Intelligence artificielle, implantation et ressources humaines

À l’ère d’une nouvelle révolution industrielle, surnommée industrie 4.0, les entreprises font face à des enjeux technologiques de taille. Certains parleront plutôt d’usine intelligente ou encore d’industrie du futur. Cette révolution est caractérisée par l’avènement de nouvelles technologies permettant, entre autres, une automatisation « intelligente » de l’activité humaine.

Cette révolution technologique a notamment pour visée d’augmenter la productivité, l’efficience et la flexibilité des organisations. Il s’agit dans certains cas, d’un véritable bouleversement de la chaîne de valeurs de l’entreprise.

L’intelligence artificielle est partie intégrante de cette nouvelle ère. Cette notion qui existe déjà depuis le milieu des années 1950 se définit comme étant la simulation de l’intelligence humaine par des machines1. L’intelligence artificielle vise à se substituer à presque toutes les tâches actuellement effectuées par des êtres humains, à les compléter ou à les amplifier2. Elle constitue en quelque sorte le concurrent tout désigné de l’être humain sur le marché de l’emploi.

L’avènement dans les dernières années de l’apprentissage profond et d’autres techniques avancées d’apprentissage des machines et ordinateurs a permis de faire apparaître de nombreuses applications en milieu industriel qui ont le potentiel de révolutionner la manière d’organiser le travail dans les entreprises.

On estime que l’intelligence artificielle pourrait contribuer à faire augmenter le PIB mondial de 14 % d’ici 2030 pour générer annuellement un potentiel de 15 700 milliards de dollars de gains pour l’économie mondiale3. Les gains en productivité au travail créés par l’intelligence artificielle pourraient représenter à eux seuls plus de la moitié de cette somme. Il va sans dire que le marché du travail devra assurément s’y adapter.

D’ailleurs, une étude publiée il y a quelques années prédisait que d’ici 20 ans, près de 50 % des emplois aux États-Unis seraient, en partie ou en totalité, susceptibles d’être automatisés4. En 2016, une étude de l’OCDE concluait plutôt qu’en moyenne, dans les 21 pays de l’OCDE, plus ou moins 9 % des emplois seraient en totalité à haut risque d’automatisation5. Sans compter que certains auteurs vont même jusqu’à prétendre qu’environ 85 % des emplois qui seront exercés en 2030 n’existent pas encore aujourd’hui6!

À tout le moins, ces données permettent de constater que les êtres humains demeureront indispensables, mais que le marché du travail sera grandement transformé par l’intelligence artificielle. Que ce soit en raison de la transformation de tâches, de la disparition d’emplois ou encore de la création de nouveaux métiers, des bouleversements sont à prévoir dans les milieux de travail et les entreprises devront y faire face.

L’arrivée de l’intelligence artificielle semble donc être inévitable. Dans certains cas, cette technologie permettra de créer un avantage concurrentiel important. Les entreprises innovantes s’y démarqueront. Cependant, en plus des investissements majeurs qui seront nécessaires, l’implantation de ce nouvel outil technologique exigera du temps, des efforts et plusieurs changements dans les méthodes de travail.

Implantation

À titre d’entrepreneur, vous devrez nécessairement vous adapter à cette nouvelle réalité. Non seulement vos employés seront affectés par ce changement organisationnel, mais ils devront en être également les principaux acteurs afin d’assurer la réussite de l’opération.

Au cours de l’exercice d’implantation, vous découvrirez peut-être que de nouvelles compétences sont désormais requises afin de s’ajuster à votre technologie. De plus, il y a de fortes probabilités que vous constatiez que certains de vos employés et gestionnaires adoptent une attitude réfractaire face à ce changement. Il s’agit là d’une réaction qui caractérise bien l’être humain, lequel a tendance à réagir négativement à tout type de changement. Cette réaction s’explique, entre autres, par le fait que toute modification dans un environnement de travail est susceptible d’entraîner un sentiment d’insécurité, exigeant que les employés adoptent de nouveaux comportements ou de nouvelles méthodes de travail7. Cela met en péril le réconfortant statu quo. Sachez que bien souvent, les craintes de vos employés seront alimentées par des perceptions erronées.

Une réflexion s’impose donc, car il pourrait être sage de planifier les impacts potentiels avant même que votre nouvelle technologie atterrisse dans votre entreprise.

À cet égard, on évalue le taux d’échec en matière de changement organisationnel à plus de 70 %. En ce qui a trait à l’implantation d’une nouvelle technologique, on estime que ce haut taux d’échec s’explique par le fait que l’aspect humain est souvent sous-estimé aux profits de l’aspect technique ou opérationnel que requiert l’implantation de la technologie8. Un échec peut amener des coûts plus élevés pour l’introduction de votre nouvel outil, des pertes de productivité ou tout simplement l’abandon complet de l’initiative. C’est pourquoi il vous faudra mettre une attention particulière sur la planification avant l’implantation de votre intelligence artificielle afin de bien déceler les enjeux liés à son intégration dans votre entreprise.

Il sera important de confier l’implantation de cette technologie intelligente à des employés compétents qui partagent les valeurs de l’entreprise, afin d’éviter que le système implanté ne perpétue des comportements non désirables.

Pour vous aider dans cette planification, voici quelques questionnements qui vous permettront d’entreprendre votre réflexion en la matière :

Implantation

  • Quel est l’objectif de la nouvelle technologie, ses avantages et inconvénients ?
  • Quel gestionnaire sera responsable du projet ?
  • Quelles compétences seront nécessaires pour implanter cette technologie dans l’organisation ?
  • Quels employés seront responsables d’implanter la technologie ?
  • Quelles informations et formations devront leur être données ?

Organisation du travail

  • Quelles tâches seront remplacées ou transformées par la nouvelle technologie et comment seront-elles transformées ?
  • Quelles nouvelles tâches seront créées à la suite de l’arrivée de cette nouvelle technologie ?
  • Y aura-t-il des abolitions de poste, des mouvements de main-d’oeuvre et des pertes d’emploi ?
  • Quelles dispositions de la convention collective devront être respectées notamment en matière de mouvements de main-d’oeuvre, de mises à pied et de changement technologique ?
  • Quels sont les préavis et les indemnisations à prévoir en cas de pertes d’emploi ?
  • Quels postes devront être créés à la suite de l’arrivée de cette technologie ?
  • Quelles sont les nouvelles compétences requises pour ces postes?
  • Comment seront pourvus ces nouveaux postes et quand le seront-ils ?
  • Comment les utilisateurs de cette technologie devront-ils être entraînés et formés ?

Communication

  • Qui sera responsable de la communication ?
  • Devrez-vous mettre en place des outils de communication et un plan de communication ?
  • Sous quelles formes se fera cette communication et à quelle fréquence ?
  • Quand et comment les employés et gestionnaires seront-ils informés de l’arrivée de la nouvelle technologie, de l’objectif de cette implantation, ses avantages et les impacts pour l’organisation ?
  • Quand et comment seront annoncés les pertes d’emploi, les mouvements de main-d’oeuvre et les nouveaux postes ?
  • Quels seront les outils utilisés pour rassurer vos employés et éliminer les perceptions erronées ?

Mobilisation

  • Quels gestes et actions peuvent être pris pour assurer la mobilisation des employés et gestionnaires dans ce projet?
  • Quelles seront les réactions probables au changement et comment pouvons-nous les atténuer ou les éliminer?
  • Comment outiller les gestionnaires dans la gestion de ce changement?

Évidemment, cette liste n’est pas exhaustive, mais elle peut vous servir de point de départ pour alimenter votre réflexion relativement aux impacts potentiels de votre nouvelle technologie intelligente sur vos employés. Rappelez-vous qu’une bonne gestion de la communication avec vos employés et la mobilisation de ceux-ci seront assurément des facteurs de réussite de ce changement technologique.

Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle (L3IA)

Lavery a mis sur pied le Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle (L3IA) qui analyse et suit les développements récents et anticipés dans le domaine de l’intelligence artificielle d’un point de vue juridique. Notre Laboratoire s’intéresse à tous les projets relatifs à l’intelligence artificielle (IA) et à leurs particularités juridiques, notamment quant aux diverses branches et applications de l’intelligence artificielle qui feront rapidement leur apparition dans toutes les entreprises et les industries.

 

  1. Encyclopédie Larousse en ligne.
  2. Spyros Makridakis, The Forthcoming Artificial Intelligence (AI) Revolution : Its Impact on Society and Firms, School of Economic Sciences and Business, Neapolis University Paphos, 2017.
  3. Sizing the prize, PWC, 2017.
  4. Carl Benedikt Frey and Michael A. Osborne,The future of employment: How susceptible are jobs to computarisation, Oxford University, 2013.
  5. Melanie Arntz, Terry Gregory, Ulrich Zierahn, The Risk of Automation for Jobs in OECD Countries, OECD Social, Employment and Migration Working Papers, 2016.
  6. Emerging Technologies’ Impact on Society & Work in 2030, Institute for the future and Dell Technologies, 2017.
  7. Simon L. Dolan, Éric Gosselin et Jules Carrière, Psychologie du travail et comportement organisationnel, 4e éd., Gaétan Morin Éditeur, 2012.
  8. Yves-Chantal Gagnon, Les trois leviers stratégiques de la réussite du changement technologique, Télescope - Revue d’analyse comparée en administration publique, École nationale d’administration publique du Québec, automne 2008.
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