Bulletin trimestriel d’information juridique à l’intention des professionnels de la comptabilité, de la gestion et des finances, Numéro 24

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SOMMAIRE
Le prête-nom en contexte litigieux
L’utilisation d’un prête-nom par les sociétés en commandite et les fiducies détenant des immeubles
L’inscription volontaire d’un prête-nom aux fins de la TPS et de la TVQ
La détention d’immeubles par un prête-nom : les enjeux en matière de taxes à la consommation

LE PRÊTE-NOM EN CONTEXTE LITIGIEUX
Léa Maalouf

En matière commerciale, il arrive relativement fréquemment que deux personnes conviennent de dissimuler leur véritable intention aux yeux des tiers et d’exprimer leur volonté réelle dans un contrat secret (ou contre-lettre), tout en publicisant auprès des tiers un autre contrat, dit fictif ou apparent. C’est ce qu’on appelle la simulation.

Cette pratique est tout à fait légale, à moins qu’elle ne vise à frauder la loi ou à éluder la responsabilité d’un des contractants, par exemple par le retrait d’un bien de son patrimoine afin d’éviter l’exécution d’un jugement. La simulation est régie par les articles 1451 et 1452 du Code civil du Québec. La contre-lettre n’est soumise à aucune condition de forme : elle est tout aussi valide qu’elle soit verbale ou écrite.

La convention de prête-nom est une des formes que peut prendre la simulation : lorsqu’une personne passe par un tiers pour contracter avec une autre, ce tiers est désigné comme étant le prête-nom.

Avec autant de joueurs à la table, il est intéressant de s’attarder aux questions de la responsabilité des parties et de la préséance des contrats advenant un litige.

Si le litige oppose les parties à la convention de prête-nom, le droit est clair : la contrelettre, qu’elle soit verbale ou écrite, l’emporte sur le contrat apparent. L’une ou l’autre des parties ne peut donc refuser de donner effet à la convention de prête-nom. Il est intéressant de noter que la preuve de l’existence d’une contre-lettre peut être faite par tous les moyens, y compris par témoignage. Ceci est plutôt exceptionnel, considérant que les règles en matière de preuve ne permettent pas aux parties à un contrat écrit d’utiliser la preuve testimoniale pour le contredire ou en changer les termes. Le raisonnement des tribunaux est le suivant : la convention de prête-nom constitue un contrat en soi, distinct du contrat apparent. Il ne s’agit donc pas de contredire le contrat apparent, mais bien d’établir l’existence d’un nouveau contrat.

Toutefois, si un tiers intente des procédures et que ce tiers est de bonne foi – c’est-à-dire qu’il ignore l’existence de l’acte secret, le Code civil du Québec prévoit que le tiers aura le choix de se prévaloir, selon son intérêt, de la contre-lettre ou de l’acte apparent. En principe, le tiers n’a pas à faire la preuve d’une intention frauduleuse des parties à la contre-lettre pour privilégier l’acte secret. Une certaine jurisprudence soutient néanmoins que le tiers devrait au moins faire valoir qu’il a subi un préjudice en raison de la simulation. Encore une fois, la preuve de la simulation pourra se faire par tous les moyens. À l’inverse, les parties à une contrelettre peuvent décider de publier celle-ci afin de mettre fin à la simulation : le cas échéant, il sera plus difficile pour le tiers de se prévaloir du contrat apparent. Dans une affaire récente1, la Cour supérieure a cependant reconnu la responsabilité tant des prête-noms que des véritables propriétaires d’un immeuble, concluant que les parties avaient délibérément créé une confusion au point de constituer un abus de droit et que la théorie de l’alter ego devait aussi être appliquée.

En conclusion, bien que cela puisse paraître surprenant à première vue, un acte fictif tel une convention de prête-nom est tout à fait légal, à moins d’être utilisé à mauvais escient. Les parties à cet acte fictif doivent toutefois se rappeler qu’un tiers de bonne foi pourra écarter cet acte et traiter l’acte apparent comme étant la véritable convention des parties, même s’il ne s’agit pas de la volonté initiale des contractants.
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1 9087-7135 Québec inc. c. Centre de santé et de services sociaux Lucille-Teasdale, 2013 QCCS 3856.

L’UTILISATION D’UN PRÊTE-NOM PAR LES SOCIÉTÉS EN COMMANDITE ET LES FIDUCIES DÉTENANT DES IMMEUBLES
Dominique Bélisle

Plusieurs arguments juridiques justifient la pratique qui s’est développée au Québec et dans les provinces de common law de publier au nom d’une société prête-nom le titre de propriété d’un immeuble acquis par une société en commandite ou par une fiducie de placement immobilier (« FPI » ou real estate investment trust).

Un de ces arguments est fondé sur le fait que les sociétés de personnes (y compris les sociétés en commandite) et les fiducies constituées en vertu du Code civil du Québec (le « Code ») ne bénéficient pas de la personnalité morale et ne constituent donc pas une « personne » distincte de celle de ses membres, associés ou bénéficiaires. En effet, historiquement en droit civil, le patrimoine avait toujours été considéré comme étant rattaché à une personne physique ou morale. Avec le temps, s’est développé le concept attribuant aux sociétés de personnes un patrimoine distinct de celui des associés et attribuant à la fiducie un patrimoine d’affectation distinct et autonome de celui de son constituant, fiduciaire ou bénéficiaire.

Dans le cas de la fiducie constituée par le Code, incluant les FPI, la pratique d’utiliser un prête-nom n’est pas uniforme et est moins courante. En effet, l’article 1278 du Code énonce que les titres relatifs aux biens de la fiducie sont établis au nom des fiduciaires. Sur cette base, il est courant de voir le titre de propriété des immeubles détenus par une FPI publié au registre foncier sous le nom de tous les fiduciaires agissant en leur qualité de fiduciaires de la fiducie. D’autres conseillers juridiques publient toujours le titre de propriété de l’immeuble directement au nom de la FPI et ce, malgré cet article 1278. Pour le moment, rien n’indique que cette pratique affecte la validité du titre de propriété.

Dans les cas ci-dessus, cependant, le prêtenom n’est pas utilisé sur la base de l’absence de personnalité morale de la fiducie puisque le Code reconnaît expressément l’absence de droits réels des parties impliquées sur le patrimoine distinct de la fiducie. Cette reconnaissance vient pallier l’ambiguïté causée par cette absence de personnalité.

L’avantage du prête-nom pour une FPI se situerait alors à d’autres niveaux, telle par exemple, la flexibilité offerte lors de transferts de propriété entre parties liées à la fiducie et les droits de mutation engendrés lorsque ces transferts sont publiés au registre foncier. En effet, les exemptions prévues à l’article 19 de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (Québec) lorsqu’il y a restructuration corporative ne sont pas applicables dans les cas d’une fiducie ou d’une société de personnes. Certaines exemptions prévues à l’article 20 de cette loi s’appliquent à une fiducie, mais dans des cas très précis.

Dans le cas des sociétés de personnes cependant, l’utilisation du prête-nom est plus courante et se justifie non seulement dans le cadre de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, mais également par l’incertitude causée relativement à la détention du titre de propriété considérant l’absence de personnalité morale de la société de personnes. En effet, le Code, contrairement à la fiducie, ne vient pas préciser directement le caractère autonome du patrimoine ni que les associés ne détiennent aucun droit réel sur les biens de la société.

De plus, la Cour d’appel, dans l’affaire de la Ville de Québec c. Compagnie d’immeubles Allard ltée1, a énoncé que la société en nom collectif, n’ayant pas de personnalité juridique distincte de ses membres, ne détient pas les biens de la société et conclut que les associés détiennent un droit réel indivis dans l’immeuble. Dans ce cas, la Cour a établi que la cession par un associé de sa part dans la société constituait un transfert de sa part indivise donnant lieu à un droit de mutation (les parties ayant eu la mauvaise idée de publier ce transfert...).

Cette décision est venue créer une incertitude sur l’identité du propriétaire de l’immeuble. Le titre de propriété est-il vraiment détenu en indivision par chacun des associés ? Qu’en est-il de la société en commandite ? L’argument invoqué par la Cour d’appel pour justifier ses conclusions s’applique également à la société en commandite. En pratique cependant, il n’est certainement pas l’intention des partenaires à une société en commandite que chaque cession de part entraîne une cession en indivision de l’immeuble. Cette incertitude a justifié la pratique commerciale de publier le titre de propriété au registre foncier sous le nom du commandité ou sous le nom d’une société prête-nom.
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1 [1996] RJQ 1566 (C.A.).

L’INSCRIPTION VOLONTAIRE D’UN PRÊTE-NOM AUX FINS DE LA TPS ET DE LA TVQ
Diana Darilus

Dans un contexte immobilier, une personne peut agir à titre de prête-nom pour une autre personne afin de détenir le titre de propriété de l’immeuble et s’occuper de la gestion des activités immobilières. Ce type de structure suppose l’existence d’une relation mandantmandataire non dévoilée aux tiers.

Dans le cadre de ce type de relation, le mandant est celui qui est considéré comme exerçant des activités commerciales en lien avec l’immeuble et il est donc généralement tenu de s’inscrire aux fins de la TPS et de la TVQ.

Toutefois, une société prête-nom qui détient le titre de propriété d’un immeuble au nom du véritable propriétaire pourrait vouloir s’inscrire volontairement aux fins de la TPS et de la TVQ pour plusieurs raisons, dont les suivantes :

  • utilisation des numéros de TPS et de TVQ du prête-nom aux fins de la documentation juridique et administrative, telle que des factures ou des baux commerciaux, afin de préserver la confidentialité du véritable propriétaire de l’immeuble;
  • choix conjoint du mandant et du mandataire prévu au paragraphe 177(1.1) de la Loi sur la taxe d’acciseLTA ») et à l’article 41.0.1. de la Loi sur la taxe de vente du QuébecLTVQ ») qui permet au mandataire de remettre les taxes perçus aux autorités fiscales au nom du mandant; et
  • choix relatif à une coentreprise prévu aux articles 273 LTA et 346 LTVQ qui permet aux participants de désigner un responsable de remettre les taxes perçus aux autorités fiscales et de réclamer les crédits de taxe sur les intrants et les remboursements de la taxe sur les intrants (CTI/RTI) au nom des participants.

Une société prête-nom ne peut s’inscrire volontairement aux fins de la TPS et de la TVQ que si elle exerce une activité commerciale. La définition de l’expression « activité commerciale » est très large et comprend l’exploitation d’une entreprise par une société par actions sans attente raisonnable de profit, sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation de fournitures exonérées. Quant à la définition du terme « entreprise », elle inclut toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif. À la lumière de ces définitions, il semble qu’une société prête-nom dont les activités se limitent à détenir le titre de propriété au nom du véritable propriétaire sans recevoir de rémunération pourrait être considérée comme exerçant une activité commerciale.

Revenu Québec a toutefois remis en question au cours des dernières années l’inscription volontaire de certaines sociétés prête-noms qui prenaient la forme de « coquilles vides » sur la base qu’elles n’exerçaient pas d’activités commerciales et a annulé rétroactivement leurs inscriptions aux fichiers de la TPS et de la TVQ. afin d’éviter un tel différend avec les autorités fiscales, la prudence est de mise lors de l’implantation d’une société prête-nom dans la structure de détention d’immeubles au Québec. Nous recommandons notamment que les mesures minimales suivantes soient prises afin de réduire le risque de contestation de la part de Revenu Québec :

  • des frais mensuels (plus les taxes applicables) devraient être payés à la société prête-nom en vertu des modalités d’une convention écrite de prête-nom;
  • et la société prête-nom devrait ouvrir un compte bancaire afin d’y déposer sa rémunération.

Nous croyons que si de telles mesures sont prises, il serait plus raisonnable de considérer que la société prête-nom exerce effectivement une activité commerciale, soit la fourniture taxable de services à titre de mandataire au profit du mandat ou des participants à une coentreprise.

LA DÉTENTION D’IMMEUBLES PAR UN PRÊTE-NOM : LES ENJEUX EN MATIÈRE DE TAXES À LA CONSOMMATION
Jean-Philippe Latreille

Au cours des dernières années, les autorités fiscales ont intensifié leurs efforts de vérification des sociétés détenant des immeubles à titre de prête-nom. Dans ce contexte, la validité de certains choix relatifs aux coentreprises en matière de TPS et de TVQ a été remise en question.

Ces choix permettent aux participants à une coentreprise de désigner l’un d’eux à titre d’« entrepreneur » dont le rôle est de remettre les taxes et de réclamer les intrants au nom des autres participants. Or, dans certaines circonstances, les autorités fiscales adoptent une position selon laquelle une société servant uniquement de prête-nom n’est pas un participant à la coentreprise et ne peut donc pas être validement désignée comme « entrepreneur ».

Toutefois, les autorités fiscales ont annoncé récemment qu’elles ont donné instruction à leurs vérificateurs de ne pas établir de cotisations lorsque cette situation se présente. Cette tolérance administrative est conditionnelle à ce que toutes les déclarations aient été produites et que tous les montants dus aient été remis.

Cette mesure est temporaire puisqu’elle s’applique uniquement aux périodes de déclaration se terminant avant le 1er janvier 2015. De plus, les autorités fiscales s’attendent à ce que les participants à une coentreprise bénéficiant de la tolérance effectuent des choix valides à l’avenir. Les propriétaires d’immeubles ayant recours à un prête-nom seraient donc avisés de réexaminer dès maintenant leur structure de détention à la lumière des positions publiées par les autorités fiscales.

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