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« Minimaliste! » : la Cour d’appel sabre dans l’obligation de loyauté après la cessation d’emploi
Prenons pour hypothèse que votre meilleur employé, l’étoile montante que vous avez formée depuis plusieurs années, démissionne. C’est une fort mauvaise nouvelle surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Et pour couronner le tout, son nouvel employeur est votre principal concurrent. Depuis combien de temps l’employé concocte-t-il son départ? L’a-t-il fait pendant ses heures de travail? Avec le matériel de votre entreprise? Qu’en est-il des connaissances et des contacts acquis au cours des dernières années : en fera-t-il bénéficier le concurrent? Dans l’affirmative, serait-ce pour lui illégal de le faire? À ce stade-ci, l’une des principales questions est celle de savoir si le contrat d’emploi de l’employé démissionnaire contient des clauses restrictives : par exemple, des clauses de non-concurrence, de non-sollicitation ou de confidentialité. Si tel est le cas, cela augure bien mais encore faut-il que ces clauses soient valides et exécutoires. En l’absence de telles clauses, l’employeur devra se rabattre sur l’obligation générale de loyauté prévue à l’article 2088 du Code civil du Québec, un filet de sécurité sur lequel les employeurs se fiaient jusqu’à ce qu’un récent jugement de la Cour d’appel du Québec en limite la portée. L’affaire Sahlaoui c. Médicus1 Un orthésiste-prothésiste, M. Sahlaoui, était au service de la société Médicus depuis une dizaine d’années au cours desquelles il avait établi une relation de confiance avec la clientèle grâce à la qualité de ses services. Il annonce à Médicus qu’il démissionne pour démarrer une entreprise concurrente, Evo. Reprochant à M. Sahlaoui d’avoir violé son obligation de loyauté, Médicus le poursuit, ainsi que sa nouvelle entreprise, réclamant des dommages-intérêts correspondant à un an de perte de profits ainsi que pour troubles et inconvénients. La Cour supérieure accorde effectivement à Médicus des dommages au montant de 135 238$ et des intérêts. La Cour d’appel rejette toutefois le recours de Médicus dans son intégralité et réaffirme le droit à la liberté de travailler, concluant que l’ex-employé, tant avant qu’après sa démission, n’avait pas manqué à son devoir de loyauté. La Cour considère ainsi que l’obligation de loyauté stipulée au Code civil du Québec doit être appréciée en deux étapes, soit en cours d’emploi et après la cessation de celui-ci. L’obligation en cours d’emploi En cours d’emploi, l’obligation de loyauté de l’employé est assez lourde, surtout pour les employés clés ou ceux qui jouissent d’une grande latitude professionnelle. Il est à noter que les liens étroits que M. Sahlaoui a tissés avec la clientèle en cours d’emploi n’ont pas suffi pour convaincre la Cour qu’il occupait un poste clé au sein de l’entreprise de son employeur qui, faut-il le rappeler, comptait environ 350 employés dans 15 succursales. La Cour estime que le fait de chercher un nouveau travail ne constitue pas en soi une violation de l’obligation de loyauté puisqu’il s’agit là d’un corollaire de la liberté de travailler. Il existe par conséquent des limites légitimes à la franchise et à la transparence requises aux termes du contrat de travail, de telle sorte qu’un employé peut garder secrètes tant son intention de changer d’emploi que les démarches qu’il entreprend à cette fin2. En revanche, les préparatifs de départ de l’employé en cours d’emploi ne doivent pas être effectués durant les heures de travail, avec les outils que l’employeur a mis à sa disposition. Piller ou pirater de l’information confidentielle, cacher ou détourner des occasions d’affaires de l’employeur, s’approprier la liste de clients ou recruter des clients à son bénéfice sont des exemples d’actes déloyaux énumérés par la Cour. Les juges citent avec approbation une décision rendue par leur cour en 2007, suivant laquelle conserver ou refuser de remettre les biens de l’ex-employeur constitue dans certains cas un vol pur et simple, sans égard à la notion de loyauté3. L’obligation après la cessation de l’emploi Après le départ de l’employé, la Cour d’appel est d’avis que l’obligation de loyauté est considérablement atténuée. L’obligation de loyauté énoncée par le Code civil du Québec ne saurait imposer à l’employé des restrictions équivalentes à celles résultant d’une clause de non-concurrence4 bien rédigée, notamment en termes de durée puisque l’obligation de loyauté générale n’a d’effet que durant un délai raisonnable qui ne dépasse que rarement quelques mois (3 à 4 mois)5. En l’espèce, bien que M. Sahlaoui eût signé un « engagement de loyauté, de confidentialité et de non-concurrence » visant à régir sa conduite après la cessation de son emploi, la Cour n’en a pas tenu compte puisque cet engagement ne respectait pas les exigences établies par les tribunaux en matière de clauses restrictives. Les gestes de M. Sahlaoui ont donc été analysés en fonction de l’obligation générale de loyauté prévue par l’article 2088 du Code civil du Québec. Comme le souligne la Cour d’appel, l’employé qui n’est pas assujetti à une clause de non-concurrence (ou même de non-sollicitation ou de confidentialité pour une durée prolongée à la suite de la cessation de son emploi) peut disposer à sa guise de son « patrimoine professionnel personnel », c’est-à-dire de l’expertise, des connaissances, du réseau et des qualités qu’il a acquis ou développés chez son ancien employeur. Il peut faire concurrence à ce dernier, notamment, en cherchant à s’en approprier la clientèle sans pour autant commettre une faute 6. En bref, l’obligation de loyauté en vertu du Code civil du Québec, n’interdit pas la concurrence, mais requiert qu’elle soit exercée «avec modération» et pour une courte période suivant la fin d’emploi. À retenir L’obligation générale de loyauté étant « plutôt minimaliste » pour reprendre les propos de la Cour d’appel, toute organisation aurait intérêt à se protéger par l’utilisation de clauses restrictives et avoir un plan d’action clair lorsqu’un employé quitte pour joindre la concurrence. Pour être exécutoires, les clauses restrictives doivent être précises et adaptées à leur contexte. Elles ne doivent pas dépasser ce qui est raisonnable pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur. Les questions suivantes méritent d’être considérées : Au moment de la préparation du contrat d’embauche, peut-on prévoir si l’employé aura des relations directes avec la clientèle ou les fournisseurs? Connaîtra-il, à titre d’exemple, les procédés de fabrication ou les techniques que l’organisation s’efforce de préserver? Dans l’affirmative, quelles clauses restrictives le contrat d’emploi devrait-il contenir, notamment compte tenu de la nature des tâches, du niveau hiérarchique et de l’expertise unique de l’employé? Que cherche-t-on à protéger? On peut notamment penser à la confidentialité de l’information ou à la réputation de l’entreprise et de ses services. L’entreprise voudra également se prémunir contre la concurrence, la sollicitation de sa clientèle, de ses fournisseurs et de ses employés. Il importe de bien saisir la finalité de chaque clause restrictive, de ne pas confondre l’une avec l’autre ou croire que l’une comprend l’autre afin d’éviter les mauvaises surprises. Les clauses restrictives se conforment-elles aux critères de raisonnabilité essentiels pour être jugées exécutoires et résister dans la mesure du possible à toute contestation? Dès l’annonce du départ de l’employé, qui sera chargé de prendre le relais auprès de la clientèle ou des fournisseurs pour maintenir un lien de confiance? Quels paramètres de sécurité seront instaurés dès l’annonce du départ pour assurer et préserver la confidentialité de certains renseignements? Nous convenons que l’absence de clauses restrictives lors de l’embauche n’est pas fatale. Les parties peuvent négocier de telles clauses en cours d’emploi. Bien que l’employé ne puisse être contraint de les accepter, il est plus facile d’en venir à une entente à l’occasion d’une augmentation de salaire, d’une promotion ou d’une autre contrepartie, en s’assurant alors encore une fois que ces clauses restrictives soient raisonnables eu égard aux circonstances propres à la prestation de travail de l’employé et aux besoins et droits légitimes de l’employeur. Il est également loisible aux parties de convenir de certaines restrictions dans le cadre d’une entente de départ. La décision Médicus a tout au moins le mérite de clarifier la portée de l’obligation de loyauté prévue au Code civil du Québec. Les membres de l’équipe Droit du travail et Emploi demeurent disponibles pour vous conseiller et répondre à vos questionnements. Sahlaoui c. 2330-2029 Québec inc. (Médicus), 2021 QCCA 1310, voir paragraphe 59. Voir paragraphe 35. Concentrés scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco Nutrition inc. 2007 QCCA 676. Voir paragraphe 44. Voir paragraphe 48. Voir le paragraphe 53.
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Condamnation pour abus de procédure en arbitrage de grief : des employeurs ont gain de cause
Le grief patronal est utilisé par les employeurs pour obtenir la réparation de dommages matériels causés par des moyens de pression ou pour récupérer des sommes versées en trop en raison d’agissements fautifs d’un syndicat. Ce recours permet également de réclamer des dommages et des honoraires au syndicat lorsque celui-ci abuse de la procédure d’arbitrage de grief, notamment par des moyens de droit ou des mesures sans fondement, dilatoires ou exercés de mauvaise foi. Bien que peu fréquent, l’abus de procédure existe et peut être sanctionné. C’est toutefois lorsque les actions du syndicat sont téméraires, manifestement mal fondées, empreintes de mauvaise foi ou dilatoires que l’employeur pourra soulever l’abus de droit avec succès. Deux illustrations récentes La décision rendue dans l’affaire Régie intermunicipale de police Richelieu Saint-Laurent et Fraternité des policiers et policières Richelieu Saint-Laurent1 est un exemple intéressant : l’arbitre a condamné la Fraternité à rembourser à la Régie une partie des frais juridiques qu’elle avait engagés, de même que les sommes qu’elle avait versées à trois de ses témoins. L’affaire se résume ainsi. À la suite de moyens de pression, trois policiers sont sommés en discipline. Les parties conviennent par écrit de reporter les rencontres disciplinaires. Les policiers sont finalement rencontrés en 2014, puis déposent des griefs pour contester leurs mesures disciplinaires. L’arbitrage est fixé en mai 2018 et une conférence préparatoire est tenue avant l’audience. Lors de l’audition, la Fraternité annonce un moyen préliminaire faisant valoir que les mesures n’ont pas été imposées dans le délai prévu à la convention collective. La Régie invite la Fraternité à procéder à des vérifications, soutenant qu’il y avait eu entente entre les parties pour le report des rencontres. La Fraternité maintient son moyen. La Régie dépose alors un grief patronal réclamant les dommages découlant du moyen préliminaire tardif et infondé de la Fraternité. En janvier 2019, les parties plaident sur le moyen préliminaire et le grief patronal. Le 14 février, pendant le délibéré, la Fraternité retire son moyen préliminaire. L’arbitre fait droit en partie au grief patronal. Il conclut que le moyen avancé par la Fraternité est dénué de fondement et que son comportement est un exemple patent d’abus du droit d’ester en justice. La Régie est dédommagée pour les frais engagés en défense à cet abus de droit. Dans Syndicat des professeures(eurs) de l’UQAM (SPUQ) et Université du Québec à Montréal (UQAM)2, les parties avaient convenu, lors du récent renouvellement de la convention collective, d’une clause prévoyant la réduction du salaire des professeurs âgés de plus de 70 ans. Peu après l’entrée en vigueur de la convention, des griefs sont déposés afin de contester le caractère discriminatoire de la clause. L’UQAM dépose un grief patronal alléguant l’abus de la procédure de grief par le syndicat. La preuve révélait en effet que le syndicat avait accepté la clause avec la conviction de son caractère discriminatoire et l’intention de la contester en arbitrage. Le syndicat avait même demandé d’ajouter l’âge des professeurs à la clause et cet ajout avait eu pour effet de rendre plus évident son caractère discriminatoire et de maximiser ses chances de succès en arbitrage. L’arbitre a accueilli le grief patronal et a ordonné au syndicat de rembourser les frais et honoraires de l’arbitre ainsi que les honoraires facturés par l’avocat de la partie patronale pour assurer sa représentation dans le cadre de l’arbitrage du grief syndical. Il a conclu qu’une telle façon de faire allait à l’encontre du devoir de négocier de bonne foi et constituait un abus de droit de la part du syndicat. Conseils pratiques : que faut-il retenir? Un abus de procédure peut se manifester de différentes façons, comme le recours à un moyen déclinatoire non fondé ou le dépôt d’un grief abusif découlant d’une négociation collective de mauvaise foi. Lorsqu’il est confronté à des situations qui dépassent le cadre habituel des relations de travail, l’employeur devrait évaluer s’il s’agit d’un cas d’abus de droit. Le cas échéant, l’employeur pourrait exceptionnellement réclamer par le dépôt d’un grief patronal les honoraires de ses procureurs, les frais inhérents à l’assignation de témoins et possiblement d’autres dommages découlant du comportement fautif du syndicat. L’employeur doit toutefois faire preuve de prudence : un grief syndical mal fondé et rejeté parce que le syndicat n’a pas la même interprétation des faits ou de la convention collective que celle l’employeur ne sera pas nécessairement abusif. Pour obtenir gain de cause, l’employeur devra démontrer que les actions du syndicat sont téméraires, manifestement mal fondées, de mauvaise foi ou dilatoires. Il va sans dire que la même médecine sera servie à un employeur qui se rendrait coupable d’abus de procédure. Les membres de l’équipe Droit du travail et Emploi demeurent disponibles pour vous conseiller et répondre à vos questions. 2021 QCTA 319. 2021 QCTA 296.
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Agences de placement et de recrutement: quelles sont les contraintes du nouveau projet de règlement?
En juin 2018, les amendements apportés à la Loi sur les normes du travail (« LNT ») comportaient des obligations et responsabilités additionnelles pour les agences de placement de personnel et de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (les « agences »). Ces amendements ne devaient toutefois entrer en vigueur qu’au jour de l’adoption par le gouvernement d’un règlement précisant les normes et procédures destinées à donner effet à ces modifications à la Loi sur les normes du travail. Le 10 avril 2019, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec a publié un Projet de « Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires » (le « Projet de Règlement »). Bien que le texte de présentation de ce Projet de Règlement indique que « L’étude d’impact montre que les mesures auront un impact négligeable pour les entreprises », l’analyse du Projet révèle au contraire des contraintes importantes pour les agences de placement et de recrutement. Les bénéficiaires de cette réforme apparaissent davantage être les travailleurs d’agence et les entreprises clientes. Permis d’agence Le Projet de Règlement instaure un régime de permis obligatoire pour les agences de placement de personnel et de recrutement de travailleurs étrangers temporaires : Pour obtenir un permis d’opération émis par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST »), les agences et leurs dirigeants doivent satisfaire à une série de critères de probité, de transparence et de solvabilité. Ces agences et leurs dirigeants doivent être en règle avec divers ministères et organismes d’État, tant à l’égard du respect des lois que du paiement de redevances ou cotisations. À titre d’exemple, une agence pourra être disqualifiée si « au cours des cinq années précédant la demande, elle a été condamnée par une décision irrévocable d’un tribunal en matière de discrimination, de harcèlement psychologique ou de représailles, dans le cadre d’un emploi » ou en raison de condamnations pénales ou criminelles en lien avec l’exercice des activités visées par la demande de permis. Tout permis devra être renouvelé tous les deux ans et en l’absence de faits nouveaux, un délai de deux ans devra s’écouler avant qu’une nouvelle demande de permis ne soit déposée à la suite d’un refus. Une demande de permis d’agence de placement devra être appuyée par un cautionnement de 15 000 $ (visant à garantir la protection des droits des salariés suivant la LNT). Protection des droits des salariés des agences Le Projet de Règlement impose aux agences de placement de personnel et de recrutement de travailleurs étrangers temporaires de prendre divers moyens visant à favoriser l’exercice par les salariés de droits notamment protégés par la Loi sur les normes du travail (« LNT »). À titre d’illustrations : L’agence devra remettre au salarié qu’elle affecte auprès d’une entreprise cliente un document décrivant ses conditions de travail et identifiant l’entreprise en question. Elle doit également remettre au salarié les documents d’information rendus disponibles par la CNESST concernant les droits des salariés et les obligations des employeurs en matière de travail. L’agence doit rappeler à l’entreprise cliente les obligations que celle-ci doit respecter relativement à la santé et la sécurité des salariés. L’agence de placement ne peut exiger d’un salarié des frais pour son affectation ou pour sa formation. Enfin, les restrictions à l’embauche de salariés d’agence par une entreprise cliente ne peuvent excéder une durée de six mois suivant le début de l’affectation. Mesures administratives et recours La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») peut suspendre le permis d’une agence en tout temps en cas de contravention aux exigences prévues et à compter de l’entrée en vigueur du Projet de Règlement, le recours de cette agence pourra être institué devant le Tribunal administratif du travail. Modalités relatives à une prochaine adoption du Projet de Règlement Toute personne ayant des commentaires à formuler au sujet du Projet de Règlement est invitée à les adresser par écrit au ministre au cours de la période de 45 jours débutant le 10 avril 2019. Il est à prévoir que diverses associations monteront aux barricades pour obtenir du ministre qu’il assouplisse un cadre réglementaire très contraignant. À l’expiration de la période de consultation de 45 jours, le ministre pourra procéder à la publication officielle du Règlement, qui entrera en vigueur 15 jours après cette publication. Les agences de placement de personnel et de recrutement de travailleurs étrangers temporaires qui exercent déjà leurs activités à la date de l’entrée en vigueur du Projet de Règlement pourront continuer d’opérer dans la mesure où elles font une demande de permis à la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») dans les 45 jours de cette date. À noter : Toutes les dispositions de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») relatives aux agences auront force de loi en même temps que le Règlement, dont l’article 41.2 de la LNT, qui interdit à une agence de placement d'accorder à un salarié un taux de salaire inférieur à celui qui est consenti aux salariés de l'entreprise cliente effectuant les mêmes tâches dans le même établissement, uniquement en raison de son statut d’emploi. Pour la version intégrale du projet de règlement, cliquez ici.
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Octroi de dommages moraux à la suite d’un licenciement collectif
La Cour supérieure du Québec a récemment affirmé dans l’affaire Peintures Industrielles Évotech1 que l’arbitre de grief avait agi dans le cadre de sa compétence en attribuant des dommages moraux aux salariés licenciés sans avertissement à la suite du déménagement par l’employeur de ses opérations de production en Ontario. Le contexte de l’affaire Évotech Évotech, qui oeuvre dans le secteur de la fabrication, de la distribution et de la vente de peinture industrielle, négociait avec le Syndicat des employés le renouvellement de la convention collective expirée depuis quelques mois. Alors que le bail d’un de ses deux locaux situés au Québec prenait fin, Évotech a déménagé ses inventaires et équipements à Cornwall en Ontario, ce qui lui a permis de bénéficier d’une subvention importante et de quitter ses installations devenues vétustes et dangereuses. Le directeur de l’usine a ainsi convoqué tous les salariés à la cafétéria de l’entreprise afin de leur annoncer qu’ils étaient licenciés le jour même et qu’ils recevraient une indemnité compensatrice de préavis d’une durée de huit semaines de travail en plus de l’indemnité de licenciement prévue à la convention collective. Plusieurs gardes de sécurité étaient présents lorsque le directeur a lu une brève déclaration confirmant le licenciement immédiat et avisant les salariés qu’ils devaient prendre rendez-vous afin de récupérer leurs effets personnels. Les salariés, selon la preuve faite, étaient en état de choc. Le syndicat a déposé deux griefs afin de contester la décision de l’employeur, alléguant que le déménagement avait pour conséquence de confier du travail à des salariés ou cadres exclus du certificat d’accréditation, en violation de la convention collective. Saisi des griefs, l’arbitre Charles Turmel a conclu dans sa sentence que le déménagement des opérations assorti d’un licenciement collectif contrevenait à la clause de la convention collective limitant le droit de répartir le travail2. De ce fait, l’arbitre de grief a condamné l’employeur à verser à chaque salarié licencié 1 000 $ à titre de dommages moraux en plus de l’équivalent de trois semaines de salaire par année de service. Il convient de noter que ces sommes s’ajoutaient à l’indemnité de licenciement collectif de huit semaines et à l’indemnité additionnelle contenue à la convention collective. Selon l’arbitre, l’attribution de dommages moraux aux salariés était justifiée par le « caractère subit de leur congédiement »3. L’arbitre a en outre condamné Évotech à verser au syndicat 10 000 $ à titre de dommages en raison de son omission de négocier de bonne foi le renouvellement de la convention collective, reprochant ainsi à l’entreprise d’avoir entamé les négociations pour le renouvellement de la convention collective tout en planifiant le déménagement de ses activités. La décision en révision judiciaire Le 10 avril dernier, la Cour supérieure a accueilli en partie le pourvoi en contrôle judiciaire en modifiant certaines des conclusions de la sentence arbitrale qu’elle juge déraisonnables. La juge Chantal Tremblay a confirmé que la conclusion de l’arbitre voulant que la cessation des activités de l’employeur au Québec constituait un déménagement et non une fermeture d’entreprise faisait partie des issues possibles et raisonnables. En outre, la juge a confirmé que l’employeur n’avait pas respecté la clause de la convention collective selon laquelle l’entreprise ne peut confier du travail à des salariés exclus de l’unité de négociation. La Cour a considéré que l’octroi de dommages moraux de 1 000 $ à chacun des salariés faisait également partie des issues possibles et raisonnables, eu égard aux circonstances entourant le licenciement collectif. Le Tribunal est cependant intervenu pour modifier la conclusion de l’arbitre concernant l’indemnité de réparation équivalente à trois semaines de salaire par année de service parce qu’elle ne tient pas compte de l’obligation des salariés de mitiger leurs dommages et des indemnités déjà versées par l’employeur. Le Tribunal a enfin annulé la conclusion de l’arbitre qui condamnait l’employeur à verser des dommages de 10 000 $ au syndicat, au motif qu’une plainte visant la mauvaise foi de l’employeur dans le cadre des négociations d’une convention collective devait être adressée au Tribunal administratif du travail. Commentaires En révision judiciaire, la juge Tremblay a considéré que l’octroi de dommages moraux faisait partie des issues possibles et acceptables et qu’il n’y avait pas lieu pour la Cour supérieure d’intervenir. On peut toutefois penser qu’un refus de l’arbitre d’attribuer de tels dommages moraux aurait tout autant pu faire partie des issues possibles et acceptables. L’affaire Évotech met en cause le pouvoir discrétionnaire de l’arbitre de grief d’accorder des dommages moraux à des salariés afin de compenser un préjudice qui n’est pas susceptible de réparation en nature4. Bien que de tels dommages aient été récemment octroyés dans le cadre d’un congédiement abusif5, de la mise en oeuvre de conditions de travail injustes et déraisonnables à l’endroit de certains salariés6 ou dans le cadre d’une contravention à une clause de la convention collective, tel le délai prévu pour la communication au syndicat de tout contrat de sous-traitance7, l’octroi de dommages moraux à la suite d’un licenciement collectif abrupt constitue une première. Le 12 juin dernier, la Cour d’appel du Québec a accueilli la requête pour permission d’appeler présentée par l’employeur sur la base de deux questions, soit l’interprétation d’un article de la convention collective et le pouvoir de la Cour supérieure de modifier le dispositif d’une sentence arbitrale au lieu de la casser8. D’ici la décision de la Cour d’appel, les employeurs devront garder à l’esprit que des dommages pourraient leur être infligés en cas de fermeture sans avis préalable. En attendant la suite, nous suivons attentivement ce dossier et nous vous tiendrons informés des développements à cet égard. Peintures Industrielles Évotech c. Turmel, 2017 QCCS 1375, déclaration d’appel et requête pour permission d’appeler, 2017-05-05 (C.A.), 500-09-026780-171. Peintures Industrielles Évotech inc. c. Syndicat des employés de Sico inc., section Évotech (CSN) (grief syndical), 2015 QCTA 809. Id., paragr. 152. À ce sujet, voir : Fernand MORIN et Rodrigue BLOUIN avec la collaboration de Jean-Yves BRIÈRE et Jean-Pierre VILLAGGI, Droit de l’arbitrage de grief, 6e édition, Éditions Yvon Blais, 2012, par. IX-34. Kugler c. IBM Canada Limited, 2016 QCCS 6576. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal c. Jobin, 2017 QCCS 1583. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2881 et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal (Centre de santé et de services sociaux de Dorval-Lachine-LaSalle) (griefs syndicaux), 2016 QCTA 893. Peintures industrielles Évotech c. Syndicat des employés de Sico inc. (CSN), section Évotech, 2017 QCCA 932.
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Cigarettes à la bouche et compas dans l’œil : élargissement imminent de l’interdiction de fumer dans un rayon de neuf mètres
Le 26 novembre 2016, de nouvelles dispositions de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme1 (la « Loi ») entreront en vigueur. L’une d’elles a pour effet d’élargir considérablement la portée de la règle qui interdit déjà de fumer à l’intérieur d’un rayon de neuf mètres de toute porte communiquant avec les lieux fermés énumérés à la loi. Cet élargissement se fait de deux manières. Nouveaux endroits où il est interdit de fumer à l’intérieur d’un rayon de neuf mètres Non seulement les fumeurs devront-ils se tenir à neuf mètres de toute porte, mais ils devront également s’assurer d’être à au moins neuf mètres de toute fenêtre qui s’ouvre et de prises d’air communiquant avec un lieu fermé où il est interdit de fumer2. Élargissement des lieux où il est interdit de fumer dans un rayon de neuf mètres Il est présentement interdit de fumer dans un rayon de neuf mètres de toute porte communiquant avec l’un des lieux fermés suivants3 : les installations maintenues par un établissement de santé et de services sociaux et les locaux où sont offerts les services d’une ressource intermédiaire; les installations d’un centre de la petite enfance ou d’une garderie; les lieux fermés où se déroulent des activités communautaires ou de loisirs destinées aux mineurs4. À compter du 26 novembre 2016, il sera également interdit de fumer dans un rayon de neuf mètres de toute porte, de toute fenêtre qui s’ouvre et de prises d’air communiquant avec les lieux fermés suivants5 : les installations maintenues par un établissement de santé et de services sociaux et les locaux où sont offerts les services d’une ressource intermédiaire; les locaux où les bâtiments mis à la disposition d’un établissement d’enseignement; les installations d’un centre de la petite enfance ou d’une garderie; les lieux fermés où se déroulent des activités sportives ou de loisirs, judiciaires, culturelles ou artistiques, colloques, congrès ou autres activités semblables; les lieux fermés où se déroulent des activités communautaires ou de loisirs destinées aux mineurs; les lieux fermés où se déroulent des activités où seules des personnes invitées ou autorisées expressément ou implicitement par l’hôte peuvent être présentes; les lieux fermés utilisés par une personne morale sans but lucratif ou par une association, un cercle ou un club, constitué ou non en personne morale, et auxquels seuls les membres et leurs invités ont accès; les lieux fermés où l’on offre des services de prévention, d’aide et de soutien aux personnes en détresse ou démunies, y compris des services d’hébergement temporaire; les établissements d’hébergement touristique et les bâtiments d’une pourvoirie; les lieux fermés qui sont aménagés pour offrir habituellement au public, moyennant rémunération, des repas pour consommation sur place; les établissements où est exploité un permis de brasserie, de taverne ou de bar; les salles de bingo; les milieux de travail; les locaux qui sont utilisés pour la détention de personnes; tous les autres lieux fermés qui accueillent le public6. Commentaires Il s’agit donc d’un élargissement considérable de la portée de l’interdiction de fumer dans un rayon de neuf mètres des lieux énumérés à la Loi. Le fait qu’à compter du 26 novembre 2016, il sera interdit de fumer dans un rayon de neuf mètres de toute porte, de toute fenêtre qui s’ouvre et de prises d’air communiquant avec un milieu de travail est en soi un changement significatif non seulement pour les fumeurs eux-mêmes, mais aussi pour tout employeur québécois. Rappelons que la Loi prévoit également, pour l’exploitant de tout lieu énuméré précédemment : l’obligation d’indiquer les endroits où il est interdit de fumer au moyen d’affiches installées à la vue des personnes qui fréquentent ces lieux7; l’interdiction de tolérer qu’une personne fume dans un endroit où il est interdit de le faire8. N’oublions pas qu’en novembre 2015, le législateur a renforcé la Loi en accroissant la responsabilité des administrateurs et dirigeants des sociétés qui y sont assujettis, en plus de hausser de manière significative le montant des amendes prévues et de faciliter la preuve de la poursuite en cas d’infraction9. En plus de faire preuve de vigilance, les entreprises devraient s’assurer de mettre en place une politique sur la consommation des produits du tabac10 et d’en informer leurs employés, clients, visiteurs et fournisseurs. RLRQ, c. L-6.2. Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme, projet de loi n°44 (sanctionné le 26 novembre 2015), 1re sess., 41e légis., art. 6 et 76. À l’exception des cas où les activités énumérées se tiennent à l’intérieur d’une demeure. Loi concernant la lutte contre le tabagisme, préc., note 1, art. 2 et 2.2. À l’exception des cas où les activités énumérées se tiennent à l’intérieur d’une demeure. Projet de loi n°44, préc., note 2, art. 6. Art. 10 de la Loi. Art. 11 de la Loi. À ce sujet, nous vous référons à notre bulletin Droit de savoir intitulé « Lutte contre le tabagisme et les cigarettes électroniques : de nouveaux enjeux pour les entreprises » (mars 2016), en ligne sous « Publications ». Une telle politique devrait également viser la marijuana médicale, de même que toute autre substance qui se fume.
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L’affaire Canadelle et l’importance de contester certaines décisions de la CNESST en temps utile
Le 17 juin 2016, la Cour supérieure1 a confirmé la décision qu’avait rendue la Commission des lésions professionnelles2 (« CLP ») dans l’affaire Canadelle, s.e.c. et Commission de la santé et de la sécurité du travail3 en 2014. Cette décision mettait fin à une controverse jurisprudentielle relative à l’application des articles 31 et 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles4 (« LATMP » ou « Loi ») et disposait de la question de droit suivante : une décision finale de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») reconnaissant une relation entre un nouveau diagnostic et la lésion professionnelle ou l’événement initial empêche-t-elle un employeur de demander par la suite un transfert d’imputation en vertu du premier paragraphe de l’article 327 de la LATMP ? La décision de première instance Après avoir rappelé les critères pouvant donner lieu à l’application du premier paragraphe de l’article 31 de la LATMP, la CLP (banc de trois juges administratifs) avait mis un terme à la controverse jurisprudentielle concernant la possibilité de faire une demande de transfert d’imputation en vertu de l’article 327 de la LATMP dans le cas où une décision de la CNESST reconnaissant un lien entre le nouveau diagnostic que l’on veut faire reconnaître comme une lésion professionnelle survenue par le fait ou à l’occasion de soins au sens de l’article 31 de la LATMP et l’événement initial n’a pas été contestée. Les conclusions de la CLP peuvent se résumer ainsi : La blessure ou la maladie apparaissant au cours de l’évolution d’un dossier, que l’on qualifie de « nouveau diagnostic », peut être soit liée à la lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la LATMP, soit liée aux soins ou à l’omission de soins visés par l’article 31, mais elle ne peut être liée aux deux à la fois. Par conséquent, lorsque la CNESST rend une décision reconnaissant la relation entre un nouveau diagnostic et la lésion professionnelle ou l’événement initial et que cette décision n’est pas contestée5, celle-ci fait obstacle à une demande de transfert d’imputation des coûts en vertu du premier paragraphe de l’article 327 de la LATMP. Dès lors, l’employeur qui veut démontrer que le nouveau diagnostic découle plutôt de l’une des situations visées à l’article 31 de la Loi doit contester cette décision de la CNESST avant qu’elle ne devienne finale et irrévocable6. Le cas échéant, l’effet de cette décision est d’établir un lien entre la lésion professionnelle et le nouveau diagnostic, ce qui signifie que celui-ci est considéré comme une lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la Loi. Le défaut de contester une telle décision par l’employeur ou son désistement d’une telle contestation a pour effet de rendre irrecevable une demande formulée ultérieurement en vertu de l’article 327 de la LATMP. Les pouvoirs dévolus à la CLP (maintenant le Tribunal administratif du travail) en vertu de l’article 377 de la LATMP ne lui permettent pas de remettre en question une décision finale et irrévocable de la CNESST. La décision de la Cour supérieure Après avoir analysé la décision de la CLP, la Cour supérieure a déclaré que celle-ci était raisonnable et ne justifiait aucune intervention de sa part. Les conclusions de la CLP résumées ci-dessus demeurent donc applicables. Commentaires Ces décisions rendues dans l’affaire Canadelle rappellent l’importance pour un employeur de procéder à une analyse approfondie d’un dossier dès la réception d’une décision de la CNESST afin d’être en mesure de faire valoir ses droits et prétentions en temps utile. Dans le cas d’une décision reconnaissant la relation entre un nouveau diagnostic et la lésion professionnelle ou l’événement initial, une fois le délai de contestation prévu à la Loi expiré, il est trop tard pour alléguer être en présence d’une lésion survenue par le fait ou à l’occasion des soins, à moins d’être en mesure de faire valoir un motif raisonnable pour être relevé du défaut d’avoir demandé la révision de cette décision dans le délai applicable. En cas de doute, les décisions rendues dans l’affaire Canadelle devraient inciter à la prudence, qui pourrait comprendre la contestation « préventive » de décisions reconnaissant un nouveau diagnostic lorsqu’il existe une possibilité de recours en vertu de l’article 31 de la LATMP. 2016 QCCS 2806. Depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du Québec, L.Q. 2015, c. 15, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a été remplacée par la « Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail » et la CLP est désormais remplacée par le « Tribunal administratif du travail ». Pour plus de détails concernant cette réorganisation, veuillez consulter le bulletin Droit de savoir suivant : « Le projet de loi 42 et la réorganisation des institutions québécoises en matière de travail » (juillet 2015). 2014 QCCLP 6290. RLRQ c A-3.001. Notons que la CLP fait une distinction entre les situations où la CNESST ne rend aucune décision spécifique concernant le nouveau diagnostic que l’on prétend visé par l’article 31 de la LATMP et celles où la CNESST rend une décision déclarant un lien entre ce nouveau diagnostic et l’événement initial ou la lésion professionnelle reconnue (par. 20). L’article 358 de la LATMP prévoit qu’une demande de révision d’une décision de la CNESST doit être faite dans les trente (30) jours de sa notification.
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Absence de preuve scientifique concluante : obstacle fatal à l’établissement d’un lien causal en matière de maladie professionnelle? Pas nécessairement selon la Cour suprême du Canada
Le 24 juin dernier, la Cour suprême du Canada (la « Cour suprême ») rendait jugement dans l’affaire Colombie- Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal) c. Fraser Health Authority1 (« l’arrêt Fraser »). Brièvement, il était question de sept techniciennes de laboratoire d’un même hôpital qui étaient atteintes d’un cancer du sein. Elles avaient chacune produit une demande d’indemnisation en vertu de la Workers Compensation Act (la « Loi »), alléguant que leur cancer constituait une maladie professionnelle. En Colombie- Britannique, l’un des critères applicable pour déterminer s’il s’agit d’une maladie professionnelle est que le travail doit avoir eu un lien causal significatif avec la maladie. Historique Les demandes d’indemnisation ont été rejetées par le Workers Compensation Board (la « Commission »). Les travailleuses ont porté cette décision en appel devant le Workers’ Compensation Appeal Tribunal de la Colombie-Britannique (le « Tribunal »). Les membres majoritaires du Tribunal ont renversé la décision de la Commission, affirmant qu’un décideur peut inférer un lien de causalité selon « le gros bon sens », même en l’absence d’une preuve scientifique établissant un tel lien. À la suite d’un réexamen, d’une révision judiciaire et d’un appel, la décision du Tribunal a été annulée, les réclamations des travailleuses étant ainsi rejetées. Ces dernières ont ensuite interjeté appel devant la Cour suprême du Canada. Décision de la Cour suprême Deux questions ont été étudiées par la Cour suprême: (1) la compétence du Tribunal pour réexaminer sa propre décision et (2) la preuve nécessaire à l’établissement d’un lien causal significatif entre le cancer du sein et le travail effectué à titre de technicienne de laboratoire. C’est sur cette deuxième question que nous nous pencherons dans le présent bulletin. Les juges majoritaires ont conclu qu’un lien causal significatif pouvait être établi même en absence de preuve médicale confirmant ou réfutant l’existence d’un tel lien. Les normes d’ordre scientifique sont plus exigeantes que les normes juridiques afin d’établir un lien de causalité. Par ailleurs, le Tribunal peut tenir compte d’autres éléments de preuve afin d’évaluer l’existence du lien causal significatif. En l’espèce, les deux rapports scientifiques qui avaient été déposés ne pouvaient établir de lien entre les cancers et le travail effectué. La Cour suprême a toutefois tranché que la décision du Tribunal était raisonnable, puisqu’elle était basée sur d’autres éléments de preuve, notamment la prévalence plus élevé de cancer du sein dans le milieu de travail des plaignantes et que la détermination du lien causal significatif fait partie du champ d’expertise du Tribunal. Il est à noter que la juge Côté a présenté une forte dissidence sur la question de la preuve nécessaire pour établir un lien de causalité ainsi que sur l’expertise du Tribunal. Pour cette dernière, la décision du Tribunal est le résultat de simples spéculations et fait abstraction du critère du lien causal significatif. Elle souligne également que le Tribunal ne possède pas une expertise relative aux questions médicales, tel que l’avait mentionné la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Impacts au Québec? Le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») sera-t-il tenté de s’inspirer des principes énoncés dans l’arrêt Fraser? Tout d’abord, il est à noter que plusieurs distinctions importantes existent entre les lois du Québec et celles de la Colombie-Britannique. En effet, la notion de « lien causal significatif » est celle qui est utilisée par les tribunaux britanno-colombiens afin de déterminer si un travailleur a subi ou non une lésion professionnelle. Il ne s’agit pas d’un concept qui est présent dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles2 (la « LATMP »). En absence d’application de la présomption de l’article 29 de la LATMP, l’article 30 de la même loi impose au travailleur le fardeau de démontrer que sa maladie est caractéristique du travail exercé ou reliée aux risques particuliers du travail exécuté3. Une autre distinction doit également être soulevée. La Cour suprême prend acte dans sa décision de l’article 250(4) de la Loi de la Colombie- Britannique qui prévoit qu’en cas de valeur probante égale entre la preuve du travailleur et celle de son employeur, le Tribunal doit trancher en faveur du travailleur. Une telle règle n’a pas d’équivalent en droit québécois. Tout au plus, l’article introductif de la LATMP précise que « la loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires »4, ce qui ne dispense pas la partie sur qui repose le fardeau de la preuve d’établir les faits qu’elle allègue selon la prépondérance de la preuve. Une valeur probante équivalente devrait ainsi mener à une décision défavorable à la partie sur qui repose le fardeau de la preuve. Puisque l’article 30 de la LATMP stipule que le fardeau repose sur le travailleur, ce dernier doit présenter une preuve ayant une valeur probante supérieure à l’hypothèse contraire5. S’il n’y parvient pas, sa réclamation devrait être rejetée. De plus, la juge dissidente ainsi que la Cour d’appel de la Colombie- Britannique invoquent le fait que le Tribunal de la Colombie-Britannique ne détient pas une expertise relative aux questions médicales. Ce principe provient de la décision Page v. British Columbia (Workers’ Compensation Appeal Tribunal)6, qui est citée à de nombreuses reprises par la jurisprudence britanno-colombienne. Dans cette affaire, le juge a conclu que le Tribunal ne pouvait rejeter l’expertise médicale non contredite d’un psychiatre établissant un diagnostic de syndrome post-traumatique afin de substituer sa propre expertise puisqu’il n’en possède pas. Or, au Québec, la division de la santé et de la sécurité du travail du TAT possède une expertise médicale de par sa spécialisation7. Le TAT dispose même d’une connaissance d’office des « notions de base qui sont généralement reconnues par la communauté médicale, qui ne font pas l’objet de controverse scientifique, qui ne relèvent pas d’une expertise particulière et qui ont pu être exposées à maintes reprises devant le tribunal ».8 L’article 26 du Règlement sur la preuve et la procédure du Tribunal administratif du travail9 prévoit également que « le Tribunal prend connaissance d’office des faits généralement reconnus, des opinions et des renseignements qui relèvent de sa spécialisation ». Il est par ailleurs prévu dans la LATMP que des médecins assesseurs peuvent assister aux audiences10. En somme, le champ d’expertise du TAT se distingue de celui du Tribunal de la Colombie-Britannique. D’autre part, la décision Snell c. Farrel11 de la Cour suprême, appliquée par différents tribunaux québécois dont la Commission des lésions professionnelles (« CLP », maintenant le TAT), explique que les normes scientifiques pour établir un lien de causalité sont plus exigeantes que les normes juridiques. Les tribunaux se doivent de ne pas appliquer un tel niveau d’exigence et doivent appliquer le fardeau tel que prévu par la loi. De ce fait, il demeure possible qu’un tribunal infère un lien de causalité entre le travail effectué et la maladie contractée même en l’absence d’une preuve positive ou scientifique concluant à l’existence de ce lien. En d’autres mots, un travailleur pourra faire la preuve que sa maladie est caractéristique ou reliée aux risques particuliers de son travail même sans une preuve d’expert. Une preuve circonstancielle a ainsi permis à un décideur d’inférer un lien de causalité12, suivant ainsi un raisonnement similaire à celui de l’arrêt Fraser. 2016 CSC 25. L.R.Q., c. A-3.001. Id., art. 30. Id., art. 1. Richard (Succession de) et Centre hospitalier Pierre Le Gardeur, 2011 QCCLP 3347, par 430 ss. 2009 BCSC 493. Luc Côté et Catherine Dubé-Caillé, « La connaissance d’office et la spécialisation de la Commission des lésions professionnelles : de la théorie à la pratique », dans S.F.C.B.Q., vol. 360, Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail (2013), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 137; Stéphanie Rainville, « La connaissance d’office de la Commission des lésions professionnelles, une revue de la jurisprudence récente », dans Santé et sécurité au travail, vol. 17, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 225. Vereault et Groupe Compass (Eurest/Chartwell), 2006, n° AZ-50391746 (CLP); Cléroux et SIDO ltée, 2012 QCCLP 3847. R.R.Q., 1981, c. A-3.001, r. 12. L.R.Q., c. A-3.00, art. 84. [1990] 2 RCS 311. Tevan et Centre de réadaptation de l’Ouest de Montréal, [2000] n° AZ-00304563 (C.L.P.), Laverdière et Maison du Bingo de Lévis, 2010 QCCLP 7894.
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Prévoyez-vous embaucher cette année? Que faire lorsqu’un employé a exagéré ses compétences et ne livre pas la marchandise?
Une décision récente1 de la Commission des relations du travail (« CRT ») met en lumière la situation d’un employeur aux prises avec un employé qui a exagéré ses compétences au cours de son entrevue d’embauche et se révèle par la suite incapable de réaliser les objectifs de rendement liés à son poste. Dans cette affaire, Valeurs mobilières Banque Laurentienne inc. (« Laurentienne ») s’est défendue avec succès dans le cadre d’un recours pour congédiement sans cause juste et suffisante intenté par cet ancien employé. Les faits de l’affaire sont les suivants. Pendant plusieurs années, l’employé avait connu un grand succès comme conseiller en placement chez Desjardins Gestion de Patrimoine (« Desjardins »). Au cours d’une entrevue d’embauche avec le vice-président de Laurentienne, l’employé avait estimé être en mesure de transférer chez Laurentienne 75 % de son portefeuille d’une valeur de 37 millions de dollars d’actifs sous gestion. Son potentiel de rendement a donné lieu à une offre d’emploi de la part de Laurentienne et lui a permis de négocier une rémunération et des avantages sociaux enviables. Au cours des premiers jours de son nouvel emploi, lesquels sont critiques au point de vue de la rétention de clients, l’employé n’a fait que des efforts minimes pour récupérer la clientèle qu’il avait bâtie au cours des années. De fait, peu de clients ont transféré leurs actifs pour le suivre chez Laurentienne et après plusieurs mois à son nouvel emploi, l’employé était loin d’atteindre ses objectifs de rentabilité initiaux. La disparité entre son rendement et la rentabilité que l’on attendait de lui s’est amplifiée au fil des évaluations de rendement annuelles. Les efforts déployés par Laurentienne pour le soutenir vers l’atteinte de ses objectifs – l’encourager à utiliser son budget de développement des affaires, préparer un plan d’affaires, etc. – se sont révélés infructueux. Après trois ans d’emploi, Laurentienne l’a congédié au motif qu’il ne respectait pas les exigences de l’emploi. Du point de vue de l’employé, son manque de succès était le résultat d’une série de facteurs externes qui étaient totalement indépendants de ses compétences (à titre d’exemple, son bureau était à aire ouverte, ce qui faisait en sorte qu’il ne pouvait bénéficier de la confidentialité nécessaire pour appeler ses clients; on lui a refusé d’être transféré au sein d’une filiale; Laurentienne a embauché le conseiller en placement de qui il avait acheté la clientèle il y a plusieurs années et ce nouvel employé aurait injustement sollicité ses clients; un de ses anciens partenaires chez Desjardins l’aurait diffamé en expliquant pourquoi ses clients ont rompu leur relation avec lui suite à son transfert chez Laurentienne). De plus, l’employé a invoqué son état de santé comme facteur atténuant; la pression au travail aurait causé une dépression, laquelle est responsable de sa faible motivation à solliciter de nouveaux clients. Les multiples explications données par l’employé pour expliquer sa mauvaise performance n’ont pas convaincu la CRT. Au contraire, l’employé fut considéré comme un vétéran dans son domaine, bien informé des attentes à l’égard de sa performance. Cette grande expérience semble avoir été déterminante pour la CRT dans son appréciation de la preuve, tel qu’illustré par le résumé suivant de sa grille d’analyse. Dans le cas d’un congédiement administratif, l’employeur a le fardeau de démontrer la présence d’une cause juste et suffisante de congédiement. La CRT doit notamment s’assurer que les mesures prises par l’employeur ne sont pas arbitraires, discriminatoires ou déraisonnables et que l’employeur s’est acquitté des obligations que lui impose la jurisprudence. Au terme de son analyse des mesures prises par Laurentienne eu égard aux critères applicables, la CRT a déterminé ce qui suit : L’employé a-t-il été informé des politiques de la compagnie et des attentes de l’employeur à son endroit ? L’employé était expérimenté dans le secteur des services financiers et familier avec les exigences d’emploi d’un conseiller en placement. De plus, les objectifs fixés par la Laurentienne étaient usuels pour un poste de cette nature. Dans les circonstances, la CRT a conclu que les attentes de Laurentienne étaient raisonnables et suffisamment transparentes. Les lacunes de l’employé lui avaient-elles été préalablement signalées ? L’employé avait été informé à plusieurs reprises, formellement et informellement, que son rendement était inadéquat. On lui a même signalé par écrit qu’il devait préparer un plan d’affaires pour améliorer son rendement au travail. L’employé a-t-il reçu le soutien nécessaire pour remédier à ses lacunes et atteindre ses objectifs de rendement ? Laurentienne a fourni à l’employé le soutien approprié pour lui permettre de réaliser ses objectifs (par exemple, l’utilisation d’un fonds de développement des affaires, le lancement d’une campagne publicitaire, le travail en collaboration avec d’autres conseillers, etc.). L’employé a-t-il disposé d’une période de temps raisonnable pour s’ajuster ? Laurentienne a conservé l’employé à son service pendant trois ans et celui-ci a été avisé de ses lacunes au moins dès sa première évaluation annuelle. Il a donc bénéficié d’une période de temps raisonnable pour ajuster son rendement. L’employé a-t-il été avisé du fait que le défaut d’améliorer son rendement entraînerait son congédiement ? L’employé ne pouvait prétendre qu’il n’avait pas vu venir son congédiement. Il avait été clairement informé que son emploi était en péril suite à sa deuxième évaluation annuelle. Cette décision rappelle aux employeurs l’importance de définir des objectifs de rendement fermes et raisonnables dès le début de la relation d’emploi. Si un congédiement pour rendement insuffisant devient inévitable, en cas de litige, l’employeur devra démontrer que l’employé a été informé de ses lacunes au niveau de la performance, qu’il a obtenu le support nécessaire pour atteindre ses objectifs et qu’il a été informé qu’à défaut de s’améliorer, son emploi serait en péril. Bien qu’un tel processus puisse exiger temps et patience, il est nécessaire afin d’éviter une éventuelle responsabilité découlant d’une conclusion de congédiement sans cause juste et suffisante. _________________________________________ 1 Daniel Denis c. Valeurs mobilières Banque Laurentienne inc., 2014 QCCRT 0517.
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La suite de l’affaire Ditomene c. Boulanger : la Cour d’appel précise que l’enquête d’un employeur en matière de harcèlement n’est pas obligatoirement assujettie aux règles de l’équité procédurale
Dans un arrêt unanime daté du 17 novembre 20141, la Cour d’appel a déterminé que l’enquête d’un employeur en matière de harcèlement psychologique n’est pas assujettie aux règles d’équité procédurale applicables en droit administratif et public. La Cour a donc infirmé le jugement de la Cour du Québec qui avait condamné l’avocate qui avait mené l’enquête à verser 3 000 $ à titre de dommages-intérêts2. En première instance, la Cour du Québec avait conclu que l’enquêteuse externe mandatée par l’employeur avait commis une faute en manquant aux obligations découlant de la politique de l’employeur et de ses contrats de service, qui lui imposaient notamment le devoir d’assurer « l’équité du processus » d’enquête. Dans son jugement, la Cour du Québec avait relevé les manquements suivants : refus de transmettre à l’employé les plaintes formulées contre lui, refus de lui remettre une copie de la politique, refus de lui transmettre la version des faits des témoins et des plaignants, défaut de s'assurer que l'enquête soit menée par les mêmes personnes du début à la fin, demande indue d'un engagement de confidentialité écrit, avis de convocation tardifs et insuffisance du rapport relatif aux plaintes formulées contre l'appelant. Après avoir rejeté l’appel principal de l’employé, la Cour d’appel a fait droit à l’appel incident de l’enquêteuse externe. De l’avis de la Cour, la seule question que devait se poser le juge de première instance était celle de savoir si, dans l’exécution de la mission d’enquête confiée par l’employeur, l’enquêteuse externe avait manqué à ses obligations et commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile extracontractuelle à l’égard de l’employé visé par cette enquête. Cette question ne peut trouver réponse en référant simplement aux règles de l’équité procédurale applicables en matière de droit administratif et public. Selon la Cour, de telles règles d’équité procédurale ne s’appliquent pas à un employeur (même public) qui fait enquête en vue de décider s'il y a harcèlement psychologique et, le cas échéant, y remédie en imposant une sanction disciplinaire à l’auteur de ce harcèlement3. La Cour ajoute qu’une telle enquête, même menée par un tiers mandaté, est intrinsèquement reliée à l'exercice du pouvoir patronal de gestion et de discipline et n’a pas à être soumise à des exigences procédurales comparables à celles qui s’imposent notamment devant les tribunaux administratifs ou judiciaires ni au processus contradictoire applicable devant ceux ci. Il est donc loisible à un employeur de se doter d’une politique qui renvoie aux règles de justice naturelle ou d’équité procédurale, mais les règles applicables demeurent celles de la responsabilité civile. Ainsi, même en l’absence d’une politique de l’employeur, dans le cas d’une enquête bâclée qui mènerait à une sanction imposée à un employé de manière imméritée et préjudiciable, la responsabilité de l’employeur ou de l’enquêteur pourrait être engagée dans la mesure où il y a faute. Dans l’affaire Ditomene, la Cour d’appel a jugé que le langage utilisé dans la politique de l’employeur (soit notamment l’obligation de voir à l’« équité du processus ») n’imposait pas pour autant le respect intégral du concept d’équité procédurale tel que développé en droit public, non plus que le respect des règles qui seraient de mise devant un organisme exerçant des fonctions juridictionnelles ou encore de transformer l’enquête en processus contradictoire. La Cour d’appel conclut donc qu’il se pourrait que la conduite ou la manière de procéder d’un enquêteur constitue une faute de nature à engager sa responsabilité civile, mais tel n’était pas le cas dans les circonstances de l’affaire Ditomene. _________________________________________ 1 2014 QCCA 2108 (« l’affaire Ditomene »). 2 2013 QCCQ 842. 3 À ce sujet, la Cour d’appel cite notamment l’arrêt Université de Sherbrooke c. Patenaude, 2010 QCCA 2358 (nous vous référons plus particulièrement au paragraphe 39 de cet arrêt).
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Un employeur peut introduire une demande reconventionnelle contre un salarié dans le cadre d’un litige intenté par la Commission des normes du travail afin qu’il soit opéré compensation
Dans l’affaire Commission des normes du travail c. Compagnie d'assurances Standard Life du Canada1 (« affaire Standard Life du Canada »), la Cour du Québec a accepté qu’un employeur produise une demande reconventionnelle à l’endroit d’une salariée dans le cadre d’une réclamation intentée par la Commission des normes du travail (« C.N.T. ») au nom de cette même salariée. Ce faisant, la Cour autorise Standard Life du Canada (« l’Employeur ») à demander, dans le cadre d’une demande reconventionnelle, qu’il s’opère compensation entre les sommes dues à cette salariée et les sommes que celle-ci doit à l’employeur. L’affaire Standard Life du Canada va cependant à l’encontre d’une jurisprudence majoritaire de la Cour du Québec2 selon laquelle un employeur ne peut, dans le cadre d’un recours intenté par la CNT, introduire une demande reconventionnelle contre son salarié ou ex-salarié, celui-ci n’étant pas un « demandeur » au sens du Code de procédure civile3. Dans l’affaire Standard Life du Canada, la CNT réclamait, au nom d’une salariée, la somme de 2 301 $ pour des vacances impayées. Pour sa part, l’Employeur soutenait qu’il avait opéré compensation entre cette somme et des avances de salaire consenties à la salariée en vertu d'une convention de remboursement. Il lui réclamait donc le solde des avances dues après compensation au moyen d'une demande reconventionnelle. La CNT soutenait que l’Employeur n'était pas autorisé à opérer compensation et que sa demande reconventionnelle aurait dû être effectuée dans un dossier distinct. La CNT demandait donc l’irrecevabilité et la radiation de la demande reconventionnelle de la Standard Life. Dans son jugement, la Cour du Québec se fonde sur un arrêt de la Cour d’appel4 pour conclure que la salariée est « partie » à l’action intentée par la CNT et que l’Employeur peut donc faire valoir contre la CNT tout moyen opposable à la salariée elle-même5. Dans le cas précis où l’Employeur demande qu’il soit opéré compensation entre les sommes qu’il doit à la salariée et les sommes que celle-ci lui doit, le tribunal devra s’assurer que l’Employeur détenait, avant l’institution des procédures intentées par la CNT, une créance certaine, liquide et exigible, auquel cas il pourra y avoir extinction de la dette jusqu’à hauteur de la moindre des deux6. La Cour du Québec appuie également sa conclusion sur la règle de la proportionnalité telle qu’énoncée au Code de procédure civile7. Dans les faits, accueillir la requête en irrecevabilité de la CNT obligerait l’Employeur à intenter un recours distinct contre la salariée. De l’avis de la Cour, les intérêts de la justice seraient moins bien servis dans une telle éventualité que si la demande reconventionnelle de l’Employeur était traitée en même temps que l’action de la CNT, ces deux demandes émanant de la même source. Lavery suivra l’issue du fond du litige de l’affaire Standard Life du Canada et vous tiendra informés de tout développement jurisprudentiel significatif à cet égard. _________________________________________ 1 2014 QCCQ 4523. 2 Voir notamment Commission des normes du travail c. 9175-0489 Québec inc. (Steak frites Saint-Paul), 2013 QCCQ 3884 (C.Q.); Comité paritaire de l’industrie des services automobiles de la région de Montréal c. Hewitt Équipements ltée, 2012 QCCQ 1485 (C.Q.) et Commission des normes du travail c. Groupe Dubé Entrepreneur Général inc., 2012 QCCQ 6896 (C.Q.). 3 RLRQ c. C-25. 4 Commission des normes du travail c. Motos Daytona inc., 2009 QCCA 1833 (C.A.) (« Motos Daytona inc. »), citant Maltais c. Corp. du parc régional du Mont Grand-Fonds inc., D.T.E. 2002T-715 (C.A.). 5 Préc., note 1, par. 11 et 12. 6 Motos Daytona inc., préc., note 4. 7 Préc., note 3, article 4.2.
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L’affaire Asphalte Desjardins : la Cour suprême du Canada renverse la décision de la Cour d’appel du Québec
Le 25 juillet 2014, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc1. Dans cet arrêt, qui renverse la décision de la Cour d’appel du Québec2, la Cour suprême conclut qu’un employeur qui reçoit un délai de congé raisonnable prévu à l’article 2091 du Code civil du Québec3 (« C.c.Q. ») ne peut à son tour mettre fin unilatéralement et immédiatement au contrat de travail à durée indéterminée sans lui-même donner au salarié un délai de congé ou une indemnité qui en tient lieu.Le 19 mars 2013, la majorité des juges de la Cour d’appel du Québec avait renversé le courant jurisprudentiel majoritaire à l’effet que lorsqu’un salarié avisait son employeur de son intention de démissionner, l’employeur pouvait renoncer au préavis donné par le salarié dans la mesure où il compensait ce dernier pour la balance de ce préavis.Nous vous proposons une analyse succincte des décisions rendues par la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada dans cette affaire.La décision de la Cour d’appel du QuébecDans sa décision, la Cour d’appel avait analysé les principes juridiques en litige : la faculté d’une partie au contrat de travail à durée indéterminée de le résilier unilatéralement en donnant un délai de congé (préavis) raisonnable à l’autre partie (article 2091 du C.c.Q.) et l’obligation de l’employeur de donner l’avis de cessation d’emploi minimal prévu à la Loi sur les normes du travail4(« L.n.t. ») avant de mettre fin à l’emploi d’un salarié (article 82 de la L.n.t.). Essentiellement, la majorité des juges de la Cour d’appel conclut que le droit à un préavis raisonnable prévu à l’article 2091 du C.c.Q. bénéficie à la personne qui le reçoit. Cependant, la faculté de donner un préavis ne s’élève pas au rang d’un « droit » qui peut être invoqué contre la partie qui reçoit ce préavis. Par conséquent, dans un cas tel que celui impliquant Asphalte Desjardins inc., celle-ci pouvait, en tant qu’employeur, renoncer entièrement ou en partie au préavis de démission donné par son salarié, sans avoir à lui donner l’avis de cessation d’emploi prévu à l’article 82 de la L.n.t. En réalité, c’est le salarié qui a résilié le contrat et non l’employeur.Notons que dans le cas spécifique de l’affaire Asphalte Desjardins, le salarié, un directeur de projets ayant accès à des renseignements confidentiels de l’entreprise, démissionnait pour aller travailler chez un concurrent. La décision d’Asphalte Desjardins inc. de demander au salarié de quitter immédiatement plutôt qu’à la date de fin d’emploi annoncée s’explique donc notamment par le risque que représente, pour un employeur, le fait de maintenir à son emploi un salarié qui a accès à de l’information sensible tout en sachant pertinemment qu’il sera à l’emploi d’un compétiteur dans quelques semaines.La décision de la Cour suprême du CanadaLa Cour suprême du Canada renverse la décision de la Cour d’appel du Québec et conclut qu’un employeur qui reçoit un délai de congé raisonnable ne peut, à son tour, mettre fin unilatéralement au contrat de travail à durée indéterminée sans lui-même donner un délai de congé ou une indemnité qui en tient lieu qui comprend notamment l’avis de cessation d’emploi prévu à l’article 82 de la L.n.t.La Cour estime que le contrat de travail à durée indéterminée ne prend pas fin au moment où le délai de congé ou le préavis est donné. Au contraire, la relation contractuelle perdure jusqu’à la date de fin d’emploi prévue. Par conséquent, même après que l’une des parties au contrat de travail à durée indéterminée ait donné un délai de congé à son cocontractant, les parties demeurent tenues de respecter les obligations qui leur incombent en vertu du contrat de travail jusqu’à l’expiration de ce délai, ce qui comprend notamment l’obligation, pour celui qui désire mettre fin au contrat d’emploi avant l’expiration du délai de congé donné par l’autre, de donner à son tour un délai de congé raisonnable. Selon la Cour, il n’est pas opportun de traiter la question sous l’angle de la« renonciation » au préavis et une telle approche ne peut avoir pour effet de permettre à une partie de déroger à ses obligations d’une façon qui pourrait être préjudiciable à l’autre.En somme, lorsque l’employeur refuse de laisser le salarié fournir sa prestation de travail et de le rémunérer pendant le délai de congé proposé par le salarié, il se trouve à « mettre fin au contrat » au sens de l’article 82 de la L.n.t. Toutefois, tel ne serait pas le cas si le salarié annonçait une démission sur-le-champ, en offrant néanmoins de rester à l’emploi pendant un certain temps. Dans un tel cas, la Cour précise que, si l’employeur souhaite effectivement que le salarié quitte sur-le-champ, il ne sera pas tenu de donner un délai de congé si les deux parties consentent à une fin d’emploi immédiate, la fin du contrat de travail faisant dès lors l’objet d’une rencontre des volontés. Enfin, la Cour ajoute qu’on ne saurait imposer à l’employeur un délai de congé décidé unilatéralement par un salarié, précision utile dans les cas où un salarié donnerait un préavis de démission déraisonnablement long5.Enfin, la Cour conclut que la Commission des normes du travail peut réclamer, pour le salarié, une indemnité équivalant à trois semaines de salaire, soit la balance du préavis donné par le salarié, ainsi que la somme due à titre de congé annuel.CommentairesNous constatons que le fait que le salarié démissionnaire ait annoncé qu’il irait travailler pour un concurrent d’Asphalte Desjardins inc. ne semble pas avoir été considéré comme un facteur très pertinent dans les motifs de la Cour suprême du Canada. Appelée à trancher une controverse jurisprudentielle, la Cour a choisi d’énoncer des principes d’application générale, fondés sur l’analyse des dispositions de la Loi sur les normes du travail et du Code civil du Québec, et écarte l’analyse de la Cour d’appel. La Cour retient ainsi que les salariés sont des parties« vulnérables6 ». Elle ajoute également que, le salarié n’ayant pas réclamé la pleine indemnité prévue aux articles 82 et 83 de la L.n.t., « il est préférable de laisser pour plus tard » la question de décider si la durée du préavis prévu à l’article 82 de la L.n.t. et l’indemnité équivalente prévue à l’article 83 relèvent de l’ordre public de protection ou de direction7.Du point de vue des employeurs, il peut sembler inéquitable d’avoir à indemniser un salarié qui vient d’annoncer sa démission pour aller travailler chez un concurrent, alors qu’il serait plutôt naturel de refuser au salarié démissionnaire le droit de demeurer en poste avec un accès probable à de l’information sensible. D’un point de vue pratique, le salarié qui démissionne pour travailler chez un concurrent direct ne se trouve-t-il pas ainsi à profiter du délai de congé donné au détriment de l’employeur? Pour un employeur, payer le salaire d’un salarié qui a choisi de joindre la concurrence ajoute très certainement l’insulte à l’injure, surtout dans les cas où, en raison des circonstances, c’est bien davantage l’entreprise qui est « vulnérable »…À tout événement, une décision ultérieure sur le caractère d’ordre public de protection ou de direction des articles 82 et 83 de la L.n.t. sera assurément intéressante et pourrait compléter l’analyse faite par la Cour suprême dans l’affaire Asphalte Desjardins.Lavery suivra l’application de cet arrêt de la Cour suprême et vous informera de toute tendance ou évolution jurisprudentielle significative._________________________________________1 2014 CSC 51 (« Asphalte Desjardins »).2 Asphalte Desjardins inc. c. Commission des normes du travail, 2013 QCCA 484.3 RLRQ c C-1991.4 RLRQ c N-1.1.5 Asphalte Desjardins, par. 44.6 Id., par. 64.7 Id., par. 71.
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Salarié ou travailleur autonome? La Cour d’appel du Québec se prononce
La Cour d’appel du Québec s’est prononcée récemment sur les critères de qualification du contrat de travail permettant de distinguer celui-ci du contrat de service dans l’affaire Bermex international inc. c. L’Agence du revenu du Québec1.Rappelons qu’indépendamment du fait que les parties aient qualifié leur entente de contrat de service ou d’entente avec un travailleur autonome, un tribunal n’est aucunement lié par une telle qualification.Les tribunaux ont élaboré certains critères pour analyser le statut juridique d’une personne, afin de savoir si elle est salariée ou travailleur autonome.Parmi ces critères, le lien de subordination, à savoir si une personne effectue un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, a toujours été déterminant.Qu’en est-il lorsque la personne n’est pas, à proprement parler, « sous la direction ou le contrôle d’une autre personne »2, puisqu’elle dirige elle-même l’entreprise ?C’est la question à laquelle la Cour d’appel a eu à répondre.Il s’agit d’une décision d’intérêt puisque la Cour retient un concept large du lien de subordination, en considérant le degré d’intégration du travailleur à l’entreprise, critère émanant de la common law.Dans le présent article, nous profiterons de la collaboration de Me Martin Bédard, fiscaliste, pour faire un survol des incidences fiscales découlant d’une mauvaise qualification de la relation entre les parties.LES FAITSLe présent bulletin traite de l’appel d’une décision de la Cour du Québec qui a rejeté la contestation de quatre entreprises à l’égard d’avis de cotisation émis par l’Agence du revenu du Québec (« l’Agence »). Le statut du principal administrateur et dirigeant des entreprises appelantes était au coeur du litige pour déterminer s’il existait un lien de subordination réel faisant de ce dirigeant un salarié plutôt qu’un travailleur autonome.Les appelants, Bermex International (« Bermex »), Finition Chez Soi (« Finition ») et Confortec 2000 (« Confortec »), oeuvrent dans le domaine du meuble. Ces trois entreprises sont contrôlées par Groupe Bermex inc. (« Groupe ») et les actions comportant droit de vote de cette dernière sont détenues par Gestion Richard Darveau inc.Richard Darveau est comptable agréé et le principal administrateur et dirigeant des trois entreprises appelantes. Il se décrit comme consultant en gestion-conseil des entreprises.À la suite d’une vérification fiscale des quatre entreprises, l’Agence a conclu que M. Darveau ne détenait pas le statut de travailleur autonome, mais qu’il était plutôt un salarié au sein des entreprises. Par conséquent, elle était d’avis que les honoraires de gestion versés à M. Darveau devaient être considérés comme des revenus d’emploi et, par conséquent, faisaient partie de la masse salariale des entreprises.Pour les années 2003, 2004 et 2005, les honoraires de gestion versés à M. Darveau étaient respectivement de l’ordre de 800 000 $, 900 000 $ et 900 000 $. Pour sa part, M. Darveau a déclaré ces sommes à titre de revenus d’entreprise sur ses déclarations personnelles de revenus.LES INSTANCES ANTÉRIEURESBermex, Finition, Confortec, et Groupe ont contesté sans succès les avis de cotisation émis par l’Agence, mais ils ont été maintenus.La Cour du Québec a également rejeté l’appel des cotisations déposées par les entreprises. Elle conclut que les cotisations bénéficiaient d’une présomption de validité3 et que les appelantes avaient le fardeau de « démolir »4 cette présomption, ce qu’elles n’ont pas réussi à faire.Une énumération non exhaustive des faits qui ressortent du jugement de la Cour du Québec figure ci-dessous : Il n’y a aucune entente écrite entre M. Darveau et les entreprises relativement à son travail à titre de consultant; Les services fournis représentent environ 85 % du temps travaillé de M. Darveau; M. Darveau agit comme consultant pour des besoins pratiques, quotidiens et à court terme; Il assiste aux congrès annuels de l’industrie à titre de président-directeur général du Groupe; M. Darveau peut consentir des rabais aux clients; Il travaille principalement dans un bureau chez Bermex; Les entreprises fournissent à M. Darveau les services de secrétariat, de réceptionniste, de photocopie et de matériel, y compris la papeterie, les formulaires, les catalogues, les brochures et le papier en-tête; Son kilométrage et ses repas sont remboursés; Les entreprises assument les conséquences liées aux erreurs de gestion de M. Darveau; Les services de M. Darveau paraissent uniformes sans aucune nuance reliée à la nature des activités de chacune des entreprises; Les montants des honoraires sont uniformes d’un mois à l’autre et sont parfois facturés à l’avance, sans aucun ajustement postérieur en fonction du temps réellement travaillé5; Il n’a produit aucun état financier en lien avec ces services.Ainsi, le juge conclut que plusieurs éléments mis en preuve et déjà retenus par la jurisprudence penchent lourdement à l’encontre de la qualification d’un contrat de service, notamment à la lumière du haut degré d’intégration de M. Darveau dans les activités des entreprises.LES PRÉTENTIONS DES APPELANTESLes appelantes ont soulevé plusieurs moyens d’appel.Premièrement, elles ont fait valoir que le juge de première instance avait erré en rejetant une objection formulée à l’encontre de la production du questionnaire rempli par la vérificatrice. Ce formulaire contenait les réponses fournies par M. Guy Bouillé, le contrôleur de l’entreprise, en présence de M. Darveau.Le deuxième moyen d’appel était fondé sur la présomption de validité des avis de cotisation et le fardeau de preuve de celui qui conteste un tel avis. Les appelantes soutenaient qu’elles s’étaient acquittées de leur fardeau et qu’elles avaient repoussé la présomption de validité des avis de cotisation en litige.Les appelantes ont également plaidé que l’intention des parties aurait dû être prise en compte afin de déterminer la nature du contrat les liant. Elles ont soutenu que M. Darveau disposait d’un statut multiple, soit celui d’employé, de PDG et de travailleur autonome, au sein du Groupe, mais qu’en réalité il n’était qu’un travailleur autonome oeuvrant pour les entreprises liées.Finalement, les appelantes ont prétendu que le juge avait erré en omettant de trancher la question de l’absence de lien de subordination entre les appelantes et M. Darveau. Selon elles, en l’absence de ce lien, « l’analyse ne doit pas être poussée plus loin »6. Plus précisément, elles étaient d’avis que, dans la mesure où les entreprises sont contrôlées à 100 % par M. Darveau, il est difficile de conclure à l’existence d’un lien de subordination entre les appelantes et son prétendu employé.Enfin, les appelantes ont reproché au juge d’avoir importé en droit québécois le critère de l’intégration utilisé en common law afin de déterminer s’il existait un lien d’emploi entre les parties.LA DÉCISION DE LA COUR D’APPELa. L’admissibilité du questionnaire :La Cour d’appel rejette d’emblée la prétention des appelantes concernant l’inadmissibilité du questionnaire rempli par la vérificatrice de l’Agence. Selon la Cour d’appel, le juge de première instance a eu raison d’admettre en preuve les réponses fournies par M. Bouillé et consignées par écrit au formulaire. Il s’agit de déclarations verbales dont la vérificatrice avait une connaissance personnelle et, à ce titre, elles étaient admissibles en preuve.De plus, la Cour conclut que le premier juge était le mieux placé pour déterminer la fiabilité des déclarations faites par M. Darveau. Ayant conclu qu’elles étaient suffisamment fiables, il n’y avait pas lieu d’intervenir à cet égard.b. La présomption de validité des avis de cotisation :Là encore, la Cour d’appel confirme la position du juge de première instance. Elle conclut que ce dernier a appliqué le bon test en affirmant que les appelantes devaient « démolir » la présomption de validité avec une preuve prima facie démontrant en quoi les faits sur lesquels s’appuie la cotisation sont incorrects.De plus, en ce qui concerne le témoignage de M. Darveau, la Cour rappelle que l’appréciation de la crédibilité des témoins est du ressort du juge de procès7.c. L’intention des parties :À l’instar du juge de première instance, la Cour d’appel conclut que l’intention des parties de convenir d’un contrat de service ne se dégage pas clairement de la preuve au dossier.d. Le critère de l’intégration :Les appelantes plaident que le critère fondamental qui distingue le contrat de travail du contrat de service est le lien de subordination et que la preuve ne démontrait pas l’existence d’un tel lien, bien au contraire.Le juge de première instance avait conclu qu’un degré élevé d’intégration du travailleur aux activités du donneur d’ouvrage pouvait indiquer la présence d’un lien de subordination à l’entreprise. Selon cette analyse, un degré élevé d’intégration constitue un indice du lien de subordination8 :« Par références interposées, le juge considère pertinent le fait qu’une personne effectue un travail qui fait partie intégrante de la raison d’être de la société. Le lien de subordination pourrait ainsi se traduire par un degré élevé d’intégration du travailleur aux activités du donneur d’ouvrage; il s’agirait d’un indice du lien de subordination ».Après avoir fait état de la position de deux auteurs québécois en matière de droit du travail et d’une décision de la Cour d’appel fédérale, la Cour d’appel donne son aval à l’utilisation, dans la recherche d’un lien de subordination juridique, du critère de l’intégration du travailleur à l’entreprise. La Cour d’appel confirme ainsi qu’il n’y a pas de contradiction à ce sujet entre le droit civil et la common law9.Le fait que M. Darveau soit actionnaire des sociétés appelantes lui a permis une certaine liberté d’action qui donne l’impression qu’il agit à titre de travailleur autonome. Il n’est pas surprenant qu’à titre de dirigeant, M. Darveau gère son propre horaire, son travail, sa rémunération, non plus qu’il ne soit pas directement sous la supervision d’une autre autorité. Cette liberté lui venait de son statut de dirigeant et non du contrat de service qu’il réclame. Par conséquent, rien n’empêche de conclure que dans l’exécution de ses tâches, M. Darveau détient le statut d’employé et non de travailleur autonome.La Cour d’appel met notamment l’accent sur le fait que ce sont les sociétés appelantes qui ont assumé tout risque de perte et qui ont tiré profit des activités : « Or, une entreprise n’assume pas les erreurs d’un consultant externe »10. M. Darveau n’a apporté aucune « expertise nécessitant l’intervention d’une personne externe dans un domaine qu’il possède mieux que tout autre, il règle simplement les problèmes quotidiens de ses entreprises, comme il le reconnaît »11.La Cour ajoute qu’accepter la thèse des appelantes aurait pour conséquence absurde qu’aucun lien de subordination ne peut exister entre une personne qui contrôle une entreprise et l’entreprise elle-même et que toute entente liant un dirigeant à l’entreprise qu’il contrôle ne pourrait pas être de la nature d’un contrat d’emploi.L’appel est donc rejeté.ASPECTS FISCAUXLa Cour d’appel du Québec suit donc une tendance jurisprudentielle émanant de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale au cours des dernières années. Les tribunaux ont permis l’intégration des critères de common law12 dans l’analyse plus large du test de contrôle québécois13. Ainsi, il est permis de prendre en compte les critères du contrôle, la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes et l’intégration dans l’entreprise dans la détermination du statut de travailleur autonome par opposition à celui d’employé.Cette détermination a des répercussions importantes sur le traitement fiscal, tant du côté du donneur d’ouvrage que du travailleur.Un employeur doit retenir à la source sur le salaire de ses employés l’impôt provincial et fédéral et remettre les sommes ainsi retenues dans les délais réglementaires. L’employeur doit également retenir sur le salaire de l’employé les cotisations salariales de l’employé au Régime de pensions du Canada (« RPC »), à l’Assurance-emploi (« AE »), au Régime des rentes du Québec (« RRQ ») et au Régime québécois d’assurance parentale (« RQAP »).Enfin, l’employeur doit payer des cotisations à titre d’employeur, lesquelles sont généralement influencées par sa masse salariale totale. Les cotisations à titre d’employeur comprennent celles au RPC, à l’AE, au RRQ, au RQAP, au Fonds des services de santé, à la Commission sur la santé et la sécurité au travail, à la Commission des normes du travail et au Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d’oeuvre.L’employeur est généralement responsable des cotisations salariales qui auraient dû être perçues sur le salaire de l’employé, mais pas de l’impôt non retenu, sauf dans le cas d’employés non résidents du Canada.De plus, l’employeur peut se voir appliquer des pénalités pour les sommes non retenues ou les cotisations non effectuées. Au fédéral, la pénalité est de 10 %, qui peut être augmentée à 20 % en cas de récidive, lorsque le défaut a été commis sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Au provincial, la pénalité est de 15 %.Enfin, l’employeur sera tenu de verser des intérêts au taux prescrit sur ces montants (le taux d’intérêt prescrit est actuellement de 6 % au fédéral et au provincial).À l’inverse, dans le cas d’un travailleur autonome, le donneur d’ouvrage co-contractant n’est pas tenu de faire de telles retenues à la source. C’est le travailleur autonome qui a la seule responsabilité de faire les paiements de ses acomptes provisionnels selon les exigences de la Loi de l’impôt sur le revenu.Toutefois, si le travailleur autonome est un non-résident du Canada, des retenues à la source doivent être faites par le donneur d’ouvrage. Un défaut à cet égard peut donner lieu à des pénalités et des intérêts.Par ailleurs, un travailleur autonome doit normalement prélever la TPS et la TVQ sur les services qu’il rend au donneur d’ouvrage. Un travailleur autonome qui aurait erronément été qualifié d’employé pourrait se retrouver en défaut s’il n’a pas fait le paiement de ces taxes et serait alors passible de pénalités équivalent à 5 % des sommes dues, plus 1 % par mois jusqu’à un maximum de 10 %.Les autorités fiscales disposent normalement d’un délai de trois (3) ans pour procéder à une nouvelle cotisation d’un contribuable. Ce délai passe à quatre (4) ans dans le cas de sociétés autres qu’une société privée sous contrôle canadien, comme une société publique ou une société contrôlée par des personnes non résidentes. Toutefois, cette période ne s’applique plus dans le cas où la société a fait une déclaration erronée ou fausse. Il n’y aurait alors plus de délai qui aurait pour effet d’empêcher les autorités fiscales de procéder à une nouvelle cotisation. Une telle levée de la prescription peut être envisagée dans le cas où la détermination du statut du travailleur serait inexacte.Dans un cas où un employeur constate son erreur avant que les autorités fiscales n’interviennent, il aurait la possibilité de pallier son défaut quant aux retenues à la source qu’il aurait dû effectuer en procédant à une divulgation volontaire. Si la divulgation volontaire est acceptée, elle devrait permettre de limiter les sommes payables aux montants qui auraient dû être retenus ou cotisés et à l’intérêt applicable; les pénalités ne sont alors pas réclamées.Il faut également noter que les pouvoirs d’enquête de Revenu Québec et de l’Agence du revenu du Canada leur permettent de procéder à la vérification de l’ensemble du registre du personnel d’une entreprise si une erreur est découverte dans le traitement d’un travailleur.Ainsi, le choix de la qualification du statut d’un travailleur de l’entreprise devrait être effectué en tenant compte de la situation de l’ensemble des travailleurs, puisqu’une vérification élargie pourrait avoir un impact beaucoup plus important sur l’entreprise vérifiée.CONCLUSIONLa Cour d’appel reconnaît qu’il y a lieu de retenir une conception large du lien de subordination. Plus précisément, elle nous enseigne qu’il est possible d’analyser et de considérer le lien d’intégration d’une personne dans les activités d’une entreprise pour déterminer son statut véritable.Le critère du « lien d’intégration » est surtout utile dans le cas de cadres supérieurs, de professionnels ou de travailleurs hautement spécialisés, puisque le critère classique de la subordination est souvent absent en pareille situation.Rappelons qu’une qualification erronée du contrat de travail peut avoir des impacts financiers et juridiques importants tant pour l’entreprise que pour la personne concernée, tant au plan fiscal qu’en matière de droit du travail. Il est donc essentiel de procéder à une bonne analyse du statut réel de la personne en cause._________________________________________1 2013 QCCA 1379.2 Article 2085 du Code civil du Québec.3 En vertu de l’article 1014 de la Loi sur les impôts, L. R.Q., c. I-3.4 Terme utilisé par le juge de première instance et repris par la Cour d’appel.5 « C’est une uniformité étonnante en l’absence d’un contrat à forfait », a précisé le juge de première instance au par. 33 du jugement de la Cour d’appel.6 Par. 44 du jugement de la Cour d’appel.7 La Cour d’appel précise que le juge de première instance a considéré que la crédibilité de M. Darveau avait souffert de certaines réponses qu’il avait données.8 Par. 50 du jugement de la Cour d’appel.9 Par. 53 à 56 du jugement de la Cour d’appel.10 Par. 59 du jugement de la Cour d’appel.11 Par. 60 du jugement de la Cour d’appel.12 Wiebe Door Services Ltd., [1986] 2 C.T.C. 200 (C.A.F.), confirmé par 671122 Ontario Ltd. v. Sagaz Industries, [2001] 4 C.T.C. 139 (C.S.C.).13 Combined Insurance Co. c. MRN, 2007 CarswellNat 601 (C.A.F.) et Grimard c. R, [2009] 6 C.T.C. 7 (C.A.F.), en renversement de 9041-6868 Québec inc. c. MRN, 2005 CarswellNat 5615 (C.A.F.).
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Bulletin trimestriel d’information juridique à l’intention des professionnels de la comptabilité, de la gestion et des finances, Numéro 20
SOMMAIRE Police d’assurance-vie : comment sortir des fonds d’une société par actions sans incidence fiscale Le congédiement déguisé analysé dans le contexte d’une acquisition d’entreprise La faculté de dédit, une liberté contractuelle encadrée Transferts de résidences mettant en cause une fiducie testamentaire exclusive au conjoint POLICE D’ASSURANCE-VIE : COMMENT SORTIR DES FONDS D’UNE SOCIÉTÉ PAR ACTIONS SANS INCIDENCE FISCALELuc Pariseau avec la collaboration de Martin Bédard, stagiaire en droitLa sortie de fonds d’une société par actions par un individu actionnaire peut présenter certains défis fiscaux parfois difficiles à surmonter. Néanmoins, il existe différents moyens d’y parvenir qui limitent ou annulent les conséquences fiscales négatives pour l’actionnaire et la société par actions si certaines conditions sont respectées. Ainsi, la cession d’une police d’assurance-vie par un individu actionnaire à une société par actions avec laquelle il a un lien de dépendance est souvent un moyen efficace pour parvenir à surmonter les défis fiscaux.La technique est simple. L’actionnaire cède sa police à sa société par actions et reçoit une contrepartie équivalente à la juste valeur marchande de sa police, telle qu’elle est établie par un actuaire. La contrepartie que verse la société par actions peut être sous forme de comptant ou d’un billet à ordre qui sera payé lorsque la société aura les liquidités nécessaires. Par effet de la LIR, le produit de disposition est réputé équivaloir à la valeur de rachat de la police cédée au moment de la disposition1.L’actionnaire sera alors imposé sur la différence entre la valeur de rachat de la police et son coût de base rajusté, et le gain en découlant, le cas échéant, sera considéré comme un revenu de bien et non un gain en capital2. En présumant que la valeur de rachat de la police est faible et que sa juste valeur marchande est élevée, l’actionnaire peut ainsi bénéficier d’une sortie de fonds importante, avec peu ou pas de conséquences fiscales négatives.La juste valeur marchande d’une police sera plus élevée que sa valeur de rachat entre autre lorsque l’état de santé de la personne assurée se sera détérioré depuis le moment de la souscription de la police. Ce sera aussi le cas lorsque la prime théorique pour une police comparable est plus élevée que celle qui est payée pour la police pour des raisons financières attribuables au type de police souscrite ou à l’évolution de la tarification.Quant à la société par actions, elle se trouve à effectuer une sortie de fonds non déductible et à acquérir un intérêt dans une police avec un coût de base rajusté égal à sa valeur de rachat. La société pourra ainsi bénéficier, lors du décès de l’actionnaire, en plus du produit d’assurance, d’une augmentation de son compte de dividendes en capital égale à l’indemnité reçue, moins le coût de base rajusté de la police3.L’Agence du revenu du Canada reconnaît la validité d’une telle planification, mais est vraisemblablement inconfortable avec son résultat4. Elle a soumis cette situation au ministère des Finances qui a indiqué que celle-ci était en instance de traitement. Toutefois, aucune modification n’a encore été apportée à la LIR à ce jour, plus de 10 ans après que la question ait été soulevée pour la première fois en 2002.Par ailleurs, la situation où la société par actions détient la police d’assurance et paie les primes présente certains avantages, notamment le fait que le coût des primes après impôt est souvent moins élevé pour la société qu’il ne le serait pour l’individu actionnaire. L’analyse qui précède est évidemment générale et une analyse plus détaillée serait indiquée pour tout individu qui est en position de céder une police individuelle à une société par actions.________________________________ 1 Paragraphe 148(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »). 2 Paragraphe 148(1) et alinéa 56(1)j) LIR. 3 Paragraphe 89(1) « compte de dividendes en capital » d) LIR. 4 ARC, Interprétation technique 2002-0127455, « Non arm’s length disposition » (7 mai 2002); ARC, Interprétation technique 2003-0040145, « Transfert d’une police d’assurance-vie » (6 octobre 2003); ARC, Interprétation technique 2008-0303971E5, « Transfer of a life insurance policy » (27 mai 2009).LE CONGÉDIEMENT DÉGUISÉ ANALYSÉ DANS LE CONTEXTE D’UNE ACQUISITION D’ENTREPRISE Guy Lavoie et Élodie Brunet avec la collaboration de Brittany Carson, stagiaire en droitLa Cour d’appel du Québec, dans l’affaire St-Hilaire c. Nexxlink inc.1, a analysé la notion de « congédiement déguisé » dans le contexte particulier d’une acquisition d’entreprise.Dans cette affaire, Nexxlink a fait l’objet d’une acquisition qui a donné lieu à une série de changements au sein de l’entreprise, dont certains affectaient les conditions de travail de St-Hilaire. Estimant que ces changements constituaient des modifications substantielles à des conditions essentielles de son contrat de travail, St-Hilaire quitte son emploi peu de temps après la transaction et prétend avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé. Il réclame 525 000 $ à Nexxlink en dommages-intérêts.Confirmant la décision de la Cour supérieure, la Cour d’appel conclut que St-Hilaire n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé.Selon les critères établis par la Cour suprême du Canada, le congédiement déguisé se traduit par « 1) une décision unilatérale de l’employeur, 2) une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail, 3) le refus des modifications apportées par l’employé et 4) le départ de l’employé.2 » Ces critères s’analysent sous l’angle de la personne raisonnable placée dans une même situation3.Dans le contexte de la transaction, la modification du titre d’emploi de St-Hilaire de vice-président, développement des affaires pour celui de vice-président aux ventes d’équipement d’infrastructure ne constitue pas une modification substantielle de ses conditions d’emploi, ni une rétrogradation, mais plutôt une modification relative à l’organisation de l’entreprise qui relève du droit de gérance de Nexxlink.En ce qui concerne les modifications aux responsabilités et au marché cible alléguées par St-Hilaire, celles-ci n’étaient qu’appréhensions. Dans le contexte d’une acquisition d’entreprise, certaines tâches de hauts dirigeants peuvent être modifiées ou précisées avec le temps : « une certaine période d’incertitude ou d’ajustement est tout à fait prévisible. » Selon la Cour, une personne raisonnable placée dans le même contexte que St-Hilaire aurait pu prévoir qu’elle conserverait ses comptes-clients et que diverses opportunités étaient envisageables au sein de la nouvelle entreprise.Quant à la rémunération de St-Hilaire lors de son entrée en fonction, celle-ci était principalement constituée d’un salaire de base de 170 000 $, d’un plan de bonification de 40 000 $ et de 20 000 $ d’options d’achat d’actions.Contrairement aux allégations de St-Hilaire, le tribunal conclut que les critères d’octroi du boni annuel n’ont pas été modifiés de manière substantielle. De plus, même si tel avait été le cas, son contrat de travail prévoyait expressément que le plan de bonification pouvait faire l’objet de modifications sur simple approbation du conseil d’administration. Quant à l’annulation des options d’achat d’actions, même si elle pouvait être considérée comme une diminution de la rémunération de St-Hilaire, ce dernier ne s’en était jamais plaint avant de quitter l’entreprise. Selon la Cour, St-Hilaire jugeait sans doute qu’il ne s’agissait pas d’une condition essentielle.En conclusion, la Cour d’appel a conclu que St-Hilaire connaissait le rôle qui lui était réservé dans la nouvelle entreprise. La structure dont il se plaignait était provisoire et incertaine. Dans le contexte de la transaction, les allégations de congédiement déguisé étaient mal fondées.L’intérêt de cette décision réside dans le fait qu’elle relativise la notion de congédiement déguisé dans le contexte particulier d’une acquisition d’entreprise, en plus de réitérer le principe voulant que la structure d’une entreprise n’est pas condamnée à demeurer statique.________________________________ 1 2012 QCCA 1513 (C.A.)(confi rmant 2010 QCCS 2276 (C.S.)). 2 Id., par. 29, citant l’arrêt Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846 (ci-après, « Farber »). 3 Farber, par. 26.LA FACULTÉ DE DÉDIT, UNE LIBERTÉ CONTRACTUELLE ENCADRÉECatherine MéthotLa faculté de dédit, aussi appelée clause de dédit ou d’« opting out », est la faculté qui est donnée, contractuellement ou par la loi, à une partie de se retirer d’une transaction sans justification avant sa conclusion. Bien que la clause de dédit puisse procurer une grande liberté d’action, une partie ne peut pour autant s’en prévaloir de façon cavalière. En effet, une clause de dédit ne peut être utilisée de manière malicieuse ou abusive, ni aller à l’encontre des exigences de la bonne foi. De plus, pour être opposable et efficace, une clause de dédit doit être exécutoire et explicite.Récemment, la Cour d’appel du Québec nous a rappelé ces principes dans la cause de London c. Kyriacou1. Dans cette affaire, les propriétaires d’une garderie (les « Vendeurs ») ont accepté l’offre d’achat de Mmes Kyriacou et Teologou (les « acheteuses ») et la vente de la garderie devait initialement avoir lieu le 29 septembre 2006. Cette date a cependant été repoussée à plusieurs reprises et les modalités de l’offre ont été modifiées à maintes reprises au fil des mois. Entre autres, les parties se sont entendues pour augmenter le prix de vente de 150 000,00 $ conditionnellement à l’obtention d’une subvention gouvernementale dans les 15 mois suivant la vente. Dès l’automne 2006, les Vendeurs ont présenté les Acheteuses aux parents des enfants fréquentant la garderie comme étant les nouvelles propriétaires de celle-ci à compter de janvier 2007. Dès le mois de mai 2007 les Acheteuses ont commencé à exploiter la garderie et à se comporter en véritables propriétaires de celle-ci, notamment en y effectuant des réparations à leurs frais et en établissant un nouveau programme éducatif. À compter de mai 2007 les parties ont échangé plusieurs projets de convention de vente et la transaction devait se conclure au mois d’août 2007. Or, le 10 août 2007, suivant la réception d’une lettre des autorités gouvernementales confirmant que la garderie serait subventionnée à compter du mois de mars 2008, les Vendeurs ont avisé les Acheteuses qu’ils se retiraient des négociations, ont fait changer les serrures de la garderie et en ont interdit l’accès aux Acheteuses.Les Acheteuses ont présenté une requête en passation de titre devant la Cour supérieure du Québec pour forcer les Vendeurs à procéder à la transaction prévue. Les Vendeurs s’y sont opposés, alléguant notamment que l’offre d’achat initiale comportait une clause de dédit et qu’ils avaient le droit de s’en prévaloir. La clause se lisait comme suit : « Lorsque la vérification diligente sera complétée et que les parties se seront entendues sur les conditions de la transaction, si une des parties refuse d’aller de l’avant, l’autre partie sera responsable des frais professionnels encourus.2 »En première instance, la Cour supérieure a refusé d’appliquer la clause parce que les Vendeurs avaient agi de mauvaise foi tout au long du processus de négociations, qu’au surplus, la clause n’était pas explicite, et que même si elle l’avait été les Vendeurs avaient, par leurs agissements (notamment en incitant les intimés à exploiter la garderie et par la teneur des discussions sur la convention de vente), renoncé à son application. La Cour supérieure retient de la preuve que toutes les conditions mentionnées à l’offre originale ont été satisfaites et qu’il y a eu entente sur tous les éléments nouveaux soulevés par les Vendeurs par la suite. Bref, la transaction avait été conclue entre les parties et il ne restait qu’à la documenter. La Cour supérieure a donc ordonné aux parties de signer la convention de vente et la Cour d’appel du Québec a confirmé cette décision.Bien que l’inclusion d’une clause de dédit dans un contrat ou une lettre d’offre puisse constituer une stratégie très attrayante, la décision résumée dans cet article souligne l’importance de la rédaction soignée d’une telle clause et le fait que mieux vaut consulter un professionnel au moment de la mettre en oeuvre.________________________________ 1 2013 QCCA 37. 2 En anglais dans la décision: « After due diligence is said and done and all conditions have been agreed upon, if one of the parties’ purchaser or vendor refuse to go ahead the other will be liable for professional fees occurred. »TRANSFERTS DE RÉSIDENCES METTANT EN CAUSE UNE FIDUCIE TESTAMENTAIRE EXCLUSIVE AU CONJOINTDiana DarilusLa vente d’une maison par une fiducie testamentaire exclusive au conjoint et l’achat d’une nouvelle résidence en remplacement de la première peuvent générer des conséquences fiscales désavantageuses si toutes les précautions requises ne sont pas prises avant d’y procéder.EXEMPTION POUR RÉSIDENCE PRINCIPALELorsqu’une fiducie testamentaire exclusive au conjoint se retrouve en possession d’une maison à la suite du décès d’un contribuable et qu’elle désire par la suite se départir de cette maison, il faut s’interroger sur la disponibilité de l’exemption pour résidence principale pour réduire le gain en capital imposable résultant du transfert.En outre, la loi fiscale1 prévoit certaines présomptions lorsqu’un contribuable a disposé d’une maison en faveur d’une fiducie testamentaire exclusive au profit du conjoint par roulement fiscal au décès, afin que la fiducie puisse bénéficier de l’exemption pour résidence principale pour les années durant lesquelles le contribuable décédé était propriétaire de la maison. De façon générale, une fiducie testamentaire exclusive au conjoint pourra bénéficier de l’exemption pour résidence principale lors de la vente de la maison pour toutes les années durant lesquelles le contribuable décédé ou la fiducie elle-même en était propriétaire, dans la mesure où plusieurs conditions sont satisfaites.L’une de ces conditions est que lorsque la fiducie était propriétaire de la résidence, celle-ci doit avoir été normalement habitée par un bénéficiaire déterminé, par l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait de ce bénéficiaire ou par un enfant de celui-ci. Un bénéficiaire déterminé signifie de façon générale une personne qui a un droit de bénéficiaire dans la fiducie et qui habitait normalement le logement (ou qui a un conjoint ou un ex-conjoint ou un enfant qui l’habitait normalement).De plus, avant de procéder à la désignation de la maison comme résidence principale pour les années de détention par le contribuable décédé alors qu’il était vivant ou par la fiducie elle-même, la fiducie doit également s’assurer qu’aucune désignation de résidence principale sur un autre bien n’a été effectuée relativement à ces années ni par la personne décédée ou son unité familiale, ni par un bénéficiaire déterminé ou son unité familiale.MAINTIEN DU STATUT DE FIDUCIE TESTAMENTAIREDans le cadre d’une transaction de vente et d’achat de résidences mettant en cause une fiducie testamentaire, il faut se garder de mettre en péril le statut de fiducie testamentaire de cette fiducie, statut qui lui confère l’avantage d’être imposée à des taux d’impôt progressifs.Ainsi, pour conserver son statut de fiducie testamentaire, aucun bien ne doit être remis à la fiducie autrement que par un particulier lors de son décès ou postérieurement et par la suite de ce décès. La fiducie pourrait ainsi perdre son statut de fiducie testamentaire et les avantages fiscaux qui s’y rattachent si, par exemple, la fiducie ne transige pas à la juste valeur marchande lors de l’acquisition de la nouvelle résidence : le vendeur pourrait être considéré comme ayant fait une contribution égale à l’excédent de la juste valeur marchande du bien sur la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par la fiducie.Sous réserve de certaines exceptions, le statut de fiducie testamentaire de la fiducie peut également être perdu si la fiducie contracte une dette ou une autre obligation dont est créancier ou garant un bénéficiaire de la fiducie (par exemple l’épouse du défunt) ou une autre personne avec laquelle un bénéficiaire de la fiducie a un lien de dépendance.CONCLUSIONLes transactions d’immeubles mettant en cause une fiducie testamentaire exclusive au conjoint devraient toujours faire l’objet d’un examen préalable minutieux des conséquences fiscales afin d’éviter les mauvaises surprises.________________________________ 1 Loi de l’impôt sur le revenu.