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Développements récents en matière de régimes de retraite : mesures d’allègement prolongées et adoption du projet de loi no 39 relatif aux régimes volontaires d’épargne-retraite
PROLONGATION DES MESURES D’ALLÈGEMENTLe 27 novembre 2013, le gouvernement du Québec a publié le Règlement prévoyant de nouvelles mesures d’allègement relatives au financement de déficits actuariels de solvabilité des régimes de retraite du secteur privé (le « Nouveau règlement »), lequel entrera en vigueur le 31 décembre prochain.Le Nouveau règlement vise essentiellement à prolonger de deux ans les mesures d’allègement qui avaient été prévues au Règlement prévoyant des mesures d’allègement temporaires relatives au financement de déficits actuariels de solvabilité1 (le « Règlement de 2012 »), qui viennent à échéance à la fin de 2013.L’employeur pourra décider de se prévaloir de l’une ou plusieurs des mesures d’allègement dont il est question ci-après en transmettant par écrit des instructions en ce sens au comité de retraite du régime. Tout comme dans le cas du Règlement de 2012, le Nouveau règlement n’exige pas que l’employeur obtienne le consentement des participants du régime de retraite afin de se prévaloir des mesures d’allègement. Un employeur pourra en outre choisir d’utiliser les mesures d’allègement même s’il s’est prévalu de l’une ou plusieurs des mesures énoncées au Règlement de 2012.Les mesures d’allègement prévues au Nouveau règlement sont similaires à celles énoncées au Règlement de 2012 et permettent :1- Le lissage de l’actif du régime sur base de solvabilitéLe lissage de l’actif, qui consiste essentiellement à évaluer celui-ci en répartissant les fluctuations de sa valeur sur une certaine période, pourra être utilisé aux fins d’évaluer l’actif du régime sur base de solvabilité. La méthode de lissage choisie devra être prévue dans les instructions écrites transmises par l’employeur au comité de retraite et la période de lissage utilisée ne devra pas excéder cinq ans. Si l’employeur s’est prévalu du lissage de l’actif en vertu du Règlement de 2012 et qu’il désire se prévaloir du lissage de l’actif en vertu du Nouveau Règlement, la méthode de lissage choisie devra être la même que celle utilisée en vertu du Règlement de 2012.Malgré cette mesure d’allègement, aux fins d’établir le degré de solvabilité du régime de retraite, l’actif utilisé sera celui à sa valeur de liquidation et donc, sans utiliser la mesure de lissage. Rappelons que certaines dispositions de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (la « Loi RCR ») et de ses règlements réfèrent au degré de solvabilité d’un régime de retraite ou requièrent l’utilisation de celui-ci à différentes fins. Par exemple, en matière d’acquittement des droits d’un participant qui demande le transfert de la valeur de ses droits hors du régime de retraite, la Loi RCR stipule que si le régime n’est pas pleinement solvable (donc si le degré de solvabilité est inférieur à 100 %) à ce moment, la valeur des droits du participant ne pourra être acquittée initialement qu’en proportion du degré de solvabilité du régime.2- La consolidation des déficits actuariels de solvabilitéLe Nouveau règlement permet la consolidation de tous les anciens déficits de solvabilité, c’est-à-dire de regrouper ces anciens déficits en un seul. Rappelons qu’en vertu du Règlement de 2012, il n’était pas permis de consolider un déficit de modification relié à une modification intervenue après le 30 décembre 2008. Cette restriction n’a pas été reprise dans le Nouveau règlement.3- L’allongement de la période d’amortissement du déficit de solvabilité sur une période maximale de 10 ansLe déficit de solvabilité déterminé à la date de la première évaluation actuarielle du régime postérieure au 30 décembre 2013 (soit dans la plupart des cas, au 31 décembre 2013) pourra être amorti sur une période se terminant au plus tard 10 ans après la date de sa détermination, plutôt que sur une période de cinq ans. Il en est de même en ce qui concerne le déficit de solvabilité déterminé à la date de l’évaluation actuarielle postérieure à celle mentionnée ci-dessus.Le choix d’utiliser ou non les mesures d’allègement prévues au Nouveau règlement devra être effectué lors de la première évaluation actuarielle du régime dont la date est postérieure au 30 décembre 2013.Enfin, aux termes du Nouveau règlement, l’application des nouvelles mesures d’allègement se terminera à la première des dates suivantes : la date de la première évaluation actuarielle qui montre que le régime de retraite est solvable; la date de la fin du premier exercice financier du régime de retraite ayant débuté après le 31 décembre 2014; la date indiquée dans un avis écrit transmis par l’employeur au comité de retraite, cette date devra cependant correspondre à celle de la fin d’un exercice financier du régime.Mentionnons que le Nouveau règlement ne s’applique pas aux régimes de retraite des secteurs municipal et universitaire, qui sont plutôt visés par un autre règlement qui a également été publié le 27 novembre 20132 et entrera en vigueur le 31 décembre 2013. Ce règlement prévoit essentiellement la prolongation d’une mesure d’allègement déjà mise en place pour les régimes de retraite de ces secteurs, mais avec certaines modifications.ADOPTION DU PROJET DE LOI N° 39Le projet de loi n° 39 : Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite a été adopté par l’Assemblée nationale le 3 décembre dernier. À la date de la rédaction du présent article, la sanction royale de ce projet de loi n’avait cependant pas encore été donnée.Plusieurs modifications ont été apportées à ce projet de loi lors de son étude détaillée par la Commission des finances publiques. Selon les modifications jointes au rapport de la Commission, il appert que la plupart des dispositions de la loi entreront en vigueur le 1er juillet 2014 et que le délai dont disposera un employeur afin de souscrire un régime volontaire d’épargne-retraite (RVER) dépendra du nombre d’employés à son service à une date donnée. Ainsi, un employeur comptant 20 employés ou plus à son service le 30 juin 2016 devra souscrire un RVER au plus tard le 31 décembre 2016 alors qu’un employeur comptant entre 10 et 19 employés le 30 juin 2017 aura jusqu’au 31 décembre 2017 pour souscrire un tel régime. Quant à un employeur comptant 5 à 9 employés à son service, celui-ci devra souscrire un RVER à la date qui sera déterminée par règlement, laquelle ne pourra être antérieure au 1er janvier 2018._________________________________________1 Ce règlement a été publié le 30 mai 2012.2 Soit, par le Règlement modifiant le Règlement concernant le financement des régimes de retraite des secteurs municipal et universitaire.
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La Commission des finances publiques se prononce sur le Rapport D’Amours
Après avoir tenu des consultations particulières en juin et en août 20131, la Commission des finances publiques (la « Commission ») a publié, le 17 septembre dernier, ses conclusions et recommandations concernant le rapport du Comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois (le « Rapport D’Amours »). Rappelons que ce Comité d’experts a été formé en décembre 2011 par la Régie des rentes du Québec2 (la « Régie ») pour étudier le système de retraite québécois afin de l’améliorer de façon à ce qu’il soit viable et performant, tout en tenant compte des nouvelles réalités économiques et démographiques. Le Rapport D’AmoursLe Rapport D’Amours a été déposé en avril 2013 et compte plus de 200 pages. Dans ce rapport, le Comité d’experts identifie tout d’abord certaines failles et pressions qui fragilisent le système de retraite québécois et formule ensuite 21 recommandations qui permettraient de mettre en place un nouveau système. Parmi ces recommandations, le Comité d’experts propose, entre autres, la création d’une « rente longévité » qui serait administrée par la Régie et qui permettrait à tous les travailleurs de bénéficier, à compter de 75 ans, d’une rente à prestations déterminées (« PD »). Le financement de cette rente serait assuré par des cotisations provenant des employeurs et des employés3. Quant aux autres recommandations formulées par le Comité d’experts dans le Rapport D’Amours, mentionnons que la majorité d’entre elles visent à assurer la pérennité des régimes de retraite PD enregistrés auprès de la Régie. Le Comité d’experts propose des mesures telles que l’application d’une méthode unique pour évaluer le financement de tous les régimes PD4, ainsi que l’ouverture d’une période de cinq ans au cours de laquelle les parties au régime pourraient s’entendre sur les restructurations à y apporter, dans le but d’en assurer la pérennité. Enfin, le Comité d’experts recommande également la mise en œuvre rapide des régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER) visés par le projet de loi no 39 (pour plus de renseignements sur les recommandations du Comité d’experts, nous vous dirigeons vers le Rapport D’Amours en cliquant ici). Le rapport de la CommissionDans son rapport de neuf pages, la Commission conclut principalement que diverses mesures proposées dans le Rapport D’Amours nécessitent des études plus approfondies ou des démarches avec le gouvernement fédéral ou les autres provinces. La Commission recommande que de telles études soient faites en ce qui concerne des mesures comme la « rente longévité » et le financement des régimes PD. Aucun échéancier n’est toutefois fixé à cet égard. La Commission indique également que des positions diamétralement opposées ont été formulées par les divers intervenants concernant la restructuration des régimes PD et elle recommande que le gouvernement se penche davantage sur cette problématique. Enfin, la Commission recommande que les analyses et les démarches nécessaires soient faites pour une mise en œuvre rapide des RVER, ainsi que de trois mesures plus techniques relatives aux régimes PD5 (pour plus de renseignements sur les recommandations de la Commission, nous vous dirigeons vers son rapport en cliquant ici). ConclusionEn résumé, même si tous semblent d’accord pour dire que le système de retraite québécois comporte actuellement certaines failles et qu’il est nécessaire de trouver des solutions afin de l’améliorer, la façon d’y parvenir est loin de faire l’unanimité. Le Rapport D’Amours a ravivé la question très importante de l’avenir des régimes de retraite et a créé un « momentum » dont il faudrait certainement profiter. Espérons donc que des démarches concrètes seront entreprises dans un délai raisonnable suite aux recommandations de la Commission et qu’à la fin de cet exercice, l’éléphant accouchera davantage que d’une souris! _________________________________________ 1 Lors desquelles elle a notamment entendu des représentants de groupes, d’organismes, d’associations, d’entreprises, de villes et de firmes d’actuaires.2 À la demande de la ministre de l’Emploi et de la Solidarité Sociale.3 Le coût de cette rente est estimé par le Comité d’experts à 3,3 % du salaire, jusqu’à concurrence du maximum des gains admissibles (lequel a été fixé à 51 100 $ en 2013), réparti à égalité entre les employeurs et les employés.4 Laquelle méthode se rapprocherait davantage des vrais coûts.5 Le calcul des valeurs de transfert, l’achat de rentes auprès d’un assureur et la possibilité d’établir des comptes distincts.
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La Cour suprême rend sa décision dans l’affaire Indalex : les prêteurs débiteurs-exploitants ont priorité de rang sur les bénéficiaires des régimes de retraite dans le cadre d’une restructuration en vertu de la LACC
Le 1er février 2013, la Cour suprême a renversé une décision controversée de la Cour d’appel de l’Ontario qui accordait aux bénéficiaires des régimes de retraite priorité de rang sur les prêteurs débiteurs-exploitants (« DE ») dans le cadre d’une restructuration en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »).1 Plusieurs personnes étaient inquiètes de l’impact de cette décision de la Cour d’appel sur les prêteurs, et plus particulièrement, du fait que ceux-ci pourraient s’avérer peu enclins à avancer des fonds à des débiteurs procédant à une restructuration, par crainte de ne pas être en mesure d’obtenir une charge ayant priorité sur toutes les autres créances. Bien que la décision de la Cour suprême semble apaiser bon nombre de ces craintes, cette décision pourrait par ailleurs susciter d’importantes inquiétudes pour les prêteurs garantis dans un contexte « hors insolvabilité ».LES FAITSEn 2009, Indalex, filiale canadienne d’une société américaine (Indalex É.-U.) qui fabriquait des extrusions d’aluminium, est devenue insolvable. La société américaine s’est par la suite placée sous la protection du chapitre 11, et Indalex a demandé et obtenu une suspension des procédures sous le régime de la LACC. Indalex administrait alors deux régimes de retraite enregistrés : l’un à l’intention des salariés de la société (le « Régime des salariés ») et l’autre à l’intention de ses cadres (le « Régime des cadres »). Lorsque les procédures sous le régime de la LACC ont été engagées, le Régime des salariés était en cours de liquidation, alors que le Régime des cadres n’acceptait plus de participants, mais il n’avait pas encore été liquidé. Lorsque la suspension des procédures a été accordée sous le régime de la LACC, les régimes de retraite accusaient respectivement un déficit de liquidation de 1,8 million de dollars et de 3 millions de dollars.En avril 2009, le tribunal chargé d’appliquer la LACC a autorisé Indalex à conclure une entente de financement intérimaire avec un groupe de prêteurs DE en contrepartie d’une charge ayant priorité sur tous les autres créanciers de la société. Le prêt DE était de plus garanti par Indalex É.-U.Indalex a réussi à vendre ses actifs comme entreprise en exploitation, mais la soumission acceptée ne permettait pas de couvrir complètement le prêt DE, et l’acheteur refusait de prendre à sa charge les régimes de retraite. Le 20 juillet 2009, Indalex et Indalex É.-U. ont chacune demandé au tribunal dont elles relevaient d’approuver la vente des éléments d’actif, ainsi que la distribution provisoire du produit de la vente aux prêteurs DE. Des participants des régimes de retraite ont contesté cette demande, faisant valoir que leurs créances avaient priorité sur celles des prêteurs DE, parce que le passif non capitalisé des régimes de retraite était protégé par une fiducie réputée en vertu de la Loi sur les régimes de retraite de l’Ontario (la « LRR »). Ils ont également fait valoir qu’Indalex avait manqué aux obligations fiduciaires qui lui incombaient en qualité d’administrateur des régimes de retraite, et ce, du début à la fin des procédures en vertu de la LACC. Le tribunal a approuvé la vente, mais a ordonné au contrôleur de constituer un fonds de réserve de 6,75 millions de dollars, en attendant la décision relative aux créances des participants des régimes.Ayant versé aux prêteurs DE la somme qui leur était encore due, Indalex É.-U. a été subrogée dans les droits des prêteurs DE et est devenue créancière de premier rang d’Indalex aux termes de la charge DE.DÉCISIONS DES TRIBUNAUX INFÉRIEURSLe juge Campbell de la Cour supérieure de l’Ontario a rejeté les requêtes des participants, concluant que la fiducie réputée créée par la LRR ne s’appliquait pas aux déficits de liquidation parce que les paiements afférents n’étaient pas [traduction] « échus » ou « à échoir » à la date de la liquidation et que le Régime des cadres n’avait pas un tel déficit puisque n’étant pas encore liquidé.2La Cour d’appel a accueilli les appels des participants. Renversant la décision de la Cour supérieure, elle a conclu que le paragraphe 57(4) de la LRR s’appliquait à toutes les sommes dues au titre du déficit de liquidation d’un régime. La Cour a également conclu qu’une fiducie réputée existait quant au Régime des salariés et que cette fiducie réputée avait priorité (en vertu du paragraphe 30(7) de la Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario) sur la charge accordée aux prêteurs DE. La Cour d’appel a jugé que la doctrine de la prépondérance fédérale n’avait pas été invoquée lorsque l’ordonnance initiale qui prévoyait la création de la charge DE avait été rendue et que rien au dossier n’indiquait que le fait de ne pas appliquer cette doctrine compromettrait la capacité de restructuration d’Indalex. La Cour a également conclu qu’Indalex avait manqué à ses obligations fiduciaires envers les participants, à plusieurs titres, du début à la fin des procédures en vertu de la LACC, et qu’une fiducie par interprétation (au profit des participants des régimes) grevant le fonds de réserve était une réparation appropriée pour de tels manquements.3LA POSITION DE L’APPELANTEIndalex a fait valoir devant la Cour suprême que les paiements au titre du déficit de liquidation ne sont pas visés par la fiducie réputée créée par la LRR puisqu’ils ne sont établis que longtemps après la date de prise d’effet de la liquidation. Par conséquent, ils ne peuvent être des paiements accumulés, tel que l’exige la législation.4 De plus, Indalex a argumenté que même si les participants pouvaient bénéficier d’une fiducie réputée, la charge accordée en faveur des prêteurs DE aurait priorité sur une telle créance des participants.5En ce qui concerne les obligations fiduciaires incombant à la société, Indalex a fait valoir qu’elle joue deux rôles distincts, soit celui d’administrateur des régimes de retraite et celui d’employeur dans le cadre duquel elle prend des décisions dans l’intérêt supérieur de la société. L’argument invoqué par Indalex était que ses décisions prises à titre d’employeur ne sont pas assujetties à des obligations fiduciaires envers les participants.6 Indalex a également fait valoir que s’il était établi qu’elle avait manqué à ses obligations fiduciaires à titre d’administrateur des régimes, la fiducie par interprétation imposée par la Cour d’appel n’était pas une réparation appropriée.7LA FIDUCIE RÉPUTÉE CRÉÉE PAR LA LRR ET LES DÉFICITS DE LIQUIDATIONLa première question considérée par la Cour suprême concernait l’application du paragraphe 57(4) de la LRR, lequel se lit comme suit :57(4) Si un régime de retraite est liquidé en totalité ou en partie, l’employeur qui est tenu de cotiser à la caisse de retraite est réputé détenir en fiducie pour le compte des bénéficiaires du régime de retraite un montant égal aux cotisations de l’employeur qui sont accumulées à la date de la liquidation, mais qui ne sont pas encore dues aux termes du régime ou des règlements [Nos soulignés].La question était donc de savoir si la fiducie réputée créée aux termes de cette disposition s’appliquait aux paiements au titre du déficit de liquidation exigés par l’alinéa 75(1)b) de la LRR. Afin que les paiements relatifs au déficit de liquidation du Régime des salariés puissent être visés par cette fiducie réputée, ils devaient constituer des cotisations de l’employeur accumulées à la date de la liquidation, mais qui ne sont pas encore dues, tel que l’exige le paragraphe 57(4) de la LRR.La Cour suprême a confirmé, à la majorité, la décision de la Cour d’appel de l’Ontario sur ce point, refusant ainsi d’accepter l’interprétation plus restrictive du mot « accumulées » soumise par Indalex. De l’avis de la Cour, le texte, le contexte, ainsi que l’objet de la disposition mènent à la conclusion que les déficits de liquidation visés à l’alinéa 75(1)b) sont de fait protégés par une fiducie réputée. Bien que les sept juges aient convenu que les déficits de liquidation constituaient des cotisations de l’employeur qui n’étaient pas encore dues, quatre d’entre eux sont également venus à la conclusion qu’elles étaient « accumulées » à la date de la liquidation. La juge Deschamps, écrivant pour la majorité sur ce point, a souligné le contraste entre son opinion et celle des juges dissidents, déclarant que :La différence entre le raisonnement que j’applique et celui du juge Cromwell réside dans le fait que le sien exige que le calcul puisse s’établir avant la date de la liquidation, tandis que je suis d’avis que la date où s’effectue le calcul est sans importance du moment que le passif est évalué à la date de la liquidation [Nos soulignés].8La majorité a également conclu que l’historique législatif de la LRR et la vocation réparatrice de la disposition législative qui crée cette fiducie réputée mènent tous deux à la conclusion que l’exclusion des paiements au titre d’un déficit de liquidation de la protection offerte par la fiducie réputée irait à l’encontre de l’intention poursuivie par le législateur ontarien.9 Toutefois, tous les juges ont convenu que la fiducie réputée ne peut s’appliquer qu’au Régime des salariés et non au Régime des cadres, celui-ci n’ayant pas encore été liquidé.10FIDUCIES RÉPUTÉES ET CHARGES BÉNÉFICIANT D’UNE SUPERPRIORITÉ AUX TERMES DE LA LACC : QUI A PRIORITÉ ?Bien que la Cour ait conclu qu’une fiducie réputée avait été créée à l’égard des paiements au titre du Régime des salariés, cela ne suffisait pas pour disposer du pourvoi. En effet, la question suivante demeurait : la fiducie réputée de droit provincial créée par le paragraphe 57(4) de la LRR a-t-elle priorité sur la charge créée par le tribunal en faveur des prêteurs DE? La Cour souligne que la fiducie réputée de droit provincial créée par la LRR continue de s’appliquer dans les instances relevant de la LACC, sous réserve de l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale qui rend la loi provinciale inopérante dans la mesure de son incompatibilité avec la loi fédérale.11 De plus, la Cour rejette la position retenue par la Cour d’appel de ne pas appliquer cette doctrine au motif que celle-ci n’avait pas été explicitement invoquée par les appelants au moment où l’ordonnance initiale a été rendue et la charge DE accordée. La Cour suprême en vient plutôt à la conclusion que la prépondérance est une question de droit qui peut être soulevée même si elle n’a pas été invoquée dans une procédure initiale.12La Cour suprême a conclu qu’un tel conflit existait en l’occurrence puisque le respect du droit provincial (la LRR) implique nécessairement de ne pas se conformer à l’ordonnance rendue dans le cadre de la procédure engagée sous le régime de la LACC en vertu du droit fédéral. Par conséquent, accorder priorité aux prêteurs DE avait pour effet de reléguer à un rang inférieur les créances des autres intéressés, y compris celles des participants aux régimes de retraite. En outre, la Cour a également précisé que la charge DE, d’origine judiciaire et fondée sur la LACC, a le même effet qu’une priorité d’origine législative. Dans la mesure où les dispositions fédérales et provinciales produisent des ordres de priorité différents et conflictuels, la charge DE a priorité sur la fiducie réputée en raison de l’application de la doctrine de la prépondérance.13INDALEX A-T’ELLE MANQUÉ À SES OBLIGATIONS FIDUCIAIRES ?La Cour a également indiqué que des problèmes de conflit d’intérêts peuvent survenir lorsqu’une société agit à la fois en tant qu’administrateur d’un régime de retraite et en tant qu’employeur, en particulier dans le contexte d’une restructuration. Les intérêts de la société peuvent entrer en conflit avec son devoir, en tant qu’administrateur du régime, de s’assurer que les cotisations soient versées lorsqu’elles sont dues.14 Un employeur ne peut pas négliger ses obligations fiduciaires envers les participants au régime dans le but de favoriser ses devoirs envers la société.15En l’espèce, la Cour a conclu qu’Indalex s’était effectivement placée en situation de conflit d’intérêts, mais la majorité n’a pas jugé que les manquements de la société débitrice à ses devoirs fiduciaires étaient aussi généralisés que l’indiquait la Cour d’appel.16 En effet, bien que la société n’ait pas manqué à ses devoirs fiduciaires en demandant l’émission d’une ordonnance initiale en vertu de la LACC ou en omettant d’aviser les participants de son intention de demander l’émission d’une telle ordonnance, elle était tenue de fournir un avis lorsqu’elle a cherché à obtenir l’ordonnance approuvant le prêt DE puisque celui-ci aurait priorité sur les créances des participants des régimes.17La majorité des juges a également fourni des indications importantes aux employeurs-administrateurs confrontés à une situation semblable à celle d’Indalex. Plus particulièrement, les juges Deschamps et Cromwell mentionnent tous deux certaines solutions pouvant permettre aux employeurs-administrateurs de résoudre les conflits d’intérêts et ainsi éviter de manquer à leurs obligations fiduciaires. La juge Deschamps ajoute également que la solution retenue pour résoudre un conflit « doit être adaptée au problème, et une solution donnée ne vaudra pas nécessairement pour tous les cas ».Bien que les juges aient conclu qu’Indalex ne s’était pas acquittée de toutes ses obligations fiduciaires, la majorité d’entre eux (deux juges étant dissidents) a conclu qu’une fiducie par interprétation ne constituait pas une réparation appropriée. Le juge Cromwell indique que quatre conditions doivent être satisfaites pour que le tribunal puisse imposer une fiducie par interprétation à titre de réparation à la suite d’un manquement à une obligation fiduciaire. L’une de ces conditions exige que la possession de fonds ou d’actifs par la partie fautive résulte du manquement par celle-ci à ses obligations fiduciaires. Selon la majorité des juges, aucun élément de preuve n’appuie la prétention à l’effet que l’actif constituant le fonds de réserve résulte du manquement d’Indalex à ses obligations fiduciaires en tant qu’administrateur des régimes.SOMMAIRELa Cour suprême n’a pu rendre une décision unanime quant à toutes les questions soulevées dans l’affaire Indalex. Eu égard aux motifs invoqués dans leur décision, les juges sont divisés en trois groupes : la juge Deschamps (avec l’accord du juge Moldaver) le juge Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et du juge Rothstein) le juge Le Bel (avec l’accord de la juge Abella)Pour ce qui est des questions soulevées, le jugement se divise comme suit : la fiducie réputée créée par la LRR s’applique aux déficits de liquidation : 4 contre 3; la charge DE a priorité sur la fiducie réputée créée par la LRR en raison de l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale : 7 contre 0; Indalex a manqué à ses obligations fiduciaires en tant qu’administrateur des régimes : 7 contre 0; une fiducie par interprétation n’était pas une réparation appropriée pour les manquements aux obligations fiduciaires : 5 contre 2.LA PERSPECTIVE DU QUÉBECLa loi sur les régimes de retraite du Québec diffère de la LRR.En effet, la Loi sur les régimes complémentaires de retraite du Québec (la « Loi RCR ») ne prévoit pas la création d’une fiducie réputée pouvant s’appliquer aux déficits de liquidation. La Loi RCR qualifie ces déficits de dettes.De plus, au Québec, les régimes de retraite sont, en vertu de la Loi RCR, administrés par des comités de retraite, contrairement à ce qui s’appliquait en Ontario dans le cas d’Indalex, où cette dernière agissait en tant qu’administrateur des régimes. Lorsqu’un comité de retraite n’a délégué aucun de ses pouvoirs et obligations à l’employeur (la Loi RCR permet à un comité de retraite de déléguer la totalité ou une partie de ses pouvoirs et obligations à un tiers, y compris à l’employeur), il serait difficile de conclure à l’existence d’un manquement aux obligations fiduciaires de la part de l’employeur dans une situation semblable à celle en cause dans l’affaire Indalex.Pour terminer, soulignons que l’affaire Indalex mettait en cause l’application de réparations « en equity », et plus particulièrement, la fiducie par interprétation. Cette réparation n’existe pas en vertu du droit civil de la province du Québec.CONCLUSIONLa conclusion de la Cour selon laquelle la charge des prêteurs DE avait priorité sur les créances des bénéficiaires des régimes de retraite fournit une réponse à une vive controverse en droit de l’insolvabilité. De plus, cette décision fournit aux sociétés procédant à leur restructuration d’importantes indications concernant la façon de bien gérer les conflits d’intérêts dans un tel contexte. Toutefois, ces conclusions de la Cour ne sont pas aisément transposables en droit québécois. Comme il est mentionné précédemment, le rôle de l’employeur à l’égard d’un régime de retraite privé au Québec diffère de celui d’un employeur-administrateur en Ontario, sans oublier que le cadre législatif applicable est différent au Québec.18 Par conséquent, les conclusions de la Cour à cet égard pourraient s’avérer beaucoup moins pertinentes pour les sociétés procédant à leur restructuration au Québec.La Cour a aussi clairement indiqué que les bénéficiaires de régimes de retraite en Ontario jouissent de la protection offerte par une fiducie réputée d’origine provinciale, même en ce qui a trait aux déficits de liquidation. Fait possiblement plus important encore, bien que la Cour suprême ait confirmé que la fiducie réputée en cause n’avait pas priorité sur la charge des prêteurs DE, la portée élargie de cette fiducie réputée, combinée au fait que celle-ci continue de s’appliquer pour autant que cela ne soit pas incompatible avec la loi fédérale, soulèvera certainement des inquiétudes auprès des prêteurs garantis qui pourraient ainsi voir cette fiducie réputée avoir priorité sur leur sûreté de premier rang, et ce, à l’égard des déficits de liquidation.Quelle sera la réaction de prêteurs? Chercheront-ils à se mettre à l’abri des fiducies réputées d’origine provinciale en ayant recours à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, laquelle rend la plupart de ces fiducies réputées inopérantes? Cela pourrait avoir pour effet pervers d’amener les prêteurs à provoquer la faillite de leurs débiteurs plutôt que d’envisager un scénario de restructaration dans les cas où les déficits des régimes de retraite sont importants. Les prêteurs pourraient imposer des engagements supplémentaires dans leurs contrats de prêt afin de mieux se protéger contre de tels déficits potentiels. L’incroyable souplesse et la capacité d’adaptation, qui sont le véritable apanage de la pratique en matière d’insolvabilité et de restructuration, pourraient avoir des côtés positifs, bien qu’il soit permis aux prêteurs garantis d’en douter._________________________________________ 1 Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6 [Indalex]. 2 2010 ONCS 1114. 3 2011 ONCA 265. 4 Indalex, note 1, par. 33 supra. 5 Mémoire de l’appelante, Sun Indalex Finance, LLC, Dossier N° 34308, par. 101 [Mémoire]. 6 Indalex, note 1, par. 63 supra. 7 Mémoire, note 5, par. 89 supra. 8 Indalex, note 1, par. 34 supra. 9 Ibidem, par. 43-44. 10 Ibidem, par. 46. 11 Ibidem, par. 52. 12 Ibidem, par. 55. 13 Ibidem, par. 60. 14 Ibidem, par. 182. 15 Ibidem, par. 65. 16 Ibidem, par. 74. 17 Ibidem, par. 73. 18 White Birch Paper Holding Company (Arrangement relatif à), 2012 QCCS 1679.
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Francisation - Projet de loi nº 14 modifiant la Charte de la langue française
Cette publication a été écrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil. Le titre du présent bulletin résume bien les notes explicatives qui font office de prologue au Projet de loi nº 14 intitulé « Loi modifiant la Charte de la langue française, la Charte des droits et libertés de la personne et d’autres dispositions législatives » (le « Projet de loi »). Le législateur s’inquiète du fait que la langue anglaise soit utilisée de façon systématique dans certains lieux de travail. Le Projet de loi a été présenté le 5 décembre 2012 et les modifications qui y sont suggérées visent à réaffirmer la primauté de la langue française en tant que langue officielle et langue commune au Québec.
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La Cour suprême du Canada entendra l’affaire Vivendi
Le 9 août dernier, la Cour suprême du Canada a accueilli la demande d’autorisation d’appel déposée par Vivendi Canada inc. à l’encontre de la décision rendue en février 2012 par la Cour d’appel du Québec. Rappelons que cette décision autorisait M. Michel Dell’Aniello à exercer un recours collectif contre Vivendi Canada inc. suite à des modifications effectuées unilatéralement par celle-ci au régime d’assurance-maladie complémentaire offert aux retraités.
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La Cour d’appel autorise le recours collectif des retraités contre Vivendi
Le 29 février 2012, la Cour d’appel infirmait le jugement de la Cour supérieure du Québec ayant rejeté la requête en autorisation d’exercer un recours collectif de M. Michel Dell’Aniello (« Dell’Aniello ») en lien avec des modifications effectuées unilatéralement par Vivendi Canada inc. (« Vivendi ») au régime d’assurance maladie complémentaire offert aux retraités.
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La Cour supérieure ordonne à la Régie des rentes du Québec d’enregistrer des modifications réductrices
Le 9 septembre 2011, la Cour supérieure du Québec, a accueilli la requête en révision judiciaire déposée par Synertech Moulded Products, Division of Old Cassel Building et a annulé deux jugements rendus par la section des affaires économiques du Tribunal administratif du Québec.En 2009, la Régie des rentes du Québec avait refusé d’enregistrer et d’autoriser les Modifications aux motifs qu’elles réduisaient substantiellement et rétroactivement les droits acquis par les participants Bérard et Pons, de manière à éliminer tout déficit au Régime Bérard et au Régime Pons. De l’avis de la Régie, les Modifications contrevenaient aux objectifs de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite relatifs à la protection des droits des participants (protection consacrée notamment à l’article 228 de la Loi RCR). Synertech a contesté les décisions de la Régie devant le TAQ.
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Bulletin trimestriel d’information juridique à l’intention des professionnels de la comptabilité, de la gestion et des finances, Numéro 14
Régimes de retraite à prestations déterminées : Les mesures temporaires d’allégement seront vraisemblablement prolongées! Un nouveau cadre législatif pour les organisations à but non lucratif fédérales Conversion d’une dette en actions par une société en difficulté financière : attention aux conséquences fiscales! Conflits de droits entre créancier hypothécaire et locataire
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La Cour suprême du Canada se prononce dans l'affaire Burke
Le 7 octobre 2010, la Cour suprême du Canada rendait sa décision dans l’affaire Burke c. Cie de la Baie d’Hudson en rejetant le pourvoi intenté par certains anciens employés et en confirmant le jugement rendu par la Cour d’appel de l’Ontario.
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Recours collectif : la Cour dit non à des retraités
Le 3 août dernier, la Cour supérieure du Québec rejetait la requête pour être autorisé à exercer un recours collectif déposée par monsieur Michel Dell’Aniello contre Vivendi Canada Inc. Cette décision touche deux sujets d’intérêt, soit celui des modifications effectuées unilatéralement par un employeur au programme d’assurance groupe offert aux retraités de l’entreprise et celui des recours collectifs à portée nationale.
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Des modifications réductrices à un régime de retraite refusées par la Régie et le TAQ
Le 28 juillet dernier, le Tribunal administratif du Québec a confirmé une décision de la Régie des rentes du Québec ayant refusé d’enregistrer et d’autoriser des modifications réductrices à un régime de retraite et ce, malgré le consentement du seul participant du régime aux dites modifications.
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Modifications aux avantages post-retraite : décisions récentes (Avantages)
Au cours des dernières années, les programmes d’assurance post-retraite ont généré des préoccupations grandissantes au sein des entreprises en raison des coûts importants associés à ces programmes. Selon un sondage effectué en 2008 par la firme Mercer auprès de 94 entreprises canadiennes, 33 % d’entre elles avaient réduit le niveau de leur(s) programme(s) d’avantages post-retraite et 21 % envisageaient faire de même au cours des trois prochaines années.
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Le régime de retraite par financement salarial : un régime à prestations déterminées où le risque financier de l’employeur est limité
La décision d’un employeur d’offrir un régime de retraite à ses employés constitue une décision importante. Différents types de régimes de retraite peuvent être offerts et le risque financier de l’employeur sera différent selon le type de régime choisi.Alors que les syndicats et les employés préfèrent généralement les régimes à prestations déterminées, les employeurs, de leur côté, sont maintenant très réticents à mettre en place de tels régimes étant donné la responsabilité financière qui en découle pour eux-mêmes.Un nouveau type de régime existe toutefois depuis 2007, porte le nom de « régime de retraite par financement salarial » et s’adresse avant tout aux travailleurs syndiqués.En ajoutant un nouveau genre de régime de retraite à prestations déterminées où l'employeur assume un risque limité, le gouvernement du Québec offre une option intéressante pour certains employeurs.