L’exercice de la garde et des droits d’accès à l’ère de la COVID‑19 : « Il n’y aura pas de solution facile »

La Cour supérieure de justice de l’Ontario refuse de suspendre l’exercice des droits d’accès d’un père envers son enfant et précise les critères pour déterminer l’urgence d’intervenir en matière familiale

La crise mondiale que nous traversons comprend son lot de défis et d’inquiétudes, parmi lesquels compte la protection de nos êtres chers. Plusieurs parents s’interrogent quant aux mesures de protection à prendre et à l’opportunité de maintenir les modalités de garde partagée ou d’accès au parent non-gardien. Ces modalités devraient-elles être maintenues malgré la crise actuelle ou, au contraire, suspendues en raison des exigences de distanciation sociale? La Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu le premier jugement publié au Canada qui répond à ces questions importantes et offre des orientations aux parents et avocats non seulement en Ontario mais à travers le pays, incluant au Québec. D’ailleurs, un jugement rendu récemment au Québec met de l’avant les principes établi dans le jugement ontarien.

Dans l’affaire Ribeiro v Wright1, la Cour supérieure de justice de l'Ontario était saisie d'une demande urgente présentée par la mère d'un garçon de 9 ans pour suspendre tout accès en personne avec son père en raison de la COVID-19. La mère craignait que le père ne respecte pas les exigences de distanciation sociale pendant ses périodes d’accès à l’enfant alors que sa famille et elle-même pratiquaient l'isolement social dans leur maison pendant la durée de la crise COVID-19. Elle refusait que son fils quitte sa maison pour quelque raison que ce soit, y compris pour voir son père.

Dans son jugement du 23 mars 2020, le juge A. Pazaratz de la Cour supérieure de justice de l'Ontario n'a pas autorisé cette affaire à procéder sur une base urgente, mais a expliqué ses motifs en détail.

Tout d’abord, la Cour a insisté sur le fait que la santé, la sécurité et le bien-être des enfants et des familles demeuraient la considération principale pendant la crise de la COVID-19, qui est une période extrêmement difficile et stressante pour tous.

Le respect des jugements demeure la règle

Dans l’affaire précitée, la Cour a souligné qu’il existait un jugement déterminant la garde et les droits d’accès. Le juge Pazaratz a indiqué qu’il existe une présomption selon laquelle tous les jugements devraient être respectés et appliqués même pendant la crise de la COVID-19 et qu’un jugement existant qui accorde aux parents un droit de garde ou d’accès envers un enfant constitue une confirmation qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’entretenir un contact personnel significatif avec ses deux parents. En règle générale, les accords et horaires de garde et d’accès existants devraient être maintenus, sous réserve des modifications qui pourraient s’avérer nécessaires pour garantir le respect de toutes les précautions relatives à la COVID-19, y compris une distanciation sociale stricte.

La Cour a indiqué qu'à de nombreux égards, nous devrons suspendre nos vies jusqu'à ce que la crise de la COVID-19 soit résolue. Toutefois, la vie des enfants et leurs relations familiales d'une importance vitale ne peuvent pas être mises « en attente » indéfiniment sans risquer de leur faire subir de graves préjudices émotionnels et d'être bouleversés. Selon la Cour, une politique générale selon laquelle les enfants ne devraient jamais quitter leur résidence principale, même pour rendre visite à leur autre parent, serait incompatible avec une analyse complète de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Dans certains cas, les parents pourraient devoir renoncer temporairement à leur temps de garde ou d’accès, par exemple dans les cas suivants: 

  • Lorsqu'un parent est en isolement pour une période de 14 jours à la suite d'un récent voyage;
  • En raison d'une maladie personnelle ou d'une exposition à la maladie;
  • En raison des facteurs de risque personnels d'un parent (par exemple en raison de son emploi);

La Cour a toutefois insisté pour dire qu'il y aurait une tolérance zéro pour tout parent qui expose imprudemment un enfant (ou des membres du ménage de l'enfant) à tout risque relatif à la COVID-19, tel que le non-respect des exigences de distanciation sociale ou le défaut de prendre des précautions raisonnables en matière de santé.

Le juge Pazaratz a reconnu que chaque famille aura ses propres enjeux et complications, que des changements temporaires pourraient être nécessaires et qu'il n'y aura pas de réponses faciles, mais que, peu importe la difficulté du défi, dans l’intérêt de l'enfant, nous devons trouver des moyens de maintenir les relations parentales importantes - et surtout, nous devons trouver des moyens de le faire en toute sécurité.

Le juge Pazaratz a invité les parents à agir de manière responsable et à tenter de résoudre leurs problèmes avant d'engager des procédures judiciaires urgentes. La Cour a indiqué que, malgré des ressources extrêmement limitées pendant cette crise, elle donnerait toujours priorité aux affaires impliquant des enfants. Si les parents craignent que la crise de la COVID-19 crée un problème urgent en lien avec la garde et les accès de leur enfant, ils peuvent présenter une demande d'urgence à la cour, mais ils ne doivent pas présumer que l'existence de la crise de la COVID-19 entraînera automatiquement une suspension du temps d'accès ou de garde ni qu'il en résultera nécessairement une audition d’urgence.

La Cour précise que les tribunaux traiteront des questions de garde et accès liés à la crise de la COVID-19 au cas par cas selon le test suivant qui servira à déterminer s’il y a urgence d’intervenir :

  1. Le parent qui présente une demande urgente à ce sujet devra fournir des preuves concrètes ou des exemples de comportements ou de plans de l'autre parent dérogeant aux protocoles relatifs à la COVID-19;
  2. Le parent qui répond à une telle demande urgente devra attester sans réserve que les mesures de sécurité relatives à la COVID-19 seront scrupuleusement respectées, y compris la distanciation sociale, l’utilisation de désinfectants, le respect des directives de sécurité publique, etc.; 
  3. Les deux parents devront fournir des propositions de partage du temps de garde et d’accès très précises et réalistes répondant pleinement à toutes les considérations relatives à la COVID-19, en demeurant centrées sur l’intérêt de l'enfant;
  4. Les juges devraient prendre connaissance du fait que la distance sociale devient maintenant à la fois courante et acceptée, étant donné le nombre d'établissements publics qui ont été fermés. Il s’agit d’un très bon moment pour les parents gardiens et les parents ayant accès à l'enfant de passer du temps avec leur enfant à la maison.

Le juge Pazaratz a rejeté la demande de la mère présentée sur une base urgente, car elle n’avait pas réussi à établir que le père refusait ou était incapable à l’avenir de se conformer aux protocoles relatifs à la COVID-19. Le juge a conclu qu’aucun d'entre nous n'avait vécu une telle situation et que nous allons tous devoir faire un peu plus d'efforts - pour le bien de nos enfants.

La Cour supérieure du Québec confirme qu’en principe il faut maintenir le statu quo

Dans le jugement Droit de la famille — 204742 rendu le 27 mars dernier, la Cour supérieure du Québec applique essentiellement les mêmes principes que ceux énoncés dans la décision ontarienne précitée, à savoir :

  • Le maintien des ordonnances de garde ou d’accès en vigueur permettant à l’enfant de profiter de la présence de ses deux parents;
  • Un parent qui demande la suspension des ordonnances en vigueur doit établir :
    • l’urgence de sa demande;
    • des motifs suffisants;
  • Un milieu de vie d’un parent présentant des dangers pour la santé ou la sécurité des enfants ou encore des symptômes de la maladie peuvent constituer des motifs suffisants;
  • Les deux parents ont l’obligation de respecter les directives en matière de santé et sécurité;

Ainsi, cette décision indique que la Cour supérieure du Québec, à l’instar de Cour supérieure de l’Ontario, préconise le maintien des jugements en vigueur relatifs à la garde et aux accès, sauf lorsque la santé de l’enfant est concrètement mise en danger par l’un des parents ou son milieu de vie, ce qui pourrait donner ouverture à une modification.

L’autorité parentale exercée conjointement par les deux parents

Par ailleurs, il convient de rappeler qu’au Québec, l’autorité parentale permet aux parents de prendre conjointement les décisions relatives à leur enfant même lorsqu’ils ne font plus vie commune, sauf dans les rares cas où un parent est déchu de ce droit par un jugement de la cour. Ainsi, peu importe les modalités de garde applicables, les deux parents doivent se consulter pour toute question d’importance relative à l’enfant, notamment en matière de santé. Avant de prendre une décision importante concernant votre enfant, assurez-vous de consulter l’autre parent et d’échanger sur les meilleures options disponibles dans les circonstances. 

Des professionnels pour vous aider à y voir plus clair

En somme, nous vivons une situation exceptionnelle qui commande de la souplesse et de la compréhension de la part de chaque parent tout autant que le respect des directives émises relativement à la COVID-19. 

Si vous avez des doutes ou inquiétudes concernant la situation de votre enfant ou si vos discussions avec l’autre parent s’avèrent infructueuses, il peut être utile de consulter des professionnels afin de déterminer la meilleure façon de procéder dans les circonstances. 

Notre équipe de Droit de la famille, des personnes et des successions demeure disponible et pleinement fonctionnelle pour vous assister, vous conseiller et entreprendre les démarches judiciaires requises dans le meilleur intérêt de votre enfant.

 

  1. 2020 ONSC 1829, disponible en ligne : http://canlii.ca/t/j60jj.
  2. 2020 QCCS 1051.
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