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  • Perte de renseignements personnels : la Cour supérieure rejette une action collective

    Dans une décision rendue le 26 mars 2021, la Cour supérieure a rejeté une action collective entreprise à l’encontre de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (« OCRCVM ») liée à la perte des renseignements personnels de milliers d’investisseurs canadiens1. L’absence d’une preuve de préjudice indemnisable ainsi que la diligence de l’OCRCVM constituent les principaux motifs du rejet de l’action collective. Les faits Le 22 février 2013, un inspecteur de l’OCRCVM a oublié son ordinateur portable dans un lieu public. L’ordinateur, qui contenait des renseignements personnels d’environ 50 000 Canadiens n’a jamais été retrouvé. Ces renseignements avaient initialement été recueillis par différents courtiers en valeurs mobilières sous la surveillance de l’OCRCVM. Monsieur Lamoureux, dont les renseignements étaient contenus dans l’ordinateur, a intenté une action collective au nom de toutes les personnes ayant vu leurs renseignements personnels perdus dans le cadre de cet incident. Il réclamait des dommages compensatoires pour le stress, l’anxiété et l’inquiétude liés à la perte des renseignements personnels ainsi qu’une compensation pour le préjudice lié à l’usurpation ou aux tentatives d’usurpation de l’identité des membres. Il réclamait également des dommages punitifs pour atteinte illicite et intentionnelle au droit au respect de la vie privée protégé par la Charte québécoise des droits et libertés. Sur ce point, les membres prétendaient que l’OCRCVM aurait été insouciante et qu’elle aurait tardé à aviser les personnes concernées, les courtiers et les autorités compétentes. Décision L’action collective est rejetée en totalité. Les dommages compensatoires La Cour supérieure a d’abord pris acte de l’admission de l’OCRCVM qui ne contestait pas avoir commis une faute en raison de la perte de l’ordinateur et du fait que ce dernier n’était pas crypté conformément à ses politiques internes et aux standards de l’industrie. En ce qui a trait aux dommages compensatoires, la Cour a réitéré le principe selon lequel l’existence d’une faute ne présuppose pas celle d’un préjudice; chaque cas doit s’analyser en fonction de la preuve administrée2. En l’espèce, le préjudice allégué par les membres se résumait à : l’inquiétude, la colère, le stress et l’anxiété ressentis face à l’incident; l’obligation de surveiller leurs comptes financiers, notamment les cartes de crédit et comptes bancaires; les inconvénients et la perte de temps pour faire les démarches auprès des agences de renseignements de crédit et veiller à la protection de leurs renseignements personnels; la honte ressentie et les délais occasionnés par la vérification d’identité dans le cadre de leurs demandes de crédit en raison des alertes à leurs dossiers. Dans son analyse, la Cour a retenu que hormis le fait que les membres ont été troublés de façon générale par la perte de leurs renseignements personnels, aucune preuve n’a été faite de difficultés particulières et significatives liées à leur état psychologique. S’appuyant sur l’arrêt Mustapha c. Culligan du Canada Ltée3, la Cour a réitéré que « le droit ne reconnaît pas les contrariétés, la répulsion, l’anxiété, l’agitation ou les autres états psychologiques qui restent en deçà d’un préjudice ». Si le préjudice n’est pas grave et de longue durée et qu’il se limite à des désagréments et craintes ordinaires tributaires de la vie en société, il ne constitue pas un dommage indemnisable. En l’espèce, la Cour a conclu que les sentiments négatifs ressentis à la suite de la perte de renseignements personnels ne permettaient pas de dépasser le seuil des désagréments, angoisses et craintes ordinaires que les personnes vivant en société doivent accepter. Le fait d’avoir à exercer une surveillance plus accrue de ses comptes personnels ne peut se qualifier de préjudice indemnisable puisque les tribunaux assimilent cette pratique à celle « d’une personne raisonnable qui doit protéger ses actifs »4. La Cour a aussi tenu compte du fait que l’OCRCVM a offert gratuitement aux membres l’abonnement à des services de surveillance de crédit et de protection. Par conséquent, elle a conclu qu’aucun dommage ne pouvait être compensé à ce titre. Enfin, les experts ayant été mandatés pour analyser les circonstances et les utilisations illicites des renseignements personnels des investisseurs ont conclu que rien n’indiquait clairement que ces renseignements étaient tombés entre les mains d’un individu ou d’un groupe d’individus à des fins malveillantes bien que la preuve de l’utilisation illicite des renseignements personnels ne soit pas essentielle pour faire valoir une réclamation. Les dommages punitifs Le demandeur, au nom de l’ensemble des membres du groupe, réclamait en outre des dommages punitifs en alléguant que l’OCRCVM aurait fait preuve d’insouciance dans sa gestion de l’incident. Afin d’analyser la diligence de l’OCRCVM, la Cour a retenu les faits suivants.  Dans la semaine suivant la perte de l’ordinateur le 22 février 2013, l’OCRCVM a déclenché une enquête interne. Le 4 mars 2013, l’enquête a révélé que l’ordinateur contenait vraisemblablement les renseignements personnels de milliers de Canadiens. L’OCRCVM a porté plainte à la police. Le 6 mars 2013, elle a mandaté Deloitte pour recenser les renseignements personnels des individus visés, les firmes de courtage et les individus affectés ainsi que pour l’assister dans la gestion des risques et obligations liés à la perte des renseignements personnels. Le 22 mars 2013, Deloitte a informé l’OCRCVM que l’ordinateur contenait des informations « hautement sensibles » et « de sensibilité accrue » de milliers d’investisseurs canadiens. Le 27 mars 2013, l’OCRCVM a avisé la Commission d’accès à l’information (la « CAI ») et le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Entre le 8 et le 9 avril 2013, l’OCRCVM a rencontré les représentants des firmes de courtage affectés. En parallèle, l’OCRCVM a mandaté des agences de renseignements de crédit pour mettre en place des mesures de protection pour les investisseurs et les firmes de courtage. Elle a également mis en place un centre d’appels bilingue, publié un communiqué relatant la perte de l’ordinateur et transmis une lettre aux investisseurs concernés. La Cour a aussi retenu la preuve d’expert selon laquelle la réponse de l’OCRCVM correspondait aux meilleures pratiques de l’industrie et que les mesures mises en place étaient appropriées dans les circonstances et conformes à d’autres réponses à des incidents de même nature. À la lumière de ces éléments, la Cour a conclu que la perte de l’ordinateur non crypté et la violation du droit à la vie privée qui en découle étaient isolées et non intentionnelles et a en conséquence rejeté la réclamation pour dommages punitifs. Il en ressort que l’OCRCVM n’a pas fait preuve d’insouciance, mais a plutôt agi en temps opportun. Commentaires Cette décision pave la voie dans l’analyse de la conduite diligente d’une entreprise qui verrait les renseignements personnels qu’elle détient potentiellement compromis et confirme qu’une réponse rapide et diligente à un incident de sécurité peut permettre de faire obstacle à une poursuite civile. Cette affaire confirme également que la seule perte des renseignements personnels, aussi sensibles soient-ils, n’est pas suffisante en soi pour justifier une compensation financière, encore faut-il la démonstration probante d’un dommage. Or, les contrariétés et les inconvénients passagers de nature ordinaire ne constituent pas un préjudice indemnisable. La surveillance de ses comptes financiers ne constitue pas une démarche exceptionnelle, mais est plutôt considérée comme la norme à laquelle on s’attend d’une personne raisonnable qui protège ses actifs. Au moment d’écrire ce bulletin, le délai d’appel n’était pas écoulé et le demandeur n’avait pas annoncé ses intentions quant à la possibilité d’appeler du jugement. Lamoureux c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2021 QCCS 1093. Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2014 QCCS 4061, par. 21 et 22. Mustapha c. Culligan du Canada Ltée, 2008 CSC 27, [2008] 2 R.C.S. 114 Lamoureux c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, 2021 QCCS 1093, par. 73.

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  • Jugement d'intérêt pour l’industrie du divertissement

    L’organisateur d’un événement est-il responsable du retard d’un artiste? Il faut regarder le contexte, répond la Cour supérieure, en rejetant la demande d'autorisation d'exercer une action collective contre Gestion Evenko inc.1 relativement au retard de Travis Scott lors du Festival musique et arts Osheaga à l'été 2018. Aperçu de la première action collective québécoise en la matière. Contexte Organisé par la défenderesse Evenko, le festival Osheaga se présente comme une grande fête dédiée à la musique et aux arts visuels où, pendant trois jours, des artistes de tous genres offrent des prestations sur les nombreuses scènes extérieures aménagées au parc Jean-Drapeau de l’île Notre-Dame. Le rappeur Travis Scott était au programme de la soirée du 3 août 2018. Sa prestation était prévue de 21 h 45 à 22 h 55 sur la scène de la Rivière. Désireuse d'assister à ce concert, la demanderesse, détentrice « d'une passe » week-end, s'y installe dès 20 h 45. Malheureusement, Travis Scott est retenu aux douanes ce soir-là. La séquence des événements peut se résumer ainsi : À 21 h 55, Evenko affiche un premier message sur les écrans géants du site, indiquant que le spectacle serait retardé pour une raison hors de son contrôle. À 22 h 15, Evenko diffuse un second message, sur les écrans géants et par Twitter, indiquant que Travis Scott a été retardé aux douanes et qu’il est en route pour l’île Notre-Dame. À 22 h 30, la demanderesse quitte les lieux; elle allègue n'avoir pas cru Evenko, craindre le couvre-feu et trouver la foule agressive. À 22 h 40, Evenko diffuse un troisième message sur les écrans géants, confirmant l'arrivée de Travis Scott sur l'île. À 22 h 55, Evenko diffuse un quatrième message, annonçant aux festivaliers que le spectacle est sur le point de commencer. Le spectacle commence à 23 h, pour se terminer vers 23 h 40. Une demande d'autorisation d'exercer une action collective est déposée le lendemain. La demanderesse cherche à représenter près de 50 000 festivaliers qui, selon elle, auraient subi un préjudice imputable à Evenko. Elle prétend que le retard de 90 minutes de Travis Scott constitue une inexécution contractuelle telle de la part d'Evenko que tous les membres du groupe devraient pouvoir obtenir un remboursement équivalent à la valeur « d'une passe » quotidienne. Jugement Procédant à l'analyse exigée par l'article 575 C.p.c., le juge André Prévost conclut que les faits allégués ne paraissent pas justifier les conclusions recherchées. La demande d’autorisation d’exercer une action collective est par conséquent rejetée. D'entrée de jeu, le tribunal met en doute certaines allégations de la demande : par exemple, l'affirmation « de la demanderesse que la prestation de Travis Scott a été la considération principale du contrat conclu avec Evenko » lui semble incompatible avec le fait qu'elle ait acheté « une passe » de trois jours (par. 51, 56); de même, aucune preuve ne soutient sa prétention que la foule était agressive (par. 54). Ce sont toutefois surtout deux lacunes du syllogisme juridique qui mènent le tribunal à conclure que la demande d’autorisation ne présente pas une cause défendable ayant quelque chance de succès (par. 66). D'abord, le tribunal refuse de réduire l'expérience du festival Osheaga à une seule performance, même celle d'une tête d’affiche. Il qualifie plutôt l'événement « d’expérience globale […] dont l’intérêt réside dans la multiplicité et la simultanéité des expériences culturelles » (par. 48). En effet, aux artistes invités, musicaux, culturels, du cirque, s'ajoutent diverses activités, foires, croisières, remises de prix, pour n'en nommer que quelques-unes (par. 48). Il souligne que l'ensemble des documents ayant trait à la programmation et à l’horaire d’Osheaga contient l’un ou l’autre des avertissements suivants : « Horaire et programmation sujets à changement » ou « Artistes et horaire sujets à changement » (par. 47). De tels avertissements constituent une indication forte que de tels retards sont loin d'être inusités ou, dans les mots du tribunal,  «[ce] n’est pas chose exceptionnelle pour qui fréquente le milieu culturel » (par. 57). Dans ce contexte, aucune faute ne peut être reprochée à Evenko. Le tribunal poursuit son analyse ajoutant que, même s'il y avait faute, ce qui n'est pas le cas, la situation n'a entraîné aucun préjudice indemnisable : citant les arrêts Sofio2 et Mustapha3, le tribunal rappelle qu'une simple contrariété n'est pas un préjudice et que, dans les faits, « rien ne démontre que le retard dans la prestation de Travis Scott ait comporté des inconvénients plus graves que ceux subis habituellement par les personnes participant à des festivals de cette nature » (par. 65). Bref, dans le cadre d'un festival multigenre, le retard d'un artiste ne constitue pas nécessairement un préjudice indemnisable et n'équivaut pas automatiquement à un défaut du promoteur d'exécuter ses obligations. Que retenir? La décision est d'importance pour l'industrie de l'événementiel en ce qu'elle reconnaît que l'organisateur d'un événement d'envergure doit parfois faire face à des imprévus et qu'il dispose d'une marge de manœuvre raisonnable pour s'ajuster. Bien sûr, chaque situation sera un cas d'espèce, mais un promoteur bien avisé prendra soin d'indiquer dans sa documentation que des changements sont possibles. La décision reconnaît également qu'une expérience culturelle globale dépasse la somme de ses composantes : le retard d'un seul artiste n'annule pas l'ensemble. Cette conclusion est susceptible de s'appliquer à plusieurs autres industries : Osheaga offre un exemple type d'un ensemble de prestations distinctes et simultanées, mais c'est également le cas de l'ensemble des manèges d'un parc d'attractions ou de chacune des sections d'un jardin zoologique. Nos associées, Myriam Brixi et Laurence Bich-Carrière ont représenté avec succès les intérêts d'Evenko dans ce dossier.   Le Stum c. Gestion Evenko inc.,  2019 QCCS 2422. Le délai d'appel a expiré le 22 juillet 2019. Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820. Mustapha c. Culligan du Canada ltée, [2008] 2 RCS 114, 2008 CSC 27.

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  • L’arrêt Time fait encore couler de l’encre

    Cette publication a été écrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil. Le droit de la consommation et la procédure d’action collective font bon ménage. Dans le récent arrêt Girard1, la Cour d’appel du Québec, sous la plume de l’honorable Jacques Dufresne, rappelle certains principes devant guider les tribunaux de première instance dans l’analyse factuelle d’un dossier en droit de la consommation. Ce faisant, la Cour d’appel passe en revue et applique dans le contexte d’une action collective les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Time2. LA PRÉSOMPTION ABSOLUE DE PRÉJUDICE L’arrêt Time concernait en un recours individuel institué par M. Jean-Marc Richard sur le fondement de fausses représentations quant à l’annonce faite par Time suivant laquelle il avait remporté le gros lot d’un concours auquel il n’avait pas participé. Dans cette affaire qui mettait en cause une violation de la Loi sur la protection du consommateur3, la Cour suprême a énoncé quatre critères pour déterminer si un consommateur peut bénéficier d’une présomption absolue de préjudice et, donc, de l’un des remèdes prévus à l’article 272 de la LPC : La violation par le commerçant ou le fabricant d’une des obligations imposées par le titre II de la loi; La prise de connaissance par le consommateur de la représentation constituant la pratique de commerce interdite; La formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance; Une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat.4 L'affaire Girard pour sa part, se présentait comme une action collective fondée sur de fausses représentations quant au calcul d’un rabais offert par un prestataire de services de télédistribution, d’Internet et de téléphonie. Plus précisément, M. Girard reprochait au prestataire de services de ne pas avoir dénoncé à ses abonnés des frais de 1,5 % payables au Fonds pour l’amélioration de la programmation locale (FAPL) et de les avoir mal calculés.5.La Cour supérieure a accueilli l'action collective et condamné le prestataire de service à verser aux membres du groupe près de 6,5 M$ en dommages compensatoires et 1 M$ en dommages punitifs. Le prestataire de services s'est pourvu en appel. Fait particulier, la juge de première instance avait estimé ne pas avoir à recourir à la présomption irréfragable de préjudice énoncée dans l’arrêt Time, puisqu’il était manifeste que le consommateur avait subi un préjudice. Pour le juge Dufresne, il s’agissait là d’une erreur, mais qui ne justifiait pas l’intervention de la Cour d’appel : En effet, aurait-elle mis en œuvre la vérification des quatre critères énoncés dans l’arrêt Time qu’elle aurait conclu néanmoins à la condamnation de l’appelante au remboursement des frais du FAPL versés par ses abonnés, membres du Groupe, au-delà du coût réel de leur forfait de télédistribution.6 En ce qui concerne le premier critère de la grille d’analyse, la Cour d’appel a opiné que les membres du groupe avaient été victimes d’une pratique de commerce interdite par la Loi sur la protection du consommateur en raison du calcul erroné des frais payables au FAPL. En ce qui concerne le deuxième critère de la grille d’analyse, soit la prise de connaissance de la fausse représentation, le juge Dufresne souligne que les membres du groupe n’ont pas été informés de l’existence des frais au moment de la conclusion du contrat, ni de leur mode de calcul, le contrat comme la facture étant silencieux sur ce dernier point7. Le deuxième critère de l'arrêt Time était donc satisfait. Il faut en conclure que ce deuxième critère peut s’appliquer en raison d’une omission de la part du commerçant, en l’espèce, celle de dénoncer le mode de calcul. Le troisième critère n’a pas fait l’objet d’un débat devant la Cour d’appel. Quant au quatrième critère, celui de la proximité suffisante, le prestataire de service alléguait que M. Girard avait admis dans son témoignage qu’il aurait contracté même s’il avait su que les frais FAPL étaient calculés erronément et que la situation ne présentait pas la « proximité suffisante entre le contenu de la représentation [le fait de se livrer à une pratique de commerce interdite] et le bien ou service visé par le contrat »8 requise par l'arrêt Time. Suivant ce quatrième critère, « la pratique interdite doit être susceptible d’influer sur le comportement adopté par le consommateur relativement à la formation […] du contrat de consommation »9. Puisque M. Girard avait admis qu’il aurait contracté de toutes façons, on pouvait penser que l’omission de dévoiler le mode de calcul du FAPL n’avait aucune incidence sur la formation du contrat. Cependant, le juge Dufresne ne retient pas cet argument : [72] […] Les fausses représentations, c’est-à-dire l’omission de divulguer la méthode de calcul utilisée et ses répercussions, soit notamment le fait de percevoir plus des intimés que ce que l’appelante ne verse elle-même au CRTC pour le FAPL, étaient susceptibles d’influer sur leur décision de contracter avec l’appelante pour ses services de télédistribution aux conditions auxquelles ils ont effectivement contracté.10 Ainsi, suivant cet extrait, on pourrait penser que le quatrième élément de la grille d’analyse doit être appliqué de manière objective. Cette approche découlerait de l’utilisation, par la Cour suprême, des termes « doit être susceptible d’influer sur le comportement adopté par le consommateur »11.  La Cour d'appel suggère ici que l'appréciation du quatrième élément de la grille d'analyse de Time doit être objective, considérant notamment les termes « doit être susceptible » employés par la Cour suprême. Pourtant, dans sa décision dans l'affaire Dion, rendue un peu plus tôt en 2015, une autre formation de la Cour d'appel avait adopté une approche subjective, in concreto : [85] The judge in first instance correctly applied the aforementioned to the instant case when she held that the last criterion had not been satisfied given the stipulation that the Consumers would have purchased or leased a vehicle had the charge in question been itemized or broken down. There was, accordingly, no nexus between the prohibited practice and the Consumers’ behaviour. The Consumers’ decision to pay the amount of the charge or to “perform the contract” was not influenced by the prohibited practice. Thus, there was no presumption of prejudice. 12 Cette question mériterait d’être débattue de nouveau. Il est vrai qu’une approche objective profite aux consommateurs, puisqu’elle diminue leur fardeau de preuve. Cependant, il semble que l’objet du troisième critère de la grille d’analyse de Time milite en faveur d’une approche plus factuelle, plus concrète. C’est d’ailleurs ce que révèle la version anglaise (originale) des motifs du juge Cromwell dans Time : « that the consumer’s seeing that representation resulted in the formation […] of the consumer contract »13. L’utilisation de cette notion de « résultat » suggère au décideur de procéder à une analyse des faits d’espèce, de manière subjective. Pour ce qui est du quatrième critère, la version anglaise de la décision est aussi révélatrice : « a sufficient nexus existed between the content of the representation and the goods or services covered by the contract »14. Cette notion d’« existence » invite, elle aussi, à procéder à une analyse subjective. Les recours en droit de la consommation doivent être exercés conformément aux règles du droit civil. C’est d’ailleurs un des enseignements de Time15. Une approche subjective paraît plus compatible avec les principes généraux de droit civil suivant lesquels un lien de causalité suffisant est nécessaire pour établir l’existence d’un droit d’action. LA CONDAMNATION EN DOMMAGES PUNITIFS Un autre aspect important de la décision de la Cour d’appel dans Girard est le volet « dommages punitifs ». Rappelons qu’en première instance, la première juge avait accordé, en sus de la condamnation monétaire de plus de six millions de dollars, une condamnation en dommages punitifs d'un million de dollars. En appel, la Cour a réduit cette condamnation à 200 000$. S’appuyant une fois de plus sur l’arrêt Time, le juge Dufresne rappelle certains des principes qui doivent guider le tribunal dans l’octroi de dommages punitifs : [210] Lorsqu’un tribunal décide s’il accordera des dommages-intérêts punitifs, il doit mettre en corrélation les faits de l’affaire et les buts visés par ces dommages-intérêts et se demander en quoi, dans ce cas précis, leur attribution favoriserait la réalisation de ces objectifs. Il doit tenter de déterminer la somme la plus appropriée, c’est-à-dire la somme la moins élevée, mais qui permettrait d’atteindre ce but.16 Puis : Compte tenu de cet objectif et des objectifs de la L.p.c., les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à l’égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Le tribunal doit toutefois étudier l’ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle-ci avant d’accorder des dommages-intérêts punitifs.17 Le juge Dufresne reconnaît que ces principes militent en faveur d’un octroi de dommages punitifs à titre de remède pour la violation de la L.p.c. Cependant, il estime que le montant de un million de dollars dépasse largement ce qui est indiqué dans les circonstances pour satisfaire l’atteinte des objectifs de la loi18. Il rappelle aussi que le montant des dommages punitifs octroyés, tout en étant suffisant pour assurer la fonction préventive de la L.p.c., doit être proportionnel à la gravité des manquements reprochés19. Or, de tous les facteurs à être pris en considération, la gravité du manquement reproché est le plus important20. Sur ce point, le juge Dufresne estime que, sans être bénigne, la gravité de la violation de la L.p.c. doit être relativisée. Il considère que la condamnation à des dommages-intérêts compensatoires de plus de six millions de dollars comporte un effet punitif non négligeable et a sûrement un effet dissuasif. Dans ce sens, le juge Dufresne estime que le jugement de la Cour supérieure ne cerne pas adéquatement le comportement du prestataire de services avant, pendant et après la violation de la L.p.c. Même si la défense du prestataire de services s’est avérée non fondée, elle ne tenait pas d’une procédure abusive21. Cette intervention de la Cour d’appel dans la détermination du quantum des dommages-intérêts punitifs pourrait être qualifiée d’exceptionnelle. Dans Time, la Cour suprême avait reconnu une certaine discrétion au tribunal de première instance dans l’octroi de dommages-intérêts punitifs : « [o]n doit se rappeler que le tribunal de première instance jouit d’une latitude dans la détermination du montant des dommages-intérêts punitifs, pourvu que la somme fixée demeure dans des limites rationnelles, eu égard aux circonstances précises d’une affaire donnée »22. Cette discrétion semble toutefois limitée et doit respecter le devoir de retenue du juge qui accorde des dommages-intérêts punitifs. L'arrêt Girard confirme ainsi le caractère exceptionnel des dommages punitifs, tel que l’a reconnu la Cour suprême dans Time23 et la nécessité, en droit de la consommation, que ceux-ci soient justifiés dans le cadre général de l’atteinte des objectifs de la Loi sur la protection du consommateur, c’est-à-dire (1) le rétablissement d’un équilibre dans les relations contractuelles entre les commerçants et les consommateurs et (2) l’élimination des pratiques déloyales susceptibles de fausser l’information dont dispose le consommateur et l’empêcher de faire des choix éclairés24. CONCLUSION La décision de la Cour d’appel dans Girard risque de faire couler de l’encre. Le droit de la consommation est un domaine particulièrement propice à la procédure d’action collective et le test en quatre étapes énoncé dans l’arrêt Time pour déterminer l’applicabilité de la présomption absolue de préjudice sera sûrement utilisé à nouveau par les tribunaux dans un avenir rapproché. La question de savoir si les critères d’analyse doivent être appréciés de manière objective ou subjective mérite sûrement d’être débattue de manière plus approfondie. Cette question présente un intérêt particulier en matière d’action collective. En ce qui concerne le volet « dommages punitifs » de la décision, il semble que la décision de première instance soit l’un des rares cas où la Cour suprême accepte qu’un tribunal d’appel puisse réviser une décision de première instance en matière d’octroi de tels dommages. Le juge Cromwell écrivait dans Time : « [l]’erreur d’évaluation sera jugée sérieuse lorsqu’il sera établi que le tribunal de première instance a exercé sa discrétion judiciaire d’une façon manifestement erronée, c.-à-d. lorsque le montant octroyé n’était pas rationnellement relié aux objectifs de l’attribution de dommages-intérêts punitifs dans l’affaire dont il était saisi »25. Considérant l’intervention de la Cour d’appel dans l’arrêt Girard,on peut penser que le devoir de retenue du juge du procès est au cœur de l’atteinte de cet objectif. Le délai pour demander l’autorisation d’en appeler à la Cour suprême expire le 11 août. C’est donc une affaire à suivre!   Vidéotron c. Girard, 2018 QCCA 767 (ci-après : « Girard »). Richard c. Time, 2012 CSC 8 (ci-après : « Time »). RLRQ c. P-40.1 (la «L.p.c.»). Time, par. 124. Girard, par. 13. Girard, par. 48. Girard, pars. 65-66. Time, par. 124; Girard, par. 70. Time, par. 124; Girard, par. 70. Girard, par. 72. (sauf indication contraire, les soulignés sont rajoutés) Time, par. 124. Dion c. Compagnie de services de financement automobile Primus Canada, 2015 QCCA 333, par. 85. Time, par. 124 (soulignés ajoutés). TRADUCTION LITTÉRALE : « la prise de connaissance de la représentation a résulté en la formation du contrat ». Or, la version française se lit : « la formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance » (soulignés ajoutés). Time, par. 124 (soulignés ajoutés). TRADUCTION LITTÉRALE :  « un lien suffisant a existé entre le contenu de la représentation et les biens ou les services visés par le contrat ». Or, la version française se lit : « une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat » (soulignés ajoutés). Time, par. 111. Time, pars. 210 & 215; Girard, par. 100. Time, par. 180; Girard, par. 102. Girard, par. 103 Girard, par. 105. Time, par. 190. Girard, par. 111. Time, par. 190. Ceci est de jurisprudence constante. Voir : Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 RCS 725, 2014 CSC 55, par. 98; Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, par. 134; et Dion, pars. 128-129. Time, par. 150. Time, pars. 160-161. Voir aussi : Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 RCS 725, 2014 CSC 55, par. 55. Time, par. 190.

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  • Des actions collectives à suivre en matière de transport aérien

    Nombreux sont les Canadiens qui voyagent à bord d’avions de ligne. Outre les agréments du voyage, certains inconvénients peuvent parfois survenir, pour les transporteurs aériens comme pour les passagers. L’action collective est souvent le véhicule procédural favorisé par les consommateurs pour faire valoir leurs droits. De récentes actions collectives autorisées par les tribunaux québécois soulèvent des questions qui animeront l’agenda judiciaire. Les tribunaux se pencheront en effet sur l’application de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (« Convention de Montréal ») et au droit des passagers de réclamer des dommages moraux. Par ailleurs, la tarification et l’exactitude des prix selon la Loi sur les transports au Canada1 feront l’objet de débats. Réclamation de dommages moraux L’épineuse question de savoir si des dommages moraux sont recouvrables en vertu de la Convention de Montréal continue de faire couler de l’encre. Les arrêts Croteau c. Air Transat AT inc.2 et Plourde c. Service aérien FBO inc. (Skyservice)3 semblaient pourtant avoir réglé la question. Dans chacun de ces arrêts, la Cour d’appel avait conclu, entre autres, que le juge de première instance avait raison de refuser d’autoriser la partie d’une action collective recherchant l’indemnisation du préjudice psychologique subi pendant un vol. Ces dommages ne sont pas indemnisables en vertu de l’article 17 de la Convention de Montréal qui prévoit la responsabilité du transporteur en cas de mort ou de lésion corporelle. Cependant, ces arrêts n’ont pas abordé la question des dommages moraux résultant d’un retard dans le cadre de l’article 19 de la Convention de Montréal qui prévoit que le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard. En 2012, dans l’affaire Yalaoui c. Air Algérie4, la Cour supérieure autorisait une action collective pour les membres du groupe de passagers d’un vol direct entre Alger et Montréal ayant été retardé d’environ 15 heures. Les membres réclamaient notamment des dommages moraux pour les inconvénients de l’attente, et ce, en vertu de l’article 19 de la Convention de Montréal. Le recours a été rejeté en 2017 par la Cour supérieure5, qui a estimé que le transporteur aérien avait pris toutes les mesures raisonnables pour veiller à bien entretenir et réparer l’avion, sans pouvoir éviter le retard. La question des dommages moraux n’a donc pas été abordée. La question de l’octroi de dommages moraux a refait surface plus récemment dans la cause Auguste c. Air Transat6. Le groupe, composé de plus de 120 passagers détenteurs d’un billet, laissé à Port-au-Prince par le transporteur aérien, a obtenu l’autorisation d’exercer une action collective contre ce transporteur. Les membres du groupe réclament en vertu de l’article 19 de la Convention de Montréal des dommages moraux résultant des deux jours de retard et d’attente. Dans ce même dossier, la Cour supérieure7 a autorisé en 2016 que les avis aux membres, qui visaient la communauté haïtienne, soient diffusés sur les ondes d’une radio haïtienne afin de rejoindre le plus de personnes possible. Cette manière de diffuser l’avis est à première vue exceptionnelle, mais le tribunal, utilisant sa discrétion, était d’opinion que l’intérêt des membres le commandait. Le procès est prévu en avril 2018. Surfacturation En 2013, dans la cause Chabot c. WestJet8, une action collective a été autorisée contre un transporteur aérien. Les membres d’un groupe reprochaient au transporteur de leur avoir imposé une surfacturation pour le siège d’un accompagnateur ou pour un emplacement adapté à leur condition en raison d’une déficience ou d’un surplus de poids. Le groupe autorisé était composé de passagers avec une déficience fonctionnelle et des accompagnateurs, ayant pris place sur des vols exploités par le transporteur depuis le 5 décembre 2005. L’intérêt de l'affaire, c'est qu'elle fait suite à une décision de l’Office des transports du Canada. L’Office est un organisme de réglementation et un tribunal quasi judiciaire indépendant ayant les attributions d'une Cour supérieure en ce qui concerne les questions relatives à l'exercice de sa compétence en transport national. Le 10 janvier 2008, l’Office a rendu une décision9 concluant que les transporteurs ne peuvent exiger un tarif pour les sièges additionnels nécessaires pour les gens ayant certaines déficiences graves. Donc, dans le cadre de cette action collective dont est saisie la Cour supérieure, il faudra déterminer si la politique tarifaire du transporteur aérien est discriminatoire ou abusive, et le cas échéant, déterminer si des dommages moraux et punitifs peuvent être octroyés. Dans le cadre de ce même dossier, la Cour d’appel10 a confirmé en 2016 que la Cour supérieure a compétence adjudicative pour entendre le recours fondé sur la responsabilité contractuelle et, ce faisant, interpréter la Loi sur les transports au Canada11 puisque le recours ne relève pas de la compétence exclusive de l’Office des transports du Canada. En 2017, la Cour supérieure12 a scindé en deux groupes les personnes pouvant participer à l’action collective, soit celles impliquées dans un vol intérieur et celles impliquées dans un vol international. L’affaire est toujours pendante. Toujours quant à une question de surfacturation, l’autorisation d’exercer une action collective a été accordée dans la cause Choquette c. Air Canada13 pour les membres d’un groupe de consommateurs qui se plaignaient d’avoir dû payer un supplément en frais de carburant lors de l’achat de billets. À l’instar de l’arrêt Chabot c. WestJet14, la compétence de la Cour supérieure a été confirmée puisqu’il n’y a aucune disposition législative octroyant une compétence exclusive à l’Office des transports du Canada. L’instance se poursuit. Exactitude des prix L’affaire Union des consommateurs c. Air Canada15 soulève la question de l’exactitude des prix affichés par un transporteur aérien. En 2014, la Cour d’appel a autorisé l’exercice d’une action collective de consommateurs qui auraient payé un prix supérieur à celui que le transporteur aérien annonçait dans ses publicités et sur son site Internet. En février 2018, des avis aux procureurs généraux du Québec et du Canada ont été produits au dossier de la Cour afin de contester la constitutionnalité de la Loi sur la protection du consommateur à l’égard de titres de transport publicisés et vendus sur le site web du transporteur aérien. L’affaire suit son cours. Plusieurs questions d’importance en matière d’actions collectives en transport aérien demeurent donc à l’agenda judiciaire. Les réponses que les tribunaux y apporteront pourraient affecter les droits des consommateurs et ceux des transporteurs aériens et de leurs assureurs.   Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 Croteau c. Air Transat AT inc., 2007 QCCA 737 Plourde c. Service aérien FBO inc. (Skyservice), 2007 QCCA 739 Yalaoui c. Air Algérie, 2012 QCCS 1393 Yalaoui c. Air Algérie, 2017 QCCS 5479 Auguste c. Air Transat, 2015 QCCS 3923 Auguste c. Air Transat, 2016 QCCS 604 Chabot c. WestJet, 2013, QCCS 5297 Décision no 6-AT-A-2008  WestJet c. Chabot, 2016 QCCA 584; Demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada a été rejetée WestJet c. ès qualités de tutrice à son enfant mineur N.C., et al., 2016 CanLII 72704 (CSC)  Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10  Chabot c. WestJet, 2017 QCCS 4942 Choquette c. Air Canada, 2017 QCCS 234 Westjet c. Chabot, 2016 QCCA 584 Union des consommateurs c. Air Canada, QCCA 523

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  • Valeurs mobilières et actions collectives : l’autorisation préalable à l’autorisation d’une action collective

    Toute personne qui désire intenter une action en dommages-intérêts relativement à des dommages subis sur le marché secondaire des valeurs mobilières doit démontrer que son action est intentée de bonne foi et présente une possibilité raisonnable de succès (art. 225.4 Lvm). Au Québec1, comme ailleurs au Canada2, aucune divulgation préalable de preuve ne peut être obtenue de la partie adverse dans le cadre de cette démonstration. La procédure prescrite par la Lvm suffit, et il n’est pas utile d’invoquer le Code de procédure civile à titre supplétif. La personne qui entend exercer une telle action en dommages par voie d’action collective doit en outre – et, logiquement, de façon postérieure – démontrer qu’elle satisfait les critères d’autorisation de l’action collective (art. 575 Cpc). La Cour ne se prononce pas explicitement sur le droit à la divulgation préalable de la preuve à cet égard. Par ailleurs, cette personne, comme toute personne ayant subi un dommage, dispose d’un droit d’action direct contre l’assureur de l’auteur de son préjudice (art. 2501 CcQ). Elle peut donc, sans égard ni à la matière (le marché secondaire) ni au véhicule procédural (l’action collective) de son recours, obtenir les documents nécessaires à l’exercice de ce droit d’action, en l’occurrence, le contrat d’assurance. Dans son récent arrêt Amaya inc. c. Derome, 2018 QCCA 120, la Cour d’appel se prononce sur l’interaction entre la Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c.V-1.1 (Lvm) et les règles propres à l’action collective dans le cadre de demandes de divulgation préalable de documents formulées par des investisseurs contre un émetteur public. Résumé d’une décision attendue. Le cadre particulier de la Lvm La Lvm encadre la disponibilité des recours relatifs aux marchés financiers. Bien que de tels recours puissent être introduits individuellement, l’action collective est perçue comme un véhicule de choix [traduction] «?puisque les émetteurs inscrits comptent bon nombre d’investisseurs se trouvant dans des circonstances semblables et, s’il y a un problème, ils se regrouperont vraisemblablement de manière à se prévaloir des avantages de l’action collective?»3. Le caractère collectif de telles réclamations n’est toutefois pas une condition nécessaire à leur recevabilité suivant la Lvm. En ce qui concerne les recours visant le marché secondaire, l’article 225.4 Lvm impose à tout investisseur, qu’il agisse personnellement ou à titre de représentant d’un groupe envisagé, d’obtenir une autorisation préalable de la cour avant d’intenter son action. Cette restriction a été dictée par une volonté législative – par ailleurs partagée entre les différentes législatures canadiennes4 – de préserver la confiance du public dans les marchés boursiers5, mais également de protéger les émetteurs publics contre des recours introduits par opportunisme, dans l’espoir d’obtenir un règlement plutôt que pour obtenir l’indemnisation d’un préjudice réel6. À ce compte, l’investisseur qui se dit floué devra démontrer au tribunal auquel l’autorisation est demandée que le recours entrepris l’est «?de bonne foi et qu’il existe une possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause?» (art. 225.4 al. 3 Lvm). Cette démonstration devrait survenir aussi tôt que possible, afin que les ressources judiciaires ne soient engagées que pour des débats méritoires. Interaction avec l’action collective Si le recours prend en outre la forme d’une action collective, l’investisseur devra par la suite démontrer que le recours envisagé satisfait les critères de l’autorisation d’une action collective (art. 575 Cpc), fardeau dont la légèreté est acquise, s’agissant simplement de démontrer, quant au fond, que les «?faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées?» (art. 575[3] Cpc)7. Non seulement la Lvm et le Cpc posent-ils des fardeaux distincts, mais l’autorisation qu’ils commandent intervient à des moments distincts dans la logique du recours : l’autorisation requise par l’article 225.4 Lvm doit, en toute logique, précéder celle imposée par l’article 575 Cpc, bien que rien n’empêche qu’un seul jugement dispose des deux questions8. Ces distinctions posées, il ressort que toute demande visant à permettre à un investisseur de satisfaire le fardeau de l’article 225.4 Lvm doit être analysée selon les règles que pose cette disposition et non celles propres à l’action collective9. Le jugement dont appel n’est donc pas un [traduction] « jugement préalable autorisant une action collective », mais bien un  [traduction] « jugement préalable autorisant un recours en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières »10. Partant, il doit être contrôlé suivant les prescriptions et l’esprit de cette loi11. Le jugement dont appel En l’espèce, le juge de première instance avait fait droit à une demande de divulgation documentaire, s’appuyant sur les principes généraux de la procédure civile québécoise, au premier chef, le devoir de collaboration des parties (art. 20 Cpc)12. Il parvenait ainsi à une solution unique dans le paysage juridique canadien13. Après avoir conclu que le jugement dont appel, rendu en cours d’instance, dépassait largement le cadre de la conférence de gestion dans laquelle il avait été prononcé pour trancher une question de principe14, et que les critères d’autorisation applicables, soient ceux de l’article 31 al. 2 Cpc, étaient satisfaits15, la Cour d’appel devait s’interroger sur le bien-fondé de la décision du juge de première instance de recourir aux principes généraux de la procédure civile québécoise pour trancher les demandes de divulgation documentaire qui lui avaient été soumises. S’il est vrai que les principes généraux du Code de procédure civile peuvent suppléer aux silences des autres lois16, encore faut-il qu’un tel silence existe. Or, selon la Cour d’appel, lorsque l’on considère les raisons d’être et l’historique de l’article 225.4 Lvm, notamment son objectif d’écarter aussi tôt que possible les recours opportunistes17 et l’uniformité des dispositions en la matière au Canada18,on ne peut considérer qu’un tel silence existe. Au contraire, les juges chargés d’autoriser de tels recours doivent, afin d’éviter de court-circuiter l’exigence de l’autorisation préalable, les recherches à l’aveuglette et les mini-procès, obliger les demandeurs à satisfaire eux-mêmes leur fardeau19. Ni la combinaison des articles 20 et 221 Cpc ni le cadre particulier de l’action collective ne peuvent fléchir cet interdit20. La demande documentaire visant à permettre aux investisseurs de satisfaire le fardeau préalable imposé par l’article 225.4 Lvm aurait donc dû être rejetée. Par contre, celle visant l’obtention de contrats d’assurance ne relevait pas du cadre particulier de l’article 225.4 Lvm. Par conséquent, la Cour d’appel n’intervient pas dans l’ordonnance du juge de première instance, qui a estimé qu’elle était justifiée dans la mesure où elle permettait d’identifier des parties potentielles au litige, au regard du principe de collaboration (art. 20 Cpc), mais surtout du principe développé de longue date voulant que le tiers souhaitant exercer son droit d’action contre l’assureur de l’auteur de son préjudice puisse obtenir tous les documents nécessaires à l’exercice utile de ce droit (art. 2501 CcQ)21. L’arrêt ne se prononce pas directement sur la possibilité pour la demande d’obtenir «la présentation d’une preuve appropriée» au sens de l’article 574 al. 3 Cpc – un type de demande traditionnellement tenu comme devant relever de la contestation, c’est-à-dire être le fait de la défense – dans la mesure où les allégations de la demande d’autorisation d’une action collective doivent, à ce stade, être tenues pour avérées22. En bref L’article 225.4 Lvm est la manifestation québécoise d’une volonté commune des législateurs canadiens de créer un filtre en matière de recours touchant le marché secondaire, afin de préserver la confiance des investisseurs et de décourager les poursuites frivoles. Par conséquent, aucune demande de divulgation préalable visant à satisfaire le critère de l’autorisation posé par l’article 225.4 Lvm nedevrait être accordée, ni dans un contexte d’action collective ni autrement. Par contre, la demande de divulgation qui a un autre objet que celui-là –celle cherchant à attraire un assureur au dossier par exemple– sera évaluée selon les règles ordinaires de la procédure civile québécoise.   Theratechnologies Inc. c. 121851 Canada inc., [2015] 2 RCS 106, 2015 CSC 18 Banque canadienne impériale de commerce c. Green, [2015] 3 RCS 801, 2015 CSC 60 Par. 52 Par. 97 Par. 84 Par. 49 et 84; suivant notamment Theratechnologies Inc. c. 121851 Canada inc., [2015] 2 RCS 106, 2015 CSC 18 ou Banque canadienne impériale de commerce c. Green, [2015] 3 RCS 801, 2015 CSC 60 Par. 50 Par. 20, 46 et 54 Par. 45 Par. 42, 45 et 55 Par. 55 Derome c. Amaya inc., 2017 QCCS 44, par. 79 et s. Par. 36; comparer : Mask v. Silvercorp Metals Inc., 2016 ONCA 641 et Mask v. Silvercorp Metals Inc., 2014 ONSC 4161 - permission d’appeler refusée : Mask v. Silvercorp Metals, Inc., 2014 ONSC 464 (Ont. Div. Ct); Bayens v. Kinross Gold Corp., 2013 ONSC 6864; Silver v. Imax, (2009) 66 B.L.R. (4th) 222, leave to appeal ref'd, Silver v. Imax, 2011 ONSC 1035 (Ont. Div. Ct) Par. 66 et s., la permission d'appeler avait été déférée à une formation de la cour : Amaya inc. c. Derome, 2017 QCCA 335. Par. 73 à 79 Par. 100 et s., citant l’alinéa 3 de la disposition préliminaire du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01 voulant qu’«?Enfin, le Code s’interprète et s’applique comme un ensemble, dans le respect de la tradition civiliste. Les règles qu’il énonce s’interprètent à la lumière de ses dispositions particulières ou de celles de la loi et, dans les matières qui font l’objet de ses dispositions, il supplée au silence des autres lois si le contexte le permet.?» Par. 49 et 84 Par. 9 et 97 Par. 9 et 93 Par. 106 et 107 Collège d'enseignement général et professionnel de Jonquière (CÉGEP) c. Champagne, 1996 CanLII 4413 (CA) Benizri c. Canada Post Corporation, 2016 QCCS 454, par. 6

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  • Quelques actions collectives à surveiller cette année

    Bon an, mal an, la Cour supérieure du Québec rend près de 175 jugements en matière d'actions collectives et l'année 2017 n'a pas fait exception. Deux ans après la réforme de la procédure civile, les tribunaux ont eu l'occasion de préciser la portée de plusieurs nouvelles dispositions : caractère peu élevé du seuil d'autorisation1, caractère strict du droit d'appel sur permission du défendeur contre qui une autorisation a été accueillie2, droit d'appel sur permission de certains jugements rendus avant le jugement d'autorisation3 et obligation de diligence du premier déposant4, pour ne donner que quelques exemples. Sur le fond, certaines décisions ont aussi suscité des interrogations concernant l’application de la présomption absolue de préjudice en droit de la protection des consommateurs5. La jurisprudence relative à l'exécution des transactions a elle aussi connu quelques développements, notamment quant aux droits du Fonds d'aide aux actions collectives relativement au reliquat6. Mais que réserve 2018? Aperçu de quelques décisions à surveiller cette année. 1. Valeurs mobilières : actions collectives et divulgation préalable Le 10 janvier 2017, dans le cadre d'une demande d'autorisation d'instituer une action collective suivant l'article 225.4 de la Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ c V-1.1, la Cour supérieure ordonnait à la défenderesse Amaya de divulguer certaines informations au requérant Derome, accordant la demande que ce dernier avait formulée sous l'égide de l'article 574 Cpc. Or, si le troisième alinéa de cet article prévoit le pouvoir du juge d'autoriser « la présentation d’une preuve appropriée », il le fait après avoir posé l'oralité de principe de la contestation de la demande d'autorisation, de sorte que l'on tenait généralement que la demande de présentation d'une preuve appropriée ne pouvait être le fait que de la défense, les allégations de la demande devant de surcroît être tenues pour avérées au stade de l'autorisation7. Pareils arguments n'ont pas convaincu la Cour supérieure qui leur a préféré des considérations relatives à l'objectif exploratoire général des interrogatoires préalables et à l'obligation de collaboration qui figure parmi les principes directeurs du nouveau Code de procédure civile8. La permission d'appeler a été déférée à une formation de trois juges9. L'audience ayant eu lieu le 29 août 2017, on peut s'attendre à un arrêt prochainement. 2. Frais bancaires : actions collectives et honoraires d'avocat Quand un juge peut-il mettre le holà et rejeter une demande d'approbation d’une transaction négociée entre les avocats de la demande et les défenderesses à une action collective? Pour la juge Claudine Roy, alors de la Cour supérieure, un tel refus s’impose lorsque « le résultat des transactions est très mitigé pour les membres, [même si] les défenderesses ont réussi à désintéresser la demanderesse »10. Le 23 janvier 2017, elle refusait ainsi d’homologuer trois transactions11, considérant qu'elles ne présentaient aucun avantage réel pour les membres, favorisant plutôt les avocats en demande, certaines défenderesses et certaines organisations sans but lucratif. Appelant les tribunaux à la vigilance afin que les actions collectives ne deviennent pas « une source d’enrichissement en demande et une source de financement pour des organisations sans but lucratif »12, elle suggérait qu'en l'espèce un désistement soit plus conforme aux règles d'équité et à l'objectif des actions collectives. Quelques jours plus tard, son collègue d’alors Denis Jacques souscrivait aux propos de sa collègue et refusait lui aussi d'homologuer une transaction intervenue dans un dossier connexe13. Le 31 mars 2017, la juge Marie Saint-Pierre de la Cour d'appel confirmait que le refus d'un juge de la Cour supérieure d'autoriser une transaction était susceptible d'appel, mais seulement sur permission : au contraire du jugement qui homologue une transaction, le jugement qui la refuse ne met pas fin à l'instance et, à ce titre, selon la règle ordinaire, ne peut faire l'objet d'un appel que sur autorisation14. Cette permission, elle l'autorisait toutefois dans les deux dossiers. L'audience d'appel a eu lieu le 1er septembre 2017 et les affaires sont en délibéré depuis. Un arrêt devrait être rendu en début d'année 2018 balisant le pouvoir, voire le devoir, de contrôle d'un juge en matière de transaction. 3. Automobiles : actions collectives et interprétation d'un règlement Stupeur dans le monde automobile le 18 septembre 2015, alors qu’il est révélé que Volkswagen a installé des logiciels furtifs sur plusieurs de ses véhicules mus au diesel afin de fausser les résultats des tests de conformité environnementale effectués par les autorités gouvernementales. De nombreuses actions collectives sont instituées, y compris, au Canada, une au Québec et une autre en Ontario. Après de nombreux pourparlers, les parties parviennent à une entente globale, entérinée par la Cour supérieure du Québec15 puis celle de l'Ontario16. Cette entente prévoyait notamment l'admissibilité de certains propriétaires à une remise advenant l'indisponibilité de certains dispositifs correctifs au 15 juin 2017. Or, le 15 juin 2017, les dispositifs en questions avaient obtenu toutes les approbations réglementaires nécessaires, mais n'étaient pas encore mis en marché, de sorte que des demandes d'interprétation de la transaction furent déposées dans les deux ressorts. Au Québec, le tribunal devait conclure que la « disponibilité » envisagée dans l'entente de règlement devait s'entendre de celle du dispositif correctif lui-même et que l'aval des autorités survenu avant la date limite ne suffisait pas pour faire échec à la remise. Soulignant qu'une transaction de cette envergure est nécessairement un compromis délicat, dont les termes et les délais ont été savamment choisis au fil de nombreux pourparlers17, elle faisait également remarquer que l'interprétation inverse suppose que l'entente ne comporte aucune date de mise en œuvre et en ferait reposer l'exécution sur le seul bon vouloir des défenderesses18, ce qui semble peu compatible avec l'esprit d'un règlement. Or, c'est bien à cette conclusion inverse qu'est parvenu son homologue ontarien : l'indisponibilité des dispositifs à la date butoir fait échec à la clause de remise, étant par ailleurs entendu que, même en l'absence de date d'exécution à la convention, les défenderesses sont tenues d'en assurer une mise en œuvre diligente, eu égard à l'obligation de bonne foi dans l'exécution stipulée à la transaction19. La Cour d'appel du Québec doit entendre l'appel le 2 février 201820 et celle de l'Ontario un peu plus tard. 4. Investissements : actions collectives et plan d'arrangement Le 30 novembre 2015, la Cour supérieure autorise une action collective instituée à l'encontre de certaines entités du groupe Desjardins relativement à certains placements à risque. Sont notamment visés certains placements en lien avec les papiers commerciaux adossés à des actifs21 (les « PCAA »). Or, les PCAA ont déjà fait l'objet d'un plan d'arrangement déposé et approuvé par la Cour supérieure de justice de l’Ontario aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC (1985), c. C-36 et d'une injonction. Les défendeurs ont donc saisi la Cour supérieure d'une demande de radiation des conclusions de l'action collective relatives aux PCAA, qui a estimé que le libellé des allégations ne permettait pas, à ce stade et en l'absence de preuve particularisée, de conclure à la litispendance ou de limiter ainsi la réclamation22. S'agissant d'une question de compétence, nouvelle de surcroît, la Cour d'appel a accepté de se pencher sur l'affaire23, qui doit être entendue le 9 février 2018. 5. Pollution sonore : actions collectives et droit constitutionnel Rejets d'usine, poussière autoroutière, pollution sonore : les actions collectives fondées sur les troubles de voisinage n'ont cessé d'augmenter dans le sillage de l'affaire Ciment du Saint-Laurent24. Deux d'entre elles sont à surveiller cette année, puisqu'elles font intervenir non seulement le principe de libre jouissance de ses biens consacré par le Code civil et la Charte québécoise, mais également les grandes règles du partage des compétences constitutionnelles entre les ordres fédéral et provinciaux. En effet, puisque l'aviation relève du champ d'exercice exclusif du législateur fédéral, on tient les entreprises œuvrant dans ce domaine comme bénéficiant d'une forme d'étanchéité par rapport aux lois provinciales qui auraient pour effet d'entraver la poursuite de leurs activités. Reste à savoir si cette imperméabilité, dite doctrine de l'exclusivité des compétences, est suffisante pour faire échec à une action collective alléguant une pollution sonore excessive. L'argument a été tenté au stade de l'autorisation lors de l'audience tenue les 20 et 21 novembre derniers dans le cadre du recours institué par Les Pollués de Montréal-Trudeau contre l'opérateur de l'aéroport éponyme. La juge Chantal Tremblay pourra le retenir et refuser l'autorisation ou renvoyer la question au sujet du fond, faute d'une preuve suffisante pour la trancher. La question devrait toutefois faire l'objet d'un prononcé définitif d'ici la fin de l'année, puisque cinq semaines de procès au fond doivent s'amorcer en février relativement au recours engagé par la Coalition contre le bruit contre les opérateurs de l'aérodrome au Lac-à-la-Tortue, en Mauricie. Depuis le jugement autorisateur, Lavery représente les intérêts de la défenderesse principale25. 6. Commerce de détail : actions collectives et droit de la consommation Entre 2007 et 2011, des publicités de Meubles Léon annonçaient aux clients qu'ils n'avaient « rien à payer pendant 15 mois ». Certains des programmes de financement des achats comportaient toutefois des frais d'adhésion. Le 31 juillet 2017, la Cour supérieure retenait la responsabilité de Meubles Léon et condamnait l'entreprise à verser près de deux millions de dollars aux consommateurs26, opinant au passage que la détermination du quantum des dommages compensatoires pouvait être laissée à son appréciation discrétionnaire. Si les motifs de cette décision puisent à l'arrêt Time de la Cour suprême et à la présomption irréfragable de préjudice27 résultant d’une violation à la Loi sur la protection du consommateur RLRQ, c. P-40.1 [Lpc], ils semblent s'inscrire en faux d'un arrêt de la Cour d'appel rendu à peine deux mois plus tôt28 qui suggérait plutôt que, même dans le cadre procédural d’une action collective, il revienne au consommateur qui désire obtenir des dommages compensatoires de faire la preuve de son préjudice et du lien de causalité entre ce préjudice et la contravention du commerçant aux dispositions de la Lpc. Bien que la décision de la Cour supérieure favorise encore plus les objectifs de protection des consommateurs lésés mis de l’avant par la Lpc, elle suscite plusieurs interrogations quant à l’applicabilité des principes généraux du droit civil en matière de protection des consommateurs, plus particulièrement en ce qui concerne l’octroi de dommages compensatoires.Nous avons déjà commenté ces décisions ici. L'appel est à prévoir pour la fin de l'année 2018.   Asselin c. Desjardins Cabinet de services financiers inc., 2017 QCCA 1673; Ameublements Tanguay inc. c. Cantin, 2017 QCCA 1330 (autorisation de pourvoi demandée); Pfizer inc. c. Sifneos, 2017 QCCA 1050. Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Sopropharm, 2017 QCCA 1883; Trottier c. Canadian Malartic Mine, 2017 QCCA 119. Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Sopropharm, 2017 QCCA 1883. Cohen c. Option Consommateurs, 2017 QCCA 94 et Badamshin c. Option Consommateurs, 2017 QCCA 95 (autorisation de pourvoi à la Cour suprême refusée: CSC no 37521 (16 juillet 2017). Vidéotron c. Union des consommateurs, 2017 QCCA 738; Option Consommateurs c. Meubles Léon ltée, 2017 QCCS 3526. Handicap-Vie-Dignité c. Résidence St-Charles-Borromée, CHSLD Centre-ville de Montréal, 2017 QCCS 935 (frais de publication et reliquat); Halfon c. Moose International Inc., 2017 QCCS 4300 (reliquat en biens). Derome c. Amaya inc., 2017 QCCS 44,. Derome c. Amaya inc., 2017 QCCS 44, par. 41-53. Amaya inc. c. Derome, 2017 QCCA 335. Option Consommateurs c. Banque Amex du Canada, 2017 QCCS 200, par. 65. Option Consommateurs c. Banque Amex du Canada, 2017 QCCS 200. Option Consommateurs c. Banque Amex du Canada, 2017 QCCS 200, par. 110. Option Consommateurs c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2017 QCCS 275. Option Consommateurs c. Banque Amex du Canada, 2017 QCCA 502. Option Consommateurs c. Volkswagen Group Canada Inc., 2017 QCCS 1411. Quenneville v Volkswagen, 2017 ONSC 2448. Option Consommateurs c. Volkswagen Group Canada Inc., 2017 QCCS 2870, par. 22. Option Consommateurs c. Volkswagen Group Canada Inc., 2017 QCCS 2870, par. 39. Quenneville v. Volkswagen, 2017 ONSC 4583. Autorisation accordée: Volkswagen Group Canada Inc. c. Option Consommateurs, 2017 QCCA 1361. Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d'assurance-vie, 2015 QCCS 5828. Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance-vie, 2016 QCCS 6348. Desjardins Sécurité financière, compagnie d'assurance-vie c. Dupuis, 2017 QCCA 802. Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, [2008] 3 RCS 392, 2008 CSC 64. Autorisation accordée: Coalition contre le bruit c. Shawinigan (Ville de), 2012 QCCS 4142. Option Consommateurs c. Meubles Léon ltée, 2017 QCCS 3526. Richard c. Time Inc., [2012] 1 RCS 265, 2012 CSC 8, par. 123. Vidéotron c. Union des consommateurs, 2017 QCCA 738.

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  • Le droit québécois de la consommation et l’industrie automobile : prenez le volant!

    Lavery a récemment assisté au colloque « Strictly Automotive », organisé par le Defence Research Institute à Detroit, au Michigan. Le colloque portait sur les questions de droit auxquelles l’industrie automobile est actuellement confrontée partout dans le monde. Le présent bulletin donne un aperçu des principes juridiques dont les fabricants et les commerçants de véhicules devraient tenir compte lorsqu’ils exercent des activités au Québec. Toutes les opérations touchant des consommateurs au Québec sont régies par la Loi sur la protection du consommateur (« LPC »)1 . La LPC couvre plusieurs aspects des activités des fabricants et des commerçants d’automobiles, notamment les garanties, les contrats de crédit, la publicité et l’annonce des prix. Les garanties La LPC prescrit plusieurs garanties en faveur des consommateurs, que les commerçants, les fabricants et les intermédiaires doivent accorder2 . Les deux principales garanties légales sont : (1) la garantie d’usage3 (les biens doivent être tels qu’ils puissent servir à l’usage auquel ils sont normalement destinés) et (2) la garantie de durabilité4 (les biens doivent être tels qu’ils puissent servir à un usage normal pendant une durée raisonnable eu égard à leur prix, aux dispositions du contrat et à leurs conditions d’utilisation)5 . Ces garanties s’ajoutent aux autres garanties prévues par le Code civil du Québec. Elles ont pour effet de réduire le fardeau de preuve des consommateurs qui exercent leurs droits en justice. Une fois qu’un déficit d’usage ou un manque de durabilité a été établi par un consommateur, il incombe au commerçant ou au fabricant de prouver qu’il n’y a pas de vice caché, que le vice découle de l’usage inapproprié par le consommateur, que le consommateur connaissait le vice au moment de l’achat ou que le manque de durabilité découle de l’usure normale. Les contrats de crédit La forme et le contenu des contrats de crédit (de même que des états de compte) sont strictement réglementés en vertu de la LPC6 . Les principales obligations des commerçants qui concluent des contrats de crédit sont les suivantes : (1) l’obligation de divulguer pleinement les frais de crédit et le taux de crédit; (2) l’interdiction d’exiger des frais non divulgués dans le contrat; (3) le calcul approprié du taux de crédit. La LPC régit également la publicité relative au crédit, imposant des obligations strictes de divulgation7 . Pour s’assurer de se conformer aux obligations prescrites par la LPC, les commerçants et les fabricants doivent suivre minutieusement ces exigences. Au fil des ans, l’industrie du crédit a fait l’objet de plusieurs actions collectives, dont bon nombre portaient sur les exigences de divulgation afférentes aux contrats de crédit8 La législature québécoise songe à moderniser les dispositions de la LPC relatives aux contrats de crédit depuis de nombreuses années. À l’heure actuelle, l’Assemblée nationale du Québec œuvre au projet de loi 134, Loi visant principalement à moderniser des règles relatives au crédit à la consommation et à encadrer les contrats de service de règlement de dettes, les contrats de crédit à coût élevé et les programmes de fidélisation9 . Le projet de loi 134 renferme des mesures qui, si elles sont adoptées, permettront aux consommateurs d’intenter une action contre les prêteurs et invoquer les garanties légales et conventionnelles contre eux10. Au moment d’écrire ces lignes, le projet de loi 134 est en lecture finale « article par article » et devrait donc être adopté sous peu. Nous ferons état de ces nouvelles mesures en détails dans un bulletin à venir La publicité Un chapitre complet de la LPC couvre les pratiques de commerce, y compris la publicité11. Ces pratiques comprennent notamment : l’interdiction de faire des déclarations fausses ou trompeuses aux consommateurs en général12 ou concernant les avantages ou d’autres caractéristiques attribués aux biens ou aux services13, l’identité du commerçant14, les rabais ou primes offerts15, la nature de l’opération16 et le prix des biens ou des services17. Il est également interdit d’omettre de mentionner un fait important dans la publicité commerciale ou une déclaration18. Ces pratiques de commerce interdites s’apparentent à ce que l’on qualifie de pratiques de publicité trompeuse dans les territoires de common law. La norme d’analyse de la détermination des pratiques trompeuses est appliquée du point de vue du consommateur moyen, inexpérimenté et crédule19. La LPC prévoit que la commission d’une pratique interdite crée une présomption selon laquelle, si le consommateur avait eu connaissance de cette pratique, il n’aurait pas contracté ou n’aurait pas payé un prix si élevé20. Dans l’importante décision Richard c. Time, la Cour suprême du Canada a conclu que le recours à une pratique interdite comme la publicité fausse ou trompeuse crée une présomption absolue de préjudice en faveur du consommateur si (1) le commerçant ou le fabricant ne remplit pas une obligation imposée par la LPC, (2) le consommateur a pris connaissance de la déclaration constituant une pratique interdite, (3) cela a entraîné la formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation et (4) il y a proximité suffisante entre la teneur de la déclaration et les biens ou services visés par le contrat. Lorsque ces quatre éléments sont établis, les tribunaux peuvent conclure que « la pratique interdite est réputée avoir eu un effet dolosif sur le consommateur ». Dans un tel cas, le contrat formé, modifié ou exécuté constitue, en soi, un préjudice subi par le consommateur21. Il y a un lien étroit entre les dispositions de la LPC qui régissent les garanties et celles qui régissent les pratiques de commerce interdites. Les deux groupes de disposition portent sur les déclarations commerciales, mais ils offrent des recours différents. Par exemple, le défaut de divulguer un vice caché connu par le fabricant peut entraîner la responsabilité fondée non seulement sur la garantie légale, mais aussi sur le défaut de mentionner un fait important dans une déclaration faite à un consommateur La publicité concernant les véhicules autonomes constituera une question intéressante au cours des prochaines années. Avant de lancer une campagne de publicité pour ce type de véhicule, il faudra tenir compte du paragraphe 220 a) de la LPC. Cette disposition interdit à un fabricant d’attribuer faussement, par quelque moyen, certains avantages spéciaux à des biens ou à des services dans une annonce publicitaire. De plus, en raison de l’effet de nouveauté de ces véhicules, les commerçants devront prendre soin de ne pas omettre de mentionner un fait important concernant leur usage22. Les prix La LPC prévoit des règles strictes concernant l’affichage des prix et l’étiquetage. Elle prévoit qu’un commerçant ne peut pas réclamer des frais à un consommateur sauf si leur montant est clairement indiqué dans le contrat23. Cela englobe les contrats de crédit et les contrats de location. À titre de corollaire des dispositions concernant l’affichage des prix, la LPC énonce que les commerçants ne peuvent pas exiger pour des biens ou des services un prix supérieur à celui qui est annoncé24. Les tribunaux ont appliqué de façon relativement stricte ces dispositions, laissant peu de marge de manœuvre pour les erreurs de prix et concluant qu’une erreur de prix n’est pas une excuse25. Les commerçants doivent être très diligents lorsqu’ils font la publicité ou qu’ils divulguent des prix et des frais, car plusieurs actions collectives au Québec ont été fondées sur le défaut de divulguer des frais ou d’autres montants facturés dans les contrats26. Conclusion Les fabricants et les commerçants de l’industrie automobile doivent porter une attention particulière aux dispositions de la Loi sur la protection du consommateur. Si le fabricant ou le commerçant néglige de se conformer à une obligation qui lui est imposée par la LPC, le consommateur peut exiger, sans préjudice à ses autres recours, l’exécution en nature de l’obligation (par exemple, la réparation du produit, le remplacement des pièces défectueuses ou des travaux d’entretien), que ses obligations soient réduites ou que le contrat soit résilié, résolu ou annulé. Le consommateur peut également demander des dommages punitifs27. La LPC contient en outre des dispositions pénales prévoyant des amendes de 2 000 $ à 100 000 $28. L’éventail de questions juridiques auxquelles sont confrontés les acteurs du secteur de l’industrie automobile connaît une croissance exponentielle sans ralentissement prévisible. Un grand nombre de poursuites, y compris des actions collectives ont été instituées contre des commerces du secteur, notamment en matière de responsabilité de produits et pratiques de commerce interdites. La meilleure façon de prévenir ces actions consiste à prendre des mesures préventives pour éviter la non-conformité à la LPC.   Loi sur la protection du consommateur, P-40.1. Articles 53 et 54 LPC. Article 37 LPC. On peut aussi la surnommer « garantie d’aptitude ». Article 38 LPC. La LPC prévoit également une garantie de disponibilité des pièces et des services de réparation : article 39 LPC. Section III, articles 66 à 150 LPC. Articles 243, 244 et 247 LPC. Par exemple : Dion c. Compagnie de services de financement automobile Primus Canada, 2015 QCCA 333; Pilon c. Mazda Canada inc., 2013 QCCS 748; Thibert c. Hyundai Motor America, 2013 QCCS 744, Bourgeois c. Ford du Canada ltée, 2013 QCCS 745; Contat c. General Motors du Canada ltée, 2009 QCCA 1699. Projet de loi 134. Article 103.1 proposé par l’article 19 du projet de loi 134. Titre II, articles 215 à 253 LPC. Article 219 LPC Articles 220 et 221 LPC. Article 242 LPC Articles 231 et 232 LPC. Article 229 LPC. Paragraphe 224 c) LPC Article 228 LPC. Articles 218 et 219 LPC; voir aussi Richard c. Time Inc. et autres, 2012 CSC 8. Article 253 LPC Richard c. Time Inc. et autres 2012 CSC 8, par. 124. Article 228 LPC Article 12 LPC. Paragraphe 224 c) LPC Voir Boutin c. 9151-8100 Québec inc. (St-Basile Toyota), 2016 QCCQ 5282; Ouellet c. Charest Expert inc., 2010 QCCQ 11313; Vermeulen c. Marine Nor Sport inc., 2015 QCCQ 926; Comtois c. Vacances Sunwing inc., 2015 QCCQ 2684. Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 R.C.S. 725, 2014 CSC 55 (CanLII); Dion c. Compagnie de services de financement automobile Primus Canada, 2015 QCCA 333; Pilon c. Mazda Canada inc., 2013 QCCS 748; Thibert c. Hyundai Motor America, 2013 QCCS 744; Bourgeois c. Ford du Canada ltée, 2013 QCCS 745; Contat c. General Motors du Canada ltée, 2009 QCCA 1699. Article 272 LPC. Articles 277, 278 CPA.

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  • Actions collectives et droit de la consommation :
    qu’avons-nous sous le radar ?

    Plus de la moitié des demandes d’autorisation d’action collective déposées au Québec depuis le début de 2017 ont pour fondement le droit de la consommation. Nul doute que les demandes d’autorisation d’action collective en droit de la consommation continueront d’alimenter les discussions au sein de la communauté d’affaires et de la communauté juridique. Nous restons donc à l’affût. Nous avons identifié deux questions qui sont d’actualité : Dans le cadre d’une action collective, le consommateur réclamant des dommages moraux compensatoires est-il tenu de faire la preuve du dommage et du lien de causalité entre ce dommage et le manquement allégué du commerçant? À l’heure actuelle, deux courants semblent se dessiner. Une réponse semblait pourtant avoir été donnée dans l’arrêt Vidéotron c. Union des consommateurs1 (l’« arrêt Vidéotron »). Dans cet arrêt, la Cour d’appel du Québec, dans le contexte d’une action collective, affirme qu’en vertu du droit commun, pour faire droit à une demande en dommages-intérêts d’un consommateur, ce dernier doit faire la preuve de son préjudice et du lien de causalité entre ce préjudice et la contravention du commerçant aux dispositions de la Loi sur la protection du consommateur. Or, récemment, dans le cadre d’une action collective, soit l’arrêt Option consommateurs c. Meubles Léon2, la Cour supérieure du Québec conclut que le quantum des dommages-intérêts peut être laissé à son appréciation discrétionnaire. La Cour supérieure s’écarte ainsi de l’arrêt Vidéotron de la Cour d’appel, s’estimant plutôt liée par les enseignements de la Cour suprême du Canada dans Richard c. Time3 (l’« arrêt Time »), un arrêt qui n’a pas été rendu dans le contexte d’une action collective. Forte des enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Time, la Cour supérieure réitère que le consommateur bénéficie d’une présomption absolue de préjudice lorsque l’exercice d’une pratique interdite est établi. Adoptant une approche dite pragmatique, la Cour supérieure infère de l’existence d’un préjudice pour quelques membres du groupe que ce même préjudice existe pour l’ensemble du groupe. Ainsi, après avoir entendu le témoignage de certains membres du groupe exprimant colère et frustration eu égard aux publicités fausses et trompeuses de Meubles Léon, la Cour accorde 100 $ à titre de compensation d’un préjudice moral à chaque membre du groupe. À la lumière de ce jugement, les tribunaux pourraient octroyer systématiquement des dommages moraux à tous les membres du groupe lorsque certains consommateurs viennent témoigner de leur frustration causée par la pratique interdite d'un commerçant. Une telle approche simplifierait certainement les exigences quant au fardeau de présentation et de persuasion de la preuve du préjudice. Il est à noter toutefois que Meubles Léon en appelle de la décision de la Cour supérieure et soutient que la Cour a erré en accordant des dommages moraux compensatoires de 100 $ aux membres du groupe. La Cour d’appel aura donc l’occasion de venir préciser ses enseignements. L’interrogatoire du représentant du groupe en vertu de l’article 574 C.p.c. constitue-t-il une avenue à privilégier pour déterminer la capacité du représentant à assurer une représentation adéquate du groupe? Depuis les arrêts Sibiga4 et Boiron5 de la Cour d’appel du Québec, il semble acquis qu’au stade de l’autorisation, pour déterminer si les critères énoncés à l’article 575 C.p.c. quant à la capacité du représentant d’assurer une représentation adéquate des membres du groupe, les tribunaux auront une approche souple et libérale. En effet, dans la mesure où le représentant comprend les allégations de la demande d’autorisation et qu’il saisit que d’autres consommateurs ont pu être lésés comme lui, le tribunal devrait conclure que les exigences minimales de la loi sont respectées. Toutefois, bien qu’au stade de l’autorisation les faits allégués par le demandeur doivent être tenus pour avérés, la Cour supérieure a récemment donné quelques indications quant aux circonstances justifiant l’opportunité de présenter une preuve appropriée et de procéder à l’interrogatoire du représentant proposé afin que soit déterminée sa capacité à bien représenter les membres du groupe6. Ainsi, dans Mahmoud, la Cour supérieure autorise la défenderesse à interroger le demandeur sur les démarches qu’il a entreprises pour identifier les membres du groupe, autres que la consultation de ses avocats, et sur ce qu’il a fait pour vérifier l’étendue et la taille du groupe proposé. La Cour note l’absence d’allégations sur ces sujets et estime que ce sont des questions pertinentes pour évaluer la possibilité d’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour autrui ou sur la jonction d’instance suivant le paragraphe 575(3) C.p.c. La Cour ajoute que ces questions sont également pertinentes pour déterminer la capacité des membres du groupe à représenter adéquatement les intérêts des membres du groupe. Quelques mois auparavant, la Cour supérieure est arrivée à la même conclusion quant à l’opportunité d’autoriser l’interrogatoire du représentant en vertu de l’article 574 C.p.c.7. Pour la Cour, des allégations assimilables à des conclusions juridiques concernant la capacité du représentant ne sauraient répondre aux exigences du paragraphe 575(4) C.p.c. En conséquence, l’interrogatoire du représentant constitue pour la Cour un moyen d'effectuer une vérification efficace des critères de l'article 575 C.p.c. d'une manière utile et judicieuse pour apporter un éclairage sur les allégations de la demande d'autorisation qui pourraient être incorrectes ou incomplètes. Le droit de la consommation et celui des actions collectives sont deux domaines du droit qui évoluent à grande vitesse depuis quelques années. C’est pourquoi les tribunaux sont confrontés à des questions et à des enjeux pour lesquels des réponses définitives n’ont pu être apportées dans les arrêts des instances supérieures. Au cours des prochains mois, il sera intéressant de suivre l’approche qui sera retenue par les tribunaux concernant l’octroi de dommages et, le cas échéant, de dommages moraux. D’autre part, il faudra surveiller si la Cour supérieure, au stade de l’autorisation, apportera une attention renouvelée au critère relatif à la capacité de représentation adéquate du représentant en permettant aux défendeurs de vérifier la qualité de ce dernier lors d’interrogatoire.   2017 QCCA 738. 2017 QCCS 3526. 2012 CSC 8. Sibiga c. Fido Solutions, 2016 QCCA 1299. Charles c. Boiron, 2016 QCCA 1716. Mahmoud c. Société des casinos du Québec inc., 2017 QCCS 1691. Michaud c. Sanofi-Aventis Canada inc., 2016 QCCS 3977.

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  • La permission d’appeler du défendeur au stade de l’autorisation de l’action collective : La Cour d’appel du Québec adopte une approche restrictive

    Le 22 novembre dernier, la Cour d’appel du Québec rendait un jugement inédit sur l’application de l’article 578 du nouveau Code de procédure civile (« NCPC ») dans les affaires DuProprio inc. c. La fédération des chambres immobilières du Québec, Énergie éolienne Des Moulins S.E.C. c. Labranche et La Centrale des syndicats du Québec c. Allen1. Sous la plume du juge Jacques Chamberland, la Cour d’appel a rejeté à l’unanimité les demandes des défendeurs visant la permission d’en appeler du jugement de première instance autorisant l’exercice de l’action collective de leur dossier respectif. Considérant le caractère nouveau de cet article, la Cour d’appel avait réuni ces trois affaires pour fins d’audition et référé le litige à un banc de trois juges. Historique du droit d’appel Le juge Chamberland dresse d’abord un portrait de l’historique législatif du droit d’appel d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective. Introduite en 1978, l’action collective, alors appelée recours collectif, permettait au demandeur et au défendeur de porter en appel le jugement autorisant l’exercice d’une action collective. En 1982, le législateur a mis en place le droit d’appel asymétrique, retirant ainsi le droit au défendeur de faire appel au stade de l’autorisation tout en préservant ce droit pour le demandeur. Dans le cadre de la réforme du NCPC, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, le législateur a adopté l’article 578 NCPC qui permet désormais l’appel sur permission des jugements accueillant une demande en autorisation d’exercer une action collective. Cependant, le législateur n’a pas précisé les critères requis pour accorder une telle permission. La norme d’intervention La Cour souligne que la norme d’intervention en appel d’une décision accueillant ou rejetant la demande d’exercer une action collective est « exigeante ». La Cour d’appel interviendra seulement si le juge de première instance a commis une erreur de droit ou a manifestement erré dans son appréciation des quatre critères régissant l’autorisation du recours2. Le test applicable S’appuyant sur le commentaire de la ministre de la Justice qui précise que « l’appel portant sur l’autorisation ne devrait porter que sur les conditions pour l’accorder », le juge Chamberland explique que « le test ne doit pas être sévère au point de stériliser le droit d’appel sur permission, mais non plus souple au point de placer les deux parties sur le même pied en ce qui a trait au droit d’appel ». Pour définir le test applicable, la Cour prend en compte le fait que le seuil requis pour obtenir l’autorisation d’exercer une action collective est peu élevé et que le juge bénéficie d’une « vaste latitude » afin d’accorder une telle requête. Ainsi, le tribunal affirme que le test doit être « exigeant » et que l’appel doit être réservé à des « cas exceptionnels » : « Le juge accordera la permission de faire appel lorsque le jugement lui paraîtra comporter à sa face même une erreur déterminante concernant l’interprétation des conditions d’exercice de l’action collective ou l’appréciation des faits relatifs à ces conditions, ou encore, lorsqu’il s’agira d’un cas flagrant d’incompétence de la Cour supérieure3 ». Selon la Cour, ce test respecte l’intention du législateur, notamment en ce qu’il : i) ne porte que sur les conditions d’exercice de l’action collective, ii) écarte les appels inutiles ou ne portant que sur des éléments accessoires, iii) respecte la discrétion du juge de première instance, iv) n’alourdit pas le fardeau d’intenter une action collective pour le demandeur et v) permet d’éviter un long et couteux débat sur le fond lorsque l’action collective est mal fondée. Conclusion Appliquant le test précité aux faits propres à chacune des affaires, la Cour d’appel rejette toutes les demandes de permission de faire appel du jugement autorisant l’exercice d’une action collective, avec les frais de justice contre les appelants. Commentaires Cet arrêt démontre encore une fois l’approche libérale adoptée par les tribunaux rendant minimales les exigences pour obtenir l’autorisation d’intenter une action collective. L’obiter récent de la juge Bich4 dans lequel elle invite le législateur à se pencher sur l’utilité d’une telle étape dans sa forme actuelle n’en est que le reflet. Il y a lieu de s’interroger sur les bénéfices réels de limiter de la sorte le droit d’appel du jugement autorisant l’exercice d’une action collective. En effet, un véritable mécanisme de filtrage avec un droit d’appel au stade de l’autorisation permet au demandeur d’être fixé à une étape préliminaire sur la viabilité du recours, et ce, avant d’y consacrer temps et argent. Il risque d’être ainsi privé de l’éclairage de la Cour d’appel sur les écueils et embûches susceptibles de compromettre le succès du recours au fond. À l’inverse, un jugement de la Cour d’appel confirmant l’autorisation de l’action collective peut s’avérer un argument de taille pour influencer la négociation d’un règlement, évitant ainsi de mobiliser des ressources judiciaires importantes pour la tenue d’un procès sur le fond. L’affaire DuProprio (500-09-026070-169); l’affaire Énergie éolienne des moulins (200-09-009270-163 et 200-09-009273-167); l’affaire CSQ : (200-09-009238-160), (200-09-009241-164) (200-09-009247-161). Art. 575 C.p.c. Au paragraphe 59 de la décision. Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716 (CanLII).

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  • Frais d’itinérance : la route sera longue

    Le 10 août 2016, la Cour d’appel du Québec autorisait une action collective visant certains frais de téléphonie mobile internationale, rappelant ainsi, avec des égards marqués pour l’opinion contraire, la facilité à satisfaire le seuil de l’autorisation en vertu du droit québécois ainsi que les paramètres relatifs à l’intérêt du représentant1. L’action collective proposée «[D]ésagréablement surprise »2 par le montant des frais d’itinérance engagés lors d’un voyage aux États-Unis, Inga Sibiga, détentrice d’un contrat de téléphonie cellulaire avec Fido (une filiale de Rogers), sollicite l’autorisation d’exercer une action collective contre Bell, Fido, Rogers et Telus, les quatre principaux fournisseurs de services de téléphonie mobile au Canada. En substance, elle allègue que les frais de bande passante en itinérance internationale facturés par ces compagnies aux consommateurs québécois sont abusifs, lésionnaires et excessifs au point de constituer de l’exploitation, et donc contraires aux articles 8 de la Loi sur la protection du consommateur3 et 1437 du Code civil du Québec. Elle demande la réduction de l’obligation des abonnés et l’octroi de dommages exemplaires. Le mode itinérance internationale de données (le roaming) permet à un consommateur d’utiliser son téléphone mobile hors de la zone de couverture offerte par son fournisseur, ce dernier ayant alors recours au réseau d’un autre fournisseur, moyennant contrepartie. Les défendeurs offrant tous une couverture pancanadienne, la question des frais d’itinérance ne se pose que par rapport à la transmission de données à l’étranger. Le jugement dont appel Le 2 juillet 2014, l’honorable Michel Yergeau de la Cour supérieure du Québec rejette la requête en autorisation, avec dépens. Pour l’essentiel, la requête de Mme Sibiga ne lui paraît pas satisfaire aux exigences de l’article 1003b) Cpc alors applicable, en ce que les faits allégués ne lui semblent pas suffisants pour justifier les conclusions recherchées. Il relève qu’aucune allégation ni document n’établit sérieusement le cadre des obligations contractuelles assumées par la requérante et par Fido4. Les admonestations sont particulièrement vigoureuses face au fait qu’aucune copie du contrat de service n’a même été produite, contrat qualifié de « fait essentiel tangible »5. Devant ce cadre lacunaire, la Cour supérieure estime que les allégations d’exploitation relativement aux frais d’itinérance tiennent de la simple hypothèse et ne sauraient constituer des faits suffisants pour justifier l’autorisation d’une action collective; elles relèveraient sans doute mieux d’une « enquête à caractère public » mais des tribunaux, assurément pas6. Pour libérale que puisse être l’approche mise de l’avant par l’arrêt Infineon de la Cour suprême du Canada7, « [o]n ne lance pas une procédure aussi coûteuse pour le système judiciaire qu’un recours collectif sur une base aussi ténue »8. À cette conclusion pour le moins catégorique, la Cour supérieure ajoute encore qu’à son avis, Mme Sibiga n’est pas dans une position lui permettant de représenter adéquatement les membres du groupe proposé, comme le requiert l’article 1003(d) Cpc. D’une part, elle constate un défaut d’intérêt au sens de l’article 55 Cpc, du moins à l’encontre de Telus et de Bell, puisque Mme Sibiga n’est liée par contrat qu’avec Fido (et donc Rogers). D’autre part, considérant sa faible connaissance du dossier ou du processus, elle lui paraît « à la solde »9 de ses procureurs. Les commentaires de la Cour supérieure à ce sujet ne sont pas une condamnation des avocats au dossier ou de la représentante proposée, mais plutôt une défense du rôle et de l’indépendance du « représentant » dans le cadre d’une action collective. La requérante se pourvoit en appel et la Cour d’appel, sous la plume du juge Nicholas Kasirer, lui donne raison. C’est en partie eu égard à la « portée sociale »10 de l’action collective renforcée par la jurisprudence récente de la Cour suprême que sera cassée la décision de la Cour supérieure. L’appel Si elle acquiesce aux préoccupations exprimées par le juge de première instance selon lesquelles « une approche laxiste peut entraîner l’autorisation d’actions collectives qui ne méritent pas d’aller à procès »11, la Cour d’appel estime néanmoins qu’il a erré : « bien qu’un juge puisse refuser une requête pour autorisation qui repose sur une interprétation trop libérale de la norme d’Infineon, c’est une erreur de droit que de refuser l’autorisation en traitant cette norme comme trop libérale en soi »12. De l’avis de la Cour d’appel, « en refusant l’autorisation […] à cause de ce qu’il décrit comme une demande imprécise et spéculative, le juge a manqué d’appliquer la norme de l’apparence de droit qui aurait dû prévaloir dans cette affaire d’action collective de consommation »13; il n’a dès lors pas pu constater que les critères de l’autorisation étaient satisfaits. L’insoutenable légèreté du filtre de l’autorisation « [L]e recours devrait être autorisé à suivre son cours si le requérant présente une cause défendable »14, « le tribunal, dans sa fonction de filtrage, écarte simplement les demandes frivolesÉ »15 : la facilité à satisfaire les critères posés par l’article 1003 Cpc alors applicable est désormais établie, n’en déplaise aux tenants d’une approche plus scrutatrice. Il suffit presque à ce stade que les allégations, même les plus légères, paraissent soutenables; c’est lors du procès au fond qu’elles devront être établies, étoffées par la preuve. Le juge de première instance, indique la Cour d’appel, a eu tort de demander davantage. Paradoxalement peut-être, à d’autres égards, elle lui reprochera d’avoir cédé à la tentation de l’examen de certains éléments du dossier comme s’il était saisi du fond16, ce qui, au stade de l’autorisation, était « imprudent et en effet erroné »17. D’autre part, la Cour d’appel n’accorde pas la même importance que la Cour supérieure à la production du contrat de la requérante avec son fournisseur de services de téléphonie mobile. L’existence du contrat n’est pas disputée et certaines de ses modalités peuvent être déduites des factures ou des documents d’information des fournisseurs, qui eux, ont été produits en preuve. Au stade de l’autorisation, cela suffit18. Le représentant : ni fer de lance ni marionnette Restent les commentaires sur la capacité de représentation de la requérante. Suivant en cela l’arrêt Marcotte19 de la Cour suprême (arrêt rendu après le jugement de la Cour supérieure et dont elle ne pouvait donc bénéficier), la Cour d’appel conclut que l’absence de cause d’action (contractuelle) directe entre la requérante et deux des défendeurs proposés ne constitue pas un obstacle dirimant à l’action collective envisagée20. La question du rôle du représentant proposé et de sa capacité à travailler avec - et non pour - ses avocats est plus délicate : que certains avocats puissent faire preuve d’un esprit d’entreprise excessif ne permet pas d’éclipser certains mérites de ce genre de pratique21. Que l’empreinte des avocats y soit forte ne sape pas nécessairement l’authenticité d’une demande22. Encore ici, de l’avis de la Cour d’appel, la Cour supérieure s’est fait l’apôtre d’une approche plus rigoureuse que ne le commande la Cour suprême. La composition du groupe : le fardeau de la preuve appartient aux audacieux S’appuyant sur un commentaire de la Cour supérieure selon lequel, en l’absence de quelque précision quant aux pays où des frais d’itinérance auraient été engagés et à la variété des forfaits23, le groupe proposé était indûment inclusif, les défenderesses Bell et Telus demandaient à la Cour d’appel, advenant que l’appel soit accueilli, de restreindre celui-ci. La Cour d’appel s’y refuse. Si tenté puisse-t-on être de donner au groupe proposé une échelle plus habituelle, ce serait là préjuger de la capacité de la demande à mener sa preuve24. Or, au stade de l’autorisation, il suffit d’établir le caractère a priori raisonnable ou défendable de la composition du groupe, ce qui, en l’espèce, a été fait25. Quoi qu’il en soit, la description du groupe n’est pas immuable et peut être révisée pendant l’audience26. Au final L’arrêt de la Cour d’appel du Québec s’inscrit dans la droite ligne des enseignements récents de la Cour suprême du Canada en matière d’action collective. S’il n’opère aucun renversement jurisprudentiel, il est cependant révélateur de la force avec laquelle le plus haut tribunal du pays a consacré la générosité du régime québécois au stade de l’autorisation27. L’autorisation n’est évidemment pas acquise par le seul dépôt d’une demande, mais le caractère approximatif ou inachevé de la preuve présentée à ce stade préliminaire n’est pas fatal. La réforme de la procédure civile québécoise n’ayant pas reformulé les critères applicables, il y a tout lieu de penser que la tendance se maintiendra, libérale. Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299 [CA], inf. Sibiga c. Fido Solutions inc., 2014 QCCS 3235 [CS]. CS, au para. 16. Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1. CS, au para. 113. CS, au para. 109. CS, au para. 121. CS, au para. 147; référence à Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 RCS 600, 2013 CSC 59. CS, au para. 98. CS, au para. 150. CA, au para. 51, référence à Bisaillon c. Université Concordia, [2006] 1 RCS 666, 2006 CSC 19, au para. 16. CA, 14 [notre traduction]. CA, au para. 15 [notre traduction]. CA, au para. 15 [notre traduction]. Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 RCS 600, 2013 CSC 59, au para. 65. Ibid., au para. 61. CA, aux para. 69-96. CA, au para. 96. CA, aux para. 56-68. Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 RCS 725, 2014 CSC 55. CA, aux para. 39, 98, 115. CA, aux para. 102-103. CA, au para. 104. CS, au para. 122. CA, aux para. 140-141. CA, aux para. 137-138. CA, au para. 150. V. p.ex., Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 RCS 600, 2013 CSC 59; Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, [2014] 1 RCS 3, 2014 CSC 1, Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 RCS 725, 2014 CSC 55, Theratechnologies Inc. c. 121851 Canada Inc., [2015] 2 RCS 106, 2015 CSC 18.

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  • La garantie d’usage en droit de la consommation : la Cour d’appel se prononce

     Cette publication a été coécrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil. Lavery suit de près l’évolution des recours collectifs en droit de la consommation et se faIt un devoir de tenir le milieu des affaires informé en cette matière en publiant régulièrement des bulletins traitant des nouveautés jurisprudentielles ou législatives qui sont susceptibles d’influencer, voire de transformer, les pratiques du milieu. Dans Fortin c. Mazda Canada inc.1, la Cour d’appel du Québec infirme la décision de première instance2 et condamne Mazda à payer des dommages aux conducteurs des véhicules de modèle Mazda 3 des années 2004 à 2007 affectés d’un défaut de conception. Il appert que le verrouillage du côté du conducteur serait défectueux, de sorte qu’une simple pression dirigée stratégiquement au-dessus de la poignée de la portière côté conducteur suffirait pour neutraliser le système de verrouillage de ce véhicule. Les membres du recours collectif sont divisés en deux groupes. D’abord ceux dont le véhicule a été l’objet d’une attaque, qui réclament la valeur des objets volés, le coût de la réparation de la portière endommagée et la franchise d’assurance, le cas échéant (« Groupe 1 »), et ceux qui réclament une compensation pour les inconvénients occasionnés par l’installation gratuite d’un mécanisme de renforcement du système de verrouillage de la portière (« Groupe 2 »). De plus, les deux groupes réclament une diminution du prix de vente au motif que Mazda a omis de divulguer un fait important, et des dommages punitifs. JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE La Cour supérieure du Québec a rejeté sur le fond le recours collectif au motif que le mécanisme de verrouillage de la portière ne comporte pas de vice de conception puisque selon l’usage auquel il est destiné, le mécanisme crée un obstacle suffisant, permettant de diminuer de façon substantielle la possibilité d’un vol. Incidemment, il n’existe aucun standard de sécurité régissant l’efficacité d’un système de verrouillage pour les automobiles. Par conséquent, la facilité à contourner ce système de protection ne relève pas du déficit d’usage. La Cour n’a pas retenu non plus que Mazda s’était livrée à une pratique de commerce interdite en omettant de divulguer un fait important sur un élément de sécurité. À tout événement, l’intervention criminelle d’un tiers a rompu le lien de causalité entre le vice allégué et les dommages subis. Pour ce qui est de la réclamation des membres dont le véhicule n’a pas été l’objet d’une attaque (Groupe 2), la Cour estime qu’il n’ont subi aucune manifestation du vice. Le fait qu’ils aient dû se rendre chez leur concessionnaire pour l’installation d’un mécanisme de renforcement du système de verrouillage fait partie des troubles ordinaires de la vie et ne justifie donc pas l’octroi de dommages-intérêts. En l’absence d’une preuve d’insouciance de la part de Mazda face à ses obligations légales, la Cour a également rejeté la réclamation en dommages punitifs. JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL LA LOI SUR LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR (LPC) ET LA NOTION DE VICE CACHÉ La LPC prévoit qu’un bien doit pouvoir servir à l’usage auquel il est normalement destiné (article 37 LPC) pendant une durée raisonnable, qui peut varier selon le prix payé, les dispositions du contrat et les conditions d’utilisation (article 38 LPC). Si le bien ne permet pas l’usage auquel le consommateur peut raisonnablement s’attendre, il y a alors présomption que le défaut est antérieur à la vente. De plus, ni le commerçant ni le fabricant ne peuvent opposer au consommateur le fait qu’ils ignoraient ce vice ou ce défaut (article 53 LPC). La Cour confirme que les garanties précitées sont une application particulière de la notion de vice caché connue en droit civil québécois. La Cour ajoute une nuance importante : par l’effet de la LPC, le fardeau de preuve d’un consommateur souhaitant invoquer le défaut d’usage en vertu de l’article 37 LPC est atténué en comparaison avec celui d’un acheteur qui invoque la garantie de qualité du Code civil du Québec (CCQ). En effet, un recours invoquant la garantie de qualité en vertu du CCQ doit satisfaire quatre critères; 1) être occulte, 2) être suffisamment grave, 3) être inconnu de l’acheteur et 4) être antérieur à la vente. Or, la Cour est d’avis que, à l’instar de la garantie prévue à l’article 38 LPC, la garantie contre le déficit d’usage en vertu de l’article 37 LPC dispense le consommateur de démontrer l’existence d’un défaut occulte, dans la mesure où le consommateur s’est livré à un examen ordinaire du bien avant l’achat. La Cour précise que la présomption d’existence d’un défaut occulte élargit la « conception traditionnelle » du vice caché en ce qu’un consommateur pourrait bénéficier de la garantie prévue à l’article 37 LPC sans que le bien ne soit atteint d’un défaut matériel. Le consommateur doit seulement démontrer qu’il existe un déficit d’usage sérieux et qu’il en ignorait l’existence au moment de la vente. LES CONDITIONS D’APPLICATION DE LA GARANTIE D’USAGE La Cour souligne que la garantie d’usage imposée au commerçant et au manufacturier crée une obligation de résultat. Cette obligation s’apprécie essentiellement sur les attentes raisonnables de l’acheteur. Un tribunal devra appliquer la norme objective c’est-à-dire l’attente d’un consommateur moyen appréciée au regard de la nature du produit et de sa destination. La Cour relève que bien que ce soit une défense souvent invoquée, le fait que le commerçant respecte les normes légales ou standards de l’industrie ne l’exonère pas pour autant d’une conclusion de déficit d’usage. De plus, elle précise que « l’absence de normes ne libère pas le manufacturier de son obligation de tenir compte des besoins et des attentes raisonnables de sa clientèle ». La Cour supérieure a donc erré lorsqu’elle a conclu que, dans le cadre d’un usage normal, le mécanisme de verrouillage fonctionne très bien. En effet, cette analyse ne tient pas compte de l’attente du consommateur qui croit légitimement que son véhicule est équipé d’un système de verrouillage capable de créer « un obstacle raisonnable contre les intrusions malveillantes ». En appliquant les présomptions d’antériorité du vice et d’existence d’un défaut occulte conférées par l’application de l’article 37 LPC, le consommateur n’a qu’à démontrer que la faiblesse du système de verrouillage était substantielle et que, s’il l’avait su, il n’aurait pas acheté le véhicule. À cet égard, la Cour fait siens les arguments de l’appelant et estime que tout consommateur informé de la faiblesse du système de verrouillage aurait renoncé à acquérir ce modèle pour le prix payé. Par conséquent, la Cour infirme le jugement de première instance et conclu que les véhicules Mazda visés par le recours étaient atteints d’un important déficit d’usage donnant lieu aux mesures réparatrices prévues à l’article 272 LPC. L’OBLIGATION D’INFORMATION L’article 228 LPC interdit au commerçant, fabricant ou publicitaire de passer sous silence un fait important. Contrairement au juge de première instance, la Cour d’appel est d’avis que le « fait important » prévu à l’article 228 LPC ne « vise pas uniquement à protéger la sécurité physique du consommateur », mais cible également tout élément déterminant d’un contrat. Un élément sera déterminant s’il est susceptible d’interférer avec le choix éclairé du consommateur. Mazda avait l’obligation de divulguer la défaillance du système de protection dès qu’elle en a pris connaissance puisque les membres du groupe n’auraient pas contracté selon les mêmes modalités. Par conséquent, tous les consommateurs ayant acquis un véhicule entre la date où Mazda a appris que son système de verrouillage était défaillant (3 octobre 2006) et la date où Mazda a lancé son programme spécial de correction (28 janvier 2008), et qui ignoraient la défaillance du système de sécurité, ont le droit de réclamer une diminution du prix conformément à l’article 272 LPC. LES DOMMAGES PUNITIFS La Cour d’appel rappelle que le manquement à une disposition de la LPC ne donne pas automatiquement droit à des dommages punitifs, insistant sur le caractère lourd du fardeau de preuve requis en cette matière. En accord avec le juge de première instance, la Cour d’appel indique que l’analyse des faits ne démontre pas que Mazda a agi de « manière intentionnelle, malveillante ou vexatoire, ou encore que sa conduite peut se qualifier d’ignorance sérieuse, d’insouciance ou de négligence atteignant ce niveau de gravité » et, par conséquent, les membres n’ont pas droit à des dommages punitifs. LES DOMMAGES EXTRACONTRACTUELS (GROUPE 1) Selon la Cour d’appel, l’intervention criminelle d’un tiers n’a pas brisé la chaîne de responsabilité de Mazda (novus actus interveniens). Le système de protection des véhicules était affecté d’un défaut de conception, et c’est en raison de cette faiblesse que des malfaiteurs ont pu profiter de cette condition. Le dommage subi par les membres dont le véhicule a été endommagé ou volé est donc le résultat de la faute commise par Mazda de ne pas avoir conçu un système de verrouillage capable d’offrir « un obstacle raisonnable contre les intrusions malveillantes ». LES TROUBLES, ENNUIS ET INCONVÉNIENTS Les membres du Groupe 2 réclament une compensation pour les inconvénients occasionnés par la campagne de rappel de Mazda visant à corriger le défaut affectant le système de sécurité de ses véhicules. Or, bien que la Cour d’appel reconnaît le désagrément qu’a pu engendrer une telle campagne, elle estime que ces inconvénients ne sont pas supérieurs aux « inconvénients normaux auxquels tous les propriétaires de véhicules sont confrontés ici et là dans le cours normal d’une année ». Sur le plan procédural, la Cour d’appel reconnaît que lorsque l’adjudication d’une telle réclamation nécessite la prise en compte d’éléments subjectifs, propres à chaque membre d’un groupe, l’action collective ne serait pas le véhicule approprié. En effet, des réclamations fondées sur des inconvénients subis présentent des aspects fortement individuels. Reprenant la maxime latine de minimis non curat lex, la Cour d’appel souligne qu’il n’est pas adéquat d’accaparer les tribunaux pour des réclamations ayant peu de conséquences. Les deux groupes réclament également des dommages pour troubles, ennuis et inconvénients pour avoir subi la peur que leur véhicule soit vandalisé et les inconvénients liés à la recherche continuelle d’un stationnement sécuritaire. Cette réclamation est rejetée. La Cour d’appel rappelle que l’objectif de compenser une partie n’a pas pour ambition d’indemniser toutes « frustrations et susceptibilités liées au moindre manquement de la part de celui avec qui elle interagit ». Elle réitère par ailleurs que considérant son aspect individuel, ce type de réclamation se prête difficilement à une indemnisation collective. CONCLUSION La Cour d’appel conclut que les véhicules de modèle Mazda 3 des années 2004 à 2007 étaient affectés d’un important déficit d’usage. Cependant, Mazda a démontré qu’elle a remédié à ce défaut lors de sa campagne de correction (paragr. 272 a) L.p.c.) Les membres du Groupe 1 ne peuvent donc pas obtenir, en plus de cette mesure de réparation, une indemnisation additionnelle sous forme de réduction de leur obligation. Les membres du Groupe 1 ont cependant droit à des dommages compensatoires (272 LPC) en vertu du recours autonome des mesures de réparation spécifiques prévues à l’article 272 a) à f) LPC. Pour ce qui est des membres du Groupe 2, la Cour estime leurs réclamations non fondées. Finalement, la Cour est d’avis que Mazda a omis de divulguer à sa clientèle une information importante (228 LPC) et ce manquement à la loi permet à certains membres du Groupe 1 et du Groupe 2 d’obtenir une réduction de leur obligation (272 LPC), soit les consommateurs qui ignoraient la défaillance du système de sécurité et qui ont acheté un véhicule entre la date où Mazda a appris que son système de verrouillage était défaillant et la date où elle a lancé son programme spécial de correction. COMMENTAIRES Cette décision de la Cour d’appel clarifie plusieurs éléments tant en matière procédurale qu’en droit substantif. La Cour y affirme qu’un commerçant peut s’acquitter en nature de ses obligations découlant de la garantie légale, en application de l’article 272 a) LPC. Cela démontre l’importance d’une réaction rapide de la part d’un fabricant qui prend connaissance de l’existence d’un déficit d’usage affectant un produit qu’il met sur le marché. La Cour impose en pareil cas des obligations de transparence élevées aux fabricants, qui peuvent en retour obtenir un certain réconfort résultant des mesures, préventives ou curatives, qu’ils pourront mettre en place et l’aideront à écarter ou à réduire au minimum une responsabilité potentielle. Si les enseignements de la Cour sont suivis, il ne devrait pas être possible de réclamer compensation sur la simple base qu’une procédure de rappel a été lancée et que cela a causé des inconvénients pour ceux qui s’y sont soumis. L’importance d’informer sa clientèle des défauts qui affectent ses produits fait partie intégrante de l’exécution des obligations de renseignements qui incombent à tous les fabricants et commerçants.   2016 QCCA 31. 2014 QCCS 2617.   1. le gestionnaire doit respecter les dispositions législatives et réglementaires applicables aux sociétés de gestion relevant de la Directive, et notamment : le respect des obligations de transparence prévues aux articles 22, 23 et 24 de la Directive : obligation de rédaction d’un rapport annuel pour chaque FIA commercialisé au sein de l’UE (art. 22), obligation d’information adéquate et périodique des investisseurs du FIA (art. 23) et diverses obligations de comptes rendus à l’égard des autorités compétentes (art. 24); l’existence de modalités de coopération appropriées entre les autorités de tutelle de chacun des pays membres de l’UE où aura lieu la commercialisation et les autorités du pays tiers concerné (soit celui où est établi le gestionnaire), mais également celui où le domicile du FIA est situé dans l’hypothèse d’un FIA domicilié dans un pays autre que celui de son gestionnaire2; l’absence du pays tiers dans lequel le gestionnaire est établi des listes des pays et territoires non coopératifs du Groupe d’action financière pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (GAFI). -->

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  • Droit de la consommation et recours collectifs : Attention aux modifications unilatérales du contrat à exécution successive

     Cette publication a été coécrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil. Lavery suit de près l’évolution des recours collectifs en droit de la consommation et se fait un devoir de tenir la communauté d’affaires informée en cette matière en publiant régulièrement des bulletins traitant des nouveautés jurisprudentielles ou législatives qui sont susceptibles d’influencer, voire de transformer, les pratiques de milieu Au cours des derniers 18 mois, la Cour supérieure du Québec a analysé des clauses de modifications unilatérales1 de contrats de services du secteur des télécommunications dans le cadre de trois différents recours collectifs2. Dans ces décisions, que l’on pourrait surnommer la « trilogie des télécoms », la Cour a refusé de reconnaître la validité des clauses qui lui avaient été soumises et a ordonné la restitution de frais additionnels payés par les consommateurs à la suite de modifications de tarifs. La Cour a rappelé l’importance de dévoiler à son cocontractant l’ensemble des frais qu’il pourrait être appelé à payer pendant la durée d’un contrat de services à exécution successive, y compris les frais connexes ou additionnels3. La divulgation des frais dans le contrat est rigoureusement encadrée par les dispositions de La Loi sur la protection du consommateur4 et du Code civil du Québec5. Ces décisions consacrent donc une fois de plus le principe de la force exécutoire d’un contrat de services à durée fixe et ce, malgré les risques inhérents auxquels les commerçants sont soumis en raison de changements imprévisibles de la conjoncture du marché. Dans un contrat à durée déterminée, ce sont généralement les commerçants qui assument ces risques6. Par contre, dans un contrat à durée indéterminée, le consommateur doit décider, après réception d’un avis du commerçant qui désire changer les modalités du contrat, s’il accepte ces changements et nouvelles modalités ou s’il met fin au contrat. LES CLAUSES DE MODIFICATION UNILATÉRALE ET L’ARTICLE 12 L.P.C. Dans les trois cas analysés par la Cour, les contrats de services contenaient une clause qui, moyennant un préavis écrit de 30 jours7, permettait la modification unilatérale par le fournisseur de services de certaines modalités du contrat, y compris les tarifs et frais d’utilisation du service. Dans deux des cas, le fournisseur avait introduit de nouveaux frais applicables aux messages textes entrants alors que dans le dernier cas, le fournisseur avait établi un nouveau plafond de consommation internet qui entraînait une facture plus élevée pour l’utilisateur. Dans les trois cas, les fournisseurs avaient transmis à leurs clients des préavis de 30 jours annonçant la modification des modalités du contrat. Toutefois, la Cour a jugé que le processus de modification qui avait été suivi n’était pas conforme au libellé de l’article 12 L.p.c., qui interdit aux commerçants de réclamer du consommateur des frais non mentionnés de façon précise au contrat8. Le but de cet article est de s’ « assurer que le consommateur s’engage en toute connaissance de cause, au moment de conclure le contrat de consommation »9. Or, les clauses de modification contenues dans les contrats des fournisseurs n’énonçaient aucun critère objectif précisant la nature ou la fréquence des modifications et augmentations futures10, ce qui empêchait le consommateur de prévoir ou de déterminer les coûts supplémentaires susceptibles de s’ajouter aux obligations déjà établies aux termes des contrats. LES CLAUSES DE MODIFICATION UNILATÉRALE ET LE CODE CIVIL DU QUÉBEC Dans la décision Laflamme, le tribunal a également étudié la question sous le prisme des dispositions du C.c.Q.11. L’article 1373 C.c.Q. énonce qu’une prestation découlant d’un contrat doit être « possible et déterminée ou déterminable ». L’article 1374 C.c.Q. ajoute que la prestation « peut porter sur tout bien, même à venir, pourvu que le bien soit déterminé quant à son espèce et déterminable quant à sa quotité ». Appliquant ces dispositions, la juge Nantel conclut qu’une clause de modification n’est pas illégale en soi, mais doit comporter les éléments suivants : l’objet sur lequel la modification portera; des indices prédéterminés, critères objectifs et balises qui « ne relèvent pas du seul contrôle du bénéficiaire de la clause »12 permettant « d’anticiper l’élément déclencheur et l’ampleur de la modification »13. Or, dans Laflamme, la clause de modification14 ne permettait pas d’établir ou de déterminer clairement quel serait le coût de la modification au contrat, ce qui la rendait également illégale en vertu du C.c.Q. LES CLAUSES DE MODIFICATION UNILATÉRALE ET L’ARTICLE 11.2 L.P.C. Le 30 juin 2010, le législateur a introduit l’article 11.2 L.p.c. qui permet, dans certains cas, de modifier unilatéralement des contrats de consommation lorsque certaines conditions sont respectées15, tel que l’envoi par le commerçant d’un préavis de 30 jours au consommateur mentionnant la nature de la modification, sa date d’entrée en vigueur ainsi que le droit du consommateur de la refuser et de résilier le contrat sans pénalité, et ce jusqu’à 30 jours après l’entrée en vigueur de la modification. En revanche, la modification d’un élément essentiel du contrat à durée fixe n’est pas autorisée. Parmi ces éléments essentiels, l’article 11.2 L.p.c. mentionne notamment la nature du bien ou du service faisant l’objet du contrat, son prix ou encore la durée du contrat. À ce jour, aucun tribunal n’a appliqué ni interprété l’article 11.2 L.p.c qui n’était pas applicable aux trois recours collectifs puisque les clauses contestées ont été utilisées par les fournisseurs avant l’adoption de cet article. La juge Paquette, dans l’affaire Martin, émet toutefois certains commentaires à ce sujet16. Elle note que l’article 11.2 L.p.c. a été adopté en continuité avec l’article 12 L.p.c. et non pas en contradiction avec celui-ci et qu’il a pour but de consolider le principe selon lequel le consommateur ne doit pas être pris par surprise. Elle conclut que si l’article 11.2 L.p.c. avait été en vigueur au moment où le fournisseur a augmenté le prix d’un des services prévu au contrat, la modification aurait été inopposable au consommateur puisque ce dernier ne pouvait mettre fin au contrat sans pénalité. De plus, la modification visait le prix, un élément essentiel du contrat qui ne peut être modifié, même en appliquant l’article 11.2 L.p.c., étant donné que le contrat est à durée fixe. Bien que l’article 11.2 L.p.c. prévoit un processus très strict devant être suivi par les commerçants qui désirent modifier les modalités d’un contrat, il semble que cette disposition soit quand même plus flexible que les articles 1373 et 1374 C.c.Q., à tout le moins tel que ces dispositions ont été interprétées par la Cour dans la trilogie. En effet, l’article 11.2 L.p.c. n’exige pas qu’une clause modificatrice prévoit des « indices prédéterminés qui […] permettent d’avoir une idée des modifications éventuelles qui pourraient être apportées » ou des « critères objectifs et des balises ». L’article 11.2 ne pose pas non plus de condition exigeant que « la clause […] permette clairement au consommateur de connaître de façon précise le montant des frais qui lui seront réclamés pour un service donné en cours de contrat ». CONCILIER LE CODE SUR LES SERVICES SANS-FIL DU CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS (LE « CRTC ») ET L’ARTICLE 11.2 L.P.C. Le Code sur les services sans-fil adopté par le CRTC (le « Code ») est entré en vigueur le 2 décembre 2013. Le Code est le fruit d’une série de consultations auprès des différents acteurs du domaine des télécommunications et vise à encadrer les pratiques de ce secteur. Il interdit aux entreprises de télécommunication de modifier unilatéralement les clauses principales d’un contrat de services, mais non ses autres modalités. Rien n’est toutefois précisé en ce qui concerne les modifications d’autres modalités lorsqu’elles affectent le prix. Le Code a été invoqué dans deux recours, mais plus particulièrement par le fournisseur dans l’affaire Martin. Toutefois, les juges ont conclu qu’il ne pouvait s’appliquer aux faits qui leur étaient soumis, ceux-ci étant survenus avant son entrée en vigueur. La juge Paquette a cependant mentionné que les modalités du contrat concernant les services payables à l’usage tels que les frais de messagerie ne faisaient pas partie de la catégorie des modalités principales et qu’ils pourraient donc, en vertu du Code, faire l’objet de modifications au moyen d’une clause unilatérale17. Cette interprétation fera sûrement l’objet de commentaires et réactions. L’interprétation des termes « éléments principaux » et « autres modalités » fera certainement l’objet d’un débat qu’il faudra suivre de près au cours des prochaines années. Les tribunaux apporteront peut-être une réponse à ces questions prochainement puisqu’un recours collectif contre deux autres fournisseurs de services a récemment été autorisé par la Cour supérieure du Québec, cette décision ayant été confirmée par la Cour d’appel du Québec18. LES SANCTIONS Le commerçant qui ne respecte pas l’article 12 de la L.p.c. s’expose aux sanctions énumérées à l’article 272 L.p.c.19 y compris la possibilité pour le consommateur de demander la résiliation du contrat et l’octroi de dommages punitifs. Dans les trois décisions de la trilogie, la Cour a ordonné que les clients soient compensés pour les frais supplémentaires engendrés par la modification de leurs contrats respectifs. Dans Union, la Cour a également accordé des dommages punitifs en faveur d’un des sous-groupes20 puisque le fournisseur n’avait pas averti les nouveaux clients, lors de la conclusion du contrat, de la modification imminente de certains frais alors que la décision de les ajouter avait déjà été prise. De l’avis de la Cour, le fournisseur avait passé sous silence un fait important, contrevenant ainsi à l’article 228 de la L.p.c. Cette violation a à elle seule justifié l’octroi de dommages punitifs de 500 $ par membre du sous-groupe. L’utilisation de ce remède particulier que représente une condamnation à des dommages punitifs démontre une fois de plus que le recours collectif constitue l’un des plus puissants dissuasif de la L.p.c. COMMENTAIRES La trilogie des télécoms rappelle aux commerçants qu’ils doivent divulguer le montant de tous les frais qui seront facturés à leurs clients. Par ailleurs, l’article 11.2 L.p.c. ajoute maintenant à ce principe certaines procédures à suivre lorsque le commerçant veut se prévaloir d’une clause modificatrice. Ces trois décisions ont été portées en appel. Il sera intéressant de voir si la Cour d’appel clarifiera la portée de l’article 11.2 L.p.c. et définira les conditions de sa cohabitation avec l’article 12 L.p.c. On peut aussi se demander si la politique du CRTC peut atténuer la rigueur des dispositions de la L.p.c. et donner aux fournisseurs de services de télécommunications des arguments permettant de centrer le débat non pas sur le prix, mais sur ce qui constitue une modalité accessoire par rapport à un élément principal du contrat. D’autres décisions sont aussi à prévoir en ce qui concerne la modification unilatérale du contrat. Pensons par exemple aux programmes de fidélisation21. En effet, deux recours collectifs alléguant des modifications illégales de tels programmes ont déjà été autorisés22 et une troisième demande d’autorisation a récemment été déposée23. Il est donc à prévoir que les tribunaux préciseront encore davantage, dans une nouvelle trilogie, les droits et obligations des commerçants relativement aux modifications unilatérales de contrat. 1 Une clause de modification unilatérale permet à une partie contractante, en l’espèce le fournisseur de services, d’apporter des changements à un contrat avant son échéance. 2 Laflamme c. Bell Mobilité Inc., 2014 QCCS 525 (2014-02-18), inscription en appel, 2014-03-18 (C.A.) (« Laflamme »); Martin c. Société Telus Communications, 2014 QCCS 1554 (2014-04-08), inscription en appel, 2014-05-08 (C.A.) et Requête en rejet d’appel, 2014-05-28 (C.A.) (« Martin »); Union des consommateurs c. Vidéotron s.e.n.c., 2015 QCCS 3821 (2015-08-21) (« Union »). 3 Il est à noter que la qualification des frais (connexes ou additionnels) n’a pas encore été analysée. 4 RLRQ, c. P-40.1 (« L.p.c. »), articles 11.2 et 12. 5 RLRQ, c. C-1991 (« C.c.Q. »), articles 1373 et 1374. 6 Sous réserves de nuances traitées dans ce bulletin. 7 Les contrats de services contenaient tous des termes du genre « sur préavis d’au moins 30 jours », « moyennant un préavis minimal de 30 jours » ou « après vous avoir donné un préavis de 30 jours ». 8 Laflamme, par. 46. 9 Martin, par. 37. 10 Martin, par. 38. 11 Un des sous-groupes visés par le recours collectif n’était pas composé de consommateurs au sens de la L.p.c. 12 Garderie éducative La Souris Verte inc. c. Chrétien, 2010 QCCS 4843, par. 49, repris dans Laflamme, par. 66. 13 Laflamme, par. 66. 14 La clause se lisait comme suit : « Nous n’augmenterons pas les frais de votre Forfait voix mensuel de base ou les frais de temps d’antenne excédentaire pendant la période d’engagement, pourvu que vous demeuriez admissible, durant toute la période d’engagement, au Forfait et aux services que vous avez choisis. (…) Pendant la durée, nous pourrions hausser d’autres frais (y compris les frais d’accès au réseau), ainsi qu’imposer des frais additionnels, après vous avoir donné un préavis de 30 jours. », Laflamme, par. 33. 15 Les articles 11.2 et 12 L.p.c. s’appliquent à tous les types de contrats de consommation. Nous examinons exclusivement leur application dans le cadre de contrats de services en télécommunication, mais les principes de base demeurent les mêmes peu importe le type de contrat, à l’exception des contrats de crédit variable visés par l’article 129 L.p.c. auxquels les règles de l’article 11.2 L.p.c. ne s’appliquent pas. 16 Martin, par. 59-63. 17 Martin, par. 67. 18 Amram c. Rogers Communications inc. (et Fido Solutions inc.), 2012 QCCS 4453. Appel accueilli à la seule fin de modifier certains paragraphes du jugement de première instance, 2015 QCCA 105. Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2015-09-24). 19 Pour plus d’informations concernant l’application de cet article, nous vous référons à notre bulletin Droit de savoir publié en août 2015 : https://www.lavery.ca/publications/nos-publications/1882-nouveautes-en-droit-de-la-consommation.html. 20 Le sous-groupe était composé des membres qui avaient souscrit au forfait Internet haute vitesse extrême après le 28 juin 2007. 21 La fidélisation est, pour une marque, une entreprise ou une organisation, l’art de créer et de gérer une relation durable personnelle avec chacun de ses clients, notamment en leur attribuant des avantages tels que réductions ou cadeaux lorsqu’ils ont cumulé des points acquis lors d’achats antérieurs. 22 Option consommateurs c. Corporation Shoppers Drug Mart, 2012 QCCS 1078; Neale c. Groupe Aéroplan inc., 2012 QCCS 902. 23 Recours contre la Banque Toronto Dominion déposé le 17 juillet 2015 : https://services.justice.gouv.qc.ca/DGSJ/RRC/DemandeRecours/DemandeRecoursRecherche.aspx.

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  • Québec – Recours collectif historique contre les cigarettiers : la Cour supérieure octroie des dommages-intérêts de plus de 15 milliards de dollars

    Dans un jugement rendu le 27 mai 2015 dans deux recours collectifs1, la Cour supérieure du Québec condamne les trois principales compagnie de tabac canadienne à verser plus de 15 milliards de dollars en dommages moraux et en dommage punitifs. Cette décision fait suite à plus de 253 jours d’audience2 et 16 ans de procédure. LES RECOURS COLLECTIFS En février 2005, le juge Pierre Jasmin a autorisé deux recours collectifs contre les défenderesses JTI-Macdonald (JTM), Imperial Tobacco (ITL) et Rothmans, Benson & Hedges (RBH). Le premier recours collectif a été intenté par Cécilia Létourneau au nom de 918 000 fumeurs dépendants de la cigarette. La somme réclamée s’élevait à 5 000 $ en dommages moraux et 5 000 $ à titre de dommages punitifs par membre du groupe. Le second recours collectif, mieux connu comme le dossier Blais, a été intenté par le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS) au nom de près de 100 000 fumeurs et anciens fumeurs ayant été diagnostiqués avec le cancer du poumon, le cancer de la gorge ou l’emphysème. La somme réclamée s’élevait à 100 000 $ en dommages moraux et 5 000 $ à titre de dommages punitifs par membre du groupe. Les demandeurs avaient renoncé à leur droit de présenter des réclamations individuelles pour dommages-intérêts compensatoires. Les deux recours collectifs, couvrant la période de 1950 à 19983, ont été regroupés en une seule instance. LE JUGEMENT Dans un jugement de 276 pages, le juge Brian Riordan a conclu que les compagnies de tabac connaissaient les dommages causés par le tabagisme, qu’elles avaient caché des renseignements essentiels et qu’elles avaient sciemment fait des déclarations publiques fausses et trompeuses. La Cour a examiné le comportement de chaque défenderesse et a tiré les conclusions suivantes : Les compagnies de tabac ont fabriqué et vendu un produit qui était dangereux et mauvais pour la santé des consommateurs. Les compagnies de tabac connaissaient les risques et dangers associés à l’utilisation de leur produit. Les compagnies de tabac ont minimisé les risques et dangers du tabagisme et ont omis de divulguer des renseignements sur le sujet pendant toute la durée des recours collectifs. À compter de 1962, les compagnies de tabac ont comploté pour empêcher les consommateurs de connaître les risques inhérents à l’utilisation de leurs produits. Les compagnies de tabac ont porté atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à l’intégrité des membres du groupe, faisant intentionnellement passer leurs profits avant la santé des fumeurs. LA FAUTE Les défenderesses ont commis des fautes graves en vertu du Code civil du Québec, de la Loi sur la protection du consommateur et de la Charte des droits et libertés de la personne . La Cour est d’avis que les compagnies de tabac : ont contrevenu à leur obligation générale de ne pas causer de préjudice à autrui4; ont contrevenu à l’obligation d’un fabricant d’informer ses clients des risques et des dangers que comporte l’utilisation de ses produits5; ont porté atteinte de façon illicite à un droit protégé par la Charte québécoise6; se sont livrées à une pratique interdite visée par la Loi sur la protection du consommateur7. L’EXONÉRATION PARTIELLE En droit civil québécois, le fabricant peut être exonéré s’il démontre que le consommateur connaissait ou était en mesure de connaître le défaut de sécurité du bien8. Dans son jugement, le juge Riordan a précisé que dans le cas de produits dangereux pour le bien-être physique des consommateurs, le critère d’évaluation de la connaissance du public est plus « rigoureux » et nécessite l’application de normes plus élevées. Malgré les avertissements figurant sur les paquets de cigarettes depuis 1972, il a été déterminé que de tels énoncés étaient incomplets et insuffisants. La Cour a établi qu’à compter du 1er janvier 1980, les consommateurs connaissaient ou auraient raisonnablement dû connaître les risques de contracter les maladies liées à l’usage du tabac9, et que, à compter du 1er mars 1996, ils connaissaient les risques de dépendance. Par conséquent, les membres qui ont commencé et continué à fumer après ces périodes10 ont commis une faute contributive. La Cour a attribué 80 % de la responsabilité aux compagnies de tabac et 20 % aux membres du recours. LE LIEN DE CAUSALITÉ Les fautes commises par les compagnies de tabac sont l’un des facteurs ayant causé le tabagisme chez les membres du recours. Le juge Riordan a privilégié le critère de la raisonabilité, indiquant que la présence d’autres facteurs externes menant au tabagisme n’a pas eu comme effet d’exonérer les compagnies de tabac de leur responsabilité. Les présomptions de fait ne doivent pas nécessairement éliminer toutes les autres possibilités, dans la mesure où les demandeurs démontrent que les fautes commises ont amené d’une manière logique, directe et immédiate les membres à fumer. Concernant le lien de causalité individuel entre les maladies dont ont souffert les membres et les fautes commises par les défenderesses, le juge Riordan a convenu que la preuve épidémiologique suffisait pour le démontrer. Il a cependant précisé que cette preuve était permise en raison de l’application de l’article 15 de la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac11 qui prévoit que le lien de causalité peut être établi « sur le seul fondement de renseignements statistiques ou d’études épidémiologiques ». LES DOMMAGES-INTÉRÊTS Le tribunal ordonne le recouvrement collectif si la preuve permet d’établir d’une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres12. Pour ce qui est du dossier Létourneau, malgré le fait que la Cour ait jugé que les trois éléments de la responsabilité étaient réunis, elle n’a pas attribué de dommages moraux car la preuve ne permettait pas d’établir d’une façon suffisamment exacte la nature et le degré des dommages entre les membres du groupe. Dans le dossier Blais, la Cour a attribué des dommages moraux solidaires de 6 858 864 000 $13. Les défenderesses étant respectivement responsables à 67 % pour ITL, 20 % pour RBH et 13 % pour JTM. De plus, la Cour a jugé que les trois sociétés s’étaient livrées à un comportement répréhensible qui justifiait l’octroi de dommages-intérêts punitifs en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne et de la Loi sur la protection du consommateur. À la lumière du comportement des parties et de leur capacité respective de payer, le juge a ordonné aux défenderesses de verser la somme de 1,31 milliard de dollars à titre de dommages punitifs14 aux membres des deux groupes. Il faut souligner qu’au Québec, dans les affaires de recouvrement collectif où la liquidation individuelle est ordonnée, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de ne pas remettre le remboursement de la partie non réclamée aux défenderesses. Il dispose du reliquat en tenant compte de l’intérêt des membres15. Le solde est généralement attribué à titre de donation à des organismes à but non lucratif dont les activités sont reliées aux intérêts des membres du groupe. LE DÉPÔT INITIAL Un jugement ordonnant le recouvrement collectif des réclamations enjoint le débiteur soit de déposer la somme établie soit de prendre une mesure réparatrice déterminée, ou d’exécuter les deux16. Afin de garantir l’indemnisation des membres, la Cour a fixé un dépôt initial de 1 milliard de dollars. Le juge a réservé aux demandeurs le droit de solliciter des sommes additionnelles si ce montant devait se révéler insuffisant. L’EXÉCUTION PROVISOIRE NONOBSTANT APPEL Compte tenu de la nature exceptionnelle de cette affaire, la Cour a accueilli la demande par laquelle les demandeurs ont sollicité l’exécution provisoire partielle des dommages attribués. Le juge a souligné que l’affaire avait commencé 17 ans auparavant et qu’un appel pourrait prendre jusqu’à six ans. Considérant que le tabagisme affecte le bien-être physique des membres, le juge Riordan a estimé qu’il était dans l’intérêt de la justice que ceux-ci soient indemnisés dès que possible. Conséquemment, la Cour a ordonné l’exécution provisoire nonobstant appel d’une somme correspondant au dépôt initial à titre de dommages moraux plus les montants attribués en dommages punitifs, pour un total d’environ 1 milliard de dollars. Les défenderesses devront déposer ces sommes en fiducie dans les 60 jours suivant le jugement et le mode de répartition de ces fonds sera déterminé ultérieurement. CONCLUSION Les défenderesses ont déjà annoncé leur intention d’interjeter appel de la décision et de demander à la Cour d’appel de suspendre l’ordonnance d’exécution provisoire. Il faut souligner qu’au moins sept recours collectifs similaires se poursuivent au Canada, de même que dix poursuites judiciaires en recouvrement des coûts de soins de santé. Les sommes réclamées dans bon nombre de ces affaires sont supérieures à la somme accordée par la Cour supérieure du Québec. Il s’agit du premier recours collectif dans lequel les membres du groupe obtiennent des dommages-intérêts dans une affaire impliquant des cigarettiers au Canada. Notons que la certification d’un recours collectif similaire avait été refusée en Ontario en 2004 dans l’affaire Caputo17. Il sera intéressant d’observer l’impact qu’aura le présent jugement sur le dénouement des autres instances actuellement pendantes. SUMMARY TABLES OF DAMAGES AWARDED18 SOCIÉTÉ DOMMAGES-INTÉRÊTS MORAUX BLAIS DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS BLAIS DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS LÉTOURNEAU ITL 670 000 000 $ 30 000 $ 72 500 000 $ RBH 200 000 000 $ 30 000 $ 46 000 000 $ JTM 130 000 000 $ 30 000 $ 12 500 000 $   DOMMAGES-INTÉRÊTS MORAUX RESPONSABILITÉ Les membres du groupe Blais qui ont commencé à fumer avant le 1er janvier 1976 Sociétés – 100 % Les membres du groupe Blais qui ont commencé à fumer à compter du 1er janvier 1976 Sociétés – 80 % / Membres 20 % Les membres du groupe Létourneau qui ont commencé à fumer avant le 1er mars 1992 Sociétés – 100 % Les membres du groupe Létourneau qui ont commencé à fumer à compter du 1er mars 1992 Sociétés – 80 % / Membres 20 %   DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS RESPONSABILITÉ La réclamation du groupe Blais accumulée avant le 20 novembre 1995 Prescrite La réclamation du groupe Létourneau accumulée avant le 30 septembre 1995 Sociétés – 100 % La réclamation du groupe Blais accumulée au 20 novembre 1995 Sociétés – 100 % La réclamation du groupe Létourneau accumulée au 30 septembre 1995 Sociétés – 100 %   _________________________________________ 1 Létourneau c. JTI-MacDonald Corp. (C.S., 27-05-2015), 2015 QCCS 2382. 2 Le procès a débuté le 12 mars 2012 et s’est terminé le 11 décembre 2014. 3 Date de signification des requêtes pour autorisation. 4 Art. 1457 du Code civil du Québec. 5 Art. 1468 et suivants du CCQ. 6 Art. 1 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne. 7 Art. 219 et 228 de la Loi sur la protection du consommateur. 8 Art. 1473 CCQ. 9 Cancer du poumon et de la gorge ou emphysème. 10 La Cour a estimé qu’il faut environ quatre ans pour devenir dépendant de la cigarette. Par conséquent, les membres du groupe Blais qui ont commencé à fumer après le 1er janvier 1976 et les membres du groupe Létourneau qui ont commencé à fumer après le 1er mars 1992 et qui ont continué de fumer par la suite doivent assumer une partie de la responsabilité. 11 Art. 15 de la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac ch.R-2.2.0.0.1 (Qc) adoptée en 2009. Dans une action prise sur une base collective, la preuve du lien de causalité existant entre des faits qui y sont allégués, notamment entre (...) l’exposition à un produit du tabac et la maladie ou la détérioration générale de l’état de santé (...) peut être établie sur le seul fondement de renseignements statistiques ou tirés d’études épidémiologiques, d’études sociologiques ou de toutes autres études pertinentes, y compris les renseignements obtenus par un échantillonnage (…). 12 Art. 1031 CPC. 13 Une fois que l’on ajoute les intérêts et l’indemnité additionnelle du Code civil, cette somme augmente à 15 500 000 000 $. 14 Le juge a estimé que les circonstances justifiaient que 90 % des dommages-intérêts punitifs totaux soient octroyés aux membres du groupe Blais et 10 % aux membres du groupe Létourneau. Compte tenu du montant attribué pour les dommages-intérêts moraux dans le dossier Blais, la Cour a ordonné à titre symbolique à chaque société de verser des dommages punitifs de 30 000 $, à savoir un dollar pour chaque décès que cette industrie cause au Canada chaque année. 15 Art. 1036 CPC. 16 Art. 1032 CPC. 17 Caputo c. Imperial Tobacco Ltd., 2004 24753 (CS ON). 18 Tableaux 910 et 1113 de la décision.

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