La Cour supérieure du Québec se prononce sur l’intérêt assurable dans le cas d’un prête-nom relativement à l’acquisition d’un immeuble

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Le 8 septembre 2017, dans la décision El-Ferekh c. Intact, compagnie d’assurance 1, la Cour supérieure du Québec s’est prononcée sur l’intérêt assurable de la personne ayant agi comme prête-nom dans le cadre des actes relatifs à l’acquisition de l’immeuble faisant l’objet de la police d’assurance. L’assureur avait nié couverture pour plusieurs motifs, soit l’absence d’intérêt assurable, les déclarations trompeuses lors de la souscription et l’aggravation du risque.

Les faits

Le demandeur, Robbie El-Ferekh (« Robbie »), poursuit Intact compagnie d’assurance (« Intact »), pour une somme de 296 941,38 $ relativement à des dommages causés à un immeuble qu’elle assure. Lors de l’achat de l’immeuble, pour des raisons fiscales ainsi que de financement, M. Steven El-Ferekh (« Steven ») avait demandé à Robbie d’agir comme prête-nom dans le cadre de la vente. L’acte de prêt hypothécaire ainsi que l’acte de vente étaient tous deux au nom de Robbie, même si dans les faits, c’est plutôt Steven qui assumait le remboursement de l’hypothèque ainsi que toutes les dépenses reliées à l’immeuble. Lors de la souscription de la police d’assurance de l’immeuble, Steven s’est fait passer pour son frère en répondant aux questions de la courtière d’assurance. Étant donné que Steven a déclaré qu’il habiterait l’immeuble, une police d’assurance de type propriétaire occupant a été émise par Intact.

Malgré ce qui précède, Steven aurait loué l’immeuble à un tiers et ce, avant même que la vente et la souscription de la police d’assurance n’interviennent. Ce locataire a occupé l’immeuble pendant plus de trois ans. Quelques mois suivant le départ du locataire, un incendie dont la cause demeure indéterminée a totalement détruit l’immeuble. Robbie a présenté une réclamation à Intact, laquelle a invoqué la nullité ab initio de la police d’assurance compte tenu de l’absence d’intérêt assurable et les déclarations trompeuses des frères El-Ferekh.

Le jugement

La Cour confirme tout d’abord que pour avoir un intérêt assurable, l’assuré doit démontrer qu’il subit un préjudice à la suite de la perte de l’immeuble. En conséquence, un prête-nom n’a aucun intérêt assurable étant donné qu’il ne peut subir aucun préjudice direct et immédiat de la perte de ce bien.

Robbie invoquait dans un premier temps qu’il existait une société tacite entre lui et son frère et donc que leurs patrimoines se confondent. Cet argument n’a pas été retenu par la Cour puisqu’un arrangement privé ne saurait être opposable au tiers.

Dans un second temps, Robbie prétendait avoir l’intérêt d’assurance à titre de débiteur hypothécaire. Or, la preuve a démontré que Steven a toujours assumé les dépenses de l’immeuble et donc que le demandeur ne s’exposait à aucune perte financière à la suite du sinistre. La Cour conclut à la nullité ab initio de la police.

Bien que cette conclusion ait été suffisante pour rejeter le recours, la Cour a tout de même statué sur les autres motifs de négation invoqués par la défenderesse.

En ce qui concerne les déclarations trompeuses lors de la souscription, la Cour a conclu qu’Intact était justifiée d’invoquer la nullité étant donné la mauvaise foi de l’assuré et les fausses déclarations relatives à l’occupation de l’immeuble. D’une part, il a été mis en preuve que Robbie n’a jamais habité l’immeuble, alors que la police souscrite était de type occupant. D’autre part, bien que la division sous-standard de l’assureur, Intact Créneaux, aurait pu accepter de couvrir l’immeuble à titre d’immeuble loué, il s’agit d’une entité distincte d’Intact. La Cour en est donc venue à la conclusion que l’assuré était de mauvaise foi lors de la souscription d’assurance, ce qui justifiait également la nullité ab initio de la police.

Quant à l’aggravation du risque, la preuve a démontré plusieurs circonstances aggravantes pendant la période de couverture, à savoir : des activités criminelles se déroulant sur les lieux, soit la culture de cannabis, des interventions policières, une altération du système électrique, un défaut d’alimenter la propriété en électricité et une situation de vacance de l’immeuble. La Cour a déterminé qu’Intact était aussi bien fondée de nier couverture pour ce motif.

Conclusion

En somme, la Cour supérieure conclut :

  • que le simple fait de se trouver débiteur d’une dette hypothécaire ne fait pas preuve d’un intérêt assurable dans le bien faisant l’objet de la dette;
  • qqu’un prête-nom n’a aucun intérêt assurable étant donné qu’il ne peut subir aucun préjudice direct et immédiat de la perte de ce bien.

Autrement dit, en l’absence d’une exposition quelconque à une perte financière, un prête-nom ne pourra démontrer un intérêt assurable dans un immeuble.

 

  1. 2017 QCCS 4077 (Juge Guylène Beaugé).
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