La Charte de la Langue Française revue par la Cour du Québec

La Cour du Québec s’est récemment penchée sur l’application de la Charte de la langue française (la « Charte ») dans l’affaire Boulangerie Maxie’s 1. Cette décision apporte des précisions concernant l’emploi de la langue française de façon « nettement prédominante » dans la publicité et l’affichage public. La Cour confirme de plus que les marques de commerce, dans une langue autre que le français, bénéficient d’une exception, qu’elles soient enregistrées ou non. La Cour s’est également prononcée sur la défense de minimis laquelle peut, dans certains cas, s’appliquer lorsque les violations invoquées sont minimes.

L’emploi du français de façon « nettement prédominante » 

Certains défendeurs ont plaidé que l’emploi de la version française avant la version anglaise, sur une même affiche, permettait de conclure que le français était utilisé de façon nettement prédominante.

La Cour a rejeté cet argument et conclu qu’un tel emploi ne rencontre pas le critère de nette prédominance. En bref, l’impact visuel de la version française doit être plus important et à cet égard, la Cour rappelle la règle du 2 pour 1 prévue dans la réglementation laquelle constitue une des façons d’atteindre cet objectif:

  • l’espace consacré au texte français doit être au moins 2 fois plus grand que celui consacré au texte dans une autre langue;
  • les caractères utilisés dans la version française doivent être au moins 2 fois plus grands que ceux utilisés dans une autre langue;

L’exception des marques de commerce

Certains défendeurs ont argumenté qu’ils n’avaient pas à traduire des expressions telles que « Everything inside packed with pride » et « Italian fancy leather goods » employées dans leur publicité puisque ces expressions tombent sous l’exception des « marques de commerce ».

La réglementation prévoit en effet que les marques de commerce « reconnues » au sens de la Loi sur les Marques de Commerce n’ont pas à être traduites en français (sauf si une version française a été enregistrée).

La Cour a conclu que l’exception des marques de commerce s’applique non seulement aux marques enregistrées, mais aussi aux marques employées, dans la mesure où l’expression utilisée se qualifie effectivement à titre de « marque de commerce ».

À cet égard, la Cour est d’avis que l’expression « Italian fancy leather goods » était purement descriptive et ne se constituait pas une marque de commerce. Cette expression doit donc apparaître en français seulement ou en français et dans une autre langue, en autant que la version française soit affichée de façon nettement prédominante.

La Cour a par ailleurs conclu que « Everything inside packed with pride » se qualifiait à titre de marque et n’avait pas à être traduite en langue française dans l’affichage public et la publicité.

Cette conclusion ne constitue pas du droit nouveau. En effet, les tribunaux avaient déjà décidé dans le passé qu’une marque employée constitue une marque « reconnue » au sens de la loi. L’Office de la Langue Française n’avait toutefois pas modifié sa pratique pour se conformer à ces décisions.  Il sera donc intéressant de voir si l’Office de la Langue Française suivra enfin les conclusions de la Cour.

La défense de minimis

Pour éviter une condamnation, les défendeurs ont invoqué plusieurs moyens de défense. Outre les arguments remettant en cause la constitutionnalité de la Charte lesquels ont été rejetés, les défendeurs ont plaidé que les infractions reprochées étaient minimes et ne justifiaient pas un recours judiciaire. Ce moyen de défense a été rejeté.

 

Selon la Cour, les faits suivants ne se constituent pas des infractions mineures justifiant l’application de la défense de minimis :

  • afficher une version bilingue alors que la Charte prévoit que la version française doit être nettement prédominante
  • emballage en langue anglaise seulement
  • site web en langue anglaise, sans traduction française

La Cour souligne toutefois que les faits suivants pourraient possiblement justifier une défense de minimis :

  • une affiche sur laquelle il manque quelques millimètres pour conclure que la version française est nettement prédominante
  • un catalogue d’une centaine de pages offrant une version française équivalente à la version anglaise sauf pour un mot ou une phrase manquante
  • un emballage ou un guide d’instructions bilingue où il manque un mot ou deux en français

 

En conclusion, la Charte et ses règlements prévoient différentes règles concernant l’utilisation d’une langue autre que le français (voir tableau ci-bas). À noter que plusieurs exceptions peuvent trouver application dépendant par exemple de la nature des produits et des activités, de la provenance ou de la destination des produits. Pour toutes questions à ce sujet, n’hésitez pas à consulter les membres de notre cabinet.

 

Tableau contenant des exemples d'application et des exceptions

  1. Quebec (Attorney General) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie’s), 2015 QCCQ 354
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