Bulletin trimestriel d’information juridique à l’intention des professionnels de la comptabilité, de la gestion et des finances, Numéro 19

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SOMMAIRE 

L'IMPÔT DE LA PARTIE XII.2 APPLICABLE AUX FIDUCIES : UN IMPÔT POTENTIELLEMENT ONÉREUX ET SOUVENT OUBLIÉ
Luc Pariseau et Audrey Gibeault

Quelques années suivant la création d’une fiducie inter vivos, la résidence fiscale d’un ou de plusieurs bénéficiaires initialement résidents du Canada, peut changer. À titre d’exemple, un enfant bénéficiaire peut devenir résident des États-Unis pour entreprendre des études et éventuellement y demeurer, coupant ainsi ses liens de résidence avec le Canada. Dans un tel cas, l’impôt de la partie XII.2 peut s’appliquer1 à la fiducie résidente du Canada puisqu’un ou plusieurs de ses bénéficiaires seraient non-résidents du Canada en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenuLIR »).

Sommairement, l’objectif de l’impôt de la Partie XII.2 de la LIR est d’éviter que des non-résidents du Canada allègent leur fardeau fiscal en détenant des éléments d’actif au Canada ou en exploitant une entreprise au Canada par l’entremise d’une fiducie résidente du Canada pour fins fiscales au lieu de détenir directement ces éléments d’actif ou d’exploiter directement cette entreprise. En effet, un non-résident qui exploite une entreprise au Canada et qui dispose ultérieurement de celle-ci en réalisant un gain en capital sera imposable au Canada au même taux qu’un résident canadien sur son revenu d’entreprise et sur le gain en capital ainsi réalisé. En l’absence de l’impôt de la Partie XII.2, ce non-résident pourrait exploiter son entreprise et détenir les éléments d’actif d’entreprise par l’entremise d’une fiducie résidente du Canada pour ainsi éviter d’être lui-même assujetti à l’impôt de la Partie I.

Lorsque les conditions d’application sont rencontrées, l’impôt de la Partie XII.2 est applicable au taux de 36 %, notamment sur le revenu d’une entreprise exploitée au Canada gagné par la fiducie, sur le revenu provenant de biens immeubles situés au Canada et sur le gain en capital imposable provenant de la disposition de biens canadiens imposables (« BCI »). Un BCI comprend entre autres des actions de sociétés privées dans la mesure où, au cours de la période de 60 mois précédant le moment de la disposition, plus de 50 % de la juste valeur marchande des actions est directement ou indirectement attribuable à des biens immeubles situés au Canada2. Ainsi, la présence d’un bénéficiaire non-résident contamine en quelque sorte la fiducie résidente du Canada puisque, lorsque le revenu gagné par la fiducie est visé par l’impôt de la Partie XII.2, cet impôt est payable par la fiducie peu importe que le revenu soit attribué à un bénéficiaire résident ou non3.

L’impôt de la Partie XII.2 doit être acquitté par la fiducie dans les 90 jours suivant sa fin d’année d’imposition4. Les bénéficiaires résidents du Canada peuvent, de façon générale, réclamer un crédit d’impôt remboursable qui représente l’impôt de la Partie XII.2 payé par la fiducie sur la portion du revenu qui leur est attribuée. Ainsi, les bénéficiaires canadiens ne devraient généralement pas être pénalisés pour l’impôt de la Partie XII.2 payé par la fiducie. Cependant, puisque la fiducie doit d’abord acquitter l’impôt de la Partie XII.2 et que les bénéficiaires canadiens ne peuvent réclamer un crédit d’impôt remboursable dans leur déclaration de revenu que quelques mois plus tard, l’impôt de la Partie XII.2 peut engendrer certains problèmes de liquidités. Quant aux bénéficiaires non-résidents, l’impôt de la Partie XII.2 peut représenter un coût net lorsque ceux-ci résident dans un pays étranger qui impose le revenu attribué par la fiducie résidente du Canada sans prévoir par ailleurs de mécanismes de crédit d’impôt étranger ou autres permettant d’éviter la double imposition.

Certaines planifications peuvent être envisagées lorsqu’il est prévu qu’un bénéficiaire d’une fiducie deviendra non-résident du Canada afin de réduire ou d’éviter l’impôt de la Partie XII.2. Dans une telle éventualité, il est important de consulter un fiscaliste afin d’analyser les choix possibles.
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1 L’impôt de la Partie XII.2 peut trouver application dans d’autres situations qui ne sont pas visées par notre texte. 

2 En vertu de la LIR, un gain provenant de la disposition de biens immeubles situés au Canada ou d’avoirs miniers canadiens constitue également un BCI. Peuvent également être considérés comme des BCI les avoirs forestiers canadiens et dans certaines circonstances, des actions du capital-actions d’une société qui sont inscrites à la cote d’une bourse de valeurs désignées. 

3 L’expression « bénéficiaire » n’étant pas définie dans la LIR, certaines questions pourraient être soulevées quant au statut de bénéficiaire d’une personne non-résidente ne recevant aucun revenu ni capital de la fiducie dans une année d’imposition donnée. 

4 Le paragraphe 104(30) LIR prévoit également que l’impôt de la Partie XII.2 payé par la fiducie pour une année d’imposition doit être déduit de son revenu pour l’année. 

APPLICATION DE LA RÈGLE ANTI-ÉVITEMENT DU PARAGRAPHE 83(2.1) : PRUDENCE DANS LE CONTEXTE D'ACQUISITION D'UNE SOCIÉTÉ PRIVÉE
Éric Gélinas

La plupart des comptables et avocats sont bien au fait qu’une société privée est en mesure de verser des dividendes à ses actionnaires sans aucun impact fi scal pour ceux-ci dans la mesure où ces dividendes proviennent du compte de dividendes en capital (« CDC »). Ce compte fiscal se compose notamment de la partie non imposable d’un gain en capital réalisé par une société privée, d’un produit d’assurance vie reçu par ce type de société ou de dividendes en capital reçus d’une autre société privée. Le but du CDC est essentiellement de faire en sorte que ces sommes, qui ne seraient pas imposables si elles étaient reçues directement par l’actionnaire, conservent le même traitement lorsqu’elles sont réalisées par l’intermédiaire d’une société privée. Le CDC est un élément qui a donc une grande valeur en raison du traitement fiscal qui y est rattaché.

Le paragraphe 83(2.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (« LIR ») prévoit une règle anti-évitement visant à empêcher que les actions d’une société privée soient acquises dans le but de bénéficier du CDC disponible. Cette disposition se lit comme suit :

« (2.1) Restrictions. Malgré le paragraphe (2), le dividende versé par une société sur une action de son capital-actions qui serait, sans le présent paragraphe, un dividende en capital est réputé, pour l’application de la présente loi à l’exception de la Partie III et sauf pour le calcul du compte de dividendes en capital de la société reçu par l’actionnaire et versé par la société comme dividende imposable, et non comme dividende en capital, et l’alinéa (2)(b) ne s’applique pas à ce dividende si l’actionnaire a acquis l’action ou une action qui lui est substituée par une opération, ou dans le cadre d’une série d’opérations, dont un des principaux objets consistait à recevoir ce dividende. »

Récemment, une décision a traité précisément du paragraphe 83(2.1) LIR. La Cour canadienne de l’impôt s’est en effet penchée sur cette disposition dans la décision Groupe Honco Inc. et al. c. Sa Majesté la Reine (2009-2134 (it)(g) datée du 4 septembre 2012. La Cour a considéré que le paragraphe 83(2.1) LIR était applicable dans une situation où les actions d’une société (la « Cible ») ont été acquises et où la Cible était bénéficiaire d’une police d’assurance sur la vie du vendeur d’un montant de 750 000 $, celui-ci étant gravement malade au moment de la vente des actions de la Cible. Le vendeur étant décédé peu après la transaction, le produit d’assurance fut reçu par la Cible postérieurement à l’acquisition, créant ainsi un important CDC pour celle-ci. Des dividendes provenant du CDC ainsi créé furent par la suite versés par la Cible (fusionnée depuis) à ses actionnaires. Ces dividendes furent redéfinis en tant que dividendes imposables par l’Agence du revenu du Canada sur la base du paragraphe 83(2.1) LIR.

Les contribuables tentèrent sans succès de faire valoir que l’objectif principal de l’acquisition des actions de la Cible n’était pas de recevoir les dividendes en capital, mais que cette acquisition était plutôt motivée par des considérations commerciales et fi scales autres (bénéficier des pertes accumulées de la Cible).

La Cour conclut plutôt que le paragraphe 83(2.1) LIR était applicable et qu’en conséquence les dividendes payé s étaient en fait des dividendes imposables.

Cette décision souligne l’importance de considérer l’application potentielle du paragraphe 83(2.1) LIR dans toute situation d’acquisition d’une société privée où un CDC reste inutilisé ou peut être créé postérieurement à l’acquisition. 

LES FIDUCIES SOUS LA LOUPE DE REVENU QUÉBEC
Diana Darilus

Le gouvernement du Québec a récemment décidé de doter Revenu Québec d’outils supplémentaires pour s’assurer que les fiducies ayant des activités ou des immeubles locatifs au Québec se conforment à la législation fiscale. En effet, dans le dernier budget du Québec du 20 novembre 2012, le gouvernement québécois a annoncé des modifications qui visent l’obligation pour certaines fiducies assujetties à l’impôt québécois de produire une déclaration de revenus ou de renseignements (ci-après désignées les « nouvelles règles »). Les nouvelles règles s’appliqueront aux années d’imposition commençant après le 20 novembre 2012.

Les nouvelles règles prévoient l’obligation pour certaines fiducies assujetties à l’impôt du Québec de produire une déclaration de revenus dans trois nouvelles situations données ainsi qu’une déclaration de renseignements dans une situation donnée.

Cependant, certains types de fiducie sont exclus de l’application des nouvelles règles, par exemple les successions et les fiducies testamentaires résidant au Québec le dernier jour de leur année d’imposition et dont le total des coûts indiqués des biens est tout au long de cette année d’imposition inférieur à un million de dollars.

MODIFICATIONS RELATIVES À LA PRODUCTION DE LA DÉCLARATION DE REVENUS

Attribution de revenus à un bénéficiaire résident ou non-résident du Québec
Une fiducie assujettie à l’impôt québécois pour une année d’imposition devra produire une déclaration fi scale pour l’année d’imposition en question si elle déduit dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition un montant attribué à un bénéficiaire non-résident, et non plus seulement lorsqu’elle attribue un montant à un particulier résident ou à une société y ayant un établissement comme c’était déjà le cas auparavant.

À titre d’exemple, une fiducie résidente du Québec qui attribue ses revenus à des bénéficiaires non-résidents du Québec devra dorénavant produire une déclaration de revenus et ce, même si elle n’a pas d’impôt à payer, ne réalise aucun gain en capital et ne dispose pas d’une immobilisation durant l’année d’imposition.

Fiducie résidente du Québec propriétaire de biens dont le total des coûts indiqués est supérieur à 250 000 $
Une fiducie assujettie à l’impôt québécois devra dorénavant produire une déclaration de revenus si elle réside au Québec le dernier jour de l’année d’imposition et est propriétaire, à un moment quelconque durant cette année d’imposition, de biens dont le total des coûts indiqués est supérieur à 250 000 $.

Fiducie non-résidente du Québec propriétaire de biens d’entreprise dont le total des coûts indiqués est supérieur à 250 000 $
Une fiducie assujettie à l’impôt québécois devra dorénavant produire une déclaration de revenus si elle ne réside pas au Québec le dernier jour de l’année d’imposition et est propriétaire, à un moment quelconque durant cette année d’imposition, de biens qu’elle utilise dans l’exploitation d’une entreprise au Québec dont le total des coûts indiqués est supérieur à 250 000 $.

MODIFICATIONS RELATIVES À LA PRODUCTION DE LA DÉCLARATION DE RENSEIGNEMENTS

Fiducie résidente du Canada hors du Québec détenant un immeuble locatif au Québec
Dorénavant, une fiducie qui réside au Canada hors du Québec et qui est propriétaire d’un immeuble locatif1 situé au Québec ou est membre d’une société de personnes2 qui est propriétaire d’un tel immeuble devra produire une déclaration de renseignements.

À titre d’exemple, une fiducie résidant au Canada hors du Québec qui tire un revenu passif de biens (par opposition à un revenu d’entreprise) d’un immeuble locatif situé au Québec devra dorénavant produire une déclaration de renseignements au Québec.

L’application des nouvelles règles impose des obligations supplémentaires à certaines fiducies qui n’étaient pas auparavant tenues de produire une déclaration de revenus ou de renseignements et le non-respect de ses nouvelles règles peut entraîner des pénalités et intérêts.
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1 Les nouvelles règles réfèrent à l’expression « immeuble déterminé », qui signifie un immeuble situé au Québec (ou un droit dans un tel immeuble) qui est utilisé principalement aux fins de gagner ou de produire un revenu brut qui constitue un loyer. 

2 Ces nouvelles règles visent également une fiducie qui est membre d’une société de personnes qui est elle-même membre, directement ou indirectement, par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs sociétés de personnes, d’une société de personnes qui est propriétaire d’un « immeuble déterminé ».

LA RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS POUR LES DETTES D'UNE SOCIÉTÉ LIÉES AUX SERVICES RENDUS PAR DES EMPLOYÉS AU COURS DE LEUR MANDAT
Catherine Méthot

La Cour d’appel du Québec a rendu une décision le 14 novembre 2012 dans laquelle elle a confi rmé l’état du droit quant à la portée de l’article 119 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») selon lequel : « les administrateurs sont solidairement responsables, envers les employés de la société, des dettes liées aux services que ceux-ci exécutent pour le compte de cette dernière pendant qu’ils exercent leur mandat, et ce, jusqu’à concurrence de six mois de salaire. » (Nos soulignements)

Dans cette affaire, le juge Dalphond a retenu de la preuve que les trois intimés, Myhill, Cochrane et Lilge, étaient non seulement les administrateurs élus selon les résolutions et registres de la Société Inter-Canadien (1991) inc. (« Inter ») jusqu’à leur démission collective aux alentours de mai et juin 1999, mais également qu’ils s’étaient comportés dans les faits comme les administrateurs d’Inter et ce, malgré l’existence d’une déclaration de l’actionnaire unique d’Inter qui retirait les pouvoirs des administrateurs. Inter mit fin à ses opérations le 27 octobre 1999 pour ensuite déclarer faillite le 27 mars 2000. Les employés d’Inter ont réclamé aux administrateurs plusieurs millions de dollars en salaires impayés par Inter en vertu de l’article 119 LCSA.

Le juge Dalphond a rappelé que l’article 119 LCSA « qui édicte une responsabilité exorbitante du droit commun, sans preuve d’une faute, doit [conformément à une jurisprudence constante] recevoir, de par sa nature, une interprétation restrictive. » Les dettes liées aux services exécutés par les employés pour le compte de la société durant le mandat d’un administrateur constituent la contrepartie promise mais non payée du travail effectué pendant le mandat de l’administrateur, ce qui englobe donc, le salaire, le remboursement des dépenses engagées ainsi que le versement de toute rémunération gagnée en raison des services rendus par l’employé et dont le paiement a été différé, comme les vacances. Par ailleurs, les dettes liées aux services exécutés par les employés pour le compte de la société ne comprennent pas toutes les dettes prises en charge par une société à l’égard de ses employés.

Ainsi, le juge Dalphond a conclu que les administrateurs ne pouvaient être tenus responsables pour le paiement (i) des réclamations pour frais médicaux découlant du défaut de l’employeur de verser les primes aux assureurs, (ii) des indemnités en lien avec les préavis de cessation d’emploi en vertu des conventions collectives, puisque celles-ci constituaient des dommages-intérêts pour rupture fautive du lien d’emploi, et (iii) de l’indemnité de licenciement de 40 semaines réclamée par les employés puisque celle-ci ne constituait pas une forme de rémunération différée, mais bien une garantie de sécurité d’emploi. Par contre, il a reconnu les administrateurs responsables pour les déductions faites par la société à même les salaires des employés pour fins de contribution à l’assurance collective ou d’achat d’obligations n’ayant pas été remises à des tiers conformément aux instructions des employés, puisqu’Inter en demeurait redevable envers ceux-ci à titre de salaire impayé.

Le juge Dalphond a donc reconnu le droit des employés de réclamer solidairement aux administrateurs, « si impayés au moment des actions, et ce, jusqu’à concurrence d’un montant équivalent à six mois de salaire brut par employé » les montants de la rémunération décrite ci-dessus, en plus de celle qui n’avait pas été contestée, soit : les arrérages de salaire, les augmentations de salaire non versées, les heures supplémentaires non payées, les dépenses non remboursées, les journées de vacances, les journées fériées et les crédits de congés de maladie.

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