Bulletin d’information juridique à l’intention des entrepreneurs et des décideurs, Numéro 17

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LOI 1 : NOUVELLES EXIGENCES EN MATIÈRE D’APPELS D’OFFRES PUBLICS
Tout le monde en parle, ou presque. La Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics, appelée aussi la Loi 1, fut sanctionnée le 7 décembre 2012, après un processus d’étude accéléré d’à peine trois mois. Tout le monde en parle, parce que la Loi impose de nouvelles exigences aux soumissionnaires dans le but de combattre la fraude et la corruption qui, selon des enquêtes de la part des autorités publiques, minent l’industrie de la construction.

MODIFICATIONS À LA LOI SUR LES CONTRATS DES ORGANISMES PUBLICS
La Loi sur les contrats des organismes publics (la « LCOP ») détermine les conditions des contrats conclus entre un organisme public et des contractants privés lorsque ces contrats mettent en cause une dépense de fonds publics. Elle s’applique notamment aux ministères et organismes du gouvernement, aux établissements des domaines de l’éducation et de la santé et à des sociétés de transport en commun. La LCOP s’applique aux contrats d’approvisionnement, de services et de travaux de construction conclus avec ces organismes publics, de même qu’aux contrats de partenariat public - privé conclus dans le cadre d’un projet d’infrastructure réalisé en mode partenariat public – privé au sens de la Loi sur Infrastructure Québec.

La LCOP impose aux organismes publics la règle générale d’octroi des contrats par voie d’appel d’offres, qui est censée permettre aux donneurs d’ouvrage d’obtenir le plus bas prix possible pour un contrat grâce au jeu de la concurrence entre les soumissionnaires, tout en offrant une chance égale de contracter avec l’État à tous les soumissionnaires. Ceci étant dit, les conclusions du rapport Duchesneau, rédigé dans la foulée d’une enquête policière de l’escouade Marteau sur la fraude et la corruption dans l’industrie de la construction, et les révélations que l’on entend à la Commission Charbonneau, démontrent que le système d’appel d’offres pour l’octroi de contrats publics ne permet manifestement pas d’atteindre les objectifs recherchés.

La Loi 1 modifie donc la LCOP afin de renforcer l’intégrité en matière de contrats publics et de contrôler l’accès à ces contrats. Elle élargit par ailleurs le nombre d’organismes visés par cette loi, en y assujettissant des entreprises comme Hydro-Québec, Loto-Québec et la SAQ.

Les modifications mettent en place un système permettant de vérifier si les entreprises qui désirent contracter avec un organisme public ou avec une municipalité satisfont aux conditions d’intégrité requises. Ainsi, une entreprise qui souhaite conclure avec un organisme public un contrat ou un sous-contrat relatif à ce contrat, pour un montant égal ou supérieur à un seuil déterminé par le gouvernement, doit obtenir une autorisation de l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF »). Cette règle s’applique également à des sous-sous-contrats, dont le montant est égal ou supérieur à ce seuil.

Sous réserve des dispositions transitoires, l’entreprise doit être autorisée à la date du dépôt de sa soumission, sauf si l’appel d’offres prévoit une date différente, mais antérieure à la date de la conclusion du contrat. Une autorisation doit être maintenue pendant toute l’exécution du contrat ou du sous-contrat. Une autorisation est valide pour une durée de trois ans et doit faire l’objet d’un renouvellement. L’AMF tient un registre public des entreprises qu’elle autorise à contracter ou sous-contracter. Ces règles s’appliquent également aux contrats octroyés par les villes et municipalités.

CONDITION POUR OBTENIR UNE AUTORISATION
Une demande d’autorisation doit être présentée à l’AMF en utilisant un formulaire prescrit comprenant plusieurs annexes, que l’on peut se procurer sur le site internet de l’AMF. Un guide à l’intention des entreprises désireuses d’obtenir une autorisation est également disponible au même endroit. L’entrepreneur doit aussi présenter avec cette demande d’autorisation une attestation de Revenu Québec, qui ne doit pas avoir été délivrée plus de 30 jours avant la date du dépôt de la demande d’autorisation, démontrant que l’entreprise n’est pas en défaut d’avoir produit les déclarations et les rapports qu’elle doit produire en vertu des lois fiscales, et qu’elle n’a pas de comptes payables en souffrance à l’endroit du ministre du Revenu. Enfin, l’entreprise ne doit pas s’être vue refuser ou révoquer une autorisation dans les 12 derniers mois.

Sur réception d’une demande d’autorisation de la part d’une entreprise, l’AMF transmet à l’unité permanente anticollusion
UPAC ») les renseignements obtenus afin que cette dernière effectue les vérifications qu’elle juge nécessaire, en collaboration avec la Sûreté du Québec, Revenu Québec, la Régie du bâtiment du Québec et la Commission de la construction du Québec. L’UPAC transmet à l’AMF un rapport d’analyse de conformité de l’entreprise aux exigences d’intégrité. C’est l’AMF qui rendra une décision sur la demande d’autorisation.

DÉCISION DE L’AMF
La Loi prévoit des motifs de refus obligatoire, et d’autres motifs qui sont discrétionnaires. Le fait, pour une entreprise ou une personne liée à celle-ci, d’être reconnue coupable de l’une ou l’autre des infractions à des lois provinciales ou fédérales décrites à l’annexe 1 de la Loi entraîne le refus automatique de la demande d’autorisation de l’entreprise. Il s’agit principalement d’infractions au Code criminel et à des lois de nature fiscale.

Ainsi, si l’entreprise qui fait la demande d’autorisation, l’un de ses actionnaires qui détient au moins 50 % des droits de vote rattachés aux actions de l’entreprise, l’un de ses administrateurs ou de ses dirigeants a été déclaré coupable au cours des 5 dernières années précédentes d’une infraction prévue à l’annexe 1 de la Loi, l’AMF refuse à l’entreprise de lui accorder ou de lui renouveler une autorisation. Elle peut même révoquer une autorisation si l’entreprise ou une personne liée est subséquemment déclarée coupable d’une telle infraction.

De plus, si une entreprise est déclarée coupable par un tribunal étranger, au cours des cinq années précédentes, d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait pu faire l’objet d’une poursuite criminelle ou pénale en vertu d’une infraction visée à l’annexe 1, l’AMF refusera automatiquement l’émission ou le renouvellement d’une autorisation. Enfin, une entreprise déclarée coupable de certaines infractions décrites dans les lois électorales, qui au cours des deux années précédentes a fait l’objet d’une décision de suspension de travaux exécutoires par la CCQ ou d’une condamnation à payer une réclamation fondée sur l’article 81 C.2 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction se verra également refuser sa demande d’autorisation.

Par ailleurs, l’AMF peut à son seul gré refuser d’accorder une autorisation à une entreprise ou de lui renouveler une autorisation, et même révoquer une autorisation si l’entreprise ne satisfait pas aux exigences élevées d’intégrité auxquelles le public est en droit de s’attendre d’une partie à un contrat ou un sous-contrat public. À cet égard, l’AMF, à la suite d’une enquête de l’UPAC, examinera l’intégrité de l’entreprise, celle de ses administrateurs, de ses associés, de ses dirigeants ou de ses actionnaires, et celle des autres personnes ou entités qui en ont, directement ou indirectement, le contrôle juridique ou de fait (ci-après une « Personne liée »). L’AMF peut considérer à cette fin les éléments suivants décrits à la LCOP :

1. le fait qu’une entreprise ou une Personne liée entretient des liens avec une organisation criminelle;

2. le fait qu’une entreprise ou une Personne liée a été poursuivie au cours des cinq années précédentes à l’égard d’une infraction visée à l’annexe 1;

3. le fait qu’une entreprise ou une Personne liée ait été une Personne liée à une autre entreprise qui elle a été coupable, dans les cinq années précédentes, d’une infraction visée à l’annexe 1, au moment de la commission de cette infraction;

4. le fait qu’une entreprise ou une Personne liée soit directement ou indirectement sous le contrôle juridique ou de facto d’une autre entreprise qui a été déclarée coupable au cours des cinq années précédentes, d’une infraction visée à l’annexe 1;

5. le fait qu’une entreprise ou une Personne liée ait été déclarée coupable ou poursuivie au cours des cinq années précédentes à l’égard de toute autre infraction de nature criminelle ou pénale;

6. le fait qu’une entreprise ou une Personne liée ait, de façon répétitive, éludé ou tenté d’éluder l’observation de la Loi dans le cours de ses affaires;

7. le fait qu’une personne raisonnable viendrait à la conclusion que l’entreprise est la continuité d’une autre entreprise qui n’obtiendrait pas une autorisation;

8. le fait qu’une personne raisonnable viendrait à la conclusion que l’entreprise est le prête-nom d’une autre entreprise qui n’obtiendrait pas une autorisation;

9. le fait qu’il n’y ait pas de lien entre les sources légales de financement de l’entreprise et ses activités;

10. le fait que la structure de l’entreprise lui permettrait d’échapper à l’application de la LCOP.

CONSÉQUENCES D’UNE ABSENCE D’AUTORISATION
Un contractant ou un sous-contractant qui voit son autorisation expirée, révoquée ou refusée au moment de son renouvellement sera réputée en défaut d’exécuter le contrat ou ce sous-contrat public auquel il est partie aux termes d’un délai de soixante jours suivant la date d’expiration ou la date de notification de la décision de l’AMF. Dans un tel cas, l’entreprise doit cesser ses travaux aux termes de tout contrat public, sauf pour les contrats où il ne reste que l’obligation d’honorer les garanties contractuelles.

Cette entreprise pourrait toutefois poursuivre l’exécution d’un contrat public si l’organisme public, pour un motif d’intérêt public, demande au Conseil du trésor qu’il soit permis à l’entreprise de poursuivre l’exécution du contrat public ou du sous-contrat public en question. Le Conseil du trésor peut assortir cette permission de conditions, notamment celle que le contractant ou le sous-contractant soit soumis, à ses frais, à des mesures de surveillance et d’accompagnement. Dans le cas de contrats garantis par des cautionnements, la réglementation favorise l’exercice des mesures de surveillance et d’accompagnement par la caution de l’entreprise.

DISPOSITIONS TRANSITOIRES
L’objectif annoncé du gouvernement est de soumettre le mécanisme d’autorisation à tout contrat de 25 000 $ et plus. Toutefois, comme en moyenne, plus de 24 000 entreprises différentes contractent annuellement avec des organismes publics des contrats d’une valeur globale variant entre 20 000 000 000 $ et 30 000 000 000 $ par année, il est évident que l’UPAC et l’AMF ne pourront, à courte échéance, analyser les dossiers de toutes les entreprises désirant contracter avec un organisme public.

La Loi prévoit donc, dès son entrée en vigueur, que les nouvelles dispositions vont s’appliquer à tout contrat et sous-contrat d’une valeur de 40 000 000 $ et plus, et dont le processus d’adjudication ou d’attribution est en cours à cette date, ou débute après cette date.

Par ailleurs, la Loi prévoit aussi que sans égard au montant du contrat, le gouvernement peut, avant le 31 mars 2016, déterminer que les règles imposant l’obtention d’une autorisation s’appliquent à des contrats publics ou sous-contrats publics même s’il comporte un montant de dépenses inférieur à 40 000 000 $, ou que ces règles s’appliquent à une catégorie de contrats autre que celles déterminées en application des articles en question. Dans un tel cas, le gouvernement peut déterminer des modalités particulières applicables à la demande d’autorisation que doivent présenter les entreprises à l’AMF, à l’égard de ces contrats. Nous avons vu quelques exemples de l’application de cette disposition depuis le 19 décembre 2012, puisque le gouvernement, par cinq décrets différents, a identifié 125 contrats de la Ville de Montréal, dont la valeur estimée serait vraisemblablement inférieure à 40 000 000 $, qui nécessitent l’obtention d’une autorisation. Ces décrets furent émis à la demande de la Ville de Montréal qui a indiqué souhaiter assujettir ces contrats au nouveau régime d’autorisation. Des conditions particulières d’application ont été prévues à ces décrets, notamment : 

  • une demande préliminaire d’autorisation doit être présentée par chaque soumissionnaire à l’AMF au plus tard à la date limite de dépôt des soumissions;
  • seules les demandes des deux soumissionnaires s’étant le mieux classés aux termes de l’analyse des soumissions seraient considérées complétées par l’AMF;
  • dans le cas où le contrat ne peut être adjugé à l’un ou l’autre de ces soumissionnaires, les autres demandes préliminaires seraient considérées complétées pour les soumissionnaires subséquents, jusqu’à ce que le contrat puisse être adjugé.

La Loi prévoit finalement que le gouvernement peut, avant le 31 mars 2016, obliger les entreprises parties à un contrat public en cours d’exécution à demander une autorisation dans le délai qu’il indique. Cette disposition ne se limite pas aux contrats en cours d’exécution au moment de l’entrée en vigueur de la Loi, et peut donc toucher tout contrat en cours avant le 31 mars 2016, et ce, possiblement pour un contrat dont le processus d’adjudication aurait débuté après le 15 janvier 2013. Les conséquences de cette disposition sont sérieuses puisqu’une entreprise qui n’obtiendrait pas son autorisation à la suite d’une demande du gouvernement verrait son nom inscrit au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (le RENA), pour une période de cinq ans. Cette inscription entraîne une présomption de défaut de l’entreprise en vertu de tous ses contrats publics en cours, la forçant à cesser ces travaux, à moins que l’organisme public cocontractant obtienne du Conseil du trésor la permission pour l’entreprise de poursuivre ses travaux, avec ou sans conditions.

Un premier décret vient d’être émis relativement à cette disposition, le 8 mai 2013, par lequel le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et le Centre Universitaire de Santé de McGill (CUSM) ont demandé au gouvernement d’obliger une entreprise partie à un contrat avec ces dernières à demander l’autorisation de contracter à l’AMF. Ce décret consent à l’entreprise un délai de 21 jours suivant son entrée en vigueur pour déposer sa demande d’autorisation de contracter. Ce décret ajoute que si l’entreprise fait défaut de fournir dans ce délai les renseignements et les documents prescrits par l’AMF, elle sera réputée en défaut d’exécuter le contrat, dans les 60 jours suivant l’expiration du délai de 21 jours ou l’expiration du délai imparti par l’AMF pour fournir les renseignements exigés par celle-ci, selon le cas. Il faut comprendre de ce décret qu’à défaut par l’entreprise de fournir sa demande d’autorisation à l’AMF, elle sera réputée en défaut d’exécuter le contrat.

CONCLUSION
Les nouvelles conditions à l’obtention d’un contrat public imposées par la Loi sont exigeantes, mais elles ne sont pas étrangères à l’encadrement législatif de l’industrie de la construction. En effet, la Loi sur le bâtiment imposait déjà des conditions de haute intégrité similaires aux entreprises qui désirent obtenir une licence de la Régie du bâtiment. Il ne semble pas que la Régie du bâtiment ait à ce jour poussé l’application systématique de ces règles de contrôle. Il faut cependant voir avec la Loi 1, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale, une volonté des autorités gouvernementales d’exercer un contrôle serré de l’intégrité des entreprises désirant contracter avec l’État. Ces entreprises doivent donc s’assurer qu’elles-mêmes, leurs administrateurs, dirigeants et actionnaires aient un dossier irréprochable, à défaut de quoi, elles subiront un purgatoire pouvant durer 5 ans, sans pouvoir avoir accès aux contrats publics. Les entreprises comptant en leur sein un administrateur, dirigeant ou actionnaire accusé ou condamné à une infraction décrite à l’annexe 1 de la Loi doivent s’assurer de s’éloigner de telles personnes si elles veulent maintenir leur droit de contracter avec l’État.

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