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  • Bulletin trimestriel d’information juridique à l’intention des professionnels de la comptabilité, de la gestion et des finances, Numéro 23

    SOMMAIRE  Le plan budgétaire fédéral 2014 sonne le glas de deux mesures de planification fiscale familiale très prisées tant par les entrepreneurs que par certains professionnels L’expert de la Cour Vous avez signé un contrat de service...avec un employé! Comment bien qualifier la relation entre les parties et quelles sont les conséquences d’une mauvaise qualification? Application de la RGAÉ à une opération de « nettoyage » de dettes transfrontalières : Décision Pièces Automobiles Lecavalier Inc.LE PLAN BUDGÉTAIRE FÉDÉRAL 2014 SONNE LE GLAS DE DEUX MESURES DE PLANIFICATION FISCALE FAMILIALE TRÈS PRISÉES TANT PAR LES ENTREPRENEURS QUE PAR CERTAINS PROFESSIONNELSMartin bédardFRACTIONNEMENT DE REVENUPAR L'INTERMÉDIAIRE D'UNE FIDUCIE OU D'UNE SOCIÉTÉ DE PERSONNESTout d’abord, le Plan budgétaire fédéral 2014 (le « budget ») met fin aux possibilités de fractionnement de revenu des fiducies et sociétés de personnes en ce qui a trait aux revenus d’entreprise et de location attribués à un enfant mineur.De tels revenus seront maintenant considérés comme faisant partie du revenu fractionné de la fiducie ou de la société de personnes et seront imposés au taux marginal.Tel que décrit dans le Budget, les conditions d’application de cette nouvelle mesure sont les suivantes : les revenus proviennent d’une entreprise ou de la location de biens; une personne liée à l’enfant mineur, selon le cas : prend part, de façon active et régulière, à l’activité de la société de personnes ou de la fiducie générant de tels revenus; possède, dans le cas d’une société de personnes, une participation dans la société de personnes soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire d’une autre société de personnes. Les structures visées par ces nouvelles mesures pouvaient être utilisées par des professionnels exerçant leur entreprise par l’intermédiaire d’une société de personnes dont leur enfant mineur ou une fiducie au bénéfice de ce dernier était un associé. Une telle structure permettait d’attribuer directement ou indirectement une part du revenu de la société de personnes à l’enfant mineur et ainsi tirer avantage des taux d’imposition progressifs.À compter de l’année 2014, de telles structures seront visées par les règles du revenu fractionné et ne présenteront plus d’avantage fiscal. Il demeure toutefois possible de fractionner de tels revenus avec des personnes liées ayant atteint l’âge de la majorité.FRACTIONNEMENT DE REVENU POST-MORTEM: LA FIDUCIE TESTAMENTAIRELe Budget met aussi fin aux taux d’imposition progressifs applicables à une fiducie testamentaire, mesure par ailleurs annoncée dans le Plan budgétaire fédéral 2013.À ce jour, les fiducies testamentaires permettaient à leurs bénéficiaires d’obtenir les avantages de plus d’une série de taux d’imposition progressifs. Parmi les possibilités de planification fiscale associées à la disponibilité de tels taux d’imposition progressifs, on retrouvait notamment l’utilisation de nombreuses fiducies testamentaires, le report de l’achèvement de l’administration d’une succession pour des raisons fiscales ou encore l’évitement de l’impôt de récupération de la Sécurité de la vieillesse.Une fiducie testamentaire sera dorénavant uniformément imposable à son taux d’imposition marginal.Toutefois, les taux d’imposition progressifs demeureront applicables dans les deux cas suivants : (i) pour les trente-six (36) premiers mois d’une succession qui est une fiducie testamentaire et (ii) dans le cas d’une fiducie dont les bénéficiaires sont des personnes admissibles au crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées.Le Budget prévoit également que la fin d’année d’une fiducie testamentaire devra désormais correspondre au 31 décembre de chaque année à compter du 31 décembre 2015.Ces mesures s’appliqueront aux années d’imposition 2016 et suivantes.L’EXPERT ET LA COURDominique VallièresDans le cadre de litiges, il est fréquent que les avocats requièrent le témoignage d’experts, notamment de comptables. Cette preuve, lorsqu’elle est bien présentée, peut être déterminante sur l’issue d’un procès. Dans la situation contraire, un débat sur la qualité de l’expert ou la force probante de son témoignage peut s’engager. C’est pourquoi nous examinerons ici le rôle, la qualification et la crédibilité de l’expert.LE RÔLE DE L'EXPERTLe rôle de l’expert est d’exprimer une opinion fondée sur ses connaissances scientifiques, économiques ou autres qui dépassent celles du juge et sans lesquelles il est impossible de tirer des faits les conclusions qui s’imposent. Autrement dit, lorsque le juge est tout aussi capable de comprendre les faits et d’en tirer les inférences qui s’imposent, l’expertise n’est ni nécessaire ni admissible. Par exemple, le calcul des profits bruts d’un contrat, qui ne constitue qu’une opération arithmétique, ne nécessitera pas une expertise particulière et le comptable appelé à témoigner sur cette question sera considéré, au mieux, comme un témoin ordinaire. Le rôle de l’expert est d’éclairer le tribunal d’une manière aussi objective ou impartiale que possible.SA QUALIFICATIONPour exprimer son opinion, l’expert doit d’abord être qualifié comme tel par la Cour. L’expert sera donc d’abord interrogé sur sa formation et son expérience. Si la qualité d’expert est contestée et que le tribunal considère les qualifications du témoin insuffisantes, il peut refuser de l’entendre. Les qualifications de l’expert doivent être reliées aux matières sur lesquelles porte son témoignage.La formation du témoin, tout comme son expérience pratique, seront considérées. Bien que l’une ou l’autre puisse suffire, un expert réellement convaincant bénéficiera généralement d’une formation et d’une expérience solides. Si tel n’est pas le cas, même si le tribunal accepte d’entendre le témoin, il risque d’accorder une importance moindre à son témoignage.LA FORCE PROBANTE DE SON OPINIONComme pour tout autre témoin, le tribunal devra évaluer la crédibilité de l’expert, particulièrement en présence d’opinions contradictoires. Le tribunal pourra notamment examiner le sérieux des démarches faites par l’expert. Il accordera davantage de crédibilité au témoignage de l’expert qui a constaté directement les faits ou les données pertinentes qu’à celui de l’expert qui ne fonde son avis que sur ce qui lui a été rapporté. Une opinion essentiellement théorique ou qui ne fait état que de principes sera également moins probante. Il est important que l’expert explique comment et pourquoi les faits particuliers du cas soumis permettent de tirer telle ou telle conclusion. De même, lorsque des écoles de pensées divergentes existent sur un point donné, le tribunal appréciera que l’expert les considère et explique pourquoi l’une d’elles devrait être favorisée dans la situation sous étude. Le dogmatisme, l’absence de justification et le rejet du revers de la main d’une approche reconnue seront généralement perçus négativement.Cette approche rejoint le fondement même du rôle de l’expert, qui est d’éclairer le tribunal d’une façon impartiale et objective. Le tribunal voudra s’assurer que l’expert conserve la distance et l’indépendance requises pour émettre une opinion crédible. Si le tribunal perçoit que l’expert a un parti pris ou « plaide la cause » de la partie qui a retenu ses services, sa crédibilité sera entachée. Ainsi, bien que recevable, le témoignage et la conduite de l’expert seront scrutés plus attentivement s’il est démontré, par exemple, que celui-ci est l’employé d’une partie ou qu’il s’est déjà prononcé sur des questions similaires.Bien que cette situation soit plus rare, le tribunal pourrait même refuser d’entendre le témoin s’il est convaincu qu’il ne pourra être impartial. Cela pourra notamment être le cas lorsque l’expert milite à titre personnel en faveur de la position défendue par l’une ou l’autre des parties ou qu’il a été personnellement partie à un litige semblable. L’animosité ou la proximité qui peut exister entre l’expert et l’une des parties jouera aussi en sa défaveur. À cet égard, il est indispensable que l’expert soit transparent envers la partie qui retient ses services.CONCLUSIONL’expert réellement utile sera celui dont la conduite peut être résumée par les trois mots suivants : compétence, rigueur, objectivité.VOUS AVEZ SIGNÉ UN CONTRAT DE SERVICE…AVEC UN EMPLOYÉ ! COMMENT BIEN QUALIFIER LA RELATION ENTRE LES PARTIES ET QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES D’UNE MAUVAISE QUALIFICATION ?Valérie Korozs et Martin BédardLa Cour d’appel du Québec a rendu récemment une décision d’intérêt sur ce sujet, dans l’affaire Bermex international inc. c. L’Agence du revenu du Québec1 (ci-après, l’affaire « bermex »).Rappelons que sans égard au fait que les parties aient qualifié leur entente de contrat de service ou d’entente avec un travailleur autonome, un tribunal n’est aucunement lié par une telle qualification.Les tribunaux ont élaboré certains critères pour analyser le statut juridique d’une personne afin de savoir si elle est salariée ou travailleur autonome. Parmi ces critères, le lien de subordination, à savoir si une personne effectue un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, a toujours été déterminant.Qu’en est-il lorsque la personne n’est pas à proprement parler « sous la direction ou le contrôle d’une autre personne »2 puisqu’elle dirige elle-même l’entreprise ? C’est la question à laquelle la Cour d’appel a eu à répondre dans l’affaire Bermex.Or, la Cour a appliqué un concept large du lien de subordination, en considérant le degré d’intégration du travailleur à l’entreprise, critère émanant de la common law.LES FAITSÀ la suite d’une vérification fiscale de quatre entreprises, l’Agence du revenu du Québec (l’« agence ») a conclu que M. Darveau, principal administrateur et dirigeant des entreprises, ne détenait pas le statut de travailleur autonome mais qu’il était plutôt un salarié. Par conséquent, l’Agence était d’avis que les honoraires de gestion versés à M. Darveau devaient être considérés comme des revenus d’emploi et, par conséquent, faisaient partie de la masse salariale des entreprises.Les quatre entreprises visées contestèrent les cotisations établies par l’Agence devant la Cour du Québec, mais sans succès.LA DÉCISION DE LA COUR D'APPELÀ l’instar du juge de première instance, la Cour d’appel conclut que l’intention des parties de convenir d’un contrat de service ne se dégageait pas clairement de la preuve au dossier.Le fait que M. Darveau était actionnaire des sociétés appelantes lui a permis une certaine liberté d’action qui donne l’impression qu’il agissait à titre de travailleur autonome. Il n’est pas surprenant qu’à titre de dirigeant, M. Darveau gérait son propre horaire, son travail, sa rémunération, non plus qu’il n’était pas directement sous la supervision d’une autre autorité. Cette liberté lui venait de son statut de dirigeant et non du contrat de service qu’il invoquait.La Cour d’appel met notamment l’accent sur le fait que ce sont les sociétés appelantes qui ont assumé tout risque de perte et qui ont tiré profit des activités : « Or, une entreprise n’assume pas les erreurs d’un consultant externe »3. M. Darveau n’apportait aucune « expertise nécessitant l’intervention d’une personne externe dans un domaine qu’il possède mieux que tout autre, il règle simplement les problèmes quotidiens de ses entreprises, comme il le reconnaît »4.CONCLUSIONSelon la tendance jurisprudentielle suivie par la Cour d’appel dans l’affaire Bermex, il faut tenir compte des critères que sont le contrôle, la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise dans la détermination du statut de travailleur autonome par opposition à celui d’employé.Une qualification erronée du contrat peut avoir des impacts financiers importants tant pour l’entreprise que pour l’individu concerné, tant au plan fiscal qu’en matière de droit du travail. Il est donc essentiel de procéder à une bonne analyse du statut réel de la personne en cause avant le début de la relation contractuelle._________________________________________1 2013 QCCA 1379.2 Article 2085 du Code civil du Québec.3 Par. 59 de l’arrêt de la Cour d’appel.4 Par. 60 de l’arrêt de la Cour d’appel.APPLICATION DE LA RGAÉ À UNE OPÉRATION DE « NETTOYAGE » DE DETTES TRANSFRONTALIÈRES : DÉCISION PIÈCES AUTOMOBILES LECAVALIER INC.Éric GélinasLa Cour canadienne de l’impôt a récemment rendu une décision traitant de l’application de la règle générale anti-évitement (« RGAÉ ») dans un contexte d’élimination d’une créance transfrontalière entre Greenleaf Canada Acquisitions Inc. (« Greenleaf ») et Ford US, sa société mère américaine, préalablement à la vente des actions de Greenleaf, société débitrice de la créance, à un tiers. En l’espèce, Ford US a souscrit des actions additionnelles de Greenleaf, laquelle a utilisé le produit de souscription pour rembourser sa dette envers Ford US.Les opérations en cause visaient à éviter l’application de l’article 80 de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») lors d’une remise d’une portion de la dette. Sans l’opération de remboursement de la dette, les règles relatives au remisage de dettes contenues aux paragraphes 80.01(6) à (8) LIR auraient fait en sorte que l’article 80 LIR se serait appliqué de façon à réduire les attributs fiscaux de Greenleaf et même inclure dans son revenu la portion du « montant remis » n’ayant pas été « absorbée ».Le ministre du Revenu national (« Ministre ») était d’avis que la RGAÉ s’appliquait à l’opération de « nettoyage » de la dette de sorte que Greenleaf devait réaliser un gain sur règlement de dette de 15 M$. Les attributs fiscaux de Greenleaf ont été réduits en conséquence et certains ajustements au revenu imposable ont été effectués en vertu de l’article 80 LIR.ANALYSE DE LA COURD’entrée de jeu, le contribuable a reconnu que les opérations lui avaient procuré un avantage fiscal, soit la préservation des attributs fiscaux de Greenleaf par l’évitement des dispositions de l’article 80 LIR.Quant à savoir si elles constituaient des « opérations d’évitement », le contribuable a tenté, notamment par le témoignage de l’expert comptable, de faire la preuve qu’elles avaient été effectuées uniquement pour des fins fiscales et comptables américaines, de sorte qu’elles avaient des objets véritables non-fiscaux et qu’il ne s’agissait donc pas d’opérations d’évitement. La Cour n’a pas retenu ce témoignage étant donné qu’il s’agissait de ouï-dire. De plus, la Cour a adopté la doctrine d’inférence négative, car aucun représentant de Ford US n’a témoigné et que les témoignages fournis ont été jugés non crédibles.En ce qui concerne la question de l’abus, la Cour a retenu la prétention du Ministre suivant laquelle les opérations de nettoyage de la dette étaient abusives puisqu’elles visaient à contourner l’objet et l’esprit de l’article 80 LIR : si la créance n’avait pas été remboursée en utilisant le produit de souscription, les règles sur le remisage de dette auraient été applicables de sorte que les attributs fiscaux de Greenleaf auraient été réduits selon l’article 80 LIR.CONCLUSIONCette décision est particulièrement importante dans un contexte de réorganisation de créance dans un groupe de sociétés. Le type d’opération dont il est question dans la décision sous étude est couramment utilisé. Les praticiens devront donc porter une attention particulière aux impacts fiscaux d’une telle opération. Lorsque cela est possible, il sera évidemment préférable de simplement convertir une créance en actions de la société débitrice dans la mesure où l’alinéa 80(2)g) LIR peut s’appliquer et faire en sorte qu’aucun montant remis ne résultera de la conversion.

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  • Les ordonnances de type Norwich reconnues par la Cour d’appel du Québec - Les institutions financières sont sujettes à devoir prêter assistance dans un dossier de fraude potentielle

    Le 12 juin 2013, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision1 confirmant que les tribunaux peuvent prononcer des ordonnances de type Norwich au Québec. Cette décision est conséquente avec la décision rendue par la Cour d’appel du Québec en 2002 dans Raymond Chabot SST inc. c. Groupe AST (1993) inc.2 qui a reconnu que des ordonnances de type Anton Piller pouvaient validement être prononcées au Québec. L’ordonnance de type Norwich émise par la Cour d’appel autorise plusieurs institutions financières à communiquer des informations bancaires confidentielles, à l’insu des clients concernés, afin de permettre à la partie requérante de retracer et de suivre des fonds qui auraient été détournés frauduleusement. L’ordonnance, de même que le dossier de la Cour dans son ensemble, sont demeurés sous scellé jusqu’au 6 décembre 2013 afin d’assurer la confidentialité de l’exécution de l’ordonnance prononcée.La Cour d’appel du Québec fait sien les critères d’émission d’une telle ordonnance élaborés en 2000 par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta3, lesquels ont été confirmés par la Cour d’appel de l’Alberta4 et cités avec approbation par la Cour d’appel de l’Ontario5.TROIS ÉLÉMENTS SONT À RETENIR : Les critères élaborés dans les juridictions de common law pour justifier l’émission d’une ordonnance de type Norwich sont applicables au Québec. Les conclusions d’une demande d’ordonnance de type Norwich doivent être soigneusement rédigées et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour permettre l’atteinte de l’objectif légitime visé par la demande d’ordonnance. Lorsque la demande d’ordonnance de type Norwich vise l’obtention d’informations et de documents auprès d’une tierce partie, les conclusions devraient requérir la nomination d’une firme d’experts externe aux fins de recevoir et d’analyser les informations et les documents obtenus en exécution de l’ordonnance et prévoir l’obligation de cette firme externe de préparer et de remettre à la Cour un rapport à l’intérieur d’un délai prescrit.BREF RAPPEL SUR LES ORIGINES DE L’ORDONNANCE DE TYPE NORWICHL’ordonnance de type Norwich est une ordonnance émise par un tribunal qui autorise une partie étrangère à un litige existant ou éventuel, à divulguer l’identité de l’auteur inconnu d’un préjudice ou à communiquer des informations ou des documents afin de permettre à la partie requérante de vérifier l’existence d’une cause d’action ou de retracer et de préserver des éléments de preuve ou des actifs.Tout comme pour l’ordonnance de type Anton Piller (ordonnance de se laisser saisir et de conserver des éléments de preuve dans un litige privé) et l’ordonnance de type Mareva (ordonnance interdisant la disposition d’actifs durant les procédures judiciaires), l’ordonnance de type Norwich tire son origine du droit anglais et vise à favoriser l’efficacité d’un recours déjà intenté ou envisagé.Son nom provient de la décision rendue par la Chambre des Lords en 1974 dans Norwich Pharmacal Co. v. Commissioners of Customs and Excise6. Dans cette décision, on a reconnu le droit de la société Norwich d’obtenir, auprès d’une tierce partie, soit l’agence des taxes et des douanes, l’identité d’une personne qui avait importé un composé chimique sur lequel Norwich détenait un brevet, et ce, à l’insu de cette dernière. Le dévoilement de l’identité de l’importateur par l’agence des taxes et des douanes visait à permettre d’intenter des procédures judicaires contre l’importateur fautif.La première ordonnance de type Norwich fut rendue au Canada en 1998 dans la décision de la Cour d’appel fédérale Glaxo Wellcome PLC v. M.N.R.7 où les faits en litige étaient similaires à ceux de l’affaire Norwich. La Cour d’appel fédérale ordonna la divulgation, par le ministre du Revenu national, de l’identité des importateurs qui auraient enfreint les brevets de Glaxo.En 2000, dans la décision Alberta (Treasury Branches) v. Leahy8, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, après avoir effectué une revue étoffée des décisions anglaises et canadiennes rendues en matière d’ordonnances de type Norwich, résuma ainsi les situations pouvant justifier l’émission d’une telle ordonnance et les cinq critères qui doivent être considérés par le tribunal (ci-après le « test Norwich ») (traduction) :«[106] L’analyse précédente montre que :a. Une ordonnance de type Norwich a été émise dans différentes situations :(i) Lorsque les informations recherchées étaient nécessaires pour identifier les auteurs d’un préjudice;(ii) Pour recueillir et préserver des éléments de preuve susceptibles de justifier ou de soutenir une cause d’action à l’encontre des auteurs connus ou inconnus d’un préjudice, ou même pour vérifier l’existence d’une cause d’action;(iii) Pour retracer et préserver des actifs.b. La cour considérera les critères suivants avant d’émettre une ordonnance de type Norwich :(i) Si le demandeur a fourni des éléments de preuve suffisants qui attestent que la demande est valide, admissible (bona fide) ou raisonnable;(ii) Si le demandeur a établi une relation avec la tierce partie pour laquelle des informations sont recherchées et qui démontrent que cette tierce partie est d’une certaine manière impliquée à l’égard des gestes reprochés qui font l’objet du litige;(iii) Si la tierce partie représente la seule source possible d’information;(iv) Si la tierce partie peut être dédommagée pour les frais encourus à rechercher les informations qu’elle est tenue de divulguer. Il peut s’agir d’une situation qualifiée par certains de dépenses associées au fait de se conformer aux ordonnances de la cour ou qualifiée par d’autres de dommages-intérêts;(v) Si l’intérêt de la justice favorise la divulgation d’informations. »Ce sont ces mêmes critères qui ont été examinés en 2009 par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire GEA Group AG. v. Flex-N-Gate Corporation9 et qui sont maintenant aussi retenus par la Cour d’appel du Québec10.LES ORDONNANCES DE TYPE NORWICH AU QUÉBECLe Code civil du Québec ne contient aucune disposition concernant les ordonnances de type Norwich non plus que pour les demandes d’ordonnances de type Anton Piller ou de type Mareva. C’est plutôt en vertu des dispositions du Code de procédure civile (notamment les articles 20 et 46 du Code de procédure civile) accordant des pouvoirs généraux à la Cour qu’il faut se tourner pour en justifier l’intégration dans notre droit substantif11. Il s’agit d’un recours extraordinaire entendu ex parte (sans préavis), ses conditions d’émission sont strictes12 et il ne doit pas servir à contourner les règles de procédure déjà prévues au Code de procédure civile13.Les ordonnances de type Norwich prévoient usuellement des conclusions ordonnant la mise sous scellé du dossier de la Cour et protégeant la confidentialité des ordonnances pendant une durée déterminée. En raison de la confidentialité entourant ce type de recours, il est difficile de faire une revue exhaustive des ordonnances émises par la Cour supérieure du Québec en cette matière au cours des dernières années14.Comme les critères d’émission d’une ordonnance de type Norwich retenus par la Cour d’appel du Québec dans Fers et Métaux Américains S.E.C15 sont les mêmes que ceux retenus par les provinces de common law, les décisions rendues dans ces juridictions restent pertinentes et intéressantes pour nous permettre d’encadrer et de définir la portée des ordonnances qui peuvent être prononcées au Québec.À titre d’exemple, la Cour d’appel de l’Ontario a récemment été saisie d’un dossier concernant une demande d’ordonnance Norwich visant à obtenir la divulgation de l’identité des sources d’un journaliste du Globe and Mail16. Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario devait analyser les critères d’émission de l’ordonnance de type Norwich dans le contexte du privilège relatif aux sources journalistiques invoqué par le journaliste intimé17.Dans un premier temps, la Cour décide qu’aux fins d’appliquer le premier critère du test Norwich, soit l’existence d’une réclamation raisonnable, il n’y a pas lieu d’exiger l’existence d’une apparence de droit (« a prima facie case ») dans les situations où le privilège relatif aux sources journalistiques est invoqué18.Dans un second temps, la Cour décide que c’est véritablement lors de l’analyse du cinquième critère du test Norwich, soit l’intérêt de la justice à favoriser la divulgation de l’information, qu’il faut évaluer le privilège relatif aux sources journalistiques. L’analyse de ce privilège doit se faire selon le cadre d’analyse du test Wigmore, qui croise alors le test Norwich. La Cour déclare que le journaliste intimé a le fardeau de démontrer que le test Wigmore est respecté alors qu’il revient à la partie appelante de démontrer que l’intérêt de la justice favorise la divulgation de l’information, selon le cinquième critère du test Norwich. La Cour précise que lorsqu’il est démontré que le test Wigmore est respecté, il ne serait probablement pas dans l’intérêt de la justice de divulguer les sources journalistiques. À l’inverse, si le test Wigmore n’est pas respecté, il serait probablement dans l’intérêt de la justice d’ordonner la divulgation19.Dans l’éventualité où un tribunal du Québec était saisi d’une demande d’ordonnance Norwich visant la divulgation des sources journalistiques, il serait pertinent de considérer la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans 1654776 Ontario Limited aux fins de décider si une ordonnance de type Norwich peut être émise au Québec dans un contexte semblable.Au surplus, comme les ordonnances de type Norwich sont de même nature que les ordonnances de type Anton Piller, il serait avisé de se conformer aux lignes directrices émises par la Cour suprême du Canada dans Celanese20 en matière d’ordonnances Anton Piller, en faisant les adaptations nécessaires, particulièrement lorsque l’ordonnance Norwich est requise pour obtenir la communication d’informations ou de documents visant à permettre à la partie requérante de vérifier l’existence d’une cause d’action ou de retracer et de préserver des éléments de preuve ou des actifs.De fait, dans Fers et Métaux Américains S.E.C. et al. c. Picard et al.21, la Cour d’appel du Québec s’est inspirée des lignes directrices émises par la Cour suprême du Canada dans Celanese22 pour ordonner aux appelants de faire rapport au dossier de la Cour supérieure des informations obtenues auprès des institutions financières, soit personnellement ou par l’entremise d’un rapport préparé par une firme de juricomptables, dans un délai prescrit.Finalement, en matière d’ordonnances de type Anton Piller, la Cour d’appel du Québec23 a récemment insisté de nouveau sur le fait qu’au stade du prononcé de l’ordonnance, le juge ne peut s’appuyer que sur les allégations et les pièces déposées au soutien de la demande; le juge des requêtes compte nécessairement sur une divulgation fidèle et complète de la part des déposants, de même que sur le professionnalisme des avocats qui participent à l’ordonnance24. Il serait aussi avisé de suivre ces enseignements en matière d’ordonnances de type Norwich.CONCLUSIONL’ordonnance de type Norwich est un recours qui peut s’avérer d’une grande efficacité, notamment dans les dossiers de fraude et de détournement de fonds ou encore lorsqu’il s’agit d’identifier une partie fautive inconnue.La Cour d’appel du Québec a reconnu en 2002 l’application des principes de l’ordonnance de type Anton Piller en droit québécois25. Au cours des dix dernières années, la jurisprudence a beaucoup évolué à l’égard de ce type d’ordonnances qui font l’objet d’un encadrement strict depuis la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Celanese26. Un tel encadrement a inspiré les critères applicables aux ordonnances de type Norwich.Puisqu’il s’agit d’un recours extraordinaire demandé ex parte qui, de surcroit, recherche l’émission d’une ordonnance à l’encontre de parties qui sont étrangères au litige, la partie requérante doit faire preuve de candeur dans la rédaction des allégations au soutien de sa demande. L’ordonnance requise devrait : Être soigneusement rédigée en décrivant de manière ciblée les informations et les documents à communiquer, de même que la période de temps visée et prévoir, lorsque cela est nécessaire, les garanties applicables, notamment à l’égard du traitement de documents ou informations privilégiés ou confidentiels. Être bien définie dans le temps et, lorsque cela est pertinent, ordonner la mise sous scellé du dossier de la Cour ainsi que les mesures à la protection de la confidentialité nécessaires pour une période de temps déterminée et suffisante pour assurer l’efficacité de l’exécution de l’ordonnance prononcée. Prévoir, lorsque cela est pertinent, la nomination d’une firme d’experts externe pour recueillir les documents et informations reçus et la préparation d’un rapport à l’attention du tribunal. Prévoir que l’utilisation des informations et documents communiqués est limitée à l’objectif légitime de la demande (comme par exemple retracer et suivre le mouvement des fonds) et qu’ils ne peuvent être utilisés que dans des procédures judiciaires intentées pour atteindre cet objectif. Prévoir un dédommagement adéquat pour les frais encourus par les tierces parties pour colliger et communiquer les informations et documents en exécution de l’ordonnance._________________________________________ 1 Fers et Métaux Américains S.E.C. et al. c. Picard et al., C.A.Q. 200-09-007991-133, 12 juin 2013.2 Raymond Chabot SST inc. c. Groupe AST (1993) inc., [2002] R.J.Q. 2715 (C.A.).3 Alberta (Treasury Branches) v. Leahy, 2000 ABQB 575 (Can LII).4 Alberta (Treasury Branches) v. Leahy, 2002 ABCA 101 (Can LII). La demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada a été refusée.5 GEA Group AG. v. Flex-N-Gate Corporation, 2009 ONCA 619 (Can LII).6 Norwich Pharmacal Co. v. Commissioners of Customs and Excise [1974] A.C. 133.7 Glaxo Wellcome PLC v. M.N.R. [1998] 4 C.F. 439. La demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada a été refusée.8 Alberta (Treasury Branches) v. Leahy, cité note 3, paragraphe [106].9 GEA Group AG. v. Flex-N-Gate Corporation, cité note 5.10 Fers et Métaux Américains S.E.C. et al. c. Picard et al., cité note 1.11 Daniel Jutras, « Culture et droit processuel : le cas du Québec », dans McGill Law Journal/Revue de droit de McGill, 2009, Vol. 54, 2009, page 273, pages 288 à 292; voir aussi Lac d’amiante du Québec ltée c. 2858-0702 Québec inc. [2001] 2 R.C.S. 743, para. 35, 37 et 39; Raymond Chabot SST inc. c. Groupe AST (1993) inc., cité note 2; articles 20 et 46 du Code de procédure civile.12 Alberta (Treasury Branches) v. Leahy, cité note 3, paragraphe [106].13 Lac d’amiante du Québec ltée c. 2858-0702 Québec inc., cité note 11.14 Voir notamment Gestion d’hôtel Sherbrooke ltée (Proposition de) 2011 QCCS 7232 (Can LII), Corbeil c. Caisse Desjardins De Lorimier, 2011 QCCS 6867 (Can LII), GE Canada Equipment Financing G.P. c. T.D. Canada Trust, 2010 QCCS 7128 (Can LII), PricewaterhouseCoopers Inc. v. Bank of Montreal, C.S.. Montréal, no 500-17-063626-116, Empire, compagnie d’assurance-vie c. Thibault, C.S. Montréal, nos 500-17-029064-063, 500-17-030305-067 et 500-17-029680- 066.15 Fers et Métaux Américains S.E.C. et al. c. Picard et al., cité note 1.16 1654776 Ontario Limited v. Stewart, 2013 ONCA 184 (Can LII). La demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada a été rejetée le 19 septembre 2013.17 À l’égard du privilège relatif aux sources journalistiques et du test Wigmore, voir R. v. National Post, [2010] 1 R.C.S. 477 et Globe and Mail c. Canada (P.G.), [2010] 2 R.C.S. 593.18 1654776 Ontario Limited v. Stewart, cité note 16, voir notamment les paragraphes [49] et [75].19 1654776 Ontario Limited v. Stewart, cité note 16, paragraphe [78].20 Celanese Canada c. Murray Demolition, [2006] 2 R.C.S 189.21 Fers et Métaux Américains S.E.C. et al. c. Picard et al., cité note 1.22 Celanese Canada c. Murray Demolition, cité note 20.23 IMS Health Canada Inc. c. Think Business Insights Ltd. et als, 2013 QCCA 1303 (Can LII). Une demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada est présentement pendante.24 Celanese Canada c. Murray Demolition, cité note 20, paragraphe [36].25 Raymond Chabot SST inc. c. Groupe AST (1993) inc., cité note 2.26 Celanese Canada c. Murray Demolition, cité note 20.

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  • Bulletin trimestriel d’information juridique à l’intention des professionnels de la comptabilité, de la gestion et des finances, Numéro 21

    SOMMAIRE Avantages et inconvénients des clauses d’arbitrage dans les contrats commerciaux Piratage et utilisation de logiciels sans licences : l’affaire de la BSA | The Software Alliance Fiscalité interprovinciale : l’importance de couper les liens de rattachement en cas de déménagement Garantie en vertu de l’article 427 de la Loi sur les banques : les droits de la banque priment-ils sur ceux d’un rétenteur ? AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DES CLAUSES D’ARBITRAGE DANS LES CONTRATS COMMERCIAUXCatherine Méthot et André PaquetteDe plus en plus, on retrouve des clauses d’arbitrage dans les contrats commerciaux. Cependant, même si le recours à l’arbitrage est aujourd’hui un choix fréquent, il faut se garder de penser qu’il constitue toujours la meilleure solution; il faut également bien connaître ses avantages et ses inconvénients et se méfier des clauses modèles mal adaptées à votre situation.De façon générale, les principaux avantages et inconvénients des clauses d’arbitrage les plus souvent mentionnés sont :Relativement aux avantages : (i) une procédure simplifiée; (ii) moins de documentation à produire; (iii) une plus grande rapidité pour obtenir une décision comparativement au processus judiciaire; (iv) son coût généralement moins élevé que le processus judiciaire; (v) l’absence de droit d’appel, sauf exception; et (vi) la confidentialité du processus et de la décision, sous réserve d’une requête en homologation de la décision arbitrale ou d’un recours en annulation de celle-ci.Relativement aux inconvénients : (i) l’absence de droit d’appel, sauf exception; (ii) le risque que la clause d’arbitrage soit mal adaptée à votre situation; (iii) des coûts dépassant les attentes des parties, notamment lorsque trois arbitres sont nommés, certains auteurs allant même jusqu’à dire que dans ce cas leurs honoraires sont parfois presque multipliés par quatre à cause des retards engendrés par la gestion du temps et des communications entre trois arbitres; (iv) l’impossibilité d’accéder aux éléments de preuve entre les mains de la partie adverse en dehors du processus judiciaire; et (v) l’exclusion de cette décision de la jurisprudence alors que la question en litige peut constituer une question de droit importante.Avant d’insérer une clause d’arbitrage dans un contrat, il faut donc tenir compte de ces avantages et inconvénients et si on choisit l’arbitrage, il faut adapter les modalités de la clause entre autres sur les points suivants : (i) les matières visées par la clause; (ii) la loi applicable en s’assurant de vérifier si cette loi limite ou interdit le recours à l’arbitrage (pensons par exemple à l’article 11.1 de la Loi sur la protection du consommateur1 qui interdit d’imposer au consommateur l’obligation de soumettre un litige à un arbitre ou de restreindre son droit d’ester en justice, notamment en lui interdisant d’exercer un recours collectif ou d’être membre d’un groupe exerçant un tel recours); (iii) l’occasion de prévoir un droit d’appel; (iv) la confidentialité du processus d’arbitrage (sous réserve d’une requête en homologation ou d’un recours en annulation de la décision); (v) le processus d’arbitrage (le nombre d’arbitres, les règles de présentation de la preuve, etc.); et (vi) l’opportunité de prévoir des rencontres de médiation avant de procéder à l’arbitrage.Dans tous les cas, l’objectif poursuivi devrait être de s’assurer qu’en cas de litige, votre intérêt sera mieux servi par le processus d’arbitrage que par un recours en justice. Si tel n’est pas le cas, évitez d’insérer une clause d’arbitrage dans votre contrat !_________________________________________    1 C. P-40.1.  PIRATAGE ET UTILISATION DE LOGICIELS SANS LICENCES : L’AFFAIRE DE LA BSA | THE SOFTWARE ALLIANCEBruno VerdonLes réclamations de la BSA | the Software Alliance (la « BSA ») auprès d’entreprises québécoises et canadiennes semblent de plus en plus fréquentes.La BSA est un organisme sans but lucratif basé aux États-Unis qui est présent dans plus de 80 pays et qui compte parmi ses membres des entreprises telles que Adobe, Apple, IBM et Microsoft, pour n’en nommer que quelques-unes.Selon les informations qu’elle diffuse sur son propre site Web, la BSA s’attaque, notamment, aux violations du droit d’auteur quand des logiciels ont été installés par des utilisateurs mais que la licence nécessaire n’a pas été acquise. La plupart des enquêtes de la BSA sur les logiciels concerneraient des entreprises et feraient suite à un appel sur sa ligne anti-piratage ou à une dénonciation anonyme via son site Web. La plupart des rapports proviendraient d’employés, actuels ou anciens. En principe, après avoir reçu de l’information sur une allégation de piratage de logiciel, la BSA communique avec l’entreprise visée pour examiner la question plus à fond et l’invite à négocier un règlement si elle a conclu à l’existence d’une violation. Si un règlement ne peut être conclu, la BSA confie le dossier à ses procureurs et, ultimement, si un règlement n’intervient pas avec ceux-ci, la cause pourra être portée devant les tribunaux.Dans le cadre d’une réclamation fondée sur l’utilisation d’un logiciel sans licence, la BSA aura recours, au Québec et ailleurs au Canada, aux dispositions de la Loi sur le droit d’auteur1. Cette loi prévoit, notamment, que celui qui « viole le droit d’auteur est passible de payer, au titulaire du droit qui a été violé, des dommages-intérêts et, en sus, la proportion, que le tribunal peut juger équitable, des profits qu’il a réalisés en commettant cette violation et qui n’ont pas été pris en compte pour la fixation des dommages-intérêts »2.En outre, depuis l’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur3 sanctionnée le 29 juin 2012, le titulaire du droit d’auteur violé peut choisir de réclamer, au lieu des dommages-intérêts et des profits réalisés par l’auteur de la violation, des dommages-intérêts préétablis par la loi, qui sont d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $ par violation, dans le cas des violations commises à des fins commerciales, et d’au moins 100 $ et d’au plus 5 000 $, dans le cas des violations commises à des fins non commerciales4.Ainsi, depuis 2012, une entreprise qui utilise des logiciels sans avoir acquis les licences requises s’expose à une réclamation variant entre 500 $ et 20 000 $ par licence manquante.Dans Adobe Systems Incorporated et al. c. Thompson (Appletree Solutions)5, la Cour fédérale fut appelée à appliquer cette nouvelle disposition de la Loi sur le droit d’auteur. Dans cette affaire, la Cour fédérale a souligné que dans l’octroi des dommages-intérêts préétablis par la Loi, il faut tenir compte (1) de la bonne ou la mauvaise foi du défendeur, (2) du comportement des parties avant l’instance et au cours de celle-ci et (3) de la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question.Ayant conclu que la preuve de l’intention du défendeur de contrefaire avait été faite et qu’il était nécessaire d’imposer de sévères mesures de dissuasion, la Cour fédérale a émis une ordonnance d’injonction pour empêcher la poursuite de cette violation par le défendeur et, quant aux dommages-intérêts préétablis par la Loi, a conclu ce qui suit :« ...je ne vois aucune raison de ne pas accorder le montant maximal de dommages-intérêts préétablis de 340 000 $, soit 20 000 $ à l’égard de chaque oeuvre contrefaite des trois demanderesses. » La preuve (1) de la bonne ou mauvaise foi du défendeur, (2) du comportement des parties avant l’instance et au cours de celle-ci et (3) de la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question étant plus facile à faire que celle des dommages-intérêts subis et des profits réalisés par l’auteur de la violation, il est à prévoir que la BSA et ses membres n’hésiteront pas à invoquer les dommages préétablis prévus à cette nouvelle disposition de la Loi au soutien de leurs réclamations.Comme ces dommages préétablis peuvent dépasser largement la valeur de chaque licence non acquise, il va sans dire qu’un règlement négocié de la réclamation sera une avenue à privilégier.Il est à noter qu’en principe, la BSA publicise sur son site Internet les ententes de règlement conclues avec les entreprises.Cependant, rien n’empêche les parties de convenir que le règlement de la réclamation et les modalités de l’entente demeureront , ce qui évitera à l’entreprise visée de voir son nom associé au règlement d’une réclamation de la BSA._________________________________________   1 L.R.C. (1895) c. C-42.  2 Ibid., art. 35.  3 L.C. 2012, ch. 20.  4 Ibid., art. 38.1.  5 2012 CF 1219 (CanLII).  FISCALITÉ INTERPROVINCIALE : L’IMPORTANCE DE COUPER LES LIENS DE RATTACHEMENT EN CAS DE DÉMÉNAGEMENTJean-Philippe LatreilleLe lieu de résidence d’un particulier est un concept fiscal fondamental qui permet, entre autres, de déterminer son assujettissement à l’impôt provincial sur le revenu. Ainsi, en vertu de la Loi sur les impôts1, un particulier est assujetti à l’impôt pour une année donnée s’il réside au Québec le 31 décembre de cette année. L’assiette fiscale est alors constituée de l’ensemble de ses revenus, à l’exception du revenu d’entreprise provenant d’un établissement canadien situé hors du Québec.Le déménagement d’un individu d’une province à une autre entraîne habituellement un changement de son lieu de résidence aux fins fiscales provinciales. toutefois, il peut arriver que certains liens de rattachement qui ont été conservés avec la province d’origine aient des conséquences inattendues et non désirées, tel que l’illustre une décision récente de la Cour du Québec, Perron c. L’Agence du revenu du Québec2.Dans cette affaire, le contribuable contestait des cotisations établies par Revenu Québec pour les années d’imposition 2005 à 2007 en prétendant qu’il était un résident de l’Alberta au cours de cette période. Cet ingénieur de formation avait occupé différents postes au Québec avant de déménager en Alberta en mai 2005 après y avoir trouvé un emploi permanent. À partir de ce moment, le contribuable avait loué un logement en Alberta et avait acheté des meubles pour celui-ci. Il y avait aussi ouvert un compte bancaire et était devenu membre de l’ordre des ingénieurs de l’Alberta.Toutefois, le contribuable avait conservé plusieurs liens de rattachement avec le Québec au cours des années 2005 à 2007, notamment les suivants :a) Sa conjointe, à laquelle il était marié depuis 1985, et son fils avaient continué de résider au Québec malgré le départ du contribuable pour l’Alberta. Le contribuable n’était ni divorcé ni séparé en vertu d’un jugement ou d’une entente écrite.b) Le contribuable était demeuré copropriétaire avec sa conjointe de la résidence familiale située à beauport.c) Le contribuable avait continué de pourvoir aux besoins financiers de son fils et d’assumer certaines dépenses d’entretien de la résidence située au Québec.d) Le contribuable avait effectué des séjours au Québec aux trois mois pour des périodes de quatre ou cinq jours. Lors de ces séjours, il logeait dans sa résidence de Beauport.e) Le contribuable avait conservé son permis de conduire du Québec et avait maintenu son admissibilité au régime d’assurance maladie québécois.f) Le contribuable était demeuré membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec.g) Le contribuable avait continué d’utiliser l’adresse postale de sa résidence de Beauport, notamment pour ses cartes de crédit.h) Le contribuable était propriétaire d’un véhicule immatriculé au Québec qu’il avait donné à son fils en 2009.Le tribunal a déterminé que le contribuable avait fait une preuve prima facie que sa résidence fiscale était située en Alberta au cours des années 2005 à 2007, notamment en établissant le caractère permanent de son emploi en Alberta et la faible fréquence de ses retours au Québec. Il revenait alors aux autorités fiscales de démontrer que la résidence du contribuable était demeurée au Québec.Après avoir étudié la jurisprudence, le tribunal a conclu que Revenu Québec avait fait la preuve par prépondérance que le contribuable avait conservé sa résidence fiscale au Québec au cours de la période en litige en raison de l’absence de rupture des liens de rattachement et d’appartenance avec le Québec.Le juge a notamment souligné l’absence de preuve corroborant la séparation entre le contribuable et sa conjointe. Selon la Cour, un ensemble de facteurs indiquent plutôt le maintien d’un lien matrimonial entre eux. En outre, le contribuable n’a pas réussi à démontrer un attachement suffisant avec l’Alberta, à l’exception de son emploi.Cette décision de la Cour du Québec, qui n’a pas été portée en appel, souligne l’importance de couper tous les liens de rattachement avec le Québec en cas de déménagement interprovincial, particulièrement si le régime fiscal de la province de destination est moins onéreux. Le lieu de résidence est une question complexe qui doit être tranchée à la lumière de la législation en vigueur et de la jurisprudence applicable. tout individu ayant une présence plus ou moins importante dans plus d’une province serait avisé d’obtenir les conseils d’un professionnel à cet égard._________________________________________   1 RLRQ, c. I-3.  2 2013 QCCQ 3271.  GARANTIE EN VERTU DE L’ARTICLE 427 DE LA LOI SUR LES BANQUES : LES DROITS DE LA BANQUE PRIMENT-ILS SUR CEUX D’UN RÉTENTEUR ?Mathieu Thibault, Étienne Guertin et Jean LegaultDans le but de financer ses activités, une entreprise québécoise peut consentir à une banque à charte canadienne une garantie en vertu de l’article 427 de la Loi sur les banques. Cette garantie permet à la banque qui en est titulaire d’exercer ses droits sur les inventaires de l’emprunteur, ainsi que sur les créances résultant de leur vente, en évitant notamment les formalités et préavis autrement exigés par le Code civil du Québec lors de l’exercice d’un recours hypothécaire1.L’article 2293 du Code civil du Québec confère pour sa part à un dépositaire le droit de retenir les biens entreposés jusqu’à ce que le déposant lui ait, entre autres, versé la rémunération convenue.Dans l’affaire Levinoff-Colbex, s.e.c. (Séquestre de) et RSM Richter inc.2, la Cour supérieure a été appelée à déterminer si les droits de Banque Nationale du Canada (la « BNC ») résultant d’une garantie consentie en vertu de la Loi sur les banques, de régime fédéral, avaient priorité sur le droit de rétention invoqué par un autre créancier en vertu du Code civil du Québec, en raison du défaut de la débitrice d’honorer ses engagements contractuels relatifs au remboursement des coûts liés à l’entreposage et à la réfrigération de ses inventaires.Selon la Cour supérieure, les droits d’un créancier en vertu de la garantie de l’article 427 de la Loi sur les banques peuvent être décrits, selon les termes utilisés par la Cour d’appel dans Banque Canadienne Nationale c. Lefaivre3, comme un droit de propriété sui generis.Ce droit de propriété sui generis ne constitue cependant pas un véritable droit de propriété, au sens du droit civil québécois, à l’encontre des biens visés par cette garantie. Les articles 427 et suivants de la Loi sur les banques établissent plutôt un régime de sûreté axé sur la propriété et confèrent à la banque qui en est titulaire des droits à titre de créancier garanti, et non à titre de propriétaire des actifs visés par la garantie.Dans ce contexte, la BNC ne pouvait être liée par le droit de rétention créé en faveur d’un autre créancier. En effet, la détermination de la priorité de ces droits ne découlait pas de la titularité d’un droit de propriété au sens du droit civil : la BNC est plutôt créancière garantie de la débitrice.La priorité des droits des créanciers doit être déterminée par l’application et l’interprétation de la Loi sur les banques, conformément à la doctrine de la primauté du droit fédéral et de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Banque de Montréal c. Innovation Crédit Union4.Étant donné que la Loi sur les banques contient, à son article 428, une disposition expresse permettant de résoudre ce conflit de priorité, il suffit d’appliquer la règle prévue à cet article voulant que les droits de la BNC « priment sur tous les droits subséquents acquis sur les biens » visés par la garantie._________________________________________   1 Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S.  2 2013 QCCS 1489. Il est à noter que ce jugement fait l’objet d’une inscription en appel dans le dossier de la Cour d’appel du Québec portant le numéro 500-09-023539-133.  3 [1951] B.R. 83, à la page 88, citant Landry Pulpwood Co. c. Banque Canadienne Nationale, [1937] S.C.R. 605, à la page 615.  4 [2010] 3 R.C.S.3.

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  • Bulletin d’information juridique à l’intention des entrepreneurs et des décideurs, Numéro 16

    SOMMAIRE  Enregistrement des conversations téléphoniques des clients – Quelques conseils pratiques Les agences de placement de personnel : Qui est responsable des obligations de retenues à la source? Quels sont vos recours si vous croyez qu’un contrat est sur le point d’être octroyé ou a été octroyé à un autre soumissionnaire que vous?  ENREGISTREMENT DES CONVERSATIONS TÉLÉPHONIQUES DES CLIENTS — QUELQUES CONSEILS PRATIQUESGuillaume LabergeDe nombreuses entreprises ont recours à l’enregistrement des appels de leurs clients. Les raisons pour recourir à cette pratique sont nombreuses. Pensons notamment à la vérification de la qualité du service, au traitement des plaintes ou encore à la formation des nouveaux employés.Puisque ces enregistrements contiennent des renseignements personnels sur le client, certaines précautions doivent être prises au regard de la collecte et la conservation de ces renseignements. Soulignons par ailleurs que l’enregistrement et l’utilisation subséquente d’une conversation téléphonique sans consentement préalable peut, selon les circonstances, être considéré comme une atteinte à la vie privée1.Au Québec, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé2 (LPRPSP) ne prévoit pas de dispositions spécifiques pour encadrer cette pratique et à notre connaissance, la Commission d’accès à l’information ne s’est pas prononcée à ce jour sur le sujet.Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a quant à lui publié des Lignes directrices sur l’enregistrement des appels téléphoniques des clients3 destinées aux entreprises oeuvrant dans le secteur privé au Canada. Comme les obligations qui découlent de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques4 (LPRPDE) sont substantiellement similaires aux obligations qui découlent de la LPRPSP, nous sommes d’avis que ces lignes directrices doivent être suivies par les entreprises du Québec.De l’avis du Commissariat, l’enregistrement des conversations téléphoniques avec les clients est permis en vertu de la LPRPDE à condition de respecter certaines exigences, applicables tant aux appels entrants qu’aux appels sortants.D’abord, la cueillette de renseignements doit être motivée par un but précis. Au Québec, la LPRPSP mentionne expressément que « la personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d’y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l’objet du dossier »5. Il y a donc lieu de penser que l’utilisation de ces enregistrements à des fins purement administratives serait difficilement justifiable au regard de ce critère. Les représentants du service à la clientèle doivent donc demeurer prudents lors de ces conversations téléphoniques enregistrées et s’abstenir de poser des questions ou d’émettre des commentaires qui entraîneraient la collecte de renseignements qui seraient étrangers aux motifs de cet enregistrement.Il est également mentionné aux lignes directrices que pour se conformer à la LPRPDE, il est nécessaire d’informer la personne que l’appel pourrait être enregistré, et ce, dès le début de la conversation. À ce sujet, précisons que le consentement du client peut être obtenu de diverses façons. Ce dernier peut être informé verbalement par un enregistrement automatique ou encore par le biais d’un représentant du service à la clientèle. Selon les lignes directrices du Commissariat, la notification pourrait également se faire par l’inscription d’une mention claire à cet effet sur les relevés mensuels envoyés au client.De plus, un effort raisonnable doit être fait pour s’assurer que la personne est informée des motifs de l’enregistrement. Il est important de retenir que l’entreprise doit énoncer clairement la justification véritable de l’enregistrement. Elle ne doit pas, par exemple, dire qu’elle enregistre la conversation à des fins de contrôle de la qualité si, dans les faits, l’enregistrement est utilisé à d’autres fins, aussi légitimes puissent-elles être.On peut cependant déduire le consentement tacite de l’interlocuteur si ce dernier, sachant que la conversation est enregistrée et connaissant les buts de l’enregistrement, continue la conversation sans s’y opposer. Si la personne refuse que l’appel soit enregistré, des solutions de rechange valables doivent lui être offertes. Ces solutions pourraient consister à ne pas enregistrer l’appel ou à demander à la personne de se déplacer en personne à une succursale ou un point de vente, ou encore de soumettre sa plainte, sa question ou son commentaire en ligne ou par la poste. Ces alternatives n’ont pas selon nous à être proposées sur-le-champ et peuvent être mentionnées par exemple dans la politique sur la vie privée de l’entreprise ou dans une mention apparaissant sur l’état de compte mensuel du client.Hormis quelques exceptions, l’appel téléphoniquene peut donc être enregistré qu’avec le consentement, exprès ou tacite, de la personne dont on recueille les renseignements. Parmi ces cas d’exceptions où la LPRPDE ne requiert pas le consentement de l’interlocuteur, mentionnons les appels effectués dans le but de recouvrer une créance ou d’enquêter sur une fraude potentielle.Dans ces circonstances, l’obtention d’un consentement préalable pourrait nuire à la capacité de l’entreprise d’obtenir des renseignements exacts.Mentionnons en terminant que ces lignes directrices traitent uniquement de la protection des renseignements personnels des clients. Or, l’enregistrement des conversations téléphoniques peut également avoir un impact sur le droit à la vie privée des employés concernés. Il nous apparaît donc nécessaire que ces employés soient informés de cette pratique et de sa raison d’être._________________________________________1 Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 35 et 36.2 L.R.Q., c. P-39.1.3 Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Lignes directrices sur l’enregistrement des appels téléphoniques des clients, 10 juin 2008, disponible en ligne : [https://www.priv.gc.ca/resource/fs-fi/02_05_d_14_f.asp].4 L.C. 2000, c. 5.5 Art. 5 LPRPSP.  LES AGENCES DE PLACEMENT DE PERSONNEL : QUI EST RESPONSABLE DES OBLIGATIONS DE RETENUES À LA SOURCE?Carolyne CorbeilLes employeurs au Québec ont de plus en plus recours à des agences de placement de personnel afin de répondre rapidement à leur besoin ponctuel de travailleurs. Alors que ce nouveau modèle d’affaires gagne en popularité et offre de nombreux avantages, il bouleverse également la relation d’emploi traditionnelle bipartite « employeuremployé ». Ainsi, l’agence de placement de personnel, à titre d’intermédiaire, avec le client et le travailleur forment dès lors une relation de travail tripartite. Il convient alors de se demander si la relation d’employeuremployé demeure et dans l’affirmative, à qui incombent les obligations de retenues à la source (ci-après, « RAS »). C’est à ces dernières questions qu’a récemment répondu la Cour du Québec dans la décision Agence Océanica inc. c. Agence du revenu du Québec1.LES FAITSL’agence de placement de personnel Océanica (ci-après « Océanica ») est une agence de placement de personnel infirmier qui répond aux besoins à court terme des hôpitaux, des CHSLD et des CLSC (ci-après, les « Clients »). Océanica agit à titre d’intermédiaire entre les Clients et les infirmiers. Les Clients informent Océanica de leurs besoins en personnel infirmier et Océanica s’occupe du recrutement. Sur les lieux de travail des Clients, les infirmiers répondent aux directives des Clients, notamment quant aux tâches à accomplir et aux méthodes de travail et ils agissent sous la supervision des Clients. Océanica facture aux Clients la rémunération de l’infirmier majorée d’une marge de profit. Il ressort principalement des témoignages des infirmiers travaillant pour Océanica que ceux-ci n’ont pas de contrat de travail écrit avec Océanica, qu’ils n’assument pas de risque de profit ou de perte et qu’ils défraient leur dépense d’emploi eux-mêmes sans être remboursés par Océanica.Océanica considère les infirmiers à titre de travailleurs autonomes plutôt qu’à titre de salariés. Ainsi, la rémunération versée aux infirmiers ne fait pas l’objet des RAS applicables au Québec, soit celles du RRQ, RQAP, FSS et CNT.Pour sa part, l’Agence du revenu du Québec (ci-après, l’« ARQ ») affirme que les infirmiers ne sont pas des travailleurs autonomes, mais des salariés, et elle cotise de ce fait Océanica pour les droits, pénalités et intérêts relatifs aux RAS mentionnées précédemment sur la rémunération versée aux infirmiers.Océanica porte alors la cotisation de l’ARQ en appel devant la Cour du Québec afin que celle-ci détermine si les infirmiers agissent à titre de salariés ou de travailleurs autonomes.LA DÉCISION DE LA COUR DU QUÉBECÀ la suite d’une revue globale des définitions portant sur la notion d’employeur et d’employé en vertu des différentes lois fiscales, la Cour admet que ces définitions sont peu étoffées et qu’elles ne sont pas d’un grand recours afin de qualifier une relation aussi complexe que celle qui unit Océanica et ses infirmiers. Néanmoins, la Cour constate que le versement de la rémunération revêt une importance particulière afin de qualifier d’ « employeur » une personne aux fins de la Loi sur les impôts2 (Québec).Quant aux notions du Code civil du Québec3 portant sur le contrat de travail, la jurisprudence québécoise a discuté à maintes reprises du fait que le contrat de travail s’analyse en lien avec ses trois composantes, soit le travail, la rémunération et la subordination. Le lien de subordination étant le critère principal dans la détermination du statut d’employé. Toutefois, dans le contexte d’une relation tripartite impliquant un intermédiaire plutôt que dans le cadre d’une relation d’emploi classique entre deux parties, la recherche du véritable employeur à la lumière du lien de subordination présente des difficultés. Ainsi, une analyse globale et plus large du critère portant sur la subordination juridique des employés doit être effectuée en y intégrant d’autres critères tels que la sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, etc. Or, la Cour adopte une analyse plus globale de la relation entre Océanica et ses infirmiers de sorte qu’elle ne se limite pas aux fonctions des infirmiers et au degré de supervision effectuée par Océanica sur ceux-ci.Le fait de partager une partie des activités de l’employeur classique (c.-à-d. le recrutement, la formation, la supervision) entre Océanica et les Clients ne modifie pas la nature du travail des infirmiers en soi. En effet, en l’absence des Clients pour offrir l’emploi et d’Océanica pour établir les liens avec les Clients et les infirmiers, les infirmiers ne pourraient pas offrir leur prestation de travail. Les infirmiers sont intégrés dans l’entreprise des Clients et ils agissent sous la supervision des Clients. Les infirmiers n’administrent pas une entreprise. Prétendre que les infirmiers sont des travailleurs autonomes du fait qu’Océanica ne possède pas à elle seule tous les attributs de l’employeur classique engendrerait un résultat absurde. Pour ces raisons, la Cour est d’avis qu’il est erroné de prétendre que les infirmiers d’Océanica sont des travailleurs autonomes.La Cour conclut donc que les infirmiers sont des salariés d’Océanica. En effet, la Cour affirme qu’en s’intégrant dans la relation classique entre les Clients et les infirmiers, Océanica prend en charge certaines tâches, dont le recrutement et le paiement de la rémunération aux infirmiers. Or, la Cour conclut qu’Océanica agit à titre de mandataire du Client et s’oblige en son nom de sorte qu’Océanica devient responsable des obligations fiscales du Client, en application avec la notion de mandataire prévue au Code civil du Québec4.COMMENTAIREL’approche de la Cour dans le cadre de cette décision est en quelque sorte scindée en deux volets. D’abord, la Cour rejette l’argument d’Océanica à l’effet que les infirmiers sont des travailleurs autonomes. Ensuite, comme les infirmiers sont des employés, la Cour se doit de déterminer qui est redevable des RAS. La Cour accorde alors beaucoup d’importance à la personne qui paie la rémunération pour en arriver à sa conclusion que les infirmiers sont des salariés d’Océanica puisqu’Océanica verse la rémunération directement aux infirmiers.A priori, cette décision confirme le rôle des agences de placement de personnel à titre d’employeur des travailleurs de même que leurs obligations de prélever les RAS du Québec sur la rémunération versée aux travailleurs. Ainsi, il faut rappeler que les agences de placement de personnel se doivent de demeurer vigilantes relativement au statut de leur personnel et aux charges fiscales qui leurs incombent.Cependant, la conclusion de la Cour concernant la relation de mandantmandataire entre Océanica et les Clients peut porter à confusion. En effet, cette conclusion nous laisse perplexe face à une situation où l’agence de placement de personnel serait délinquante et ne prélèverait pas les RAS exigibles. Enfin, il est à noter qu’Océanica a inscrit la décision en appel auprès de la Cour d’appel du Québec. En espérant que la Cour d’appel du Québec en profitera pour clarifier la conclusion de la Cour du Québec. Nous suivrons de près ces développements. D’ici là, la prudence est de mise…_________________________________________1 2012 QCCQ 5370.2 L.R.Q., c. I-3 et mod.3 L.Q. 1991, c. 64 (« C.c.Q. »).4 Article 2157 du C.c.Q.  QUELS SONT VOS RECOURS SI VOUS CROYEZ QU’UN CONTRAT EST SUR LE POINT D’ÊTRE OCTROYÉ OU A ÉTÉ OCTROYÉ À UN AUTRE SOUMISSIONNAIRE QUE VOUS ?Julie CousineauDes questions concernant la légalité des processus d’appels d’offres sont régulièrement soumises aux tribunaux. Évidemment, lorsque les contrats visés par les appels d’offres sont importants, les entreprises qui se sont soumises aux processus en question ont chacune intérêt et la volonté d’obtenir les contrats visés.Que faire si votre entreprise n’a pas obtenu le contrat tant convoité ? Vous trouverez ci-après une brève description des recours juridiques disponibles à la lumière de la jurisprudence récente. Il est à noter que les recours décrits ci-après peuvent être entrepris contre toutes entreprises (publique ou privée). Cependant, dans le cas d’un recours contre le gouvernement lui-même, il ne sera pas possible d’entreprendre de recours en injonction contre celui-ci, mais il sera possible d’obtenir une ordonnance de sauvegarde dans des circonstances exceptionnelles. (Nous n’aborderons pas ces circonstances dans le présent texte.)Avant toute chose, assurez-vous d’avoir répondu à l’intégralité des demandes et formalités de l’appel d’offres. En effet, il va de soi que les tribunaux ne pourront pas sanctionner un donneur d’ouvrage au profit d’un soumissionnaire qui n’a pas respecté les règles établies dans les documents d’appel d’offres1RECOURS GÉNÉRAL : LES DOMMAGES ET INTÉRÊTSPlusieurs recours s’offrent aux soumissionnaires qui se croient lésés. Le plus souvent, ceux-ci entreprendront un recours en dommages et intérêts pour être compensés de la perte qu’ils ont subie et du profit dont ils sont privés. Les profits perdus devront être prouvés au moyen d’une preuve bien documentée afin que les soumissionnaires concernés puissent obtenir les montants escomptés et ceux-ci ne seront octroyés que s’il est clairement prouvé que le contrat aurait dû leur être octroyé. Il est important de noter que la preuve des dommages se traduit généralement par le dévoilement d’information sensible appartenant à l’entreprise qui se sent lésée, telle que les marges de profit ou les états financiers.Par ailleurs, advenant qu’un soumissionnaire participe à un second processus d’appel d’offres lancé par le donneur d’ouvrage et qu’il a participé au premier appel d’offres (dans les cas où le premier appel d’offres a été annulé), son recours en dommages et intérêts entrepris ultérieurement pourra être rejeté au motif qu’il aurait renoncé à ce recours en décidant de soumissionner sur le second appel d’offres.2DEMANDE DE JUGEMENT DÉCLARATOIRE OU RECOURS EN NULLITÉParfois, le soumissionnaire qui se croit lésé voudra faire déclarer par la Cour que le processus suivi par le donneur d’ouvrage n’a pas été respecté ou qu’il doit être annulé, notamment dans les cas où ce donneur d’ouvrage est une entité publique soumise à une loi particulière qui prévoit un cadre pour le processus d’appel d’offres (ex. : Loi sur les cités et villes et Loi sur les contrats des organismes publics). Dans ces cas, le soumissionnaire pourra entreprendre un recours pour obtenir un jugement déclaratoire ou en nullité pour faire déclarer que le processus entrepris est nul. Le but principal de ces recours est d’obtenir une réponse à une question claire soumise à la Cour.INJONCTION OU DEMANDE DE SAUVEGARDELe soumissionnaire qui se croit lésé pourra également demander à la Cour une ordonnance d’injonction ou de sauvegarde pour faire suspendre le processus enclenché (de façon temporaire et accessoire à un autre recours ou de façon permanente). Il est important de savoir, cependant, qu’il est difficile d’obtenir gain de cause par voie d’injonction notamment parce que les critères établis sont quelque peu difficiles à respecter dans le contexte d’appels d’offres. L’injonction est un recours exceptionnel et les tribunaux ayant discrétion pour l’accorder ou la refuser se garderont d’intervenir dans un processus régi par des règles édictées par la loi ou les parties.Pour obtenir une ordonnance d’injonction, les critères suivants devront être remplis : apparence de droit, préjudice sérieux ou irréparable et balance des inconvénients.L’apparence de droit s’applique notamment lorsque le demandeur (soumissionnaire lésé) démontre à la Cour que le processus ne respecte pas les lois applicables (en matière publique notamment) ou que le donneur d’ouvrage n’a pas respecté le processus qu’il a lui-même mis en place, ou qu’il existe une irrégularité majeure dans le processus. En effet, le principe de l’égalité des soumissionnaires est un principe de base en matière d’appel d’offres qui a été réitéré à maintes reprises par les tribunaux. Ce critère n’est généralement pas trop difficile à respecter.3Une fois cette apparence établie, le soumissionnaire devra démontrer qu’il subirait un préjudice irréparable ou sérieux, c’est-àdire qui ne pourrait être compensé par des dommages et intérêts. Ce critère est plus difficile à remplir puisque dans plusieurs cas soumis à la Cour, celle-ci en vient à la conclusion que le préjudice pourra être compensé ultimement par des dommages et intérêts basés sur les profits espérés par le soumissionnaire requérant. Il est à noter que la perte d’expertise, si le contrat n’est pas octroyé au soumissionnaire, mais plutôt à son concurrent, et les difficultés à évaluer le montant des dommages (en raison de calculs mathématiques complexes) n’ont pas été jugés comme des préjudices irréparables.4 À l’opposé, dans la mesure où le soumissionnaire pourra démontrer que son entreprise risque de fermer, le tribunal sera plus enclin à émettre l’ordonnance.5Enfin, si le tribunal juge que le droit sur lequel se base le requérant n’est pas parfaitement clair, le tribunal devra décider laquelle des parties subirait le plus grand inconvénient si l’ordonnance était rendue. À ce chapitre, dans la mesure où l’appel d’offres concerne un organisme public, il est à noter que celui-ci bénéficiera d’une présomption que le contrat visé par l’appel d’offres est fait dans l’intérêt public et l’organisme aura plus de facilité à faire pencher la balance en sa faveur comparativement à un intérêt privé. Par contre, il existe des cas impliquant des organismes publics où le tribunal, devant l’ampleur de l’illégalité commise par l’organisme public, conclura qu’il est dans l’intérêt des parties et du public que la question de la légalité soit tranchée et qu’entre-temps, le processus soit suspendu.6Enfin, l’urgence de la situation devra être considérée par le tribunal à certaines étapes des demandes pour l’obtention d’ordonnances d’injonction et de sauvegarde.CONCLUSIONLorsque vous vous sentez lésés dans un contexte d’appel d’offres, il est important d’évaluer rapidement les solutions qui s’offrent à vous. Dépendant des faits et des questions de droit soulevés, le choix d’un recours ou d’un autre sera plus indiqué. Dans tous les cas, il est nécessaire de ne pas trop attendre avant d’évaluer les solutions qui seront les plus appropriées afin de pouvoir bénéficier de tous les recours disponibles._________________________________________1 Simplex Grinnel inc. c. Cégep de Sainte-Foy, 2012 QCCS 4512.2 Entreprises Léopold Bouchard & Fils inc. c. St-Tharcisius (Municipalité de), 2012 QCCS 4071 (inscription en appel).3 RJR-McDonald inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, p.46.4 Entrepreneur général Uuchii inc. c. Québec (Procureur général), 2012 QCCS 4500.5 Orthofab inc. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, 2012 QCCS 1876.6 Idem note 5.

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