesure d’exécuter ses obligations en totalité ou en partie doit prendre les mesures à sa disposition afin de minimiser ses dommages. Vous trouverez plus d’information sur la notion de force majeure et son application dans le bulletin La COVID-19 et son impact sur les contrats. Droit à la résiliation Certaines dispositions du contrat peuvent permettre sa résiliation par l’une ou l’autre des parties, selon des modalités ou des motifs précis. Certains contrats prévoiront un mécanisme de résiliation au gré de l’une ou l’autre des parties ou suivant le consentement mutuel de celles-ci. À défaut de telles clauses au contrat, il demeure primordial de qualifier la nature du contrat, puisque des dispositions législatives pourraient en permettre la résiliation. C’est d’ailleurs le cas du contrat de service ou d’entreprise, que le client peut résilier unilatéralement comme le permettent les articles 2125 et suivants du Code civil du Québec, évidemment sous réserve de certaines limites. Il est donc pertinent avant de décider de procéder à la résiliation unilatérale d’un contrat, de consulter son conseiller juridique afin de bien qualifier la nature de ce contrat, valider les modalités de celui-ci à l’égard de la résiliation et déterminer les conséquences possibles d’une telle résiliation (ex. pénalités, préjudice à l’autre partie, etc.). Obligation de bonne foi dans le cadre de l’exécution des contrats L’obligation de bonne foi impose certains devoirs en matière contractuelle, notamment les devoirs de loyauté et de collaboration. Du devoir de loyauté découle certaines interdictions comme celles de ne pas alourdir le fardeau d’un cocontractant, de ne pas compromettre la relation contractuelle et de ne pas adopter une conduite excessive et déraisonnable2, alors que le devoir de collaboration, plus positif de par sa nature, vise l’assistance et la coopération entre les cocontractants afin de favoriser l’exécution du contrat. Ainsi, au-delà de la relation contractuelle entre les parties, l’obligation de bonne foi permet d’instaurer une véritable relation de collaboration voire de partenariat entre les parties. Une partie victime des agissements de son cocontractant — qui ne seraient pas conformes à son obligation de bonne foi selon les modalités du contrat ou qui découlent implicitement de ces modalités — peut se trouver dans une position favorable afin de réclamer des dommages. Ainsi, dans la mesure où une partie éprouve des difficultés à exécuter ses obligations en raison d’un événement qui échappe à son contrôle, elle est en droit de s’attendre à ce que son cocontractant fasse preuve de bonne foi dans l’exécution du contrat et qu’il agisse raisonnablement. Abus de droit L’exercice par une partie de ses droits prévus au contrat peut, dans certaines situations, constituer de l’abus de droit. À titre d’exemple, une partie qui est en défaut de ses obligations de paiement aux termes du contrat en raison de la fermeture de son entreprise exigée par les autorités gouvernementales peut déclencher la mise en application d’une clause de défaut au contrat au bénéfice de l’autre partie qui pourrait dès lors procéder à la résiliation immédiate du contrat sur simple avis. Bien que les modalités du contrat puissent être claires, l’empressement déraisonnable de l’autre partie de rechercher la résiliation du contrat serait susceptible de constituer un abus de droit. En effet, la nature de la relation entre les parties, la durée de la relation d’affaires et les faits ayant mené au défaut ont une incidence sur la manière dont une partie peut exercer ses droits aux termes du contrat. L’exercice de droits prévus au contrat d’une façon telle que cela peut créer des effets dévastateurs ou catastrophiques pour l’un de cocontractant pourrait ainsi constituer un abus de droit dans le cadre de l’exécution du contrat. Médiation Le contrat peut prévoir des mécanismes de résolution de conflits tels que la médiation ou l’arbitrage. Dans la mesure où un différend survient entre les parties cocontractantes et que le contrat prévoit le recours à des mécanismes alternatifs de règlement de ce différend, il sera possible ou même obligatoire de soumettre celui-ci à un processus tel que la médiation devant un tiers, dans le cadre duquel on tentera d’amener les parties à trouver un terrain d’entente. En cas d’inexécution des obligations d’une partie au contrat, cette avenue peut s’avérer fort intéressante, évidemment dans la mesure où le contrat contient une disposition prévoyant le recours à de tels mécanismes. Comment est-il possible de négocier une entente temporaire, et y a-t-il des éléments qui peuvent être mis de l’avant dans le cadre des discussions? Considérant la situation actuelle exceptionnelle, il peut aussi s’avérer opportun pour les parties à un contrat de communiquer entre elles afin de vérifier les incidences de la pandémie sur l’exécution du contrat qui les lie. Ainsi, les parties peuvent conjointement conclure à la présence d’obstacles particuliers à l’exécution de certaines obligations au contrat; Dans un tel cas, proposez des solutions ou des scénarios qui visent à minimiser les incidences négatives pour vos entreprises respectives. Misez sur le facteur d’entraide mutuelle pour vous conformer à certaines obligations ou en suspendre d’autres (exécution, fabrication, livraison, délais, moratoire, etc.); Il est possible de proposer l’exécution de certaines obligations en contrepartie de l'exécution d'obligations corrélatives de votre cocontractant; Dans la mesure où cela peut être envisagé, misez sur des paiements partiels, des reports de paiement, l’étalement de paiements dans le temps ou un remboursement à pourcentage fondé sur les revenus ou les ventes à compter de la reprise des opérations suivant la pandémie; Si vous en avez la possibilité, proposez des garanties additionnelles à votre cocontractant (ex. : hypothèque, cautionnement personnel, cautionnement d’un tiers); Vérifiez si vos assurances couvrent la cessation de vos opérations, des délais dans l’exécution de vos obligations, ou les pertes financières découlant de certains de vos contrats afin de vous permettre de proposer des alternatives viables; Déterminez quels fournisseurs ou partenaires sont disposés à convenir d’une entente temporaire et ceux qui refusent ou sont moins disposés à cet égard. Ainsi, vous pourrez tenter d’optimiser vos ententes avec les partenaires plus conciliants, ce qui pourrait vous permettre de poursuivre l’exécution de certaines obligations avec vos cocontractants plus réfractaires. Innovez ! Réfléchissez à des solutions de rechange qui n’auraient peut-être pas été possibles, ou que vous n’auriez pu envisager avant la pandémie et qui vous permettent d’optimiser vos façons de faire ou vos relations d’affaires. Bref, imaginez l’inimaginable. Quelques réflexions avant d’entreprendre une négociation Ne pensez pas uniquement à la période de restrictions des activités non essentielles soit, au moment d’écrire ces lignes, jusqu’au 4 mai 2020. Pensez aux semaines et aux mois qui suivront et qui seront nécessaires au rétablissement de vos relations d’affaires et à la reprise du cours normal de vos affaires, tout en assumant l’exécution de vos obligations courantes et des reports négociés durant la pandémie; L’incapacité de s’adapter ou le maintien d’une ligne dure dirigera certaines entreprises tout droit vers le gouffre et les obligera à envisager divers processus d’insolvabilité. Il faut être en mesure d’expliquer à ses cocontractants en quoi une position trop ferme ou inflexible ne pourra, à moyen terme, être satisfaisante ou servir les intérêts des parties, en plus d’être nuisible aux parties qui requerront vraisemblablement de la souplesse dans l’exécution des obligations prévues au contrat. Il est pertinent de bien cerner les considérations propres à votre entreprise et votre modèle d’affaires, et déterminer les éléments qui peuvent influencer vos décisions soit, notamment, la nature de la relation avec votre cocontractant, en particulier s’il est un client ou un fournisseur de longue date, s’il s’agit d’une relation qui est appelée à se poursuivre dans le temps ou il s’agit d’un contrat unique non répétitif, et quels seront les conséquences, y compris le risque réputationnel, susceptible de découler de vos décisions. Au-delà des principes juridiques, la relation d’affaires à long terme doit être privilégiée et protégée. Il s’agit d’un argument qu’il ne faut pas sous-estimer. L’objectif pour la plupart des entreprises québécoises est de trouver un terrain d’entente satisfaisant pour les parties en présence, en tentant de minimiser les incidences de part et d’autre. Un mot pour gouverner la conduite des parties : « Flexibilité ». Au cours de cette période où la solidarité est de mise, il peut être davantage utile que chaque partie y mette un peu du sien pour en arriver à une entente temporaire dûment négociée. Le présent bulletin vise à vous proposer des pistes de réflexion quant à l’approche de la négociation de contrats en cours, gardant à l’esprit que chaque situation constitue un cas d’espèce. Pour plus d’information, notre équipe de droit des affaires demeure à votre disposition pour vous accompagner tout au long de la pandémie! Art. 1470, al. 2 C.c.Q. Didier Luelles, La bonne foi dans l’exécution des contrats et la problématique des sanctions, La Revue du Barreau canadien, Vol. 83, 2004, p. 189-190.
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Nouveautés - Publicité, programme de fidélisation et crédit à la consommation
Cette publication a été coécrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil. Le 18 juillet 2017, à la suite de l’adoption, en novembre 2017, de la Loi visant principalement à moderniser des règles relatives au crédit à la consommation et à encadrer les contrats de service de règlement de dettes, les contrats de crédit à coût élevé et les programmes de fidélisation1 (la « Loi 24 »), des dispositions législatives et règlementaires importantes touchant les droits et obligations des commerçants et des consommateurs québécois ont été sanctionnées et publiées dans la Gazette officielle du Québec. En effet, le Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur2, le Règlement d’application de la Loi sur le recouvrement de certaines créances3 et le Règlement sur les agents de voyages4 ont fait l’objet de changements et ajouts substantiels. Du même coup, ont été édictées les dates d’entrée en vigueur progressive des dispositions de la Loi 24. Les modifications à la Loi sur la protection du consommateur5, à son règlement d’application et les nouvelles dispositions entreront en vigueur en quatre étapes au cours de la prochaine année. Aperçu des modifications affectant substantiellement les obligations des commerçants Pratiques de commerce et publicité Les dispositions suivantes sont entrées en vigueur le 1er août 2018 : - En vertu du nouvel article 231.1 LPC, l’illustration d’un bien ou service dans un message publicitaire devra être fidèle au bien ou service véritablement offert lorsque le message divulguera aussi son prix ou sa valeur. - Le nouvel article 244.1 LPC interdira aux commerçants de faire, à l’occasion d’un message publicitaire, une représentation fausse ou trompeuse selon laquelle le crédit peut améliorer la situation financière d’un consommateur. - Le nouvel article 251.1 LPC interdira de retenir une somme d’argent sur une carte de crédit à moins de divulguer, avant l’opération visée, le motif et la durée de cette retenue. - Le nouvel article 251.2 LPC interdira aux commerçants de transmettre à un agent de renseignements personnels des renseignements indiquant qu’un consommateur s’est prévalu d’un droit à la résolution ou la résiliation d’un contrat prévu par la LPC ou des informations défavorables à ce consommateur concernant des sommes qui ne sont plus exigibles en raison de l’exercice de ce droit. En vertu du nouvel article 223.1 LPC, les commerçants devront présenter les informations contenues dans les messages publicitaires de façon claire, lisible et compréhensible. Cette disposition entrera en vigueur le 1er février 2019. Clarification quant aux programmes de fidélisation En raison de l’entrée en vigueur des nouveaux articles 79.6.1 et suivants du Règlement, les nombreux commerçants offrant des programmes de fidélisation permettant d’obtenir des biens ou des services dont la valeur dépasse 50$ pourraient avoir à modifier leurs pratiques. Ces dispositions entreront en vigueur le 1er août 2019 : - Le nouvel article 79.6.4 prévoit que les conditions permettant de recevoir des unités d’échange, les modalités applicables à l’échange, les modalités applicables à la péremption ainsi que le facteur de conversion utilisé pour convertir les unités d’échange sont des renseignements que les commerçants doivent obligatoirement fournir aux consommateurs dans le cadre des programmes de fidélisation. - La disposition du nouvel article 79.6.7 restreindra pour sa part la possibilité pour les commerçants d’augmenter le nombre d’unités à échanger pour obtenir un bien ou un service, à moins que cette augmentation ne soit justifiée par une augmentation significative de la valeur marchande de ce bien ou service. Depuis le 1er août 2018, le nouvel article 187.8 LPC exige que les unités d’échange obtenues par un consommateur demeurent valides et ne puissent expirer à une date déterminée ou après une période établie. L’effet de cette nouvelle disposition sera assoupli un an plus tard par le nouvel article 79.6.4 du Règlement. Qualification du crédit à coût élevé Les dispositions concernant le crédit à coût élevé entreront en vigueur le 1er août 2019 : - Selon le nouvel article 61.0.3 du Règlement, les contrats de crédit seront considérés à coût élevé lorsque leur taux de crédit sera 22 points de pourcentage plus élevé que le taux d’escompte de la Banque du Canada. - Les ajouts au nouvel article 93 du Règlement imposeront par ailleurs aux commerçants offrant du crédit à coût élevé d’être titulaires d’un permis particulier. Le nouvel article 18 du Règlement prévoira toutefois que les banques, les coopératives de services financiers, les sociétés de fiducie et de prêt, les prêteurs hypothécaires et les sociétés d’assurance ne seront pas assujetties à l’obtention de ce permis. - En vertu du nouvel article 73 de la LPC, un contrat de crédit à coût élevé pourra dorénavant être résolu dans les 10 jours qui suivent celui où chacune des parties est en possession d’un double du contrat. Resserrement des règles relatives à l’évaluation de la capacité de rembourser des consommateurs Les dispositions suivantes seront applicables à compter du 1er août 2019 : - Les nouveaux articles 103.2 et suivants LPC, ainsi que les nouveaux articles 61.0.1 et suivants du Règlement, qui prévoient une obligation d’évaluer la capacité de rembourser du consommateur avant de lui accorder du crédit et que cette capacité à rembourser du consommateur s’évaluera dorénavant en fonction des critères énoncés, notamment les revenus bruts du consommateur, le total des dépenses mensuelles récurrentes liées à l’habitation, le total des débours exigés en vertu d’un contrat de crédit ou d’un contrat de louage à long terme de biens, les informations contenues au rapport de crédit au moment de l’évaluation de la capacité à rembourser et, le cas échéant, l’historique de crédit auprès du commerçant. - Le nouvel article 103.3 LPC, qui énonce que l’omission d’effectuer l’évaluation prévue à l’article 103.2 pourra faire perdre au commerçant le doit de réclamer des frais de crédit. Le cas échéant, le commerçant pourrait avoir à rembourser les frais de crédit déjà payés par le consommateur. - Le nouvel article 61.0.5 du Règlement prévoit que les prêteurs qui concluent des contrats de crédit à coût élevé devront présenter au consommateur un document résumant le résultat de l’évaluation de sa capacité de rembourser ainsi que son ratio d’endettement, les modalités de calcul du ratio d’endettement, les éléments ayant servi au calcul du ratio d’endettement et, si le ratio d’endettement dépasse 45%, une mention obligatoire d’avertissement doit être inscrite dans le document. - Pour sa part, le nouvel article 103.5 LPC énonce que tout consommateur ayant conclu un contrat de crédit à coût élevé alors que son ratio d’endettement dépasse 45% est présumé avoir contracté une obligation excessive, abusive ou exorbitante. - Le nouvel article 103.1 LPC : cette disposition prévoit que les moyens de défense pouvant être soulevés par un consommateur relativement au bien financé seront opposables au prêteur; au surplus, en certaines circonstances, le consommateur pourra faire valoir les droits qu’il a contre le commerçant à l’encontre du prêteur. Renseignements visant le crédit à la consommation Les dispositions suivantes entreront en vigueur le 1er août 2019 : - Pour les contrats de crédit variable, en vertu de la nouvelle formulation de l’article 126 LPC, les commerçants devront fournir des informations précises aux consommateurs dans chacun des états de compte, notamment les droits et les obligations du consommateur relativement aux erreurs de facturation. - Pour les relevés d’utilisation d’une carte de crédit, cet article exige l’inclusion d’une estimation du nombre de mois et d’années requis pour acquitter la totalité du solde du compte. - Le nouvel article 126.1 LPC prévoit que le paiement minimal mensuel d’une carte de crédit ne pourra être inférieur à 5% du solde du compte. Tous les nouveaux contrats conclus après le 1er août 2019 sont assujettis à cette disposition. Pour les contrats déjà en cours, une période de transition de six ans est à prévoir. Ainsi, le paiement minimum augmentera progressivement d’un demi-point de pourcentage par année afin de passer de 2 à 5%. - Aux fins de l’article 127 de la LPC et de l’article 69.0.1 du Règlement, les émetteurs de cartes de crédit qui transmettent électroniquement les relevés devront les conserver et les rendre accessibles aux titulaires pendant une période de 2 ans. Conformément au nouvel article 21 du Règlement, les hypothèques de type parapluie seront visées par une double obligation de consentement. L’acte constitutif d’hypothèque devra indiquer les contrats de crédit à la consommation qui sont garantis par une telle hypothèque. Au surplus, une mention explicite indiquant que ce contrat de crédit est garanti par une hypothèque sur la valeur de la propriété du consommateur devra aussi être intégrée au contrat. Les commerçants qui concluent des contrats de crédit devront se conformer aux dispositions sur les hypothèques de type parapluie à compter du 1er août 2019. Notons que cette disposition ne s’appliquera pas aux hypothèques immobilières de premier rang. Utilisation de modèles de contrat Dès le 1er août 2019, les contrats de prêt d’argent, les formulaires de demande de carte de crédit, les contrats de crédit variable, les contrats de crédit variable conclus pour l’utilisation d’une carte de crédit, les contrats de vente à tempérament, les contrats de louage à valeur résiduelle garantie et les contrats assortis d’un crédit autre que de vente à tempérament devront désormais contenir certains renseignements précis, notamment un encadré informatif figurant au tout début du contrat, et répondre à plusieurs exigences de forme. Conclusion D’autres obligations entreront progressivement en vigueur au cours de la prochaine année. Cela est notamment vrai en ce qui concerne les agents de voyage qui sont entrées en vigueur le 1er août 2018 et d’autres qui entreront en vigueur le 1er janvier 2019 et pour les dispositions relatives à la délivrance d’un certificat de représentant d’agent de recouvrement et aux mentions exigées pour les contrats conclus par un commerçant de service de règlement de dettes dont l’application débutera le 1er février 2019. Finalement, les commerçants devront se conformer à l’ensemble des autres dispositions de la Loi 24 et de ses règlements d’application à compter du 1er août 2019. Les commerçants doivent porter une attention particulière aux dispositions qui entreront en vigueur au cours de la prochaine année en matière de droit de la consommation. En effet, la LPC contient des dispositions pénales prévoyant des amendes importantes pouvant varier entre 600$ et 100 000$ pour les contrevenants à la Loi ou à ses règlements d’application. Nous vous invitons finalement à noter que tous les contrats visés par la Loi sur la protection du consommateur doivent dorénavant être rédigés sur du papier blanc de bonne qualité. Du moins, pendant que le papier existe encore, et la nouvelle loi n’a malheureusement rien prévu à ce sujet! Espérons que le législateur adoptera dans un avenir rapproché des dispositions permettant expressément aux commerçants de conclure des contrats avec des consommateurs en utilisant des tablettes électroniques. LQ 2017, c 24. RLRQ c P-40.1, r 3 (ci-après : le « Règlement »). RLRQ c R-2.2, r 1 RLRQ c A-10, r 1 RLRQ c P-40.1 (ci-après : la « LPC »).
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Les influenceurs doivent dévoiler l’identité de ceux qui les influencent!
Cette publication a été coécrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil. Qui n’a pas déjà lu un article ou visionné une vidéo en ligne sans déceler qu’il s’agissait en fait d’une publicité. En recourant au service d’un influenceur, les commerçants et les agences publicitaires s’exposent à plusieurs risques réputationnels et juridiques puisque la ligne entre contenu commandité et recommandation spontanée est parfois mince. Elle est d’ailleurs réglementée par les Normes canadiennes de la publicité (« NCP ») et le Bureau de la concurrence (le « Bureau »). La Loi sur la concurrence ou la Loi sur la protection du consommateur (« L.p.c. ») peuvent également s’appliquer. Le marketing d’influence regroupe l’ensemble des pratiques par lesquelles un annonceur effectue la promotion de produits par l’intermédiaire des influenceurs présents sur différentes plateformes de médias sociaux : Twitter, Facebook, Instagram, Snapchat, YouTube. L’importance et la puissance des influenceurs dans le marketing numérique est sans équivoque : ils ont un lien direct avec les consommateurs et ce lien authentique permet aux annonceurs d’atteindre leur clientèle cible. Le lien matériel : déterminant pour les responsabilités des parties Tout témoignage, appui, critique ou autre déclaration (indépendamment du média utilisé) doit indiquer clairement l’existence d’un lien matériel entre la personne qui fait la déclaration et l’entité qui met le produit ou le service à sa disposition1. Peuvent constituer un lien matériel : la réception gratuite d’un produit en échange d’une mention; le prêt ou la location gratuite du bien en échange d’une mention; la rémunération en échange d’une mention du produit; le fait d’être employé de l’annonceur; l’incitatif à promouvoir le produit (tel qu’un coupon-rabais sur un achat subséquent). En vertu du Code canadien des normes de la publicité, le lien matériel doit être divulgué de façon claire et bien visible à proximité immédiate de la publication portant sur le produit ou le service2 par: La publication d’un hashtag clair (#Ad #Sponsored ou #Promoted) divulgué dans les trois premières lignes d’une description3 et qui ne demande pas à l’audience de faire défiler verticalement la page pour apprendre qu’il s’agit d’un contenu sponsorisé4; L’application des mesures proposées par les plateformes de médias sociaux comme l’entête paid partnership with sur Instagram qui permet aux utilisateurs d’identifier clairement qu’il s’agit d’une publicité tout en permettant aux annonceurs et aux agences d’avoir accès aux statistiques de la publication. À éviter : Des hashtags tels que #Ambassador #Client #Partner qui sont ambigus. On peut se demander si la divulgation du lien matériel peut mener un consommateur à conclure que l’influenceur est un représentant du commerçant dont il vante les produits. La définition de « représentant » contenue à la L.p.c. comprend la personne « au sujet de laquelle un fabricant a donné des motifs raisonnables de croire qu’elle agit en son nom ». Lorsque c’est le cas, les déclarations de l’influenceur peuvent devenir un message publicitaire au sens de la L.p.c. À tout événement, l’influenceur pourrait aussi être un « publicitaire » au sens où l’entend la L.p.c.5 L’influenceur n’a pas à divulguer la nature (allocation de voyage, produits gratuits, rémunération directe, rabais sur achat, etc.) ou la valeur globale de l’incitatif qu’il a reçu6. L’annonceur peut-il dicter le message de l’influenceur? La déclaration de l’influenceur doit être véridique et authentique. L’article 238 L.p.c. énonce qu’ « aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut faussement, par quelque moyen que ce soit (a) prétendre qu’il est agréé, recommandé, parrainé, approuvé par un tiers, ou affilié ou associé à ce dernier ou (b) prétendre qu’un tiers recommande, approuve, agrée ou parraine un bien ou un service »7. Cela signifie donc que les témoignages, opinions ou déclarations de préférence faisant partie d’un message publicitaire doivent être exempts d’allégations inexactes, mensongères ou trompeuses8. Au surplus, l’omission de divulguer le lien matériel entre l’annonceur et l’influenceur pourrait équivaloir à passer sous silence un fait important, pratique interdite en vertu de l’article 228 L.p.c. Voici quelques conseils pour la rédaction du message : Il ne doit omettre aucun renseignement si l’omission rend la publicité mensongère9. Il ne doit pas exagérer la nature ou l’importance des différences entre les concurrents10 selon le Code canadien des normes de la publicité. Il doit présenter des vraies opinions sur les produits ou les services formulées par leurs utilisateurs. Les annonceurs ne doivent pas utiliser les influenceurs pour transmettre un message qui constituerait une déclaration fausse et trompeuse si elle était publiée directement par l’annonceur. Expérience vécue : En 2016, le détaillant américain Lord&Taylor, en collaboration avec le magazine virtuel Nylon, avait recruté 50 influenceuses afin qu’elles publient, le même jour, une photo d’une robe spécifique accompagnée d’un lien vers un article du magazine (publicité commerciale commandée par Lord&Taylor) et le lien pour acheter l’item. La commandite de cet article de magazine par Lord&Taylor et le lien matériel (réception de la robe gratuitement et rémunération entre 1000 $ et 4000 $ par influenceuse)11 n’avaient pas été divulgués. La campagne a rejoint 11,4 millions d’utilisateurs. La FTC a jugé que l’omission de divulgation constituait une publicité fausse et trompeuse et l’entreprise a dû se soumettre, entre autres, à un programme d’approbation pour les campagnes de publicité subséquentes12. Au Québec, l’effet combiné du Code canadien des normes de la publicité et de la L.p.c. pourrait mener à un résultat similaire. Lorsque la contrepartie obtenue pour la mention est minime, doit-elle tout de même être divulguée ? Oui. Si le consommateur accorde une valeur à une recommandation, il vaut mieux être transparent et déclarer le lien matériel. Qui a la responsabilité de divulguer le lien : l’annonceur ou l’influenceur ? Puisque le Code canadien des normes de la publicité s’applique spécifiquement aux agences, entreprises, institutions ou organismes désireux d’améliorer leur image publique ou de mettre de l’avant un point de vue13, il est possible d’affirmer que la responsabilité de divulguer le lien incombe à l’annonceur. Par ailleurs, si la question est analysée sous l’angle de la L.p.c., l’obligation de divulgation pourrait aussi incomber à l’influenceur. Quelles pourraient être les conséquences de ne pas se conformer aux obligations de divulgation ? Aux États-Unis, la FTC a le pouvoir d’enquêter et d’imposer des sanctions aux contrevenants en vertu de l’article 5 de la Federal Trade Commission Act14 qui prohibe les pratiques commerciales fausses ou trompeuses. Au Canada, NCP est un organisme d’autoréglementation, ce qui signifie qu’il ne peut que réagir aux plaintes et qu’il n’a pas le pouvoir d’imposer des amendes ou des pénalités. Dans des cas flagrants de refus de collaborer, NCP pourrait toutefois transférer la plainte au Bureau de la concurrence qui traite des publicités commerciales fausses et trompeuses si l’effet de ces déclarations est néfaste à la libre concurrence. Le Bureau a également confirmé que les influenceurs et annonceurs qui ne divulguent pas le lien matériel font de l’ « astroturfing », une pratique par laquelle des faux commentaires de consommateurs sont publiés en ligne ce qui affecte la perception des consommateurs sur un produit15. Au Québec, l’Office de la protection du consommateur possède un pouvoir d’enquête étendu et pourrait aussi intervenir dans un contexte de déclarations fausses ou trompeuses ou lorsque les influenceurs omettent de divulguer le lien matériel qui les unit aux commerçants ou fabricants. Les divulgations des liens matériels nuisent-ils à l’impact du message publicitaire ? Divulguer qu’un produit ou service est sponsorisé ne diminue pas l’authenticité de l’influenceur. Au contraire, ne pas divulguer l’incitatif peut induire en erreur le consommateur à la recherche d’information en ligne. Cela pourrait avoir un effet négatif sur l’image de la compagnie et éroder la confiance des consommateurs dans l’économie numérique. Il appartient maintenant aux parties prenantes d’adopter des pratiques exemplaires en matière d’utilisation d’influenceurs et de divulgation des liens matériels qui les unissent à ces derniers. Le secteur des médias sociaux en est un où la créativité bouillonne et il est possible de faire tourner à son avantage cette obligation de divulgation! Annexe : Quels sont les organismes qui surveillent les pratiques du marketing d’influence ? Au Canada : Normes canadiennes de la publicité (« NCP ») Le Code canadien des normes de la publicité (publié par NCP); La Ligne directrice no 5 – Témoignages, appuis et critiques (publié par NCP); Bureau de la concurrence (le « Bureau ») Le Recueil des pratiques commerciales trompeuses (publié par le Bureau); Les Lignes directrices (publié par le Réseau international de contrôle et de protection des consommateurs dont le Bureau est membre) Plusieurs sources régissent les critères d’une publicité acceptable sur les médias sociaux et les obligations des influenceurs, notamment : Les Guides Concerning the Use of Endorsements and Testimonials in Advertising (publié par la FTC) auxquels la Ligne directrice no 5 renvoient expressément; Des lois générales pourraient également s’appliquer en matière de marketing d’influence. Pensons notamment à la Loi sur la concurrence et à ses dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses16 ou la Loi sur la protection du consommateur (Québec) qui impose notamment aux commerçants ou aux participants de l’industrie publicitaire de ne pas faire, par quelque moyen que ce soit, de déclaration fausse ou trompeuse à un consommateur ou de ne pas passer sous silence un fait important17. L’Office de la protection du consommateur est responsable de l’application de la L.p.c. et son président peut enquêter sur toute question qui y est reliée. Normes de la publicité, Ligne directrice no 5 – Témoignages, appuis et critiques, octobre 2016, disponible en ligne : http://www.adstandards.com/fr/Standards/interpretationGuideline5.aspx. Ibid. Federal Trade Commission, Influencers, are your #materialconnection #disclosures #clearandconspicuous?, Tips & Advice, Avril 2017, disponible en ligne : https://www.ftc.gov/news-events/blogs/business-blog/2017/04/influencers-are-your-materialconnection-disclosures. Federal Trade Commision, How to Make Effective Disclosure in Digital Advertising, Mars 2013, p.9, disponible en ligne : https://www.ftc.gov/sites/default/files/attachments/press-releases/ftc-staff-revises-online-advertising-disclosure-guidelines/130312dotcomdisclosures.pdf. Art. 2 L.p.c. : « publicitaire »: une personne qui fait ou fait faire la préparation, la publication ou la diffusion d’un message publicitaire; Federal Trade Commission, Endorsement Guides : What People Are Asking, Septembre 2017, disponible en ligne : https://www.ftc.gov/tips-advice/business-center/guidance/ftcs-endorsement-guides-what-people-are-asking. Le « publicitaire » est ainsi défini à l’article 1 m) de la L.p.c. : « une personne qui fait ou fait faire la préparation, la publication ou la diffusion d’un message publicitaire ». Art. 1 a), Code canadien des normes de la publicité; arts. 219 et 229 L.p.c. Art. 1 b), Code canadien des normes de la publicité. Art. 6, Code canadien des normes de la publicité; art. 228 L.p.c. https://www.ftc.gov/system/files/documents/cases/160315lordandtaylcmpt.pdf. Ibid. Définition du Code canadien des normes de la publicité. Art. 5, Federal Trade Commission Act. Référence ? Art. 52(1), Loi sur la concurrence, L.R.C. ch. C-34. Titre II de la L.p.c.
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Démystifier la vérification diligente juridique
Dans le cadre de l’acquisition d’une entreprise, tout acquéreur averti se doit de procéder à un examen sérieux de l’entreprise qu’il désire acquérir. La réalisation d’une vérification diligente est essentielle à la conclusion de toute transaction réussie et sans surprise – même si elle requiert du temps et peut engendrer des frais importants. Qu’est-ce qu’une vérification diligente? La vérification diligente juridique est d’abord et avant tout une mesure de prudence. Il s’agit d’un processus par lequel une entité cible fait l’objet d’un examen plus ou moins approfondi, selon le contexte, et ce, préalablement à ou pendant la négociation d’une transaction. Sans constituer un audit en soi, cette vérification a pour principal objectif de s’assurer que les déclarations et les garanties données par la cible sont exactes. Cette transaction est-elle à l’avantage de l’acquéreur? Le prix de la transaction reflète-t-il la situation financière de la cible? Ses obligations envers des parties tierces sont-elles trop onéreuses? Lorsqu’elle est bien menée, la vérification diligente permet de négocier en toute connaissance de cause, de parvenir à un prix de transaction, ainsi que de circonscrire la portée des déclarations et des garanties du vendeur. Par exemple, l’entrepreneur qui désire acquérir les actions d’une société en vue d’exploiter un terrain qu’elle possède pourrait requérir de la part de celle-ci des garanties voulant que le terrain est libre de toute charge et de toute contamination. Certes, dans des cas plus rares, une transaction peut être mise en péril par suite d’une vérification ayant révélé des risques importants liés à l’entreprise, comme des poursuites judiciaires importantes. De fait, la vérification diligente vise à confirmer les informations communiquées par la cible et identifier les risques susceptibles de porter préjudice à l'acquéreur à court ou long terme. Une vérification « sur mesure » Une vérification diligente se doit d’être bien définie et circonscrite. En effet, les vérifications les plus efficaces sont celles qui tiennent compte des particularités de la cible, c’est-à-dire du type d’entreprise qu’elle constitue, du genre d’activités qu’elle mène, du lieu où elle exerce ses activités, etc. Évidemment, certains éléments de la transaction devront faire l’objet d’une attention plus particulière, en fonction du secteur d’activité de la cible et des objectifs de l’acquéreur. Par exemple, si la cible exploite une entreprise pétrolière, il sera pertinent de vérifier si ses activités sont conformes aux lois environnementales, si l’entreprise détient tous les permis ou certificats requis pour mener ses activités et si les normes applicables en matière de santé et sécurité au travail sont appliquées. Cependant, si la cible exploite une entreprise de gestion de personnel, l’aspect environnemental sera nécessairement moins important. L’étendue de la vérification Bien qu’il soit courant de recourir à une liste générale et préliminaire d’information et de documents requis dans le cadre d’une vérification diligente, celle-ci devrait être adaptée à la réalité de la transaction envisagée. En effet, la vérification peut varier selon la nature des activités de la cible, la structure de transaction envisagée, ou les objectifs spécifiques visés. Ainsi, dans le cadre d’une vente d’actions, l’acquéreur voudra effectuer une revue complète des livres de procès-verbaux de la cible, tandis que cette revue ne sera pas nécessaire dans le cas d’une acquisition d’éléments d’actif. De manière générale, l’acquéreur d’une entreprise cherchera surtout à vérifier les éléments suivants : la capacité de la cible à conclure la transaction; les contraintes projetées relativement à cette dernière; l’incidence d’un changement de contrôle de la cible, dans le cadre d’un achat d’actions; l’incidence d’une cession de contrat, dans le cadre d’un achat d’éléments d’actif; les titres ou les droits de la cible à l’égard des biens faisant directement ou indirectement l’objet de la transaction; les obligations de la cible envers des tiers, qu’elles soient contractuelles ou non; les poursuites, plaintes et avis de contravention, le cas échéant; les contrats individuels de travail ou les conventions collectives; la couverture d’assurance; les permis, licences ou autorisations utilisés le cadre de l’exploitation de l’entreprise. Après avoir identifié les éléments à vérifier dans le cadre d’une transaction, l’acquéreur devrait valider auprès de tiers les informations qu’il a déjà obtenues et s’assurer qu’elles sont complètes. Outre les documents qui sont habituellement fournis par la cible, plusieurs informations publiques peuvent être consultées sans qu’il ne soit nécessaire de lui demander son consentement. On pense notamment aux sites Internet du Registraire des entreprises du Québec, de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, du Registre des droits personnels et réels mobiliers du Québec, de la Commission des valeurs mobilières du Québec, etc. Par ailleurs, l’acquéreur peut exiger des lettres d’autorisation de la part de la cible afin de mener des vérifications auprès d’organismes gouvernementaux, comme la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, l’Agence du revenu du Canada, ou Revenu Québec. Vérification diligente : indispensable L’analyse des informations recueillies dans le cadre d’une vérification diligente peut être fastidieuse, d’où la pertinence de faire appel à des experts si les circonstances l’exigent. Quoi qu’il en soit, il faut retenir qu’elle constitue une étape cruciale du processus d’acquisition d’une entreprise et que malgré les coûts qu’elle peut engendrer et le temps qui doit lui être alloué, elle est indispensable à l’acquéreur qui souhaite négocier en toute connaissance de cause et bien circonscrire les risques juridiques de la transaction.
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La propriété intellectuelle de l’intelligence artificielle
Bien que l’intelligence artificielle soit en constante évolution depuis quelques années, le droit peine parfois à s’y adapter. Les enjeux de propriété intellectuelle sont particulièrement importants : il faut en effet s’assurer que les entreprises qui investissent dans ces technologies puissent profiter pleinement de leurs retombées commerciales. Le présent bulletin constitue un survol des diverses formes de propriété intellectuelle qui peuvent s’avérer pertinentes en matière d’intelligence artificielle. Le premier réflexe de nombreux entrepreneurs est souvent de vouloir breveter leurs procédés d’intelligence artificielle. Toutefois, bien qu’il s’agisse d’un mode de protection qui puisse être envisagé dans certains cas, l’obtention d’un brevet ne constitue pas nécessairement la forme de protection la plus adaptée à l’intelligence artificielle ou aux technologies logicielles en général. En effet, depuis l’importante décision de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Alice Corp. v. CLS Bank International 1, il est reconnu que le fait d’appliquer des idées abstraites à l’environnement informatique n’est pas suffisant pour transformer ces idées en objets brevetables. Par exemple, un brevet pourtant émis pour un système expert, constituant une forme d’intelligence artificielle, a été invalidé par les tribunaux américains à la suite de cette décision2. Au Canada, la jurisprudence n’a pas encore traité de cas spécifique aux systèmes d’intelligence artificielle. Par contre, nul doute que les principes dégagés par la Cour d’appel fédérale dans la décision Schlumberger Canada Ltd. c. Commissaire des brevets3 demeurent pertinents. Dans cette affaire, il a été décidé qu’un procédé permettant de recueillir, d’enregistrer et d’analyser des données à l’aide d’un ordinateur qui appliquait alors une formule mathématique ne pouvait faire l’objet d’un brevet. Par contre, dans une décision plus récente, la Cour en est venu à la conclusion qu’un procédé informatique pourrait être brevetable s’il “[...] ne constitue pas l’invention entière, mais seulement un élément essentiel parmi d’autres dans une nouvelle combinaison.”4 Il est donc à prévoir qu’un algorithme d’intelligence artificielle pris isolément ne pourra faire l’objet d’un brevet. Quant à l’Europe, en vertu de l’Article 52 de la Convention sur le brevet européen de 1973, les programmes d’ordinateurs ne sont pas brevetables. Il est donc impossible d’obtenir un brevet sous ce régime pour la programmation sous-jacente à un système d’intelligence artificielle Le droit d’auteur est peut-être la plus évidente des formes de propriété intellectuelle en ce qui concerne l’intelligence artificielle. En effet, les codes sources sont reconnus depuis longtemps comme étant des œuvres au sens de la Loi sur le droit d’auteur canadienne de même que par des lois similaires dans la plupart des pays. Certains pays ont même adoptés des lois s’appliquant précisément à la protection des logiciels5. Une décision canadienne plus ancienne présente en outre un intérêt : Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd.6 On y indique qu’un algorithme incorporé dans un circuit ROM (read only memory) est considéré comme étant une œuvre protégée par le droit d’auteur. Une décision semblable avait été rendue aux États-Unis précédemment7. Dans le cas d’un système d’intelligence artificielle, ces décisions sont importantes en ce qu’elles étendent la protection du droit d’auteur non seulement au code étant programmé dans des langages de haut niveau ou sur des plateformes d’intelligence artificielles avancées, mais aussi au code objet en découlant, même sur un support électronique comme un circuit ROM. Le droit d’auteur ne protège toutefois pas les idées ou les principes généraux d’un code, mais bien leur expression. D’autre part, il ne faut pas sous-estimer la protection que confèrent les secrets industriels. Plus particulièrement, en matière d’informatique, rares sont les clients qui ont accès à l’ensemble du code source. De plus, les codes sources en matière d’intelligence artificielle sont d’une certaine complexité qui contribue à cette protection8. Il s’agit là d’une approche particulièrement intéressante pour les entreprises qui offrent des logiciels en tant que service à distance. En effet, dans un tel cas, les clients n’ont accès qu’à l’interface, mais jamais au code source ni même au code compilé. Il est presque impossible d’en faire une réelle ingénierie inversée. Toutefois, le risque encouru dans le cas où un système d’intelligence artificielle n’est protégé qu’en vertu de la notion de secret industriel est qu’une fuite originant d’un ou plusieurs employés permette à des concurrents de prendre connaissance du code source, de sa structure ou de ses particularités. On n’a qu’à s’imaginer comment il deviendrait difficile de rattraper une fuite de code source qui circulerait sur Internet. Il est bien sûr possible de faire signer des ententes de confidentialité, mais cela n’est malheureusement pas suffisant face à des employés de mauvaise foi ou l’espionnage industriel. Il est donc opportun de mettre en place des mesures de fractionnement des connaissances au sein de l’entreprise, de sorte que très peu d’employés aient accès à l’ensemble de l’information critique. Accessoirement, il pourrait être stratégique pour un fournisseur d’intelligence artificielle de s’assurer que ses clients mettent en évidence sa marque de commerce, à la manière de la stratégie de mise en marché coopérative “Intel Inside”, de façon à promouvoir son système auprès d’autres clients potentiels. Dans le cas des systèmes d’intelligence artificielle utilisés vendus dans un contexte commercial, il est également important de considérer la propriété intellectuelle sur les résultats de l’apprentissage des systèmes liés à l’utilisation qui en est faite. Il faut se demander si les bases de données qui sont générées par un système d’intelligence artificielle mis au point par un fournisseur de logiciel, à l’occasion de l’utilisation qu’en fait un de ses clients, appartiennent au fournisseur de logiciel ou à ce client. C’est souvent le contrat entre les parties qui régira cette situation. Toutefois, il peut être légitime pour une entreprise de vouloir conserver la propriété intellectuelle sur les bases de données qui sont générées par l’usage interne qu’elle fait du logiciel, notamment en lui soumettant ses données opérationnelles ou en « entraînant » le système d’intelligence artificielle au fil des interactions avec ses employés. Le fait de vouloir conserver la confidentialité de ces bases de données découlant de l’usage de l’intelligence artificielle permet de les assimiler à des secrets industriels. Toutefois, la question de savoir s’il s’agit d’œuvres au sens du droit d’auteur devra être déterminée au cas par cas. Il faudra, entre autres, tenter d’établir si ces bases de données résultent d’un exercice de talent et de jugement d’un ou plusieurs auteurs, comme le veut la jurisprudence canadienne à cet égard9. Alors que les situations où des employés « entraînent » un système d’intelligence artificielle semblent plus facilement assimilables à un exercice de talent et de jugement de leur part, celles où des bases de données sont constituées de manière autonome par le système risquent d’échapper au droit d’auteur, puisqu’il n’existe pas de droit d’auteur sur les données elles-mêmes10, mais bien sur leur analyse et leur compilation par un auteur. En effet, à toutes ces questions s’ajoute celle, plus prospective, des inventions créées par des systèmes d’intelligence artificielle. Déjà, des systèmes d’intelligence artificielle sont utilisés pour répertorier des domaines de recherche présentant des occasions d’innovation. Par exemple, des systèmes d’exploration des données (data mining) sont déjà utilisés pour analyser les textes des brevets, découvrir des champs de recherche émergents et même trouver des domaines conceptuels étant « disponibles » pour d’éventuels brevets11. Il est possible que les systèmes d’intelligence artificielle puissent être utilisés au cours des prochaines années pour rédiger des demandes de brevet de manière automatisée, notamment pour en rédiger les revendications12. L’intelligence artificielle pourrait-elle être titulaire de droits de propriété intellectuelle, par exemple sur des brevets ou des droits d’auteur ? Nous en doutons, car les lois actuelles attribuent des droits aux inventeurs et créateurs en tant que personnes physiques, du moins au Canada et aux États-Unis13. Mais alors, est-ce que la propriété intellectuelle de l’invention reviendrait aux concepteurs du système d’intelligence artificielle ? Nous ne croyons pas non plus que le droit soit bien adapté à cet égard, la propriété intellectuelle étant historiquement accordée aux personnes ayant fait preuve d’inventivité en matière de brevet ou de l’exercice d’un talent et de jugement en matière de droit d’auteur, selon le cas. On peut se demander si on verra un brevet invalidé ou une œuvre tomber dans le domaine public au motif qu’une portion substantielle en est générée par l’intelligence artificielle (ce qui n’est pas le cas de ce bulletin!). D’ici là, les juristes devront se familiariser avec les concepts sousjacents de l’intelligence artificielle, tout comme les informaticiens devront se familiariser avec ceux de la propriété intellectuelle. Pour les entrepreneurs qui conçoivent ou utilisent des systèmes d’intelligence artificielle, une réflexion constante sur la propriété intellectuelle s’impose pour protéger le fruit de leurs efforts. Lavery a mis sur pied le Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle (L3IA) qui analyse et suit les développements récents et anticipés dans le domaine de l’intelligence artificielle d’un point de vue juridique. Notre Laboratoire s’intéresse à tous les projets relatifs à l’intelligence artificielle (IA) et à leurs particularités juridiques, notamment quant aux diverses branches et applications de l’intelligence artificielle qui feront rapidement leur apparition dans toutes les entreprises et les industries. 573 U.S._, 134 S. Ct. 2347 (2014). Vehicle Intelligence and Safety v. Mercedes-Benz, 78 F. Supp.3d 884 (2015), maintenue en appel Federal Circuit. No. 2015-1411 (U.S.). [1982] 1 C.F. 845 (C.A.F.). Canada (Procureur général) c. Amazon.com, inc., [2012] 2 RCF 459, 2011 CAF 328. À titre d’exemple, au Brésil : Lei do Software No. 9.609 du 19 février, 1998; en Europe : Directive 2009/24/CE concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur. [1990] 2 RCS 209, 1990 CanLII 119 (CSC). Apple Computer, Inc. v. Franklin Computer Corp., 714 F.2d 1240 (3d Cir. 1983) (U.S.). Keisner, A., Raffo, J., & Wunsch-Vincent, S. (2015). Breakthrough technologies-Robotics, innovation and intellectual property (No. 30). World Intellectual Property Organization- Economics and Statistics Division. CCH Canadian Ltd. c. Law Society of Upper Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 RCS 339. Voir par exemple : Geophysical Service Incorporated c. Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers, 2014 CF 450. Voir par exemple : Lee, S., Yoon, B., & Park, Y. (2009). An approach to discovering new technology opportunities: Keyword-based patent map approach. Technovation, 29(6), 481-497; Abbas, A., Zhang, L., & Khan, S. U. (2014). A literature review on the state-of-theart in patent analysis. World Patent Information, 37, 3-13. A Hattenbach, B., & Glucoft, J. (2015). Patents in an Era of Infinite Monkeys and Artificial Intelligence. Stan. Tech. L. Rev., 19, 32. Supra, note 7.
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Pratiques commerciales trompeuses en ligne : intermédiaires, quels risques juridiques courez-vous ?
Au cours des dernières décennies, la publicité en ligne est devenue la méthode la plus efficace et interactive de joindre les consommateurs et d’évaluer leurs comportements. Alors que la télévision et les médias imprimés continuent de voir leur public décroître et que les stratégies globales de marketing qui se concentrent sur ces supports n’arrivent pas à mesurer et à jauger le rendement de manière aussi efficace, la publicité en ligne cible un marché en croissance dont le support technologique permet de mesurer directement le succès d’une campagne de marketing. Ces changements dans le monde du marketing, plus palpitants et nouveaux qu’ils puissent être, posent un ensemble important de risques juridiques. En employant et en affichant des publicités en ligne, les commerçants et les intermédiaires doivent être bien conscients des lois en matière de protection du consommateur et de concurrence, tant au niveau provincial qu’au niveau fédéral, afin d’éviter les mauvaises surprises sous forme de sanctions et de poursuites en justice coûteuses. Le droit n’a peut-être pas évolué autant que les technologies, ses termes généraux peuvent néanmoins s’adapter à la réalité moderne de façon à protéger les destinataires des nouveaux messages des commerçants. Les deux principales sortes de marketing en ligne sont, d’une part, le marketing des moteurs de recherche et, d’autre part, le marketing des médias sociaux. Les entreprises exploitant un moteur de recherche procèdent à l’indexation du contenu Web afin d’organiser et de présenter l’information disponible sous un format compréhensible. Les commerçants qui offrent des produits au détail peuvent se présenter en tête de ces listes en ciblant des mots-clés précis faisant l’objet de recherches par les consommateurs. Le marketing des médias sociaux est une forme de placardage publicitaire qui permet aux annonceurs de présenter leurs services de manière attrayante sur diverses plateformes en vue dans les médias sociaux. Cette conversation ciblée avec les consommateurs accentue la notoriété de la marque et permet de recueillir commentaires et perspectives. Le marketing des moteurs de recherche et le marketing des médias sociaux sont tous les deux des formats publicitaires régis par la loi. Législation provinciale La Loi sur la protection du consommateur1 du Québec (« LPC ») réglemente et régit les activités publicitaires dans la province de Québec. Plus précisément, la LPC interdit la publicité fausse ou trompeuse. Les dispositions de la LPC sont destinées tant aux commerçants qu’aux acteurs de l’industrie publicitaire. La LPC indique qu’« [a]ucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur »2. Cette interdiction s’applique à tous les supports, y compris aux médias imprimés, à la radio et à la télévision, Internet ne faisant aucunement exception à la règle. La province a également promulgué la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information3 (« LCCJTI »), en vigueur depuis 2001, laquelle prévoit la responsabilité des intermédiaires en ligne tels que les moteurs de recherche et les hébergeurs Web, dans un contexte qui n’est pas propre à la publicité. En effet, le juge Rochon de la Cour d’appel du Québec explique dans l’arrêt Prud’homme c. Rawdon4 que bien qu’« une faute contributoire [puisse] être commise par des tiers qui acheminent, diffusent ou hébergent l’information [...] les articles 22, 26, 36 et 37 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (RLRQ, c. C-1.1) tendent plutôt à diminuer sinon à soustraire certains tiers à toute responsabilité ». L’article 22 prévoit que l’hébergeur qui n’est pas un moteur de recherche échappe à la responsabilité sauf s’il a connaissance que les informations qu’il conserve servent à une activité illégale ou s’il n’agit pas promptement pour empêcher l’accès auxdits documents illégaux. Une entreprise qui gère un moteur de recherche est également responsable si elle est au courant que ses services permettent des activités illégales et si elle n’interdit pas l’accès à ses services aux gens qui prennent pas dans ce type d’activités. Dans un cas comme dans l’autre, la connaissance est un facteur déterminant. L’article 27 de cette même loi énonce ce qui suit : Le prestataire de services qui agit à titre d’intermédiaire pour fournir des services sur un réseau de communication ou qui y conserve ou y transporte des documents technologiques n’est pas tenu d’en surveiller l’information, ni de rechercher des circonstances indiquant que les documents permettent la réalisation d’activités à caractère illicite. Ainsi, la connaissance n’est pas présumée et il y a donc nécessité implicite d’aviser l’intermédiaire de l’existence du contenu illicite en question. Une fois cet avis transmis, l’intermédiaire, comme défini à l’article 22, doit agir promptement pour retirer le contenu ou limiter l’accès à celui-ci. Législation fédérale La Loi sur la concurrence5 réglemente la plupart des pratiques commerciales au Canada, son objet principal étant d’empêcher les pratiques anti-concurrentielles dans le marché. La Loi sur la concurrence interdit les indications fausses ou trompeuses et les pratiques commerciales trompeuses dans la promotion de la fourniture d’un produit ou de tout intérêt commercial. En outre, les personnes qui sont « à l’origine de l’indication » sont tenues responsables d’indications fausses ou trompeuses ou de pratiques trompeuses. Il s’ensuit que la responsabilité est non seulement imposée à la personne qui crée la publicité trompeuse ou fausse, mais également à la personne qui permet que l’indication soit faite ou transmise. Les « Lignes directrices – Application de la Loi sur la concurrence aux indications dans Internet » mentionnent que, dans l’environnement en ligne, le Bureau de la concurrence est appelé à considérer les rôles respectifs des divers intermédiaires participant à la publicité sur Internet. On y explique en outre que : [l]e Bureau axe principalement ses activités d’application de la loi sur la partie qui est « à l’origine » des indications. En déterminant la causalité qu’exige l’analyse des faits pour déterminer qui exerce le pouvoir de décision ou qui exerce le contrôle sur le contenu; il faut également évaluer la nature et le degré du pouvoir ou du contrôle6. [Nos soulignements] Ainsi, le degré de la responsabilité attribuée à une partie donnée dépendra, dans une forte mesure, du degré de contrôle qu’exerce cette dernière sur le contenu et de la question de savoir si elle a joué un rôle dans la décision de présenter ou non la publicité. En vertu de la Loi sur la concurrence, il existe deux régimes d’application pour sanctionner les indications fausses ou trompeuses : le régime civil ou le régime criminel. Le régime civil s’applique à la plupart des cas d’indications trompeuses et de pratiques commerciales trompeuses puisque le fardeau de la preuve y est moins onéreux. Le processus criminel général s’applique toutefois aux « cas les plus graves » et exige la preuve d’une composante d’intention criminelle7. Responsabilité éventuelle des générateurs de publicité Le commerçant Le commerçant est la partie ayant le pouvoir de décider si une publicité est montrée ou non. Par conséquent, il s’agit de la partie à laquelle on peut normalement le plus facilement attribuer la responsabilité, laquelle est d’ailleurs le plus souvent tenue responsable de pratiques commerciales trompeuses, que ce soit relativement à la LPC ou à la Loi sur la concurrence. L’agence responsable du plan médias L’agence responsable du plan médias peut jouer un rôle double; c’est-à-dire qu’elle peut agir à titre d’agence de création qui crée la publicité (responsable en vertu de la Loi sur la concurrence) ou offrir son appui à un annonceur dans le choix du support à employer, que ce soit la télévision, les journaux, les affiches aux arrêts d’autobus, les étalages en magasin, les bannières publicitaires sur le Web ou une publicité sur Facebook. La responsabilité d’une agence responsable du plan médias dans Internet dépendra bien entendu du rôle exact que joue celle-ci vis-à-vis de la publicité. En ce qui a trait au critère du pouvoir de décision et de contrôle, si l’agence agit à titre « créatif » et qu’elle est à l’origine du contenu de la publicité, il y a de bonnes chances qu’on la tienne responsable de l’indication fausse ou trompeuse. Si, au contraire, l’agence responsable du plan médias n’est responsable que de faire des projections sur les données démographiques du public cible et de mettre au point des stratégies correspondantes concernant les médias les plus efficaces à utiliser, elle a alors peu de chances d’être tenue responsable de pratiques commerciales trompeuses. Le devoir de diligence de l’agence augmente à mesure qu’augmente sa participation8. La participation, aux yeux de la FTC (« Federal Trade Commission ») et des tribunaux, s’entend des cas où l’agence met en oeuvre la volonté de l’annonceur9. En dernière analyse, la question de savoir si la participation de l’agence est « active » dépend d’une analyse au cas par cas10. Pourraient aussi se présenter des situations où l’agence serait responsable à l’égard du commerçant. Responsabilité éventuelle des diffuseurs de publicité L’agence responsable du placement dans les médias L’agence responsable du placement dans les médias, aussi connue sous le nom d’acheteuse de médias, est responsable de négocier et de placer la campagne médiatique. Son rôle comprend l’optimisation et l’évaluation de l’efficacité de la publicité tant pendant la campagne publicitaire qu’après que celle-ci prenne fin. De plus, l’agence responsable du placement dans les médias crée une valeur ajoutée soit en négociant des tarifs plus avantageux auprès de l’hébergeur, soit en améliorant la détermination géographique ou comportementale du public cible par l’entremise des plateformes publicitaires (généralement non responsable). Le site Web ou l’hébergeur de page Web L’hébergeur, aussi connu sous le nom de diffuseur, est une entité propriétaire d’une page Web ou d’un site Web qui, moyennant une contrepartie économique, est prête à publier des publicités d’autres parties dans certaines sections de sa page ou de son site. La LCCJTI prévoit que l’hébergeur qui n’est pas un moteur de recherche échappe à la responsabilité sauf s’il a connaissance que les informations qu’il conserve servent à une activité illégale ou s’il n’agit pas promptement pour empêcher l’accès auxdits documents illégaux. Un moteur de recherche est également responsable s’il a connaissance que le service qu’il offre permet des activités illégales et s’il ne cesse pas promptement d’offrir le service en question aux personnes dont il sait qu’elles participent à ladite activité. Dans un cas comme dans l’autre, la connaissance constitue le facteur décisif. En ce qui concerne la Loi sur la concurrence, un hébergeur peut profiter du moyen de défense du diffuseur et échapper à la responsabilité dans une action au civil pour autant qu’il n’a pas, sciemment ou sans se soucier des conséquences, participé à la publicité fausse ou trompeuse ou permis celle-ci. Leçons à tirer En cherchant à faire la part des choses parmi les nouvelles stratégies de marketing en ligne, on doit garder à l’esprit que, tout en étant très efficace, la publicité en ligne a aussi contribué de manière importante à une augmentation du risque d’indications fausses ou trompeuses. Le seuil d’évaluation de ce qui constitue une indication fausse ou trompeuse est particulièrement bas, puisque l’évaluation se fait du point de vue du consommateur moyen, c’est-à-dire d’un consommateur « crédule et inexpérimenté »11. Bien que les divers acteurs du monde du marketing sont bien au fait du concept de publicité fausse ou trompeuse, ceuxci doivent se montrer vigilants en recourant aux nouvelles formes de marketing de manière à ne pas franchir ce bas seuil. En effet, certaines considérations sont propres au support Internet, notamment la vitesse et l’efficacité de perception des publicités par les consommateurs. L’on doit aussi être bien conscient des modifications législatives touchant la protection du consommateur et le droit de la concurrence. Par exemple, le projet de loi 13412 a récemment entrepris de modifier la LPC de manière à interdire aux commerçants de « faire une représentation fausse ou trompeuse selon laquelle le crédit peut améliorer la situation financière du consommateur ou selon laquelle un rapport de crédit fait à son sujet sera amélioré »13. Il se trouve dans le marketing des moteurs de recherche et le marketing des médias sociaux un volume considérable de publicité portant sur des offres de crédit. Les annonceurs doivent prendre garde et s’assurer de respecter ces mesures lorsqu’elles sont promulguées, de même que les autres outils législatifs mentionnés dans la présente publication. RLRQ, c. P-40.1. Ibid., art. 219. RLRQ, c. C-1.1. 2010 QCC A 584, paragr. 75. S.L.R.C. 1985, c. C-34. Innovation Gouvernement du Canada, « Application de la Loi sur la concurrence aux indications dans Internet », (16 octobre 2009). Innovation Gouvernement du Canada, « Indications et pratiques commerciales trompeuses : Choix entre le régime criminel ou civil de la Loi sur la concurrence », (22 septembre 1999). Kelley Drye et Collier Shannon, « Ad Agency Liability » (2005) Ad Law Advisory. Ibid. Ibid. Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 RCS 265, paragr. 78. Loi visant principalement à moderniser des règles relatives au crédit à la consommation et à encadrer les contrats de service de règlement de dettes, les contrats de crédit à coût élevé et les programmes de fidélisation, Projet de loi no 134 (Présentation le 2 mai 2017), 1re sess., 41e lég. (Québec). Ibid., Notes explicatives.
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Lorsque l’intelligence artificielle est discriminatoire
L’intelligence artificielle a connu des avancées importantes depuis quelques années, notamment grâce aux avancées de ce que l’on nomme maintenant l’apprentissage profond (deep learning)1. Cette méthode est le prolongement des réseaux neuroniques qui sont utilisés depuis quelques années pour l’apprentissage des machines. L’apprentissage profond, comme toute forme d’apprentissage d’une machine, requiert que le système d’intelligence artificielle soit confronté à diverses situations afin d’apprendre à réagir à des situations présentant des similitudes à ces expériences antérieures. En entreprise, des systèmes d’intelligence artificielle sont notamment utilisés pour répondre aux besoins des clients, soit directement, soit en soutenant les employés dans leurs interventions. La qualité des services rendus par l’entreprise est donc de plus en plus tributaire de la qualité de ces systèmes d’intelligence artificielle. Il ne faut pas, toutefois, faire l’erreur de présumer qu’un tel système informatique s’acquittera automatiquement des tâches qui lui sont confiées sans faille et dans le respect des valeurs de l’entreprise ou de sa clientèle. Par exemple, des chercheurs de l’université Carnegie Mellon ont récemment démontré qu’un système devant présenter de la publicité ciblée à des usagers d’Internet offrait systématiquement moins de postes bien rémunérés aux femmes qu’aux hommes2. En d’autres termes, ce système avait un comportement que l’on pourrait qualifier de sexiste. Bien que les chercheurs n’aient pu identifier l’origine du problème, ils étaient d’avis qu’il s’agissait probablement d’une perte de contrôle du fournisseur de service de placement de publicité sur son système automatisé, et ils soulignaient les risques inhérents aux systèmes d’intelligence artificielle à grande échelle. Divers systèmes d’intelligence artificielle ont connu des ratés similaires, démontrant des comportements racistes et forçant même un exploitant à suspendre l’accès à son système3 À cet égard, l’Union Européenne a adopté en avril 2016 une règlementation relative au traitement de l’information personnelle qui, sauf dans certains cas précis, interdit la prise de décision automatisée basée sur certaines données à caractère personnel, dont « […] l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique […] »4. Certains chercheurs s’interrogent d’ailleurs sur l’application de ce règlement, notamment alors que la discrimination apparaît de manière incidente, hors la volonté de l’exploitant du système d’intelligence artificielle5 Au Québec, on peut croire qu’une entreprise qui exploiterait un système d’intelligence artificielle discriminatoire au sens des lois applicables ou de la Charte des droits et libertés de la personne s’exposerait à des recours, même en l’absence de règlement précis comme celui de l’Union Européenne. En effet, le responsable du bien qu’est ce système d’intelligence artificielle pourrait voir sa responsabilité engagée à l’égard du préjudice ou du dommage causé par le fait autonome de ce bien. Qui plus est, le fait de ne pas mettre en place des mesures raisonnables pour éviter la discrimination serait fort probablement pris en compte dans l’analyse juridique d’une telle situation. Une vigilance particulière s’impose donc lorsque le fonctionnement d’un système d’intelligence artificielle repose sur des données déjà accumulées au sein de l’entreprise, des données de tiers (notamment ce qu’on désigne souvent comme le big data ), ou encore lorsque les données seront fournies au système d’intelligence artificielle par des employés de l’entreprise ou ses utilisateurs au cours d’une période « d’apprentissage ». Toutes ces sources de données, par ailleurs soumises aux obligations découlant des lois applicables à la protection des renseignements personnels, peuvent être biaisées à divers degrés. Les effets d’un échantillonnage biaisé ne sont pas nouveaux ni cantonnés au respect des droits de la personne. Il s’agit d’un effet bien connu des statisticiens. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la marine américaine demanda à un mathématicien nommé Abraham Wald de leur fournir des statistiques sur les parties des avions bombardiers ayant été les plus touchés dans le but de renforcer le blindage à ces endroits. Wald démontra que les données sur les avions revenant de mission étaient biaisées, car elles ne tenaient pas compte des avions abattus en mission. Il ne fallait donc pas renforcer le blindage sur les parties où les avions revenant de mission étaient endommagés, mais plutôt aux endroits où ils n’étaient pas touchés. Dans le contexte de l’exploitation d’une entreprise, un système d’intelligence artificielle auquel on soumet des données biaisées pourrait ainsi prendre des décisions erronées, ayant des conséquences néfastes au point de vue humain, économique et opérationnel pour l’entreprise. Par exemple, si l’on soumet un tel système à un apprentissage encadré par des employés de l’entreprise, leur façon d’agir se reflétera sans doute dans son comportement ultérieur. Ceci peut se refléter dans les jugements portés par le système d’intelligence artificielle à l’égard de demandes de clients, mais aussi directement dans leur capacité de résoudre adéquatement les problèmes techniques qui lui sont soumis. On risque ainsi de perpétuer les comportements problématiques de certains employés. Des chercheurs du Machine Intelligence Research Institute ont proposé diverses approches pour minimiser les risques et rendre l’apprentissage machine d’un système d’intelligence artificielle conforme aux intérêts de son exploitant 6. Selon ces chercheurs, il pourrait notamment être opportun d’adopter une approche prudente quant aux objectifs imposés à de tels systèmes pour éviter qu’ils offrent des solutions extrêmes ou indésirables. Il serait en outre important d’établir des procédures de supervision informée, au moyen desquelles un opérateur peut s’assurer que le fonctionnement du système d’intelligence artificielle est, dans son ensemble, conforme aux attentes de son exploitant. De ce qui précède, il faut retenir qu’une entreprise qui désire intégrer un système d’intelligence artificielle dans ses opérations doit prendre très au sérieux la phase d’implantation, au cours de laquelle se déroulera l’apprentissage du comportement désiré par le système. D’une part, il sera important d’avoir des discussions approfondies avec le fournisseur sur le fonctionnement de sa technologie et ses performances, ainsi que d’encadrer contractuellement et le plus clairement possible les attentes de l’entreprise à l’égard du système qu’elle désire implanter. Il faut également prévoir comment s’effectuera l’intégration du système d’intelligence artificielle dans l’entreprise et s’assurer que cette intégration soit confiée à des employés et consultants dignes de confiance, possédant le plus haut niveau de compétence eu égard aux tâches pertinentes. Quant au fournisseur du système d’intelligence artificielle, il faudra généralement s’assurer que les données qui lui sont fournies ne sont pas biaisées, inexactes ou autrement altérées, de telle façon que les objectifs prévus au contrat quant aux performances souhaitées du système puissent raisonnablement être atteints, permettant ainsi de minimiser le risque de litiges devant les tribunaux découlant de comportements discriminatoires ou défaillants à d’autres égards du système d’intelligence artificielle. Non seulement de tels litiges pourraient-ils s’avérer onéreux, ils seraient de surcroît susceptibles d’entacher tant la réputation du fournisseur que celle du client utilisateur. LeCun, Y., Bengio, Y., & Hinton, G. (2015). Deep learning. Nature, 521(7553), 436-444. Datta, A., Sen, S., & Zick, Y. (2016, May). Algorithmic transparency via quantitative input influence: Theory and experiments with learning systems. In Security and Privacy (SP), 2016 IEEE Symposium on (pp. 598-617). IEEE; Datta, A., Tschantz, M. C., & Datta, A. (2015). Voir aussi: Automated experiments on ad privacy settings. Proceedings on Privacy Enhancing Technologies, 2015(1), 92-112. Reese, H. (2016). Top 10 AI failures of 2016. Le cas de Tay, le système de Microsoft, a été abondamment discuté dans les médias. Règlement (UE) 2016/679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), art. 22. Goodman, B., & Flaxman, S. (2016, June). EU regulations on algorithmic decision-making and a “right to explanation”. In ICML Workshop on Human Interpretability in Machine Learning (WHI 2016). Taylor, J., Yudkowsky, E., LaVictoire, P., & Critch, A. (2016). Alignment for advanced machine learning systems . Technical Report 20161, MIRI.
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Intelligence artificielle : la délicate interaction entre les défis juridiques et technologiques
Existe-t-il un plus grand défi que celui d’écrire un article juridique sur une technologie émergente qui n’existe pas encore sous sa forme absolue ? L’intelligence artificielle, par l’intermédiaire d’un large éventail de branches et d’applications, aura des incidences sur divers domaines de la pratique du droit, dont l’éthique et l’intégrité en entreprise, la gouvernance, la distribution de produits et services financiers, la propriété intellectuelle, la protection de la vie privée et des informations, le droit du travail et de l’emploi, la responsabilité civile et contractuelle, de même que sur un nombre important d’autres disciplines du droit. Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ? L’intelligence artificielle est (traduction libre) « la science combinée à l’ingénierie dans le cadre de la fabrication de machines intelligentes, particulièrement des logiciels intelligents »1. Essentiellement, le but de l’intelligence artificielle est de permettre aux machines d’imiter les fonctions « cognitives » de l’être humain, telles que l’apprentissage et la résolution de problèmes, de façon à ce qu’elles puissent exécuter des tâches qui sont normalement effectuées par des êtres humains. De façon pratique, les fonctionnalités de l’intelligence artificielle dépendent souvent de l’accès à des quantités colossales de données (« mégadonnées ») par l’intermédiaire de certains algorithmes et de la capacité de traitement de celles-ci. Tel qu’il est souligné dans un rapport publié par McKinsey & Company en 2015 sur les technologies révolutionnaires (traduction libre) « [d]es technologies importantes peuvent être mises au point dans n’importe quel secteur ou provenir de n’importe quelle discipline scientifique, mais elles partagent quatre caractéristiques : la grande rapidité des changements technologiques, un potentiel de vaste portée des impacts, des enjeux financiers importants et un fort potentiel pour une incidence économique perturbatrice »2. En marge du débat intéressant concernant l’incidence possible de l’intelligence artificielle sur l’humanité3, son perfectionnement à été mis sur la voie rapide dans les dernières années et nous avons assisté à plusieurs percées importantes. En mars 2016, le logiciel AlphaGo de Google a battu Lee Sedol, champion mondial de Go, par une marque de 4 à 1 à cet ancien jeu de société chinois. Ces percées ont ravivé l’intérêt des communautés d’affaires pour l’intelligence artificielle. Des géants de la technologie tels que Google et Microsoft, pour n’en nommer que quelques-uns, ont accéléré leurs investissements dans la recherche et l’amélioration de systèmes reposant en partie sur l’intelligence artificielle. Le présent article aborde certaines facettes de l’intelligence artificielle d’un point de vue juridique et traite de certains domaines du droit qui devront s’adapter aux défis complexes résultant des nouveautés actuelles et à venir en matière d’intelligence artificielle. Défis juridiques certains Les incidences possibles de l’intelligence artificielle ont été maintes fois comparées à celles de la révolution industrielle, c’est-à-dire une forme de transition vers de nouveaux processus de fabrication utilisant de nouveaux systèmes, de même que l’usage accru d’applications et des machines innovantes. Domaine de la santé L’intelligence artificielle est certes promise à un bel avenir dans le secteur des soins de santé. Les applications d’intelligence artificielle capables d’analyser des tonnes de données dans un délai record peuvent faire de ces applications des outils puissants permettant de prédire, par exemple, le succès de certains médicaments et d’aider les patients à trouver la bonne dose de médicaments compte tenu de multiples facteurs. Récemment, la société IBM a confirmé que son programme IBM Watson Health « est capable de comprendre et d’extraire de l’information clé en consultant des millions de pages de littérature scientifique médicale pour ensuite visualiser des relations entre les médicaments et d’autres maladies potentielles »4. D’autres applications de l’intelligence artificielle peuvent également aider à vérifier si un patient a pris ses comprimés au moyen d’un téléphone intelligent qui capte et analyse les signes ou les effets confirmant que le médicament a bel et bien été ingéré. En plus des préoccupations visant la protection de la vie privée et des informations personnelles, qui constituera inévitablement un enjeu complexe, les plateformes d’intelligence artificielle dans le domaine de la santé pourraient soulever des défis juridiques importants, notamment au niveau de la responsabilité civile et contractuelle. Si un médecin ou un patient suit les recommandations effectuées par un système d’intelligence artificielle et que ces recommandations s’avèrent erronées, qui en sera tenu responsable en dernier ressort ? L’intelligence artificielle soulève donc des questions juridiques légitimes et complexes dans le domaine de la santé, combinées à des préoccupations de nature technologique touchant la fiabilité des logiciels, plateformes et autres programmes d’intelligence artificielle ainsi que la façon dont les professionnels, employés et autres intervenants utiliseront ces applications dans le cadre de leurs tâches et responsabilités quotidiennes. Services à la clientèle Plusieurs systèmes et logiciels ont été créés au cours des dernières années pour tenir une conversation ou autrement interagir avec les gens, que ce soit sous forme vocale ou celle de messages textes. Les entreprises utilisent ces logiciels dans le cadre de la prestation de services à leurs clients ou à des fins de divertissement, par exemple, dans des plateformes telles que Facebook, Messenger et Snapchat. Bien que ces logiciels ne soient pas nécessairement des applications absolues d’intelligence artificielle, quelques-unes de leurs caractéristiques courantes ou en voie de perfectionnement sont considérées comme de l’intelligence artificielle. Lorsque ces logiciels sont utilisés pour conclure des contrats (aux fins, par exemple, d’effectuer des achats ou de passer des commandes ou encore de confirmer un consentement), il est important de s’assurer que les modalités applicables à ces contrats ou, le cas échéant, un avis d’exclusion de responsabilité valide soient communiqués à l’utilisateur. Cette utilisation de logiciels et de systèmes d’intelligence artificielle soulèvera inévitablement des questions intéressantes quant à la formation du contrat, sa nature et ses effets. Secteur financier et technologies financières (ou « fintech ») On remarque une recrudescence importante des activités de recherche et de développement dans les domaines de la robotique, de l’informatique et des technologies en lien avec les services financiers et des fintech. Les applications de l’intelligence artificielle dans ce domaine varient grandement et incluent l’analyse comportementale des clients et des investisseurs ainsi que l’analyse de multiples mégadonnées visant à améliorer la compréhension des consommateurs et des investisseurs, les stratégies de placements et l’utilisation des instruments dérivés. Les défis juridiques que présente l’intelligence artificielle au coeur des secteurs financiers et économiques pourraient découler, par exemple, des conséquences du mauvais fonctionnement d’algorithmes. Dans un tel cas, la relation constante entre l’intervention humaine et les systèmes d’intelligence artificielle, notamment dans le cadre d’une plateforme de négociation de titres ou d’actions, devra être analysée et administrée soigneusement de façon à éviter certains risques juridiques ou, à tout le moins, les confiner à certains aspects plus spécifiques. Véhicules autonomes Les véhicules autonomes sont également désignés des voitures sans conducteur, bien qu’en pratique les véhicules autorisés à circuler sur la voie publique ne soient pas complètement autonomes. En juin 2011, l’État du Nevada devenait un des premiers territoires au monde à permettre que des véhicules autonomes circulent sur la voie publique. En vertu des lois du Nevada, un véhicule autonome est un (traduction libre) « véhicule qui est doté d’intelligence artificielle et de technologie permettant au véhicule d’exécuter toutes les opérations mécaniques associées à la conduite sans le contrôle actif ou la surveillance continue d’une personne physique »5. Le Canada n’a toujours pas adopté de loi pour encadrer de telles voitures sans conducteur bien que plusieurs discussions ont cours à ce sujet. Parmi les importants défis juridiques qui se posent à l’égard des véhicules autonomes, soulignons les multiples questions de responsabilité et d’assurance. En effet, lorsqu’une voiture se déplace sans conducteur et qu’un accident survient, qui devrait être tenu responsable ? (pour consulter un exposé sur ce sujet dans le cadre du droit du Québec, veuillez vous reporter au bulletin Le Droit de savoir, « La conduite des voitures autonomes au Québec : plusieurs questions demeurent », par Léonie Gagné et Élizabeth Martin-Chartrand). Nous anticipons également que des arguments intéressants seront débattus relativement aux voitures sans conducteur dans le cadre d’activités commerciales dans le domaine des transports, notamment l’envoi et la livraison de marchandises commerciales. Responsabilité civile et contractuelle La nature fondamentale des technologies de l’intelligence artificielle constitue un défi en soi en matière de responsabilité contractuelle et extra-contractuelle. Lorsqu’une machine prend, ou prétend pouvoir prendre des décisions autonomes sur la foi de données à la fois fournies par ses utilisateurs et acquises de façon autonome par la machine, son rendement ainsi que les résultats finaux pourraient s’avérer imprévisibles. Ayant ce contexte à l’esprit, la lecture du Livre Cinquième du Code civil du Québec sur les obligations nous apporte un certain nombre de réflexions juridiques intéressantes eu égard aux nouveautés anticipées en matière d’intelligence artificielle : L’article 1457 du Code civil du Québec (CCQ) énonce que : « Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel. Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde. » L’article 1458 du CCQ énonce en outre que : « Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés. Elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables. » Aux termes de l’article 1465 du CCQ, « Le gardien d’un bien est tenu de réparer le préjudice causé par le fait autonome de celui-ci, à moins qu’il prouve n’avoir commis aucune faute. » Les questions entourant les dommages prévisibles ou directs, selon le régime de responsabilité applicable, ou encore découlant du « fait autonome » d’un bien considéré comme un produit d’intelligence artificielle vont inévitablement soulever des débats intéressants dans le contexte de la mise au point des applications d’intelligence artificielle dans un avenir très rapproché. Dans quelles circonstances les concepteurs ou fournisseurs d’applications d’intelligence artificielle, les utilisateurs et les autres parties bénéficiant de ces applications engageront-ils leur responsabilité à l’égard des résultats dérivant de celles-ci ou de l’utilisation de ces résultats par diverses personnes ? Encore ici, l’interaction entre l’intervention humaine et les systèmes d’intelligence artificielle (ou l’absence d’une telle interaction dans certains cas!) dans le cadre des diverses étapes associées à la production de biens ou la fourniture de services jouera un rôle déterminant dans la façon dont cette responsabilité sera établie. Parmi les questions demeurant sans réponse en matière de responsabilité, est-ce que les systèmes autonomes utilisant des applications d’intelligence artificielle pourraient à un certain moment être tenus « personnellement » responsables des conséquences de leurs gestes? Et dans quelles situations le législateur devra-t-il combler certains vides juridiques découlant de l’absence de règles claires qui risquent de compromettre les droits et les obligations de toutes les parties qui interagissent avec l’intelligence artificielle ? Plusieurs parallèles pourront être établis avec d’autres situations menant à la détermination de la responsabilité civile ou contractuelle des personnes. Notre jurisprudence a traité des cas de toute sorte dans ce domaine, mais force est de constater que les caractéristiques propres aux produits d’intelligence artificielle susciteront leur lot de réflexions complexes dans ce domaine. Il est intéressant de rappeler qu’en janvier 2017, la Commission des affaires juridiques de l’Union européenne a soumis une proposition par laquelle elle demande l’adoption de lois traitant de questions liées à la robotique. Dans le cadre des recommandations de la Commission, une réforme du droit de la responsabilité a été considérée comme essentielle. Il fut en effet recommandé que (traduction libre) « le futur texte législatif devrait prévoir des dispositions imposant l’application de la responsabilité stricte, faisant en sorte que tout ce qui devrait être prouvé est qu’un dommage est survenu, de même que le lien de causalité entre l’acte dommageable d’un robot et le dommage causé à la partie lésée »6. La Commission suggère en outre que le Parlement Européen étudie la possibilité d’imposer un régime d’assurance obligatoire ou l’établissement d’un fonds de compensation pour assurer que les victimes de système robotiques soient dédommagées. Que nous réserve l’avenir en matière d’intelligence artificielle ? À une époque où les chercheurs, les développeurs et les scientifiques effectuent des percées dans le domaine de l’intelligence artificielle à une vitesse incroyable et ce, dans divers domaines et sciences, appuyés dans plusieurs cas par des fonds et des subventions des gouvernements, certains concepts juridiques devront inévitablement être adaptés pour faire face aux défis que ces percées amèneront. Il est essentiel d’être conscient des risques juridiques associés aux importantes percées dans le domaine de l’intelligence artificielle et de prendre des décisions éclairées dans le cadre de la gestion du développement et de l’utilisation de l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle devra apprendre à écouter, à comprendre et à distinguer de multiples concepts et idées, même sans le soutien d’opinions prédéfinies ou de balises formelles, de façon à acquérir des capacités d’anticipation et d’autres fonctions cognitives de la même façon que le font les êtres humains (même si d’aucuns pourraient prétendre que l’écoute et la compréhension demeurent des tâches difficiles même pour les humains….). À un certain moment dans leur évolution, les systèmes d’intelligence artificielle prendront leur élan et cet élan s’accélérera lorsque deux systèmes ou plus d’intelligence artificielle combineront leurs fonctionnalités pour créer un système « supérieur » d’intelligence artificielle. La grande question est donc de savoir qui entreprendra avec succès cette combinaison astucieuse de deux systèmes ou plus, nous les humains ou les systèmes d’intelligence artificielle eux-mêmes ? John McCarthy, What is artificial intelligence?, Stanford University. Disruptive technologies: Advances that will transform life, business, and the global economy, McKinsey Global Institute, May 2013. Alex Hern, Stephen Hawking: AI will be “either best or worst thing” for humanity, theguardian. Engene Borukhovich, How will artificial intelligence change healthcare?, World Economic Forum. Nevada Administrative Code Chapter 482A-Autonomous Vehicles, NAC 482A.010. Committee on Legal Affairs, Draft report with recommendations to the Commission on Civil Law Rules on Robotics, article 27. (2015/2103 (INL)).
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Intelligence artificielle : les obligations contractuelles au-delà de l’expression à la mode
Est-ce qu’un ordinateur peut apprendre et être intelligent ? Dans l’affirmative, quelles sont les limites des tâches qu’on peut lui confier ? Ces questions ont fait l’objet d’innombrables débats depuis au moins aussi longtemps que la publication d’Alan Turing sur les nombres calculables en 19371. De nombreux chercheurs se sont consacrés à développer des méthodes permettant aux ordinateurs d’interagir plus facilement avec les êtres humains et d’intégrer des processus leur servant à apprendre des situations qui se sont présentées. En quelque sorte, on souhaite permettre à la machine de penser et de réagir comme le ferait un être humain. Dès le début des années 1960, Marvin Minsky, célèbre chercheur du MIT, répertoriait ce qu’il considérait comme les étapes devant mener au développement d’une intelligence artificielle2. La puissance des ordinateurs récents ainsi que la capacité d’emmagasiner des quantités phénoménales d’information permettent aujourd’hui d’intégrer l’intelligence artificielle en entreprise et dans la vie quotidienne, souvent sous les vocables d’apprentissage automatique (machine learning), d’exploration des données (data mining) ou d’apprentissage profond (deep learning) – cette dernière forme ayant connu un développement fulgurant au cours des dernières années3. L’utilisation de l’intelligence artificielle en entreprise soulève toutefois de nombreuses questions juridiques. Ces enjeux sont d’importance capitale lorsque des entreprises concluent des contrats pour offrir ou recevoir des produits et services dans le domaine de l’intelligence artificielle. En matière contractuelle, il est important de bien encadrer les obligations de chaque partie ainsi que leurs attentes. Pour les fournisseurs de produits d’intelligence artificielle, un enjeu important est la responsabilité qu’ils encourent en cas de dysfonctionnement de leurs produits. À titre d’exemple, est-ce que les concepteurs d’un système d’intelligence artificielle pour l’aide à la décision dans un contexte médical peuvent être tenus responsables, directement ou indirectement, de l’erreur médicale découlant d’informations ou de suggestions erronées données par ce système ? Il peut être opportun de s’assurer que les contrats exigent spécifiquement des professionnels utilisant de tels systèmes qu’ils exercent un certain contrôle sur les résultats, que ce soit en médecine, en ingénierie ou en gestion des affaires. En contrepartie, les entreprises qui désirent utiliser de tels produits doivent encadrer clairement les objectifs qu’ils souhaitent ainsi atteindre. Il ne s’agit pas là d’une simple question de performance du système d’intelligence artificielle, mais aussi de prévision de ce qui constituerait une défaillance des produits et ses conséquences juridiques. Par exemple, l’utilisation d’intelligence artificielle dans la gestion de la production d’une entreprise doit-elle permettre une augmentation du rendement ou une diminution de certains problèmes ? Qu’arrive-t-il si les performances souhaitées ne sont pas atteintes ? Un autre enjeu important est la propriété intellectuelle des données intégrées et générées par le produit d’intelligence artificielle. Plusieurs systèmes d’intelligence artificielle nécessitent l’utilisation d’un grand volume de données de l’entreprise afin que ces systèmes acquièrent l’« expérience » nécessaire à leur apprentissage. Toutefois, à qui appartiennent ces données et à qui appartiendront les résultats de cet apprentissage par le système d’intelligence artificielle ? Par exemple, pour qu’un système d’intelligence artificielle puisse devenir performant, une entreprise pourrait se voir obligée de lui soumettre une grande quantité de données et d’investir des ressources humaines ainsi que financières considérables pour guider son apprentissage. Est-ce que le fournisseur du système d’intelligence artificielle acquiert des droits sur ces données ? Est-ce qu’il peut se servir de l’apprentissage de son système d’intelligence artificielle dans une entreprise pour en faire bénéficier ses autres clients? Dans des cas extrêmes, cela pourrait faire en sorte que l’expérience acquise par un système au sein d’une entreprise bénéficie aux compétiteurs de cette dernière. Lorsque le système d’intelligence artificielle est utilisé dans des applications visant des consommateurs ou les employés d’une entreprise, il ne faut pas négliger non plus les enjeux liés à la confidentialité des données utilisées par le système d’intelligence artificielle et à la protection de la vie privée de ces personnes. Il s’agit là d’autant d’enjeux qui doivent être encadrés au point de vue contractuel avant que les problèmes ne surviennent. Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle (L3IA) Nous anticipons que d’ici quelques années, toutes les sociétés, entreprises et organisations, dans toutes les sphères d’activités et tous les secteurs, feront appel à certaines formes d’intelligence artificielle dans leurs activités courantes, qu’il s’agisse d’améliorer la productivité ou l’efficacité, d’assurer un meilleur contrôle de la qualité, de conquérir de nouveaux marchés et clients, de mettre en place de nouvelles stratégies marketing, d’améliorer les processus, l’automatisation et la commercialisation ou encore la rentabilité de l’exploitation. Pour cette raison, Lavery a mis sur pied le Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle (L3IA) qui analyse et suit les développements récents et anticipés dans le domaine de l’intelligence artificielle d’un point de vue juridique. Notre Laboratoire s’intéresse à tous les projets relatifs à l’intelligence artificielle (IA) et à leurs particularités juridiques, notamment quant aux diverses branches et applications de l’intelligence artificielle qui feront rapidement leur apparition dans les entreprises et les industries. Les développements de l’intelligence artificielle, à travers un large éventail de fonctionnalités et d’applications, auront également un impact certain sur plusieurs secteurs et pratiques du droit, de la propriété intellectuelle à la protection des renseignements personnels, en passant par la régie d’entreprise et tous les volets du droit des affaires. Dans nos prochaines publications, l’équipe de notre Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle (L3IA) analysera de façon plus spécifique certaines applications de l’intelligence artificielle dans différents secteurs. Turing, A. M. (1937). On computable numbers, with an application to the Entscheidungsproblem. Proceedings of the London mathematical society, 2(1), 230-265. Minsky, M. (1961). Steps toward artificial intelligence. Proceedings of the IRE, 49(1), 8-30. Voir notamment : LeCun, Y., Bengio, Y., & Hinton, G. (2015). Deep learning. Nature, 521(7553), 436-444.
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Budget 2017 du Canada et intelligence artificielle : votre entreprise est-elle prête?
Le Budget du 22 mars 2017 du Gouvernement du Canada, dans son « Plan pour l’innovation et les compétences » (http://www.budget.gc.ca/2017/docs/plan/budget-2017-fr.pdf) mentionne que le leadership démontré par le milieu universitaire et celui de la recherche au Canada dans le domaine de l’intelligence artificielle se traduira par une économie plus innovatrice et une croissance économique accrue. Le budget 2017 propose donc de fournir un financement renouvelé et accru de 35 millions de dollars sur cinq ans, à compter de 2017-2018, pour l’Institut canadien de recherches avancées (ICRA), qui jumelle les chercheurs canadiens à des réseaux de recherche en collaboration dirigés par d’éminents chercheurs canadiens et internationaux pour effectuer des travaux sur des sujets qui touchent notamment l’intelligence artificielle et l’apprentissage profond (deep learning). Ces mesures s’ajoutent à plusieurs mesures fiscales fédérales et provinciales intéressantes qui appuient déjà le secteur de l’intelligence artificielle. Au Canada et au Québec, le programme de recherche scientifique et développement expérimental (RS&DE) procure des avantages à deux volets : les dépenses de RS&DE sont déductibles du revenu aux fins de l’impôt et un crédit d’impôt à l’investissement (CII) pour la RS&DE est offert pour réduire l’impôt. Le solde du CII est remboursable dans certains cas. Au Québec, un crédit d’impôt remboursable est également disponible pour le développement des affaires électroniques lorsqu’une société exerce principalement ses activités dans les domaines de la conception de systèmes informatiques ou de l’édition de logiciels et qu’elles sont effectuées dans un établissement situé au Québec. Ce Budget 2017 vise donc à rehausser l’avantage concurrentiel et stratégique du Canada en matière d’intelligence artificielle, et par le fait même celui de Montréal, une ville qui jouit déjà d’une réputation internationale dans ce domaine. Il reconnaît d’entrée de jeu que l’intelligence artificielle, au-delà de toutes les questions d’éthique qui passionnent actuellement la communauté internationale, pourrait permettre de générer une croissance économique solide en améliorant la façon de produire des biens, d’offrir des services et de surmonter divers défis de société. Le Budget ajoute également que l’intelligence artificielle « offre des possibilités dans de nombreux secteurs, de l’agriculture aux services financiers, créant des occasions pour les entreprises de toutes tailles, que ce soit des entreprises technologiques en démarrage ou les plus importantes institutions financières du Canada. » Ce rayonnement du Canada sur la scène internationale passe invariablement par un appui gouvernemental aux programmes de recherche et à l’expertise de nos universités. Ce Budget est donc un pas dans la bonne direction pour faire en sorte que toutes les activités reliées à l’intelligence artificielle, de la R&D à la mise en marché en passant par la création et la distribution des produits et services, demeurent ici au Canada. Le budget 2017 attribue ainsi 125 millions de dollars au lancement d’une stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle pour la recherche et le talent afin de favoriser la collaboration entre les principaux centres canadiens d’expertise et renforcer le positionnement du Canada en tant que destination de calibre mondial pour les entreprises désirant investir dans l’intelligence artificielle et l’innovation. Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle (L3IA) Nous anticipons que d’ici quelques années, toutes les sociétés, entreprises et organisations, dans toutes les sphères d’activités et tous les secteurs, feront appel à certaines formes d’intelligence artificielle dans leurs activités courantes, qu’il s’agisse d’améliorer la productivité ou l’efficacité, d’assurer un meilleur contrôle de la qualité, de conquérir de nouveaux marchés et clients, de mettre en place de nouvelles stratégies marketing, d’améliorer les processus, l’automatisation et la commercialisation ou encore la rentabilité de l’exploitation. Pour cette raison, Lavery a mis sur pied le Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle (L3IA) qui analyse et suit les développements récents et anticipés dans le domaine de l’intelligence artificielle d’un point de vue juridique. Notre Laboratoire s’intéresse à tous les projets relatifs à l’intelligence artificielle (IA) et à leurs particularités juridiques, notamment quant aux diverses branches et applications de l’intelligence artificielle qui feront rapidement leur apparition dans les entreprises et les industries. Les développements de l’intelligence artificielle, à travers un large éventail de fonctionnalités et d’applications, auront également un impact certain sur plusieurs secteurs et pratiques du droit, de la propriété intellectuelle à la protection des renseignements personnels, en passant par la régie d’entreprise et tous les volets du droit des affaires. Dans nos prochaines publications, l’équipe de notre Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle (L3IA) analysera de façon plus spécifique certaines applications de l’intelligence artificielle dans différents secteurs.