Réforme du Code de procédure civile – Place à la nouvelle action collective

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Le 20 février dernier, l’Assemblée nationale du Québec adoptait le projet de loi no 28 intitulé Loi instituant le nouveau Code de procédure civile.

Il s’agit d’une étape importante de la réforme amorcée en 2003 qui avait fait l’objet d’un rapport d’évaluation du ministère de la Justice en 2006. La promotion de l’entente entre les parties sur le déroulement de l’instance ainsi que l’utilisation accrue de la conférence de gestion de l’instance sont apparues comme d’importantes pistes de solutions et d’améliorations visant à favoriser un meilleur accès à la justice.

Dans son mémoire présenté en 20111, le Barreau soulignait que les problèmes de coûts et de délais constituent des obstacles importants empêchant bon nombre de citoyens d’accéder à la justice.

Il va sans dire que l’action collective représente une mesure privilégiée d’accès à la justice et une façon efficace de faire valoir ses droits, surtout pour de petites réclamations, combinant efficacité et réalisation d’économies judiciaires.

Dans cette nouvelle mouture du Code de procédure civile (« C.p.c. »), les règles particulières à l’action collective sont regroupées au Livre VI, titre III, articles 571 à 604 C.p.c; elles remplaceront les dispositions actuelles traitant du recours collectif, soit les articles 999 à 1051 C.p.c.

Nous en soulignons les principales nouveautés.

L’ACTION COLLECTIVE (ARTICLE 571 C.P.C)
Le législateur remplace la terminologie actuelle par la notion de « l’action collective » qui est empruntée à sa version anglaise « class action ». Le Barreau suggérait plutôt de s’en tenir à la notion actuelle de « recours collectif », qui a l’avantage d’être connue du public et couramment utilisée notamment dans les moteurs de recherche Internet. Nous partageons cette préoccupation et sommes aussi d'avis que le maintien de la terminologie actuelle aurait été souhaitable afin d’assurer une cohérence avec une notion fermement ancrée chez les justiciables et praticiens, dont l’usage remonte à 1978.

QUALITÉ DE MEMBRE DU GROUPE : LA RÈGLE DES 50 EMPLOYÉS ET MOINS EST ABOLIE
Parmi les nouveautés significatives, le nouvel article 571 C.p.c. supprime l’exigence actuelle de l’actuel article 999 C.p.c. suivant laquelle une personne morale de droit privé, une société ou une association ne peut pas être membre d’un groupe si au cours des douze mois précédant le dépôt d’une requête pour autorisation, elle comptait sous sa direction et sous son contrôle plus de 50 employés.

« 571. L’action collective est le moyen de procédure qui permet à une personne d’agir en demande, sans mandat, pour le compte de tous les membres d’un groupe dont elle fait partie et de le représenter.

Outre une personne physique, une personne morale de droit privé, une société ou une association ou un autre groupement sans personnalité juridique peut être membre du groupe.

Une personne morale de droit privé, une société ou une association ou un autre groupement sans personnalité juridique peut, même sans être membre d’un groupe, demander à représenter celui-ci si l’administrateur, l’associé ou le membre désigné par cette entité est membre du groupe pour le compte duquel celle-ci entend exercer une action collective et si l’intérêt de la personne ainsi désignée est lié aux objets pour lesquels l’entité a été constituée. »

Le Québec est actuellement la seule juridiction canadienne qui fait cette distinction en ne permettant pas aux entreprises de 50 employés et plus d’être membres d’un groupe. Cette exigence les prive ainsi de la possibilité d’exercer leurs droits dans le cadre d’une action collective intentée au Québec. On le déplore plus particulièrement en regard des recours reposant par exemple sur l’article 36 de la Loi sur la concurrence relativement à des pratiques anticoncurrentielles ou de recours en matière de valeurs mobilières. Ainsi, étant donné qu’elles ne pouvaient pas se prévaloir du mécanisme procédural de l’action collective, certaines entreprises de plus de 50 employés, par exemple une PME ou une coopérative, étaient confrontées au choix de devoir intenter un recours individuel ou d’exercer leurs droits ailleurs qu’au Québec en se greffant à un recours collectif évoluant dans une autre juridiction canadienne afin d’obtenir réparation de leur préjudice.

Le nouveau Code permettra à une personne morale de droit privé, une société ou une association qui est membre d’un groupe qu’elle cherche à représenter de n’avoir aucune autre condition à remplir que sa seule appartenance au groupe. Par contre, elle pourra même sans être membre du groupe agir comme représentant, mais à condition que l’un de ses administrateurs, l’associé ou le membre qu’elle désigne soit membre du groupe pour le compte duquel elle entend exercer une action collective et si l’intérêt de la personne ainsi désignée est lié aux objets pour lesquels elle a été constituée. C’est par le truchement de ce mécanisme qu’un organisme voué à la défense des consommateurs, tel Option Consommateur, peut exercer un recours collectif fondé sur la Loi sur la protection du consommateur pour le compte d’un groupe de consommateurs même s’il n’est pas membre du groupe, mais à condition que l’organisme s’adjoigne une personne désignée qui énonce sa cause d’action personnelle contre l’intimée, tel que l’exige l’actuel article 1048 C.p.c.

L’ACTION COLLECTIVE MULTITERRITORIALE (ARTICLE 577 C.P.C.)
Autre nouveauté, le législateur a jugé utile de légiférer en matière d’actions collectives multiterritoriales; ces actions collectives multiples constituent un amalgame parfois complexe de recours qui se chevauchent, ceux-ci étant parfois concurrents ou en d’autres occasions déposés par le même cabinet d’avocats dans plus d’une juridiction canadienne. Elles affichent souvent la triple identité de parties, d’objet et de causes susceptibles de créer une situation de litispendance internationale pouvant entraîner un dédoublement des ressources judiciaires, sans parler du risque de jugements contradictoires.

« 577. Le tribunal ne peut refuser d’autoriser l’exercice d’une action collective en se fondant sur le seul fait que les membres du groupe décrit font partie d’une action collective multiterritoriale déjà introduite à l’extérieur du Québec.

Il est tenu, s’il lui est demandé de décliner compétence ou de suspendre une demande d’autorisation d’une action collective ou une telle action, de prendre en considération dans sa décision la protection des droits et des intérêts des résidents du Québec.

Il peut aussi, si une action collective multiterritoriale est intentée à l’extérieur du Québec, refuser, pour assurer la protection des droits et des intérêts des membres du Québec, le désistement d’une demande d’autorisation ou encore autoriser l’exercice par un autre demandeur ou représentant d’une action collective ayant le même objet et visant le même groupe s’il est convaincu qu’elle assure mieux l’intérêt des membres. »

À priori, le tribunal du Québec ne pourra donc refuser l’exercice d’une action collective déposée au Québec en se fondant sur le seul fait que les membres du groupe font partie d’une action collective déjà introduite à l’extérieur du Québec, ce qui est d’ailleurs conforme à l’approche généralement adoptée par les tribunaux du Québec.

Par contre, le législateur inscrit un critère particulier dans l’appréciation que le tribunal doit faire de la situation avant de prendre une décision, faisant ainsi le lien avec les actuels articles 3135 et 3137 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») qui stipulent les règles de droit international privé en matière de compétence et de litispendance.

En tout état de cause, le tribunal devra prendre en considération la protection des droits et des intérêts des résidents du Québec s’il lui est demandé de décliner compétence ou de suspendre la demande d’autorisation d’une action collective intentée au Québec. Cette nouvelle exigence de l’article 577 C.p.c. est destinée à baliser davantage la discrétion du juge lorsqu’une demande de surseoir lui est présentée.

De façon sous-jacente, il est manifeste que le législateur désire favoriser une justice de proximité en faisant en sorte que ce soit un juge du Québec qui dispose des droits des membres du groupe de résidents québécois, à plus forte raison lorsqu'ils impliquent l’application de dispositions ou de lois d’ordre public, par exemple en matière de droit des assurances, en droit du travail ainsi qu’en droit de la consommation. Il veut en fait éviter qu’un juge d’une autre juridiction puisse statuer sur les droits des résidents du Québec assujettis à de telles législations et regroupés dans un sous-groupe, ce qui pourrait être le cas si une action collective québécoise devait être suspendue au profit d’une instance évoluant ailleurs au Canada.

Notons qu’un juge de la Cour supérieure du Québec jouit déjà d’une très large discrétion à cet égard et peut même, en certaines circonstances, refuser la demande de suspension du recours québécois qui lui est soumise s’il estime que les intérêts des membres du Québec, même en présence d’une situation de litispendance internationale, seront mieux servis si la demande de suspension n’est pas accordée comme ce fut le cas récemment dans l’affaire Choquette c. Atlantic Power Corporation2.

De la même façon, tel que prévu à l’article 577 C.p.c. troisième alinéa, le tribunal ne pourra accorder le désistement d’une demande d’autorisation déposée au Québec au profit d’un recours ayant le même objet intenté ailleurs et visant le même groupe, que s’il est convaincu qu’un tel désistement sert mieux l’intérêt des résidents québécois faisant partie du groupe. Mentionnons que cette discrétion de permettre ou non un désistement existe déjà, puisque l’actuel article 1016 C.p.c. prévoit que le requérant ne peut pas se désister d’une action collective sans l’autorisation du tribunal.

D’ailleurs, le Barreau du Québec a exprimé certaines réserves quant à la nécessité d’adopter l’article 577 C.p.c. et sur l’utilité de légiférer sur des actions collectives à portée multiterritoriale. Il a fait valoir qu’à l’heure actuelle le tribunal dispose de tous les pouvoirs qui lui permettent de suspendre l’examen d’une demande d’autorisation en vertu notamment des règles de droit international privé prévues aux articles 3076 et suivants C.c.Q. Mais le législateur souhaite manifestement baliser plus clairement la discrétion du juge. Celui-ci ne pourra pas dorénavant accorder une demande de suspension de l’action collective intentée au Québec ou son désistement, à moins de démontrer qu’une telle demande n’est pas contraire aux intérêts de la justice et que les intérêts des membres du recours québécois seront mieux servis si on devait permettre à l’action collective d’évoluer dans une autre juridiction que le Québec.

DROIT D’APPEL AU STADE DE L’AUTORISATION (ARTICLE 578 C.P.C.)
L’actuel article 1010 C.p.c. ne permet pas à la partie intimée d’en appeler d’un jugement autorisant une action collective alors que le jugement rejetant la demande d’autorisation est sujet à appel de plein droit par le requérant; ceci représentait un irritant majeur pour les parties intimées depuis que ce droit d’appel, qui existait à l’origine, fut supprimé en 1982.

Le Barreau exprimait depuis plusieurs années le souhait que la partie intimée obtienne un droit d’appel, sur permission, du jugement autorisant l’exercice du recours collectif qui serait soumis aux règles régissant l’appel des jugements interlocutoires.

Bien que le droit d’appel demeure asymétrique, cette nouvelle règle favorisera un accès équitable à la Cour d’appel à toute partie ayant une question d’importance et d’intérêt à faire trancher.

« 578. Le jugement qui autorise l’exercice de l’action collective n’est sujet à appel que sur permission d’un juge de la Cour d’appel. Celui qui refuse l’autorisation est sujet à appel de plein droit par le demandeur ou, avec la permission d’un juge de la Cour d’appel, par un membre du groupe pour le compte duquel la demande d’autorisation a été présentée.

L’appel est instruit et jugé en priorité. »

Cet appel sur permission permettra un filtrage renforcé d’une action collective dans l’optique où la partie intimée pourra plaider que le recours est voué à l’échec et bénéficier ainsi de l’éclairage de la Cour d’appel. La position de la Cour d’appel sera donc connue plus tôt, sans avoir à se diriger vers le procès au mérite comme c’est le cas actuellement, ce qui pourra se traduire par une économie en ressources judiciaires. Cela permettra également un meilleur arrimage avec la législation sur l’action collective en vigueur dans les autres provinces canadiennes, notamment en Ontario où la législation prévoit la même règle, soit un appel sur permission3, et en Colombie-Britannique où l’appel est permis de plein droit pour les deux parties4.

Nous croyons que le rétablissement du droit d’appel pour la partie intimée n’est pas susceptible de nuire à l’objectif de rapidité prescrit par le législateur, d’autant plus que l’article 578 C.p.c. prévoit que l’appel, s’il est autorisé, doit être instruit et jugé en priorité. L’argument selon lequel accorder un droit d’appel sur permission à la partie intimée risquerait de retarder l’instance de l’action collective, peut être écarté par le fait que l’action collective au Québec est soumise obligatoirement à une gestion particulière de l’instance par un juge de la Cour supérieure, ce qui élimine à peu près tout risque de dérapage.

INDEMNITÉ AU REPRÉSENTANT (ARTICLE 593 C.P.C.)
En disposant d’une action collective au mérite ou d’une demande d’approbation d’une transaction, le tribunal accordera au représentant, s’il a gain de cause, une indemnité pour le paiement de ses débours, des frais de justice et des honoraires de son avocat payables à même le montant du recouvrement collectif et avant le paiement des réclamations individuelles. Si l’action collective est rejetée, ce sont les règles de la succombance qui s’appliquent de sorte que le représentant devra assumer les dépens et les honoraires de son avocat bien que, dans les faits, le représentant soit généralement tenu indemne de toute réclamation à cet égard par le cabinet d’avocats qui agit au nom des membres du groupe. Lorsque le recours est financé par le Fonds d’aide aux recours collectifs (FARC), c’est celui-ci qui assume le paiement des frais de justice suivant les règles usuelles de l’attribution des dépens.

« 593. Le tribunal peut accorder une indemnité au représentant pour le paiement de ses débours de même qu’un montant pour le paiement des frais de justice et des honoraires de son avocat, le tout payable à même le montant du recouvrement collectif ou avant le paiement des réclamations individuelles.

Il s’assure, en tenant compte de l’intérêt des membres du groupe, que les honoraires de l’avocat du représentant sont raisonnables; autrement, il peut les fixer au montant qu’il indique.

Il entend, avant de se prononcer sur les frais de justice et les honoraires, le Fonds d’aide aux actions collectives si celui-ci a attribué une aide au représentant. Le tribunal ne prend pas en compte le fait que le Fonds ait garanti le paiement de tout ou partie des frais de justice ou des honoraires. »

L’article 593 C.p.c. est inspiré de la jurisprudence et des pratiques actuelles en ce que le législateur prévoit maintenant expressément que le représentant, s’il a gain de cause, a droit au remboursement des honoraires de l’avocat qui le représente, le tribunal devant par ailleurs s’assurer qu’ils sont raisonnables et les fixer au montant qu’il indique. Cette nouvelle disposition permettra également au représentant de recevoir une indemnité pour ses débours à titre de compensation pour les ressources consacrées dans la conduite de l’action collective pour le bénéfice de l’ensemble des membres. Elle reconnaît ainsi un usage assez fréquent, surtout lorsqu’il y a règlement hors cour, de verser une indemnité au représentant parfois assez substantielle, qui doit cependant être approuvée par le tribunal. Le législateur a donc jugé utile de reconnaître cette pratique en adoptant l’article 593 C.p.c. Il faut toutefois s’interroger sur les motifs qui animent le législateur de conférer ainsi au FARC le droit de faire des représentations sur les frais de justice et les honoraires pour des recours qu’il n’a pas financé. Le FARC est intervenu régulièrement au cours des dernières années dans le cadre de l’approbation d’une transaction pour s’opposer à quelque forme d’indemnité monétaire au représentant.

CONCLUSION
Dans l’ensemble, cette réforme précise davantage les règles du jeu en matière d’actions collectives, soit en consacrant les pratiques actuelles et même en innovant de façon significative. C’est le cas de l’appel sur permission d’un jugement accueillant une demande d’autorisation d’exercer un recours collectif, qui du coup élimine un irritant majeur considéré par certains comme un accroc au principe de l’équité procédurale.

Le législateur ne modifie pas les conditions matérielles de l’exercice d’une action collective que l’on retrouve dans l’actuel article 1002 C.p.c. qui sera remplacé par l’article 574 C.p.c. Il en va de même des critères d’autorisation qui seront dorénavant énoncés à l’article 575 sous-paragraphes 1 à 4 du nouveau Code de procédure civile.

Le Barreau du Québec aurait souhaité que le législateur encadre davantage la possibilité de présenter une preuve appropriée au stade de l’autorisation en vertu de l’actuel article 1002 C.p.c. ou de reconnaître les ententes conclues à cet égard entre les parties, mais cette disposition n’a pas été modifiée par l’article 574 C.p.c. On a sans doute choisi de ne pas intervenir considérant que la jurisprudence est maintenant suffisamment établie quant aux critères justifiant la présentation d’une preuve appropriée au stade de l’autorisation.

Il s’agit d’une réforme qui ne modifie pas en profondeur les règles du jeu en matière d’actions collectives, mais qui intègre certaines pratiques et approches tout en rendant le régime de l’action collective québécois un peu plus attrayant dans un environnement où l’on assiste à un foisonnement des recours multiterritoriaux impliquant des résidents du Québec. Il faut d'ailleurs s'en réjouir.

Il est prévu que le nouveau Code de procédure civile entrera en vigueur à l’automne 2015.
_________________________________________
1 Mémoire du Barreau du Québec sur l’avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile.
2 2013 Q.C.C.S. 6617.
3 Article 30(2) de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, c. 6.
4 Article 36(1)(a) R.S.B.C.1996 c. 50.

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