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Le congédiement sans cause en droit fédéral : la Cour suprême du Canada ferme la porte
La conclusion de l’affaire Wilson c. Énergie Atomique du Canada Limitée1 a eu lieu le 14 juillet dernier avec le jugement de la Cour suprême du Canada (ci-après la « Cour suprême »). En effet, la Cour suprême a renversé la décision controversée de la Cour d’appel fédérale dans laquelle elle avait conclu qu’un congédiement sans cause ne constituait pas nécessairement un « congédiement injuste » en vertu du Code canadien du travail (ci-après le « Code »)2. Les faits Wilson, un superviseur à l’approvisionnement, fut congédié sans motif après avoir travaillé pendant quatre ans et demi pour Énergie Atomique du Canada Limitée (ci-après « EACL »). EACL est le plus important laboratoire de sciences et de technologies nucléaires au Canada. Le dossier disciplinaire de Wilson était vierge au moment du congédiement. EACL a offert à Wilson une indemnité de départ équivalant à près de six mois de salaire, que ce dernier a refusée. Par la suite, Wilson a déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu de l’article 240(1) du Code. EACL a continué à lui verser son salaire pendant six mois, de sorte que Wilson a reçu l’indemnité de départ qui lui avait initialement été offerte. EACL estimait par ailleurs cette offre comme étant généreuse. L’historique L’arbitre saisi du dossier de première instance devait répondre à deux questions : EACL pouvait-elle légalement mettre fin à l’emploi de Wilson sans cause; et Si oui, l’indemnité de départ versée était-elle suffisante pour que le congédiement soit considéré « justifié » ? L’arbitre a déterminé que le versement d’une indemnité de départ par un employeur ne permet pas d’exclure la question du caractère juste du congédiement et donc un employeur ne peut congédier un salarié sans cause simplement en lui offrant une indemnité de départ. À la demande d’EACL, la Cour fédérale, en révision judiciaire, a renversé la décision de l’arbitre, concluant au caractère déraisonnable de celle-ci. Elle conclut qu’un employeur peut congédier sans cause un salarié dans la mesure où il lui offre une indemnité de départ correspondant à un préavis raisonnable, tel que le permet la common law. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision et conclu que le Code ne limite pas le droit d’un employeur de congédier sans cause un salarié en vertu de la common law. Notons que la Cour d’appel fédérale a procédé au contrôle judiciaire de la décision de la Cour fédérale selon la norme de la décision correcte. Les positions des parties Devant la Cour suprême, EACL a plaidé qu’un employeur régi par le droit fédéral peut congédier un salarié sans motif, dans la mesure où il lui verse une indemnité équivalant à un préavis raisonnable, tel que le prévoit la common law. À l’inverse, Wilson prétend qu’un tel employeur ne peut congédier un employé sans cause et qu’offrir une indemnité de départ ne rend pas un tel congédiement « juste ». Les deux parties s’entendaient toutefois sur la norme de contrôle applicable, soit celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle applicable Malgré l’accord des parties quant à la norme de contrôle applicable, la juge Abella a rédigé un long obiter sur la question. Estimant que la réforme introduite par l’arrêt Dunsmuir3 n’a pas simplifié le contrôle judiciaire des décisions administratives, elle soumet qu’une autre réforme du droit administratif est nécessaire. Elle propose l’abolition de la norme de contrôle de la décision correcte afin de conserver une norme unique : celle de la décision raisonnable. Ses collègues n’étaient toutefois pas disposés à procéder à la réforme des normes de contrôle en droit administratif. La décision de la Cour suprême La question en litige était donc de savoir si l’interprétation des articles 240 à 246 du Code faite par l’arbitre était raisonnable. Les juges majoritaires ont estimé que oui. Analysant le texte du Code, le contexte dans lequel ces articles ont été adoptés ainsi que l’avis de la majorité des arbitres et auteurs en droit fédéral du travail, la Cour a rappelé que l’objectif principal de ces dispositions législatives était d’offrir aux employés non syndiqués une protection contre le congédiement sans motif analogue à celle dont bénéficient les employés visés par une convention collective. D’autre part, la common law ou, le cas échéant, le Code civil du Québec, prévoit qu’un employeur peut, à moins d’une disposition statutaire l’interdisant, congédier un salarié sans motif en lui versant une indemnité de départ équivalant à un préavis raisonnable. À titre d’exemple, au Québec et en Nouvelle-Écosse, la loi prévoit expressément qu’un employeur ne peut congédier un salarié sans cause. Au Québec, l’article 124 de la Loi sur les normes du travail4 exige une cause juste et suffisante pour mettre fin à l’emploi d’un salarié comptant plus de deux ans de service continu. Contrairement à la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême a conclu que les articles 240 à 246 du Code, en droit fédéral du travail, remplacent entièrement le régime de common law. L’inverse mènerait à des incohérences : les réparations prévues aux articles 240 à 245 n’auraient aucune utilité si un employeur pouvait congédier sans motif en versant simplement une indemnité de départ. De plus, il serait incongru que des protections offertes aux employés par le Code puissent être supplantées par le droit d’un employeur de congédier sans motif un salarié en vertu de la common law. Par conséquent, la conclusion qui s’impose est que le régime prévu au Code exclut en totalité le régime de common law et qu’en droit fédéral, l’employeur ne peut congédier sans cause un salarié en lui versant simplement une indemnité correspondant à un préavis raisonnable. Dans sa décision, la Cour d’appel fédérale motivait son utilisation de la norme de la décision correcte par l’existence de courants jurisprudentiels contraires sur la question en litige. À ce sujet, la juge Abella fait les observations suivantes : « [60] Parmi plus de 1 740 sentences arbitrales et décisions rendues depuis l’adoption du régime de congédiement injuste, mes collègues ont compté seulement 28 décisions qui ont suivi la démarche préconisée par M. Wakeling [références omises]. Parmi ces 28 décisions, 10 ont été rendues après la décision de la Cour fédérale en l’espèce et ne comptent donc pas lorsqu’il s’agit de déterminer le degré de « discorde » au sein des arbitres avant la présente affaire [références omises]. [61] Il reste donc 18 affaires ayant appliqué cette démarche, dont trois ayant été tranchées par l’arbitre Wakeling lui-même. Autrement dit, le « désaccord [qui] perdure depuis au moins une vingtaine d’années » selon mes collègues est formé tout au plus de 18 affaires sur plus de 1 700. On parle ici d’une goutte d’eau dans la mer qu’on tente d’élever à une séparation des eaux jurisprudentielles. » [nos soulignements] L’approche de la Cour d’appel fédérale a donc été complètement écartée par la Cour suprême, la controverse jurisprudentielle n’étant manifestement pas aussi prononcée qu’il ne le paraissait. Notons également que la Cour suprême souligne l’existence de similitudes importantes entre le régime fédéral et le régime québécois interdisant le congédiement sans cause juste et suffisante : « [65] Il vaut la peine de mentionner que le régime prévu dans le Code, qui a été adopté en 1978, était précédé d’une protection semblable contre le congédiement injuste prise en Nouvelle-Écosse en 1975, et suivi d’un régime semblable au Québec en 1979 [références omises]. Contrairement à ceux d’autres provinces, les régimes de la Nouvelle-Écosse et du Québec présentent des similitudes structurelles importantes avec la loi fédérale. Ils s’appliquent seulement si l’employé a travaillé pendant un certain temps et ne s’appliquent pas en cas de licenciement pour des raisons économiques ou de mise à pied. À l’instar du régime fédéral, les deux régimes provinciaux ont systématiquement donné lieu à l’interprétation selon laquelle ils interdisent le congédiement non motivé. Ils prévoient une large fourchette de réparations, comme la réintégration dans l’emploi et l’indemnisation. [66] Il importe également, à mon avis, de souligner que la Cour dans Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), [...] [2010] 2 R.C.S. 61, a conclu à propos de la disposition sur le congédiement injuste de la loi québécoise que « [s]e présentant sous une forme procédurale », elle crée « une norme substantielle du travail » (par. 10). Il serait injustifiable de ne pas appliquer la même méthode d’analyse à la disposition sur le congédiement injust[e] contenue dans le Code et de caractériser plutôt la disposition de simple mécanisme procédural. » [nos soulignements] Enfin, notons la dissidence des juges Moldaver, Côté et Brown. Se basant sur le principe de la primauté du droit, ils concluent que la norme de la décision correcte s’applique, considérant l’existence de courants jurisprudentiels contradictoires. Selon eux, le régime prévu par les articles 240 à 246 du Code constitue simplement un autre mécanisme procédural offert aux employés qui contestent la légalité de leur congédiement et ces dispositions n’écartent pas les règles de common law. Un tel raisonnement ne rend pas inutiles les remèdes prévus au Code. Nos conclusions Cet arrêt de la Cour suprême met définitivement fin au débat sur le congédiement sans cause en droit fédéral. Désormais, les employeurs ne peuvent plus justifier un congédiement sans motif par le versement d’une indemnité de départ, même généreuse. Par ailleurs, un important rapprochement entre le droit fédéral et le droit québécois en matière de congédiement vient de se produire. 2016 CSC 29. L.R.C., 1985, c. L-2. Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190. L.R.Q., c. N-1.1.
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L’affaire Canadelle et l’importance de contester certaines décisions de la CNESST en temps utile
Le 17 juin 2016, la Cour supérieure1 a confirmé la décision qu’avait rendue la Commission des lésions professionnelles2 (« CLP ») dans l’affaire Canadelle, s.e.c. et Commission de la santé et de la sécurité du travail3 en 2014. Cette décision mettait fin à une controverse jurisprudentielle relative à l’application des articles 31 et 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles4 (« LATMP » ou « Loi ») et disposait de la question de droit suivante : une décision finale de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») reconnaissant une relation entre un nouveau diagnostic et la lésion professionnelle ou l’événement initial empêche-t-elle un employeur de demander par la suite un transfert d’imputation en vertu du premier paragraphe de l’article 327 de la LATMP ? La décision de première instance Après avoir rappelé les critères pouvant donner lieu à l’application du premier paragraphe de l’article 31 de la LATMP, la CLP (banc de trois juges administratifs) avait mis un terme à la controverse jurisprudentielle concernant la possibilité de faire une demande de transfert d’imputation en vertu de l’article 327 de la LATMP dans le cas où une décision de la CNESST reconnaissant un lien entre le nouveau diagnostic que l’on veut faire reconnaître comme une lésion professionnelle survenue par le fait ou à l’occasion de soins au sens de l’article 31 de la LATMP et l’événement initial n’a pas été contestée. Les conclusions de la CLP peuvent se résumer ainsi : La blessure ou la maladie apparaissant au cours de l’évolution d’un dossier, que l’on qualifie de « nouveau diagnostic », peut être soit liée à la lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la LATMP, soit liée aux soins ou à l’omission de soins visés par l’article 31, mais elle ne peut être liée aux deux à la fois. Par conséquent, lorsque la CNESST rend une décision reconnaissant la relation entre un nouveau diagnostic et la lésion professionnelle ou l’événement initial et que cette décision n’est pas contestée5, celle-ci fait obstacle à une demande de transfert d’imputation des coûts en vertu du premier paragraphe de l’article 327 de la LATMP. Dès lors, l’employeur qui veut démontrer que le nouveau diagnostic découle plutôt de l’une des situations visées à l’article 31 de la Loi doit contester cette décision de la CNESST avant qu’elle ne devienne finale et irrévocable6. Le cas échéant, l’effet de cette décision est d’établir un lien entre la lésion professionnelle et le nouveau diagnostic, ce qui signifie que celui-ci est considéré comme une lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la Loi. Le défaut de contester une telle décision par l’employeur ou son désistement d’une telle contestation a pour effet de rendre irrecevable une demande formulée ultérieurement en vertu de l’article 327 de la LATMP. Les pouvoirs dévolus à la CLP (maintenant le Tribunal administratif du travail) en vertu de l’article 377 de la LATMP ne lui permettent pas de remettre en question une décision finale et irrévocable de la CNESST. La décision de la Cour supérieure Après avoir analysé la décision de la CLP, la Cour supérieure a déclaré que celle-ci était raisonnable et ne justifiait aucune intervention de sa part. Les conclusions de la CLP résumées ci-dessus demeurent donc applicables. Commentaires Ces décisions rendues dans l’affaire Canadelle rappellent l’importance pour un employeur de procéder à une analyse approfondie d’un dossier dès la réception d’une décision de la CNESST afin d’être en mesure de faire valoir ses droits et prétentions en temps utile. Dans le cas d’une décision reconnaissant la relation entre un nouveau diagnostic et la lésion professionnelle ou l’événement initial, une fois le délai de contestation prévu à la Loi expiré, il est trop tard pour alléguer être en présence d’une lésion survenue par le fait ou à l’occasion des soins, à moins d’être en mesure de faire valoir un motif raisonnable pour être relevé du défaut d’avoir demandé la révision de cette décision dans le délai applicable. En cas de doute, les décisions rendues dans l’affaire Canadelle devraient inciter à la prudence, qui pourrait comprendre la contestation « préventive » de décisions reconnaissant un nouveau diagnostic lorsqu’il existe une possibilité de recours en vertu de l’article 31 de la LATMP. 2016 QCCS 2806. Depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du Québec, L.Q. 2015, c. 15, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a été remplacée par la « Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail » et la CLP est désormais remplacée par le « Tribunal administratif du travail ». Pour plus de détails concernant cette réorganisation, veuillez consulter le bulletin Droit de savoir suivant : « Le projet de loi 42 et la réorganisation des institutions québécoises en matière de travail » (juillet 2015). 2014 QCCLP 6290. RLRQ c A-3.001. Notons que la CLP fait une distinction entre les situations où la CNESST ne rend aucune décision spécifique concernant le nouveau diagnostic que l’on prétend visé par l’article 31 de la LATMP et celles où la CNESST rend une décision déclarant un lien entre ce nouveau diagnostic et l’événement initial ou la lésion professionnelle reconnue (par. 20). L’article 358 de la LATMP prévoit qu’une demande de révision d’une décision de la CNESST doit être faite dans les trente (30) jours de sa notification.
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Absence de preuve scientifique concluante : obstacle fatal à l’établissement d’un lien causal en matière de maladie professionnelle? Pas nécessairement selon la Cour suprême du Canada
Le 24 juin dernier, la Cour suprême du Canada (la « Cour suprême ») rendait jugement dans l’affaire Colombie- Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal) c. Fraser Health Authority1 (« l’arrêt Fraser »). Brièvement, il était question de sept techniciennes de laboratoire d’un même hôpital qui étaient atteintes d’un cancer du sein. Elles avaient chacune produit une demande d’indemnisation en vertu de la Workers Compensation Act (la « Loi »), alléguant que leur cancer constituait une maladie professionnelle. En Colombie- Britannique, l’un des critères applicable pour déterminer s’il s’agit d’une maladie professionnelle est que le travail doit avoir eu un lien causal significatif avec la maladie. Historique Les demandes d’indemnisation ont été rejetées par le Workers Compensation Board (la « Commission »). Les travailleuses ont porté cette décision en appel devant le Workers’ Compensation Appeal Tribunal de la Colombie-Britannique (le « Tribunal »). Les membres majoritaires du Tribunal ont renversé la décision de la Commission, affirmant qu’un décideur peut inférer un lien de causalité selon « le gros bon sens », même en l’absence d’une preuve scientifique établissant un tel lien. À la suite d’un réexamen, d’une révision judiciaire et d’un appel, la décision du Tribunal a été annulée, les réclamations des travailleuses étant ainsi rejetées. Ces dernières ont ensuite interjeté appel devant la Cour suprême du Canada. Décision de la Cour suprême Deux questions ont été étudiées par la Cour suprême: (1) la compétence du Tribunal pour réexaminer sa propre décision et (2) la preuve nécessaire à l’établissement d’un lien causal significatif entre le cancer du sein et le travail effectué à titre de technicienne de laboratoire. C’est sur cette deuxième question que nous nous pencherons dans le présent bulletin. Les juges majoritaires ont conclu qu’un lien causal significatif pouvait être établi même en absence de preuve médicale confirmant ou réfutant l’existence d’un tel lien. Les normes d’ordre scientifique sont plus exigeantes que les normes juridiques afin d’établir un lien de causalité. Par ailleurs, le Tribunal peut tenir compte d’autres éléments de preuve afin d’évaluer l’existence du lien causal significatif. En l’espèce, les deux rapports scientifiques qui avaient été déposés ne pouvaient établir de lien entre les cancers et le travail effectué. La Cour suprême a toutefois tranché que la décision du Tribunal était raisonnable, puisqu’elle était basée sur d’autres éléments de preuve, notamment la prévalence plus élevé de cancer du sein dans le milieu de travail des plaignantes et que la détermination du lien causal significatif fait partie du champ d’expertise du Tribunal. Il est à noter que la juge Côté a présenté une forte dissidence sur la question de la preuve nécessaire pour établir un lien de causalité ainsi que sur l’expertise du Tribunal. Pour cette dernière, la décision du Tribunal est le résultat de simples spéculations et fait abstraction du critère du lien causal significatif. Elle souligne également que le Tribunal ne possède pas une expertise relative aux questions médicales, tel que l’avait mentionné la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Impacts au Québec? Le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») sera-t-il tenté de s’inspirer des principes énoncés dans l’arrêt Fraser? Tout d’abord, il est à noter que plusieurs distinctions importantes existent entre les lois du Québec et celles de la Colombie-Britannique. En effet, la notion de « lien causal significatif » est celle qui est utilisée par les tribunaux britanno-colombiens afin de déterminer si un travailleur a subi ou non une lésion professionnelle. Il ne s’agit pas d’un concept qui est présent dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles2 (la « LATMP »). En absence d’application de la présomption de l’article 29 de la LATMP, l’article 30 de la même loi impose au travailleur le fardeau de démontrer que sa maladie est caractéristique du travail exercé ou reliée aux risques particuliers du travail exécuté3. Une autre distinction doit également être soulevée. La Cour suprême prend acte dans sa décision de l’article 250(4) de la Loi de la Colombie- Britannique qui prévoit qu’en cas de valeur probante égale entre la preuve du travailleur et celle de son employeur, le Tribunal doit trancher en faveur du travailleur. Une telle règle n’a pas d’équivalent en droit québécois. Tout au plus, l’article introductif de la LATMP précise que « la loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires »4, ce qui ne dispense pas la partie sur qui repose le fardeau de la preuve d’établir les faits qu’elle allègue selon la prépondérance de la preuve. Une valeur probante équivalente devrait ainsi mener à une décision défavorable à la partie sur qui repose le fardeau de la preuve. Puisque l’article 30 de la LATMP stipule que le fardeau repose sur le travailleur, ce dernier doit présenter une preuve ayant une valeur probante supérieure à l’hypothèse contraire5. S’il n’y parvient pas, sa réclamation devrait être rejetée. De plus, la juge dissidente ainsi que la Cour d’appel de la Colombie- Britannique invoquent le fait que le Tribunal de la Colombie-Britannique ne détient pas une expertise relative aux questions médicales. Ce principe provient de la décision Page v. British Columbia (Workers’ Compensation Appeal Tribunal)6, qui est citée à de nombreuses reprises par la jurisprudence britanno-colombienne. Dans cette affaire, le juge a conclu que le Tribunal ne pouvait rejeter l’expertise médicale non contredite d’un psychiatre établissant un diagnostic de syndrome post-traumatique afin de substituer sa propre expertise puisqu’il n’en possède pas. Or, au Québec, la division de la santé et de la sécurité du travail du TAT possède une expertise médicale de par sa spécialisation7. Le TAT dispose même d’une connaissance d’office des « notions de base qui sont généralement reconnues par la communauté médicale, qui ne font pas l’objet de controverse scientifique, qui ne relèvent pas d’une expertise particulière et qui ont pu être exposées à maintes reprises devant le tribunal ».8 L’article 26 du Règlement sur la preuve et la procédure du Tribunal administratif du travail9 prévoit également que « le Tribunal prend connaissance d’office des faits généralement reconnus, des opinions et des renseignements qui relèvent de sa spécialisation ». Il est par ailleurs prévu dans la LATMP que des médecins assesseurs peuvent assister aux audiences10. En somme, le champ d’expertise du TAT se distingue de celui du Tribunal de la Colombie-Britannique. D’autre part, la décision Snell c. Farrel11 de la Cour suprême, appliquée par différents tribunaux québécois dont la Commission des lésions professionnelles (« CLP », maintenant le TAT), explique que les normes scientifiques pour établir un lien de causalité sont plus exigeantes que les normes juridiques. Les tribunaux se doivent de ne pas appliquer un tel niveau d’exigence et doivent appliquer le fardeau tel que prévu par la loi. De ce fait, il demeure possible qu’un tribunal infère un lien de causalité entre le travail effectué et la maladie contractée même en l’absence d’une preuve positive ou scientifique concluant à l’existence de ce lien. En d’autres mots, un travailleur pourra faire la preuve que sa maladie est caractéristique ou reliée aux risques particuliers de son travail même sans une preuve d’expert. Une preuve circonstancielle a ainsi permis à un décideur d’inférer un lien de causalité12, suivant ainsi un raisonnement similaire à celui de l’arrêt Fraser. 2016 CSC 25. L.R.Q., c. A-3.001. Id., art. 30. Id., art. 1. Richard (Succession de) et Centre hospitalier Pierre Le Gardeur, 2011 QCCLP 3347, par 430 ss. 2009 BCSC 493. Luc Côté et Catherine Dubé-Caillé, « La connaissance d’office et la spécialisation de la Commission des lésions professionnelles : de la théorie à la pratique », dans S.F.C.B.Q., vol. 360, Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail (2013), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 137; Stéphanie Rainville, « La connaissance d’office de la Commission des lésions professionnelles, une revue de la jurisprudence récente », dans Santé et sécurité au travail, vol. 17, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 225. Vereault et Groupe Compass (Eurest/Chartwell), 2006, n° AZ-50391746 (CLP); Cléroux et SIDO ltée, 2012 QCCLP 3847. R.R.Q., 1981, c. A-3.001, r. 12. L.R.Q., c. A-3.00, art. 84. [1990] 2 RCS 311. Tevan et Centre de réadaptation de l’Ouest de Montréal, [2000] n° AZ-00304563 (C.L.P.), Laverdière et Maison du Bingo de Lévis, 2010 QCCLP 7894.
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Pas d’indemnité lors du retrait préventif d’employées d’entreprises fédérales
En décembre 2015, la Cour d’appel, dans l’affaire Éthier c. Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada1, a confirmé que l’article 36 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (« LSST »)2 ne s’applique pas aux entreprises fédérales et que, par conséquent, une travailleuse enceinte ou allaitant en retrait préventif en vertu du Code canadien du travail (le « CCT »)3 n’a droit à aucune indemnité de remplacement du revenu. La Cour d’appel clarifie également la portée de l’évolution de la jurisprudence qui concerne l’application de certaines dispositions de la LSST aux entreprises fédérales depuis l’arrêt de la Cour suprême Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail)4 (l’arrêt « Bell Canada »). Cette décision présente un intérêt non seulement en ce qui concerne le cas précis de l’indemnisation d’une travailleuse enceinte ou allaitant à l’emploi d’une entreprise fédérale, mais également en raison de son analyse de la jurisprudence récente relative à l’interaction entre les régimes législatifs fédéral et provincial en matière de santé et de sécurité du travail. La trame factuelle En août 2011, madame Éthier (« la travailleuse »), une travailleuse enceinte à l’emploi de la Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada (« CN »), une entreprise de compétence fédérale, a présenté une demande à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST »)5 en vertu du programme Pour une maternité sans danger. Au cours de la même période, son médecin a recommandé dans un rapport destiné au CN que les tâches de la travailleuse soient modifiées ou, à défaut, qu’elle bénéficie d’un retrait préventif. En septembre 2011, un représentant du CN a informé la travailleuse qu’il n’était pas en mesure de la réaffecter à un autre poste tel que son médecin l’avait recommandé. La travailleuse a donc choisi de se prévaloir du retrait préventif prévu par le CCT6. De manière parallèle, la travailleuse s’est adressée à la CSST pour obtenir l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle la travailleuse enceinte visée par la LSST peut avoir droit, notamment en vertu des articles 36, 40 et 42 de cette loi qui traitent du retrait préventif. L’article 36, qui se situe au coeur du débat soulevé par la travailleuse, prévoit essentiellement que l’indemnité de remplacement du revenu en question est la même que celle versée au travailleur incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles7 (« LATMP »). Précisons que les articles du CCT applicables au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, à l’emploi d’une entreprise fédérale, ne prévoient aucun droit à une telle indemnité de remplacement du revenu. Les procédures La CSST a déclaré que la travailleuse n’est pas admissible au régime provincial d’indemnisation en cas de retrait préventif puisque la LSST ne s’applique pas aux travailleuses enceintes à l’emploi d’une entreprise de juridiction fédérale. Par conséquent, la travailleuse n’a pas droit aux indemnités de remplacement du revenu prévues à l’article 36 LSST. La Commission des lésions professionnelles8 et la Cour supérieure9 ont successivement rejeté la demande de la travailleuse, essentiellement pour les mêmes motifs. Les conclusions de la Cour d’appel La travailleuse a soumis les arguments suivants à la Cour d’appel : l’article 131 CCT constitue un renvoi interlégislatif par lequel le parlement du Canada a voulu rendre applicable aux entreprises fédérales l’article 36 LSST; à défaut d’un tel renvoi, l’article 36 s’applique néanmoins aux entreprises fédérales en raison des modifications législatives apportées au CCT et de l’évolution de la jurisprudence depuis l’arrêt Bell Canada. À l’instar des instances inférieures, la Cour d’appel a rejeté ces arguments pour les motifs résumés ci-après. a) L’article 131 du CCT n’est pas un renvoi interlégislatif L’article 131 CCT prévoit essentiellement qu’un recours formé en vertu d’une disposition de la partie II du CCT n’a pas pour effet de porter atteinte au droit d’un employé de se faire indemniser aux termes d’une loi portant sur l’indemnisation des employés en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail. Selon la Cour d’appel, cet article ne constitue pas un renvoi interlégislatif qui permettrait l’application de l’article 36 LSST aux entreprises fédérales, mais plutôt « une réserve de recours dont l’objet est de protéger le droit d’un travailleur d’être indemnisé en vertu d’une loi portant sur l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles lorsque lui ou son employeur ne s’est pas conformé à ses obligations en matière de santé ou de sécurité du travail.10 » Cette disposition n’a pas la portée que la travailleuse souhaite lui donner. b) Malgré l’évolution de la jurisprudence depuis l’arrêt Bell Canada, l’article 36 de la LSST est inapplicable aux entreprises fédérales La travailleuse a également allégué que l’article 36 LSST s’applique aux entreprises fédérales en raison des modifications législatives apportées au CCT depuis l’arrêt Bell Canada et de l’évolution subséquente de la jurisprudence pertinente. Elle soutenait notamment que l’arrêt Bell Canada ne fait plus autorité. La Cour d’appel a concédé que l’état du droit a beaucoup évolué depuis l’arrêt Bell Canada11. Ceci étant dit, les principes de cet arrêt demeurent pertinents. Rappelons que, dans l’arrêt Bell Canada, la Cour suprême avait conclu que les articles de la LSST concernant notamment le droit de la travailleuse enceinte de refuser de travailler et le retrait préventif de celle-ci étaient inapplicables aux entreprises fédérales, puisqu’ils portent directement sur les relations de travail, les conditions de travail ainsi que la gestion et les opérations de telles entreprises fédérales12. Or, même à la lumière de l’évolution de la jurisprudence en la matière, une loi provinciale qui « entrave » une entreprise fédérale sur tels sujets considérés « vitaux » ou « essentiels » à celle-ci, ou qui lui cause un préjudice certain, lui est inapplicable13. En l’espèce, bien que le régime de prévention de la LSST puisse être distingué du régime d’indemnisation en matière d’accidents du travail prévu par la LATMP, qui s’applique aux entreprises fédérales, l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse enceinte bénéficiant d’un retrait préventif en vertu de la LSST ne peut être assimilée à celle versée à un travailleur incapable de travailler en raison d’une lésion professionnelle en vertu de la LATMP. En effet, la Cour d’appel considère que l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse enceinte doit être qualifiée de « condition de travail » et constitue donc un élément vital et essentiel de toute entreprise. Par conséquent, l’article 36 LSST, qui prévoit le versement d’une telle indemnité, est inapplicable aux entreprises fédérales, puisque le contraire aurait pour effet d’« entraver » celle-ci dans une de ses composantes essentielles14. Conclusion Cette décision apporte un développement intéressant à la jurisprudence sur la question de l’application aux entreprises de compétence fédérale de lois provinciales en matière de santé et de sécurité du travail. Nous décelons notamment un parallèle avec l’affaire Purolator Courrier ltée c. Hamelin15, où la Cour d’appel conclut que l’article 32 LATMP ne s’applique pas aux entreprises de juridiction fédérale. Dans cette affaire, la Cour d’appel précise que la compétence générale du législateur provincial sur l’objet d’une loi en particulier ne signifie pas nécessairement que toutes les dispositions de cette loi recevront une application directe et intégrale au sein d’une entreprise fédérale. Il est important d’analyser chaque disposition de la loi provinciale afin de déterminer quels sont ses effets sur la relation d’un employeur avec ses employés. Dans la mesure où cet examen permet de conclure que l’article en question affecte les relations de travail de l’entreprise fédérale, il lui sera inapplicable. La travailleuse ayant déposé une demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada, nous suivrons avec intérêt l’évolution de l’affaire Éthier. 2015 QCCA 1996 (l’arrêt « Éthier »). RLRQ, c. S-2.1. L.R.C., (1985) ch. L-2. [1988] R.C.S. 749. Depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du Québec, L.Q. 2015, c. 15, la CSST a été remplacée par la « Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail » et la CLP est désormais remplacée par le « Tribunal administratif du travail ». Pour plus de détails concernant cette réorganisation des organismes, veuillez consulter le bulletin Droit de savoir, juillet 2015, suivant : « Le projet de loi 42 et la réorganisation des institutions québécoises en matière de travail ». Articles 132, 205 (6) et 205.1. RLRQ, c. A-3.001. Éthier et Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada, 2013 QCCLP 4672. Éthier c. Commission des lésions professionnelles, 2014 QCCS 1092. Notons que la Cour d’appel fait une distinction claire entre le libellé de l’article 131 CCT et celui de l’article 4 de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G-5, qui a fait l’objet d’une décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Martin c. Alberta (Worker’s Compensation Board), 2014 CSC 25, et était invoqué par la travailleuse au soutien de ses prétentions. Notamment, les articles 204 à 205.2 CCT, concernant le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, n’existaient pas lorsque cet arrêt a été rendu. Par ailleurs, de récents arrêts de la Cour suprême ont modifié le cadre d’analyse applicable aux situations où l’on cherche à appliquer une loi provinciale à une entreprise fédérale. La Cour réfère entre autres à l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3. Arrêt Éthier, paragraphe 26. Id., paragraphe 29. Voir également l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, précitée. Arrêt Éthier, paragraphes 36 et 37. D.T.E. 2002T-197 (C.A.). Sur le même sujet : Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, D.T.E. 2002T-189 (C.A.).
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Lutte contre le tabagisme et les cigarettes électroniques : nouveaux enjeux pour les entreprises
C’est dans un contexte d’expansion appréciable du commerce de la cigarette électronique que le Projet de loi no 44 a été adopté1. Porteur d’une réforme législative importante, ce projet de loi encadre notamment l’usage de la cigarette électronique au même titre que celui du tabac. Il modifie également la Loi sur le tabac2, qui porte désormais le nom de Loi concernant la lutte contre le tabagisme3 (ci-après, la « Loi »). Ce projet de loi apporte plusieurs modifications législatives d’intérêt pour l’exploitant d’un lieu visé par la Loi, ce qui inclut les employeurs et les établissements de santé et de services sociaux : l’obligation pour certains employeurs d’adopter une politique concernant la lutte contre le tabagisme d’ici le 26 novembre 2017; l’ajout de dispositions visant à accroître la responsabilité des administrateurs et des dirigeants de personnes morales et de sociétés; l’ajout de nouvelles dispositions ayant pour effet de faciliter la preuve de la poursuite en matière pénale; la hausse du montant des amendes prévues en cas d’infraction à la Loi; l’application de la Loi à la cigarette électronique; l’ajout de nouveaux endroits où il sera interdit de fumer à compter du 26 mai 2016. Voici quelques détails concernant ces modifications. L’OBLIGATION D’ADOPTER UNE POLITIQUE CONCERNANT LA LUTTE CONTRE LE TABAGISME À compter du 26 novembre 2017, tout établissement de santé et de services sociaux, établissement d’enseignement au niveau collégial ou universitaire devra adopter une politique concernant la lutte contre le tabagisme visant à établir un environnement sans fumée et transmettre copie de cette politique au ministre. Cette politique devra tenir compte des orientations qui leur seront communiquées par le ministre de la Santé et des Services sociaux. De plus, tous les deux ans, le directeur général de l’établissement devra faire rapport au conseil d’administration de l’application de cette politique, et l’établissement devra transmettre ce rapport au ministre dans les 60 jours de son dépôt au conseil d’administration4. LA RESPONSABILITÉ ACCRUE DES ADMINISTRATEURS ET DIRIGEANTS DE PERSONNES MORALES ET DE SOCIÉTÉS Depuis le 26 novembre 2015, la Loi contient de nouvelles dispositions qui ont pour effet de créer des présomptions de responsabilité des employeurs et des administrateurs ou dirigeants de personnes morales, de sociétés de personnes ou d’associations non personnalisées5. Essentiellement, ces dispositions prévoient que : dans une poursuite pénale relative à une infraction à la Loi ou à ses règlements, la preuve que cette infraction a été commise par un représentant, un mandataire ou un employé d’une personne morale ou société suffit à établir que l’infraction a été commise par celle-ci; lorsqu’une personne morale, un représentant, mandataire ou employé de celle-ci ou d’une société de personnes ou d’une association non personnalisée commet une infraction à la Loi ou à ses règlements, l’administrateur ou le dirigeant de la personne morale, société ou association est présumé avoir commis lui-même cette infraction. La personne qui souhaite repousser ces présomptions doit démontrer qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable en prenant toutes les précautions nécessaires pour prévenir la perpétration de l’infraction reprochée. LES NOUVELLES DISPOSITIONS FACILITANT LA PREUVE DE LA POURSUITE EN CAS D’INFRACTION À titre d’exemple, l’article 11 de la Loi prévoit l’interdiction pour l’exploitant d’un lieu où il est interdit de fumer, tel qu’un milieu de travail ou une installation maintenue par un établissement de santé et de services sociaux, de tolérer qu’une personne y fume (produits du tabac ou cigarette électronique). La preuve d’une telle tolérance expose l’exploitant à une poursuite pénale et, éventuellement, à une condamnation et au paiement d’une amende. Le 26 novembre 2015, cet article a été modifié pour faciliter la preuve de la « tolérance » de l’exploitant. Désormais, il prévoit qu’en cas de poursuite pénale, la preuve qu’une personne a fumé dans un endroit où il est interdit de le faire suffit à établir que l’exploitant du lieu a toléré qu’une personne fume dans cet endroit. L’exploitant du lieu qui souhaite repousser cette présomption doit établir qu’il a fait preuve de diligence raisonnable en prenant toutes les précautions nécessaires pour prévenir la perpétration de cette infraction, notamment en démontrant la présence d’affiches clairement visibles stipulant l’interdiction de fumer et l’absence de cendriers. LA HAUSSE DU MONTANT DES AMENDES PRÉVUES EN CAS D’INFRACTION Le montant de plusieurs amendes prévues en cas d’infraction à la Loi a été révisé à la hausse, tel que le montant de l’amende liée à une contravention à ce même article 11 : MONTANT DES AMENDES AVANTle 26 novembre 2015 APRÈS le 26 novembre 20156 PREMIÈRE INFRACTION PREMIÈRE INFRACTION entre 400 $ et 4 000 $ entre 500 $ et 12 500 $ RÉCIDIVE RÉCIDIVE entre 1 000 $ et 10 000 $ entre 1 000 $ et 25 000 $ L’APPLICATION DE LA LOI À LA CIGARETTE ÉLECTRONIQUE Depuis le 26 novembre 2015, la cigarette électronique et tous les autres dispositifs de même nature, y compris leurs composantes, sont soumis aux mêmes règles que les produits du tabac. En effet, les interdictions de « fumer » prévues à la Loi visent désormais l’usage des produits du tabac dans la même mesure que celui de la cigarette électronique7. LES NOUVELLES INTERDICTIONS DE FUMER En plus des interdictions déjà existantes sous l’ancienne Loi sur le tabac, à compter du 26 mai 2016, l’interdiction de fumer (tabac ou cigarette électronique) sera notamment étendue aux : véhicules automobiles, lorsque des personnes de moins de 16 ans y sont présentes; terrasses des restaurants et des bars; aires de jeux extérieures pour enfants et qui accueillent le public; terrains sportifs et terrains de jeux, terrains de camps de vacances, les patinoires et les piscines extérieures qui sont fréquentés par des mineurs et qui accueillent le public; terrains des centres de petite enfance et des garderies; terrains des établissements d’enseignement préscolaire, primaire, secondaire, y compris les centres de formation générale aux adultes et les centres de formation professionnelle8. COMMENTAIRES Les modifications apportées par le Projet de loi 44 ont pour effet d’accroître de manière appréciable l’étendue des interdictions de fumer. Elles s’inscrivent dans le cadre de mesures prises par le gouvernement pour renforcer la lutte contre le tabagisme au moyen de diverses mesures concrètes et significatives, telles que l’obligation pour certains employeurs d’adopter une politique en matière de lutte contre le tabagisme et l’ajout de présomptions de responsabilité pénale des administrateurs ou dirigeants de personnes morales ou de sociétés en cas d’infraction à la Loi. Notons que la validité de certaines dispositions de la Loi a récemment été contestée9. La Cour supérieure du Québec n’a toutefois pas encore tranché l’affaire. Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme, projet de loi n° 44 (sanctionné le 26 novembre 2015), 1re sess., 41e légis. (ci-après, le « Projet de loi 44 »). RLRQ, c T-0.01. RLRQ, c L-6.2. Projet de loi 44, art. 11 et 76. Articles 57.1 et 57.1.1 de la Loi. Article 43.1.1 de la Loi. Article 1.1 de la Loi. Projet de loi 44, art. 5 et 76. Association québécoise des vapoteries et al. c. Procureur général du Québec, Cour supérieure (200-17-023732-167) (requête déposée le 25 février 2016).
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Droit de retour au travail : du ressort de l’arbitre ou de la CNESST et du TAT?
Le 24 novembre dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu un jugement attendu dans l’affaire Université McGill c. McGill University Non Academic Certified Association (MUNACA)1 (affaire « McGill »). Par ce jugement, la Cour dissipe l’ambiguïté jurisprudentielle qui existait depuis quelques années au sujet de la compétence de l’arbitre de grief en matière de litiges découlant de l’interprétation et de l’application de dispositions de conventions collectives relatives au retour au travail d’un salarié à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »)2. Dans cette affaire, la Cour devait se pencher sur les questions suivantes : les parties à une convention collective peuvent-elles prévoir, au bénéfice de salariés, des conditions plus avantageuses que celles qui sont prévues par la LATMP et, le cas échéant, qui a compétence pour entendre et décider des mésententes découlant des telles dispositions conventionnelles ? Enfin, la Cour devait déterminer si la convention collective unissant les parties en cause contient une telle disposition plus avantageuse que la loi. LE CONTEXTE DE L’AFFAIRE McGILL Un salarié a conservé des limitations fonctionnelles permanentes à la suite d’une lésion professionnelle. La Commission de la santé et de la sécurité du travail3 (« CSST ») a déterminé que celles-ci l’empêchaient d’occuper son poste prélésionnel et identifié un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail, un tel emploi n’étant pas disponible chez l’employeur. Après avoir temporairement assigné le salarié à des travaux légers, l’employeur a mis fin à l’emploi du salarié près de cinq ans après la détermination par la CSST de l’emploi convenable, au motif qu’un tel emploi n’existe toujours pas au sein de son organisation. La convention collective unissant les parties prévoit par ailleurs que « [l]e salarié qui redevient capable de travailler, mais qui demeure avec une limitation fonctionnelle permanente l’empêchant d’occuper le poste qu’il occupait antérieurement est replacé, sans affichage, à un autre poste que son état de santé lui permet d’occuper, compte tenu des postes disponibles à combler. » Le salarié conteste la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi par voie de griefs et réclame qu’un autre poste lui soit offert et ce, malgré les conclusions de la CSST à l’effet que l’emploi convenable déterminé n’existe pas chez l’employeur. Pour sa part, l’employeur soulève une objection à la compétence de l’arbitre, au motif que celui-ci n’a pas « juridiction sur la capacité d’un travailleur victime d’un accident du travail ayant entraîné des limitations fonctionnelles permanentes, à exercer un emploi chez son employeur4. » Les parties ont convenu d’en traiter de manière préliminaire et l’arbitre conclut que la compétence que lui confère l’article 244 de la LATMP pour régler les modalités de retour au travail « n’inclut pas celle de décider [de] la capacité [d’un salarié] d’exercer un emploi à la suite d’une lésion professionnelle, question réservée à la CSST et à la CLP en appel5 ». Par conséquent, il accueille l’objection de l’employeur et décline compétence, sans se prononcer sur le bien-fondé des griefs contestant notamment la fin d’emploi du salarié. Le Syndicat demande la révision judiciaire de cette décision et la Cour supérieure casse la sentence arbitrale et renvoie les griefs devant l’arbitre afin qu’il se prononce sur le mérite de ceux-ci6. L’employeur interjette appel du jugement. La Cour d’appel du Québec confirme la décision de la Cour supérieure et rejette l’appel de l’employeur. LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL À l’instar de la Cour supérieure, la Cour d’appel conclut que l’article 4 de la LATMP permet aux parties à une convention collective d’y prévoir des dispositions plus avantageuses pour les salariés que celles qui sont prévues par cette loi. L’article 244 de la LATMP ne limite pas cette possibilité. Par conséquent, l’arbitre de grief a compétence exclusive sur la question de savoir si une convention contient une clause conférant des avantages supérieurs à ceux prévus à la LATMP et, le cas échéant, quant à l’interprétation et à l’application d’une telle clause7. À titre d’exemple, la Cour précise qu’une convention collective pourrait prévoir des dispositions avantageuses qui auraient pour effet, notamment : d’allonger le délai d’exercice du droit au retour au travail prévu à l’article 240 de la LATMP et ainsi obliger l’employeur à réintégrer le salarié dans l’emploi prélésionnel ou dans l’emploi convenable et ce, au-delà de la période prescrite par la loi8; d’obliger l’employeur à rendre disponible ou à créer un emploi convenable au sein de son entreprise, s’il n’en existe pas ou s’il n’est pas disponible; d’obliger l’employeur à offrir au salarié incapable de reprendre son emploi prélésionnel tout autre emploi correspondant à ses capacités résiduelles, même s’il ne s’agit pas d’un « emploi convenable » au sens de la LATMP9. La Cour rappelle toutefois que, dans le cadre de l’exercice de sa compétence, l’arbitre demeure lié par les déterminations faites par la CSST ou la Commission des lésions professionnelles (« CLP »), le cas échéant, notamment quant à l’existence d’une lésion professionnelle, à la capacité du salarié à reprendre son emploi prélésionnel, à ses limitations fonctionnelles ou à l’emploi convenable10. Ces déterminations constituent la « toile de fond » sur laquelle s’inscrira la sentence arbitrale. En revanche, si l’arbitre conclut que la convention collective ne comporte aucun avantage additionnel au régime prévu par la LATMP, il ne peut s’arroger compétence pour imposer des obligations additionnelles à l’employeur, et le salarié qui exerce les droits que lui donne cette loi ne peut exiger davantage. Dans une telle éventualité, les parties sont et demeurent liées par les déterminations de la CSST et, le cas échéant, de la CLP11. COMMENTAIRES En somme, selon l’arrêt McGill, l’arbitre de grief a compétence exclusive pour, en premier lieu, déterminer si une convention collective confère à un salarié des droits plus avantageux que ceux qui sont prévus par la LATMP et, le cas échéant, interpréter ces dispositions et en assurer l’application. Dans le cadre de cet exercice, l’arbitre de grief ne peut rejeter, réfuter ni discuter les déterminations faites par la CSST ou la CLP et son intervention doit s’intégrer au cadre tracé par ces organismes en vertu de la LATMP. Cet arrêt dissipe donc l’ambiguïté12 qui pouvait notamment résulter des arrêts Société des établissements de plein air du Québec c. Syndicat de la fonction publique du Québec13 et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 427 c. Tembec, usine de Matane14, dans lesquels les tribunaux confirment les décisions des arbitres de grief accueillant les objections préliminaires des employeurs portant sur leur compétence au motif qu’ils ne pouvaient remettre en question les décisions rendues par la CSST et la CLP dans le cadre de leur juridiction exclusive. Notons que, dans ces deux affaires, les conventions collectives ne contenaient aucune disposition plus avantageuse que la LATMP au chapitre du droit de retour au travail15. L’avenir nous dira si le jugement de la Cour d’appel dans l’affaire McGill aura un impact sur la négociation de clauses de conventions collectives prévoyant des dispositions plus avantageuses que celles prévues par la LATMP. Cependant, nous croyons que les litiges découlant de la mise en oeuvre du retour au travail d’un salarié suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle devront également être analysés sous l’angle du jugement de la Cour d’appel dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Caron16, selon lequel l’employeur doit, dans le cadre de l’exercice du droit de retour au travail d’un salarié et de la recherche d’un emploi convenable, procéder à un exercice d’accommodement raisonnable conforme à la Charte des droits et libertés de la personne17, jusqu’à la contrainte excessive. 2015 QCCA 1943. En date du 4 janvier 2016, aucune demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada n’a été déposée. Nous attirons également votre attention sur les arrêts rendus par la Cour d’appel sur le même sujet dans les affaires Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 c. Beaconsfield (Ville de), 2015 QCCA 1958 et Montréal-Est (Ville de) c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301, 2015 QCCA 1957. RLRQ c A-3.001. Depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du Québec, L.Q. 2015, c. 15, la CSST a été remplacée par la « Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail » et la CLP est désormais remplacée par le « Tribunal administratif du travail ». Propos rapportés, en première instance, au paragraphe 56 de la sentence arbitrale (D.T.E. 2011T-582), et repris par la Cour d’appel dans l’arrêt McGill, au paragraphe 10. Paragraphe 103 de la sentence arbitrale, repris par la Cour d’appel au paragraphe 15. 2013 QCCS 1175. Arrêt McGill, paragraphe 95. Ce délai prévu à l’article 240 de la LATMP est d’un ou de deux ans, selon le cas. Voir notamment le paragraphe 51. Arrêt McGill, paragraphes 73 et 74. Id., paragraphe 78. Id., paragraphe 20. 2009 QCCA 329. 2012 QCCA 179. Tel que noté par la Cour d’appel dans l’arrêt McGill, paragraphe 60. 2015 QCCA 1048. À cet égard, nous vous référons à notre publication antérieure concernant cet arrêt, que vous pouvez consulter en cliquant ici. RLRQ c C-12.
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Trois décisions importantes rendues en 2015 par le Tribunal administratif du Québec concernant des médecins d’établissement
Au cours de la dernière année, le Tribunal administratif du Québec a rendu plusieurs décisions traitant du contrôle de l’exercice médical des professionnels œuvrant en établissement de santé et de services sociaux. Plusieurs de ces décisions sont d’intérêt pour les établissements, car les principes qu’elles énoncent tendent à confirmer qu’il existe bel et bien une forme de droit de gérance à l’égard des médecins malgré l’absence de lien de subordination traditionnel qui puisse exister entre un établissement et ses médecins. Le refus d’un médecin d’effectuer un stage de perfectionnement constitue un motif suffisant pour qu’un établissement ne renouvelle pas son statut et ses privilèges1 Dans une décision rendue le 18 août 2015, le Tribunal administratif du Québec (TAQ) confirme la décision d’un établissement de ne pas renouveler le statut et les privilèges de l’un de ses médecins après que celui-ci eût refusé d’effectuer un stage de perfectionnement pour acquérir les aptitudes nécessaires à ses nouvelles fonctions. Il s’agissait, en l’espèce, d’un stage de perfectionnement qui lui avait été imposé par son chef de service afin de lui permettre de réintégrer la pratique clinique après avoir vu sa pratique être exclusivement dédiée à des travaux de recherches. Dans sa décision, le TAQ énonce plusieurs éléments essentiels à la bonne compréhension du fonctionnement interne des établissements et du processus de renouvellement du statut et des privilèges d’un médecin, notamment : un établissement, dans le cadre de la gérance d’un service médical, peut exiger d’un médecin qu’il suive un stage de perfectionnement pour acquérir les aptitudes nécessaires à sa pratique; les privilèges professionnels d’un médecin ne sont pas des droits acquis; le processus de renouvellement du statut et des privilèges d’un médecin prévu à l’article 238 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux2 est une question administrative qui se distingue du processus disciplinaire prévu à l’article 249 de cette même loi. Quant à l’étude que doit faire le TAQ en cas de contestation d’un non-renouvellement, celui-ci précise notamment : qu’il doit apprécier si la situation du médecin justifiait le conseil d’administration de ne pas renouveler ses privilèges en tenant compte des exigences propres de l’établissement; qu’il siège de novo et qu’il n’est donc pas limité aux seuls faits présentés à l’origine dans la décision du conseil d’administration de l’établissement. L’enseignement : une obligation pour les médecins exerçant dans un établissement à vocation universitaire3 Dans une décision rendue le 30 avril 2015, le TAQ confirme la décision du conseil d’administration d’un établissement à vocation universitaire refusant le renouvellement du statut et des privilèges d’un médecin qui ne respectait pas les obligations rattachées à la jouissance de ses privilèges. D’emblée, il y a lieu de noter que la compétence clinique du requérant n’était pas en cause dans cette affaire. C’était plutôt son comportement vis-à-vis l’enseignement qui posait problème. Le TAQ note que le médecin avait toujours été bien informé des plaintes qui lui étaient adressées en matière d’enseignement, mais qu’il avait choisi de les ignorer, d’en nier le bien-fondé et de refuser obstinément de donner suite aux recommandations qui lui étaient faites en employant une attitude de défiance et en cherchant visiblement à faire porter le blâme aux autres. Ainsi, malgré les nombreuses chances données à ce médecin, il n’y eut que très peu d’amélioration et d’intérêt de sa part de sorte que l’établissement n’avait eu d’autre choix que celui de ne pas renouveler son statut et ses privilèges. La suspension de privilèges imposée à un médecin doit être purgée malgré son droit d’appel4 Dans une décision rendue le 23 février 2015, le TAQ refuse d’accorder à un médecin une ordonnance visant à suspendre l’exécution d’une résolution adoptée par un centre hospitalier qui lui avait imposé une suspension de son statut et de ses privilèges pour une durée d’un mois. La médecin, une omnipraticienne détenant des privilèges en obstétrique au sein d’un Centre de santé et des services sociaux avait une pratique solo et accouchait elle-même les patientes qu’elle suivait. Le TAQ conclut que ce médecin ne subirait pas de préjudice différent ou plus important que celui inhérent à l’application de la sanction. En outre, elle n’avait pas démontré qu’elle subirait un préjudice sérieux et irréparable puisque, de l’avis du Tribunal, le préjudice financier qu’elle subirait est quantifiable et n’est pas irréparable. Quant au préjudice subi par les patientes, l’établissement pourrait y remédier puisque celles-ci seraient prises en charge par les autres médecins du département selon les mêmes mécanismes prévalant lors des absences de la requérante pour vacances ou congrès. A. c. Centre Hospitalier A*, 2015 QCTAQ 08321 (requête en révision interne). RLRQ, c. S-4.2. R.A. c. Centre Hospitalier A*, 2015 QCTAQ 041038 (requête en révision, 2015-06-04 (C.S.) 500-17- 088761-153). N.F. c. CSSS A, 2015 QCTAQ 02780.
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L’exigence de l’anglais au travail : Une tour de Babel
Le présent bulletin a pour objectif de sensibiliser les employeurs aux problématiques liées à l’exigence de la connaissance de l’anglais pour occuper un poste. L’article 46 de la Charte de la langue française (la « Charte »)1 prévoit qu’il est « interdit à un employeur d’exiger pour l’accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle, à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance ». Il existe une controverse jurisprudentielle à l’égard de ce qui constitue « une nécessité » en raison des diverses interprétations possibles de l’article 46 de la Charte. L’arbitre Jean-Guy Ménard les énumère dans l’affaire Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) et Québec (Ville de)2 (affaire « Ville de Québec »), en soulignant qu’il n’existe pas de courant dominant. Il note que certains arbitres donnent un sens large à la notion de « nécessité » en l’associant à la règle de raisonnabilité; d’autres l’interprètent de façon restrictive et strictement en lien avec le préambule de la Charte ; certains invoquent la défense d’exigence professionnelle justifiée applicable en matière de discrimination en vertu de l’exception prévue à l’article 46 de la Charte; enfin, d’autres évaluent la notion de nécessité selon des facteurs qualitatifs et/ou quantitatifs3. Deux décisions récentes illustrent bien cette controverse : Syndicat des cols blancs de Gatineau inc. et Gatineau (Ville de)4 (affaire « Ville de Gatineau ») et l’affaire Ville de Québec. L’AFFAIRE VILLE DE GATINEAU Dans l’affaire Ville de Gatineau, la Ville a affiché un poste de commis aux finances pour la Division des revenus au Service des finances, qui exigeait la capacité de communiquer en anglais. La Division des revenus assure notamment la facturation, la perception et le recouvrement des revenus de la Ville. Elle offre aussi le service à la clientèle afin de répondre aux questions des contribuables concernant les factures, tâche à laquelle les commis consacrent 50 % de leur temps. Le compte de taxes et toute facture émise le sont uniquement en français. Cependant, sur demande du contribuable, la Ville communique avec lui en anglais. À la suite de cet affichage, le Syndicat des cols blancs de Gatineau inc. a déposé un grief pour s’opposer à l’exigence imposée par la Ville de pouvoir « communiquer en anglais », alléguant qu’elle était abusive, arbitraire et discriminatoire, contraire à la convention collective et aux articles 45 et 46 de la Charte. Le Syndicat soutenait qu’il y avait absence de preuve pertinente quant à la nécessité d’exiger la connaissance de l’anglais. La Ville, quant à elle, prétendait notamment que la taxation est un élément fondamental de ses relations avec les contribuables, et que la Division des revenus assure un service essentiel. La personne occupant la fonction de commis aux finances doit donc pouvoir fournir des réponses compréhensibles aux questions des contribuables, y compris celles provenant de la portion importante d’anglophones résidant dans la Ville de Gatineau. Dans la sentence rendue le 15 mai 2013, l’arbitre René Turcotte a conclu que l’exigence par la Ville de la maîtrise d’une langue autre que le français constitue une violation de l’article 46 de la Charte. Il a retenu l’interprétation selon laquelle seules les situations suivantes permettent à un employeur d’exiger la connaissance de l’anglais : « tous les cas où la maîtrise d’une langue autre que le français est partie intégrante de l’essence même du poste où on l’exige, par exemple, un poste de traducteur »5; « lorsque cet élément est imposé par une loi d’ordre publique (sic), par exemple l’article 15 de la Loi sur les services de santé et services sociaux »6; « lorsque la non-maîtrise d’une langue autre que le français par le détenteur du poste mettrait en péril le droit fondamental garanti par l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne qui stipule que “Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.” »7. Selon l’arbitre, la Ville n’a pas démontré, eu égard à ces critères, que l’accomplissement des tâches reliées au poste de commis aux finances nécessite la connaissance de l’anglais. L’AFFAIRE VILLE DE QUÉBEC Dans l’affaire Ville de Québec, la Ville a affiché deux postes d’agent de perception à la Division des revenus, Section de la perception et du système de gestion, qui prévoyaient l’exigence d’une « bonne connaissance de la langue anglaise parlée et écrite »8. Les agents de perception assurent le suivi régulier des sommes dues à la Ville dans des dossiers particuliers. Selon la description du poste, les agents doivent fournir des explications aux contribuables quant aux montants dus à la Ville, et les informer de leurs obligations et des actions auxquelles ils s’exposent advenant le non-paiement des montants dus. L’agent agit en outre à titre de conseiller auprès des contribuables et répond à leurs questions concernant le paiement des factures dues à la Ville. Leur objectif est de percevoir les créances et de conclure rapidement des ententes pour éviter d’avoir à transférer les dossiers au contentieux de la Ville. Le Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) a déposé un grief dénonçant cet affichage. Selon ce dernier, cette exigence viole la convention collective ainsi que l’article 46 de la Charte. Il a allégué que « l’exception stipulée à l’article 46 en terme de nécessité ne peut certainement pas correspondre à des notions d’utilité, d’opportunité ou de désir de donner du service à la communauté anglophone9 ». La Ville soutenait, quant à elle, qu’elle devrait bénéficier de l’exception de la nécessité puisque dans certains cas le recouvrement de comptes non perçus auprès de citoyens commerciaux exige principalement « une connaissance précise des dossiers, une capacité d’analyse particulière et des aptitudes pour expliquer la situation et orienter la discussion vers une solution10 ». L’arbitre Jean-Guy Ménard a rejeté le grief, estimant que l’employeur avait démontré que l’exigence était nécessaire pour accomplir efficacement et normalement le travail d’agent de perception à la Ville de Québec. Après avoir examiné la jurisprudence soumise par les parties, il a déclaré qu’afin de déterminer si la Ville avait violé l’article 46 de la Charte, il devait déterminer « si l’Employeur a démontré de manière prépondérante si une “bonne connaissance de la langue anglaise parlée et écrite” est de nature à permettre l’accomplissement adéquat des postes d’agente ou agent de perception visés ou encore si l’accomplissement de ces tâches exigeait cette connaissance »11. RÉVISIONS JUDICIAIRES Ces deux décisions ont fait l’objet de révisions judiciaires12. Dans les deux cas, la Cour supérieure a rejeté ces demandes puisque les décisions arbitrales faisaient partie des issues possibles et acceptables. En effet, comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada en matière de révision judiciaire : « Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.13 » COUR D’APPEL Dans l’affaire Ville de Québec, la Cour d’appel a aussi refusé d’intervenir puisque le syndicat n’a pas démontré que la sentence arbitrale était irrationnelle, contraire à la convention collective et absurde dans son résultat, ni que la Cour supérieure avait erré dans l’analyse du caractère raisonnable de cette décision14. La décision de l’arbitre s’inscrivait dans la gamme des solutions rationnelles qui s’offraient à lui. La Ville de Gatineau a récemment obtenu la permission d’en appeler du jugement de la Cour supérieure15. COMMENTAIRES Nous espérons que la Cour d’appel ne se limitera pas à décider si la décision de l’arbitre est raisonnable, mais qu’elle décidera de l’interprétation correcte de l’article 46 de la Charte. L’incertitude créée par cette controverse jurisprudentielle affecte tous les employeurs. Une clarification permettrait à ces derniers de mieux déterminer les postes pour lesquels l’exigence de maîtrise d’une langue autre que le français est « nécessaire ». Lavery suivra avec intérêt l’évolution du droit sur cette question et vous informera de toute nouveauté s’y rapportant. Charte de la langue française, RLRQ c. C-11. Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) et Québec (Ville de) (grief syndical), (TA, 2013-10-29), D.T.E. 2013T-818 (requête en révision judiciaire rejetée (C.S., 2014-05-14), 2014 QCCS 2293; requête pour permission d’appeler rejetée (C.A., 2014-10-31), 2014 QCCA 1987). Ibid au paragr. 26. Syndicat des cols blancs de Gatineau inc. et Gatineau (Ville de) (grief syndical), (TA, 2013-05-15), SOQUIJ AZ-51206332 (requête en révision judiciaire rejetée (C.S., 2015-06-25), 2015 QCCS 3066; requête pour permission d’appeler accueillie (C.A., 2015-09-14), 2015 QCCA 1485). Supra note 3 au paragr. 29. Ibid. Ibid. Supra note 2 au paragr. 1. Ibid au paragr. 20. Ibid au paragr. 18. Ibid au paragr. 36. Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) c. Ménard, 2014 QCCS 2293 et Gatineau (Ville de) c. Turcotte, 2015 QCCS 3066. Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) c. Ménard, ibid au paragr. 45, citant l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12. Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) c. Québec (Ville de), 2014 QCCA 1987. Gatineau (Ville de) c. Syndicat des cols blancs de Gatineau inc., 2015 QCCA 1485.
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Accident du travail mortel : Le gérant de projet de Metron condamné à trois ans et demi de prison
Le 11 janvier 2016, Vadim Kazenelson, gérant de projet de la compagnie Metron Construction Corporation (« Metron »), a été condamné à trois ans et demi de prison1. Cette sentence fait suite à la décision rendue le 26 juin 2015 aux termes de laquelle la Cour supérieure de l’Ontario a déclaré M. Kazenelson coupable des cinq chefs d’accusation qui pesaient contre lui, soit quatre chefs d’accusation de négligence criminelle ayant causé la mort et un chef d’accusation de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles2. Ce jugement a été rendu à la suite de l’accident survenu en Ontario le 24 décembre 2009, au cours duquel quatre employés de Metron ont perdu la vie lors d’une chute de 14 étages causée par l’effondrement de l’échafaudage suspendu sur lequel ils se trouvaient. Le cinquième employé a été grièvement blessé et le sixième employé, qui portait un harnais de sécurité, a survécu. Les détails de l’affaire Kazenelson L’enquête a notamment révélé que le superviseur, décédé lors de l’accident, avait laissé six employés travailler simultanément sur le même échafaudage sans savoir si la structure pouvait supporter leur poids ni vérifier si chacun des employés portait un harnais de sécurité. Dans les faits, l’après-midi de l’accident, seulement deux cordes d’assurance étaient disponibles pour six travailleurs, contrairement à la réglementation et aux règles de l’art applicables. Dans le jugement portant sur la déclaration de culpabilité de M. Kazenelson, le juge a notamment tiré les conclusions suivantes de la preuve : bien que la responsabilité de superviser les employés incombait notamment au superviseur (décédé lors de l’accident), l’accusé, en tant que gérant de projet, était en position d’autorité par rapport à ce superviseur, et exerçait celle-ci le jour de l’accident; l’accusé savait pertinemment que chaque travailleur utilisant l’échafaudage devait être attaché à une corde d’assurance; l’accusé avait utilisé l’échafaudage au cours de la journée et savait qu’il n’y avait que deux cordes d’assurance pour au moins six travailleurs; par la suite, l’accusé n’a pris aucune mesure pour rectifier la situation ni pour s’assurer que les employés n’utilisent pas l’échafaudage sans corde d’assurance. Étant au courant du fait qu’il y avait un nombre insuffisant de cordes d’assurance, l’accusé avait le devoir de rectifier la situation. En effet, l’article 217.1 du Code criminel3 crée un devoir pour quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessures corporelles pour autrui. L’employeur ou l’individu qui manque à ce devoir peut donc être considéré « avoir omis de faire quelque chose » qu’il était de son devoir d’accomplir et être déclaré coupable de négligence criminelle. C’est précisément la conclusion qu’a retenue le juge à l’égard de M. Kazenelson dans ses motifs : l’inaction de M. Kazenelson constituait un manquement clair au devoir que lui imposait l’article 217.1 du Code criminel et sa négligence criminelle a contribué de manière significative à l’accident. De plus, le juge conclut qu’il s’agissait d’un cas où l’accusé « [TRADUCTION] connaissait le risque mais a décidé qu’il était dans l’intérêt de Metron de prendre une chance4 ». « En ce qui concerne le caractère moralement reprochable de sa conduite, il s’agit d’une circonstance aggravante significative5 ». Rappelons qu’en 2013, la compagnie Metron, employeur de M. Kazenelson, qui avait plaidé coupable à l’infraction de négligence criminelle ayant causé la mort, fut condamnée par la Cour d’appel de l’Ontario à payer une amende de 750 000 $ à la suite de cet accident6. Pour plus de détails sur ces jugements, veuillez vous reporter à nos publications antérieures7. Conclusion À ce jour, cette condamnation représente la plus lourde sentence d’emprisonnement imposée depuis la modification du Code criminel en 2004; la précédente peine d’emprisonnement la plus sévère avait été de deux ans moins un jour dans l’affaire Scrocca8. La condamnation de M. Kazenelson illustre la tendance des instances administratives et des tribunaux à imposer des peines de plus en plus lourdes pour des condamnations à des infractions liées à la santé et à la sécurité du travail et ce, dans le but avoué de dissuader les employeurs de prendre la santé et la sécurité du travail à la légère et d’amener l’ensemble des employeurs à investir dans la prévention. Cela se reflète d’ailleurs dans les commentaires du juge dans la décision rendue le 11 janvier 2016 : « [TRADUCTION] [...] il est évident qu’une peine d’emprisonnement est nécessaire pour dénoncer adéquatement la conduite de M. Kazenelson et pour dissuader d’autres personnes en position d’autorité sur des employés travaillant dans des milieux de travail potentiellement dangereux de manquer à leur devoir légal de prendre les mesures nécessaires pour éviter qu’il n’en résulte de blessures corporelles pour ceux-ci, conformément à l’article 217.1 du Code.9 » Lavery vous tiendra informé de tout fait nouveau important relativement à cette affaire. R. v. Vadim Kazenelson, 2016 ONSC 25. R. v. Vadim Kazenelson, 2015 ONSC 3639. Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, article 217.1. Préc., note 1, par. 33. Id., par. 44. R. c. Metron Construction Corporation, 2013 ONCA 541. Vous pouvez accéder à notre publication relative au jugement de première instance en cliquant ici et à notre publication concernant la décision de la Cour d’appel de l’Ontario en cliquant ici. R. c. Scrocca, 2010 QCCQ 8218. Préc., note 1, par. 23.
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Modification éventuelle au règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance
Le 21 octobre 2015, la ministre de la Famille, ministre responsable des Aînés et ministre responsable de la Lutte contre l’intimidation, madame Francine Charbonneau (la « Ministre »), a annoncé la prépublication dans la Gazette officielle d’un projet de règlement modifiant le Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance1 (le « Projet de règlement »); le règlement pourrait être édicté à l’expiration d’un délai de quarante-cinq jours, soit dès le 6 décembre 20152. Ce Projet de règlement, s’il est adopté sans modification, apporterait des changements touchant divers aspects de la gestion de l’ensemble des prestataires de services de garde, notamment sur la santé et la sécurité des enfants, la vérification d’empêchement, le remplacement du personnel de garde, la conservation des documents et la tenue des fiches d’assiduité. Les dispositions du Projet de règlement permettraient toutefois d’assurer une meilleure cohérence entre certaines dispositions du règlement actuel et leur application en pratique, ainsi qu’une harmonisation des termes utilisés. SANTÉ ET SÉCURITÉ DES ENFANTS Tel qu’il est présenté, le Projet de règlement exigerait qu’un titulaire de permis de centre de la petite enfance (« CPE ») ou de garderie équipe les locaux de chaque installation qu’il exploite d’au moins un détecteur de monoxyde de carbone par étage3. Il en est de même pour une responsable d’un service de garde en milieu familial (« RSG »), laquelle aurait aussi l’obligation d’installer au moins un détecteur de monoxyde de carbone par étage dans la résidence où elle fournit des services de garde4. Un resserrement des responsabilités des titulaires de permis de CPE ou de garderie relativement aux aires et espaces extérieurs de jeu est également prévu. Le Projet de règlement projetterait ainsi l’ajout d’une nouvelle disposition à ce sujet : 39.1. Le titulaire d’un permis doit s’assurer, lorsque l’espace extérieur de jeu est celui visé au paragraphe 1° du premier alinéa de l’article 39, que tous les éléments qui s’y trouvent sont en bon état, maintenus propres, utilisés de façon sécuritaire et qu’ils ne constituent pas un danger potentiel compte tenu de leur nature, du lieu de leur emploi et de la présence des enfants.5 C’est donc dire qu’un titulaire de permis qui met à la disposition des enfants un espace extérieur de jeu à moins de 500 mètres de son installation6 aurait la responsabilité de s’assurer du bon état, de la propreté, de l’utilisation sécuritaire et de l’absence de danger potentiel pouvant résulter notamment de tout équipement, revêtement de sol, mobilier et matériel éducatif qui se trouvent dans cet espace. Cette responsabilité s’ajouterait donc à celles déjà existantes en ce qui concerne les installations7. Selon nous, ce changement aurait pour effet d’harmoniser les exigences des détenteurs de permis avec celles des RSG, dont les responsabilités ne sont pas limitées à assurer la sécurité des lieux intérieurs et visent déjà spécifiquement l’aire de jeux extérieure8. VÉRIFICATION D’EMPÊCHEMENT Le Projet de règlement prévoit également quelques changements administratifs aux obligations légales touchant la vérification d’empêchement. Celle-ci consiste essentiellement à vérifier si des personnes qui oeuvrent auprès de jeunes enfants ou qui sont régulièrement en contact avec eux ont des antécédents judiciaires et comportementaux incompatibles avec leurs fonctions. Lorsqu’un demandeur de permis de CPE ou de garderie ferait une vérification des renseignements nécessaires à l’établissement d’un empêchement, conformément à l’article 2 du Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance (le « Règlement »), il devrait désormais remettre à la Ministre, en plus d’une attestation d’absence d’empêchement, une copie du consentement à la vérification d’empêchement. Les administrateurs et les actionnaires des demandeurs de permis devraient quant à eux approuver la communication de cette dernière9. Cette obligation de la remise et de l’approbation de la communication du consentement à la vérification s’appliquerait également lors d’un changement d’administrateur ou d’actionnaire10, tel que cela est déjà prévu à l’égard de l’attestation d’absence d’empêchement11. Pour ce qui est d’une RSG, la demande pour obtenir une reconnaissance devrait inclure une copie du consentement à la vérification des renseignements nécessaires à l’établissement de l’existence ou non d’un empêchement pour elle-même et, éventuellement, pour la personne qui l’assiste ainsi que pour chaque personne majeure vivant dans la résidence où elle prévoit fournir des services de garde12. Cette obligation s’ajouterait donc à celle déjà existante quant à l’attestation d’absence d’empêchement13. REMPLACEMENT DU PERSONNEL DE GARDE Le remplacement du personnel de garde et la gestion de celui-ci subiraient également des modifications. En effet, le Projet de règlement prévoit l’ajout d’une disposition concernant une nouvelle obligation des titulaires de permis de CPE ou de garderie lorsqu’ils font affaire avec un service de remplacement de personnel de garde : 20.1. Lorsque le titulaire d’un permis a recours à un organisme ou à une entreprise offrant un service de remplacement de personnel de garde, il doit s’assurer que la personne qui remplace détient sur elle le certificat prévu à l’article 20 et, le cas échéant, la preuve qu’elle détient la qualification prévue à l’article 22 avant de lui permettre de travailler dans son installation.14 Cela signifie donc qu’il serait exigé d’un titulaire de permis qu’il s’assure de deux éléments : que la personne qui remplace détient un certificat, datant d’au plus trois ans, attestant la réussite d’un cours de secourisme général d’une durée minimale de huit heures ou d’un cours d’appoint d’une durée minimale de six heures visant la mise à jour des connaissances acquises dans le cadre du cours de secourisme général15; et que la personne qui remplace possède un diplôme d’études collégiales en techniques d’éducation à l’enfance ou toute autre équivalence reconnue par la Ministre16. Quant à la gestion du personnel de garde, une précision pourrait être apportée. Actuellement, l’article 23 du Règlement impose que dans un CPE ou une garderie, au moins deux membres du personnel de garde sur trois soient qualifiés et présents chaque jour auprès des enfants durant la prestation des services de garde. Lors de la délivrance d’un permis ou de la modification d’un permis pour augmenter de huit ou plus le nombre maximum d’enfants reçus dans une installation, le titulaire de permis a jusqu’à la cinquième date anniversaire de la délivrance ou de la modification pour se conformer à cette exigence. Durant cette période, il devrait s’assurer qu’au moins un membre du personnel de garde sur trois est qualifié et présent chaque jour17. Le Projet de règlement ajouterait que si le nombre de membres du personnel de garde est inférieur à trois, au moins un de ces membres doit être qualifié18. CONSERVATION DES DOCUMENTS Le Règlement présentement en vigueur demande aux prestataires de services de garde, dont les bureaux coordonnateurs de la garde en milieu familial (« BC ») et les RSG, de conserver certains renseignements et documents. Selon le Projet de règlement, les exigences pour la conservation des documents pourraient être modifiées. Ainsi, un BC n’aurait plus à conserver au dossier des RSG les documents attestant que la remplaçante occasionnelle de la RSG : est âgée de plus de 18 ans a des aptitudes à établir des liens de sympathie réciproque avec les enfants et à répondre adéquatement aux besoins des enfants; et a une bonne santé physique et mentale lui permettant d’assumer la garde d’enfants19. Par ailleurs, une RSG doit présentement détenir différents documents et renseignements concernant la personne qui l’assiste, soit : une copie de son acte de naissance ou de tout autre document établissant son identité et la date de sa naissance une description de ses expériences de travail et de sa formation scolaire un certificat d’un médecin attestant qu’elle a une bonne santé physique et mentale lui permettant d’assurer la garde d’enfants les noms, adresses et numéros de téléphone de deux personnes qui ne lui sont pas apparentées, qui la connaissent depuis au moins deux ans et qui peuvent attester son aptitude à l’assister sauf exception, les documents attestant qu’elle a suivi une formation d’au moins 12 heures portant sur le développement de l’enfant; et les documents démontrant qu’elle est titulaire d’un certificat, datant d’au plus trois ans, attestant de sa réussite soit d’un cours de secourisme général d’une durée minimale de huit heures, soit d’un cours d’appoint d’une durée minimale de six heures visant la mise à jour des connaissances acquises dans le cadre du cours de secourisme général20. Le Projet de règlement ajouterait à ce qui précède l’obligation pour une RSG de conserver l’ensemble de ces documents pendant les trois années qui suivent la fin du lien d’emploi avec la personne qui l’assiste21. Cette période s’appliquerait également à la conservation des documents afférents à la remplaçante occasionnelle de la RSG, lesquels sont sensiblement les mêmes22. FICHE D’ASSIDUITÉ D’autres changements mineurs entreront possiblement en vigueur. Parmi ceux-ci, notons que la fiche d’assiduité devant être tenue par tous les prestataires de service de garde devrait désormais être accessible sur les lieux de la prestation des services de garde en plus d’être, comme c’est le cas actuellement, conservée pendant les six années qui suivent la cessation de la prestation des services de garde23. Cela permettrait donc aux inspecteurs de la Ministre et aux agents de conformité des BC de s’assurer, au moment même de leur visite, de la conformité des fiches d’assiduité. COMMENTAIRES Les différentes modifications prévues dans le Projet de règlement, eu égard notamment à la santé et à la sécurité des enfants, à la vérification d’empêchement, au remplacement du personnel de garde, à la conservation des documents et aux fiches d’assiduité, demeurent des éventualités. N’étant pas encore effectives, elles pourraient encore subir des changements. Toute personne intéressée peut d’ailleurs faire part de ses commentaires sur le Projet de règlement à la Ministre en les faisant parvenir par écrit au sous-ministre adjoint, Monsieur Jacques Robert, avant le 5 décembre prochain. 1 RLRQ, c. S-4.1.1, r. 2. 2 Loi sur les règlements, RLRQ, c. R-18.1, art. 10 et 11. 3 Projet de règlement, art. 7. 4 Idem, art. 13. 5 Idem, art. 8. 6 Règlement, art. 39(1). 7 Voir les articles 29, 38 et 38.1 du Règlement. 8 Voir à cet égard les articles 88, 92 et 97 du Règlement. 9 Projet de règlement, art. 1. 10 Idem, art. 2. 11 Règlement, art. 6. 12 Projet de règlement, art. 11. 13 Règlement, art. 60. 14 Projet de règlement, art. 4. 15 Règlement, art. 20. À compter du 1er avril 2016, et tel que prévu au Décret 1314-2013, le titulaire de permis devra plutôt s’assurer que la personne qui remplace est titulaire d’un certificat, datant d’au plus trois ans, attestant la réussite d’un cours de secourisme adapté à la petite enfance d’une durée minimale de huit heures comprenant un volet sur la gestion de réactions allergiques sévères ou d’un cours d’appoint d’une durée minimale de six heures visant la mise à jour des connaissances acquises dans le cadre du cours de secourisme adapté à la petite enfance. 16 Règlement, art. 22. 17 Règlement, art. 23.1 et 23.2. 18 Projet de règlement, art. 5 et 6. 19 Projet de règlement, art. 9. Il est à noter que si le Projet de règlement est adopté après l’entrée en vigueur du paragraphe 4 de l’article 82 du Règlement, le 1er avril 2016 (Décret 1314-2013, article 45), le BC n’aura plus à conserver au dossier de la RSG la preuve que sa remplaçante occasionnelle détient un certificat, datant d’au plus trois ans, attestant la réussite d’un cours de secourisme adapté à la petite enfance. 20 Règlement, art. 54.1. À compter du 1er avril 2016, et conformément au Décret 1314-2013, la RSG devra plutôt détenir, pour la personne qui l’assiste, les documents démontrant qu’elle est titulaire d’un certificat, datant d’au plus trois ans, attestant la réussite d’un cours de secourisme adapté à la petite enfance d’une durée minimale de huit heures comprenant un volet sur la gestion de réactions allergiques sévères ou d’un cours d’appoint d’une durée minimale de six heures visant la mise à jour des connaissances acquises dans le cadre du cours de secourisme adapté à la petite enfance. 21 Projet de règlement, art. 10. 22 Idem, art. 12 et Règlement, art. 82.2. 23 Idem, art. 14.
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L’importance de bien communiquer avec son assureur : Un CPE poursuivi
Les prestataires de services de garde éducatifs à l’enfance, tels les centres de la petite enfance et les garderies, doivent détenir différentes couvertures d’assurance, dont une assurance de biens et une assurance responsabilité. Bien que certains puissent penser que la seule souscription à une telle police d’assurance soit suffisante pour les protéger, il faut savoir que d’autres gestes sont nécessaires pour bénéficier d’une pleine protection. OBLIGATION DE DÉNONCER UN SINISTRE À VOTRE ASSUREUR La loi, tout comme votre contrat d’assurance, contient une obligation de dénoncer à votre assureur tout sinistre ou événement pouvant déclencher l’application de votre police d’assurance : « L’assuré doit déclarer à l’assureur tout sinistre de nature à mettre en jeu la garantie, dès qu’il en a eu connaissance. Tout intéressé peut faire cette déclaration.1 » Cette dénonciation doit se faire rapidement, c’est-à-dire dès que vous avez connaissance du sinistre en question, et tout défaut d’agir de la sorte pourrait causer bien des maux de tête, puisque l’assureur pourrait refuser de vous indemniser ou de vous défendre, partiellement ou totalement, s’il n’a pas été avisé rapidement et qu’il en subit un préjudice : « Lorsque l’assureur n’a pas été ainsi informé et qu’il en a subi un préjudice, il est admis à invoquer, contre l’assuré, toute clause de la police qui prévoit la déchéance du droit à l’indemnisation dans un tel cas.2 » Pourrait également s’en suivre une augmentation de votre prime ou même un non-renouvellement de votre contrat d’assurance à son échéance. Il importe donc d’être vigilant et d’aviser votre assureur de tout élément pouvant potentiellement mettre en jeu votre garantie. TENIR SON ASSUREUR AU COURANT DES NÉGOCIATIONS DE RÈGLEMENT La loi, tout comme votre contrat d’assurance, prévoit que l’assureur qui vous verse une indemnité pour compenser une perte matérielle bénéficie d’une subrogation légale automatique et qu’il pourra poursuivre le tiers responsable pour obtenir le remboursement de la somme qu’il vous a versée : « L’assureur est subrogé dans les droits de l’assuré contre l’auteur du préjudice, jusqu’à concurrence des indemnités qu’il a payées. Quand, du fait de l’assuré, il ne peut être ainsi subrogé, il peut être libéré, en tout ou en partie, de son obligation envers l’assuré.3 » Cette démarche est appelée, dans le jargon juridique, un « recours subrogatoire » et a notamment pour effet de faire perdre tout droit de l’assuré indemnisé contre le tiers pour la somme qu’il a reçue de l’assureur. Il est donc primordial d’informer votre assureur des processus de négociation que vous entamerez avec la partie adverse, si ce dernier n’a pas encore pris position sur la couverture ou versé d’indemnité. En effet, un règlement intervenu avec la partie adverse sans le consentement de l’assureur peut avoir un impact fatal sur le recours subrogatoire de celui-ci, comme ce fut le cas récemment dans l’affaire Société d’assurances générales Northbridge c. Maruca4 (ci-après respectivement nommées « Northbridge » et « Maruca »). Dans cette affaire, la défenderesse Maruca avait travaillé comme assistante administrative pour un centre de la petite enfance (ci-après nommé « CPE »). Elle était également responsable de la préparation et de la gestion des paies. Or, Maruca achetait avec la carte de crédit du CPE des biens destinés à son usage personnel. Elle avait ainsi détourné plusieurs milliers de dollars et s’était versé un surplus de salaire non autorisé. Le CPE avait avisé son assureur de ces événements et celui-ci, après avoir analysé le dossier, a versé au CPE la somme de 19 108 $ aux termes d’une garantie contre la malhonnêteté. Cependant, en parallèle de cette réclamation et sans en aviser son assureur, le CPE a introduit une demande en justice contre Maruca le 29 mars 2012 afin de lui réclamer, notamment, une compensation pour les fautes commises. Cette demande en justice a été réglée en décembre 2013, par la signature d’une entente intitulée « Receipt, release, waiver, discharge and transaction » dont l’extrait pertinent se lit comme suit : « [TRADUCTION] Considérant ce qui suit, et sous réserve des termes et conditions de la Transaction, par la présente les parties renoncent immédiatement et de façon définitive, à toutes réclamations, tous droits, recours, droits d’actions, sommes et paiements qu’ils ont eus, ont ou auront dans le futur, pour ou contre l’autre, et donnent une libération, décharge et exonération réciproque, complète, finale, définitive, inconditionnelle et immédiate de toutes réclamations passées, présentes et futures, qu’ils ont eues, ont ou auront, directement ou indirectement liées au litige sous le dossier de la Cour du Québec no 500-22-191245-128. » Après avoir versé l’indemnité, l’assureur Northbridge, ignorant l’existence de cette action en justice, a introduit à son tour une demande en justice contre Maruca en août 2014. Il lui réclamait, comme il est habituel, l’indemnité versée et joignait le CPE au recours pour que celui-ci récupère sa franchise de 500 $. Or, puisque la transaction de décembre 2013 prévoyait une quittance finale de toute réclamation « directly or indirectly relating to or arising from the litigation under Quebec court number 500-22-191245-128 », le juge a conclu que Northbridge, à titre de subrogée, ne pouvait avoir plus de droits que son assuré. En l’espèce, chacune des deux demandes en justice, soit la demande initiale du CPE en 2012 et celle de Northbridge en 2014, réclamait une indemnité pour compenser le préjudice résultant des mêmes fautes, soit l’utilisation illégale de la carte de crédit du CPE et le paiement non autorisé d’un salaire additionnel. Les allégations quant aux dates où ces fautes auraient été commises et découvertes étaient aussi les mêmes dans chacun des deux dossiers. Le juge conclut donc que les montants réclamés dans le dossier de Northbridge étaient identiques ou inférieurs à ceux réclamés dans la demande en justice du CPE, laquelle a pris fin en 2013. En conséquence, le recours de Northbridge a été rejeté. Tel que l’illustre ce jugement de la Cour du Québec, l’omission de dénoncer le dépôt d’une procédure concernant les mêmes événements que ceux à l’origine de la demande d’indemnité à l’assureur et le fait d’avoir réglé le dossier sans jamais en avoir informé l’assureur, ont fait perdre à ce dernier ses droits en vertu de la subrogation légale et il n’a pu obtenir compensation pour l’indemnité qu’il a versée en vertu du contrat d’assurance. Cette fois-ci, les conséquences sont plus graves encore pour le CPE que le simple risque d’augmentation de la prime ou le non-renouvellement de l’assurance; en effet, Northbridge, ayant perdu ses droits par la faute du CPE, a introduit une demande en justice lui réclamant le remboursement de l’indemnité versée de même que les frais afférents à cette poursuite5. CONCLUSION Il est donc primordial d’aviser votre assureur de l’existence de tout élément pouvant donner lieu à une réclamation aux termes de votre couverture d’assurance ainsi que de toute démarche de règlement afférente à un tel événement. Vos relations avec ce dernier ne s’en porteront que mieux et cela limitera ainsi les risques de complication légale et financière. Mieux vaut prévenir que guérir! 1 Art. 2470 al. 1 du Code civil du Québec, RLRQ, c. C-1991 (ci-après « C.c.Q. »). 2 Art. 2470 al. 2 C.c.Q. 3 Art. 2474 al. 1 C.c.Q. 4 Société d’assurance générale Northbridge c. Maruca, 2014 QCCQ 10083 (C.Q.). 5 Société d’assurance générale Northbridge c. Centre de la petite enfance St-Andrew’s, no 500-22-219992-156 (C.Q.).
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Le projet de loi 42 et la réorganisation des institutions québécoises en matière de travail
Le 12 juin dernier, le projet de loi 42, intitulé « Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du travail1 » (la « Loi regroupant la CÉS, la CNT et la CSST et instituant le TAT » ou la « Loi ») a été sanctionné. Les grandes lignes de cette Loi sont sans équivoque : elle a pour objet la réorganisation des structures administratives en matière de travail. ESSENTIELLEMENT, LA LOI PRÉVOIT : la fusion de la Commission de l’équité salariale (« CÉS »), de la Commission des normes du travail (« CNT ») et de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») en un seul et unique nouvel organisme administratif, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST »); la fusion de la Commission des relations du travail (« CRT ») et de la Commission des lésions professionnelles (« CLP ») en un seul tribunal, le Tribunal administratif du travail (« TAT »). Il est prévu que les nouvelles structures seront fonctionnelles le 1er janvier 2016, date d’entrée en vigueur des principales dispositions de cette Loi. LA COMMISSION DES NORMES, DE L’ÉQUITÉ, DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL Cette nouvelle commission regroupera trois organismes dont la finalité est fort différente, bien qu’ils possèdent tous des pouvoirs d’inspection et d’enquête : la CSST, qui gère le régime d’indemnisation des travailleurs victimes d’une lésion professionnelle et veille à l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »), de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (« LSST ») et de leurs règlements; la CNT, qui a pour mandat d’assurer le respect de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») et de ses règlements et, le cas échéant, de prendre les procédures administratives, civiles ou pénales nécessaires pour inciter les employeurs à respecter la Loi ou réclamer les sommes dues à un employé; la CÉS, qui a pour mandat de veiller au processus d’évaluation des emplois pour s’assurer de l’équité salariale entre les employés de sexe masculin et féminin au sein d’une entreprise. À l’avenir, les employeurs devront traiter avec un seul organisme, la CNESST. Toutefois, en raison du caractère distinct des missions dont sera désormais investie la CNESST, il ne serait pas surprenant qu’il se crée, dans les faits, une division de la santé et de la sécurité du travail, une division des normes du travail et une division de l’équité salariale. De plus, comme le souligne le Conseil du patronat du Québec (« CPQ ») dans ses commentaires sur le projet de loi 422, « la direction de la nouvelle commission devra inévitablement prendre les moyens appropriés pour éviter tout conflit dans des questions potentiellement connexes, en application de régimes différents ». Le CPQ fait notamment référence aux situations de harcèlement psychologique pouvant faire l’objet à la fois d’une plainte en matière de normes du travail et d’une réclamation pour lésion professionnelle, dossiers soumis à des critères d’appréciation différents selon le régime applicable. Le CPQ ajoute que « la prévention des conflits d’intérêts sera nécessaire également sur le plan des services juridiques de la nouvelle commission, dans la mesure où certains des juristes de cet organisme seront appelés à représenter des employés en vertu de la Loi sur les normes du travail3.» LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL La Loi prévoit que le TAT acquière les droits et assume les obligations de la CRT et de la CLP4, lesquelles ont également des vocations fort différentes. La CRT est chargée de disposer des recours formés en vertu de plusieurs lois du travail, dont le Code du travail, la LNT et la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, alors que la CLP est chargée de disposer des recours formés en vertu de la LATMP et de la LSST. Pour traduire cette diversité, la Loi prévoit spécifiquement que le TAT sera composé de quatre divisions : la division des relations du travail la division de la santé et la sécurité du travail la division des services essentiels la division de la construction et de la qualification professionnelle En somme, ce nouveau tribunal aura compétence sur les matières contentieuses découlant de la plupart des lois particulières en matière de travail. La Loi prévoit une uniformisation de la procédure applicable pour s’adresser au TAT et confère à son président des pouvoirs très étendus. À titre d’exemple, il est prévu que le président du TAT affectera ses membres à une ou plusieurs de ses divisions et pourra changer une affectation ou affecter temporairement un membre à une autre division5. Ces dispositions relatives à l’affectation d’un membre à une section du TAT revêtent une importance certaine. Il est évident que les membres de la CLP ont développé une expertise médico-légale en matière de lésions professionnelles que les membres de la CRT ne possèdent pas. À l’inverse, ces derniers ont développé une expertise notamment en matière de relations du travail patronales/ syndicales et de congédiement. Bien que la Loi prévoie que le président tienne compte des connaissances et de l’expérience spécifiques de ses membres dans la répartition du travail6, rien ne l’y oblige. Il sera donc intéressant de voir si le président du TAT privilégiera une approche généraliste selon laquelle les membres du TAT seront affectés à plusieurs divisions ou si, à l’inverse, la spécialisation des membres du nouveau tribunal sera sauvegardée par des affectations à une division en particulier. À titre d’exemple, en vertu du droit actuel, un employé qui prétend avoir été congédié ou avoir subi des représailles parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle peut porter plainte devant la CSST en vertu de l’article 32 de la LATMP et la décision de la CSST peut être contestée devant la CLP. Or, les dispositions de la Loi ne prévoient pas comment, par exemple, une telle plainte sera désormais traitée. Une telle plainte sera-t-elle entendue par un membre de la division de la santé et de la sécurité du travail du TAT ou par un membre affecté à la division des relations du travail ? Un autre exemple de situation dont la Loi ne dispose pas de manière définitive est celui des règles de preuve et de procédure applicables devant le TAT. Présentement, la CRT et la CLP ont des règles de preuve et de procédure distinctes. La Loi prévoit une procédure unique pour les recours devant le TAT7, mais celle-ci devra être complétée par l’adoption d’un règlement précisant les règles de preuve et de procédure propres au TAT, dont nous ne connaissons pas encore les tenants et aboutissants. Toutefois, ces nouvelles règles pourraient influencer de manière considé- rable le processus de déroulement de l’instance tel que nous le connaissons présentement. Par ailleurs, la Loi prévoit que, dans le cadre d’une audition, un membre du TAT peut visiter les lieux ou ordonner qu’une expertise soit préparée par une personne qualifiée qu’il désigne pour l’examen et l’appréciation des faits relatifs à l’affaire dont il est saisi8. Ainsi, l’adjudicateur peut demander à une tierce personne qu’il désigne de lui faire part de son opinion et de son appréciation des faits d’un litige qui est devant lui. Présentement, la CLP dispose de tels pouvoirs9, mais pas la CRT. La Loi ne précise pas si ce pouvoir sera limité à la division de la santé et de la sécurité du travail ou s’il sera applicable à toutes les divisions. Une telle généralisation de ce pouvoir est susceptible d’avoir des répercussions importantes sur la façon dont les litiges en matière de relations du travail seront adjugés devant le nouveau tribunal administratif. QUELQUES AUTRES ASPECTS DE LA LOI REGROUPANT LA CÉS, LA CNT ET LA CSST ET INSTITUANT LE TAT La Loi prévoit également les changements suivants : La CNT est actuellement financée exclusivement par des contributions d’employeurs. Le surplus de plusieurs dizaines de millions de dollars accumulé par la CNT, suivant les dispositions de la Loi10, sera transféré au fonds consolidé du revenu afin de l’affecter au fonds des générations, lequel vise à réduire la dette publique. Le TAT sera financé en grande partie par les cotisations versées par les employeurs, notamment en vertu de la LATMP et de la LNT11. Un travailleur dont la réclamation pour une lésion professionnelle fait l’objet d’une demande de partage de coûts par l’employeur aura désormais le droit d’intervenir dans cette demande de partage de coûts12. À première vue, puisque le transfert de sommes imputées à un dossier à la suite d’une lésion professionnelle n’affecte en rien les prestations reçues par un travailleur, celui-ci aurait peu ou pas d’intérêt à intervenir dans un tel litige et ce nouveau droit ne pourrait qu’alourdir le processus en matière de partage de coûts. En milieu syndiqué, le délai pour porter plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail, qui traite de plaintes à l’égard de manquements d’un syndicat, est précisé. La Loi prévoit que le salarié doit porter plainte à l’égard de tout manquement « dans les six mois de la connaissance de l’agissement dont il se plaint13 ». Or, le Code du travail prévoit actuellement qu’une telle plainte doit être déposée dans les six mois, sans référence à la connaissance de l’agissement à l’origine de cette plainte. En raison des délais qui peuvent s’écouler entre la prise d’une décision à l’égard d’un salarié et l’exercice par celui-ci de ce droit tel que prévu par la Loi, les employeurs devront s’assurer de bien documenter les mesures prises à l’égard de salariés, puisqu’un dossier pourra refaire surface plusieurs mois après la prise d’une décision. En vertu du Code du travail actuellement en vigueur, l’autorisation de la CRT est nécessaire pour déposer une de ses décisions auprès de la Cour supérieure dans le but d’en forcer l’exécution. Or, la Loi élimine cette étape et prévoit que l’exécution forcée d’une décision du TAT se fera désormais simplement « par le dépôt de celle-ci au greffe de la Cour supérieure14 ». CONCLUSION Malgré la dissolution planifiée des organismes de travail actuels, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale affirme que les services et la mission de ceux-ci seront maintenus15. Reste à voir si, dans les faits, tant la CNESST que le nouveau TAT préserveront réellement l’expertise développée par leurs organismes prédécesseurs spécialisés. L’adoption de règles de preuve et procédure particulières qui seront applicables devant le TAT est également à surveiller. 1 L.Q. 2015, c. 15. 2 Conseil du patronat du Québec, « Commentaires sur le projet de loi n° 42 », avril 2015, 3 Id., 11. 4Loi regroupant la CÉS, la CNT et la CSST et instituant le TAT, art. 255. 5 Id., art. 83. 6 Id. 7 Id., art. 262 et 263. 8 Id., art. 41. 9 LATMP, art. 429.40 10 Loi regroupant la CÉS, la CNT et la CSST et instituant le TAT, art. 240. 11 Id., art. 97 et s. 12 Id., art. 113. 13 Id., art. 131 et 132. 14 Id., art. 51. 15 Journal des débats de l’Assemblée nationale, 1ère sess., 41e légis., 21 mai 2015, « Adoption du principe du projet de loi n° 42 – Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du Travail », 11h30 (M. Hamad).
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Un arrêt important de la Cour d’appel modifie l’application de l’obligation d’accommodement d’un employeur dans le contexte d’une lésion professionnelle
Le 15 juin dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu un important jugement dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Caron1 (« Caron ») qui a pour effet de modifier l’état actuel du droit concernant l’application de l’obligation d’accommodement d’un employeur dans le contexte d’une lésion professionnelle. La Cour justifie son intervention par la nécessité d’harmoniser l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles2 (« LATMP ») avec les récents arrêts de la Cour suprême du Canada en matière d’accommodements raisonnables de personnes souffrant d’un handicap3. Au terme de son analyse, la Cour d’appel conclut qu’un employeur doit, dans le cadre de l’exercice du droit de retour au travail d’un travailleur et de la recherche d’un emploi convenable, procéder à un exercice d’accommodement raisonnable conforme aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne4 (la « Charte ») et ce, jusqu’à la contrainte excessive. Cette décision modifie l’état du droit puisque, selon la jurisprudence actuelle, les mesures de réadaptation prévues par la LATMP constituaient, en elles-mêmes, une mesure d’accommodement. Toujours selon cette jurisprudence, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») et la Commission des lésions professionnelles (« CLP »)5 ne possédaient pas le pouvoir d’imposer, de recommander ou de suggérer quelque forme d’accommodement que ce soit6 et, par conséquent, refusaient d’appliquer les dispositions de la LATMP à la lumière des dispositions de la Charte7. L’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Caron Cet arrêt aura vraisemblablement pour effet de modifier la manière dont tous les intervenants, y compris la CSST , les employeurs, les travailleurs et leurs syndicats, le cas échéant, aborderont le processus de détermination d’un emploi convenable. Nous en résumons les passages d’intérêt en quelques points : Actuellement, la LATMP ne prévoit aucune mesure d’accommodement et n’impose aucune obligation pour un employeur de trouver à un de ses travailleurs victime d’une lésion professionnelle un emploi convenable dans son entreprise. Parallèlement, la jurisprudence développée en matière d’accommodement impose à l’employeur le devoir de prendre l’initiative de la recherche d’une solution d’accommodement acceptable pour un travailleur victime d’un handicap au sens de la Charte, ce qui est manifestement le cas d’un travailleur qui conserve des limitations fonctionnelles à la suite d’une lésion professionnelle. Afin d’éviter qu’un travailleur dont le handicap résulte d’une lésion professionnelle ne soit désavantagé par rapport à celui dont le handicap résulte d’une condition personnelle, la mise en oeuvre du devoir d’accommodement d’un employeur doit aller au-delà de la simple application des dispositions de la LATMP. L’employeur devra donc désormais tenter de trouver une solution d’accommodement acceptable pour le travailleur dont la lésion professionnelle a entraîné des limitations fonctionnelles et ne pourra plus se limiter à affirmer qu’il ne possède aucun emploi convenable au sein de son entreprise. La CSST et la CLP ont le pouvoir de vérifier si cet exercice d’accommodement a été réalisé par l’employeur, avant ou après l’identification d’un emploi convenable, dans le contexte de l’application des dispositions de la LATMP. L’exercice d’accommodement exigé de l’employeur ne lui impose pas l’obligation de modifier fondamentalement les conditions de travail d’un travailleur; toutefois, il devra participer à l’effort de réintégration du travailleur au sein de son entreprise et, le cas échéant, rechercher un accommodement raisonnable, voire aménager ses tâches afin de lui permettre de fournir sa prestation de travail, sous réserve d’une contrainte excessive. Enfin, puisque l’obligation d’accommodement doit faire l’objet d’une évaluation globale de la situation en cause, le délai de un ou deux ans, selon le cas, au cours duquel un travailleur peut exercer son droit de retour au travail prévu à l’article 240 de la LATMP devra, à l’avenir, constituer tout au plus un facteur à considérer, sans toutefois être déterminant. Conformément aux enseignements de la Cour suprême du Canada en matière d’accommodement, les employeurs ne pourront refuser qu’un travailleur occupe un emploi convenable au sein de leur établissement en se fondant sur une application automatique de cet article, invoquant l’expiration du délai de un ou de deux ans du travailleur pour exercer son droit de retour au travail. Les employeurs devront plutôt, dans tous les cas, être en mesure de démontrer qu’ils ont tenté d’accommoder le travailleur affecté d’un handicap. Dans l’éventualité où la CLP conclurait que l’affirmation d’un employeur selon laquelle il n’a aucun emploi convenable à offrir à un travailleur résulte d’une atteinte illicite à un droit protégé par la Charte, elle pourra exercer les pouvoirs de réparation dont elle dispose en vertu de cette loi. Nos commentaires Cet arrêt de la Cour d’appel revêt, selon nous, une importance capitale pour les employeurs québécois, dans la mesure où il les forcera probablement à réviser leurs pratiques de gestion de dossiers de lésions professionnelles. De la même façon, le processus de recherche d’un emploi convenable pourrait devenir plus complexe et délicat qu’il ne l’est déjà et ce, pour toutes les parties impliquées. À tout événement, les employeurs devront désormais démontrer qu’ils ont procédé à la recherche active d’un accommodement raisonnable avant de pouvoir affirmer qu’ils ne disposent d’aucun emploi convenable au sein de leur entreprise pour un de leurs travailleurs accidentés. La tenue d’une documentation soignée de telles démarches sera donc utile, voire nécessaire. Pour leur part, les travailleurs et leurs syndicats auront l’obligation de collaborer au processus de recherche d’emploi convenable. En effet, si l’employeur a une obligation d’accommodement, le travailleur a l’obligation corollaire d’accepter l’accommodement proposé, lorsque celui-ci est raisonnable. Il sera également intéressant de suivre la manière dont la CSST et la CLP appliqueront cet arrêt de la Cour d’appel. Enfin, les arrêts que la Cour d’appel rendra dans deux autres affaires8 pendantes sont également à surveiller, car celle-ci a clairement souligné dans l’affaire Caron qu’elle pourrait y réexaminer la question connexe de la compétence de l’arbitre de griefs relativement à des droits accordés à un travailleur par une convention collective à la suite d’une lésion professionnelle9. 2015 QCCA 1048 (C.A.). RLRQ c A-3.001. Citons notamment les affaires Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000, [2008] 2 R.C.S. 561 et Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161. RLRQ c C-12. Notons qu’en vertu de la Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du Québec, L.Q. 2015, c. 15, à compter du 1er janvier 2016, ces organismes porteront les noms de « Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail » et de « Tribunal administratif du travail ». Voir notamment Mueller Canada inc. c. Ouellette, [2004] R.J.Q. 1397 (C.A.), par. 60.; Gauthier c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeois, 2007 QCCA 1433 (C.A.), par. 68. Voir notamment Caron et Centre Miriam, 2012 QCCLP 3625 (C.L.P.) et Tremblay et Automobiles Chicoutimi (1986) inc., 2015 QCCLP 2278 (C.L.P.). Il s’agit des affaires Syndicat du préhospitalier (FSSS -CSN) c. Fortier, 2013 QCCS 2480 (C.S.) et McGill University Non-Academic Certified Association (MUNACA) c. Bergeron, 2013 QCCS 1175 (C.S.). Affaire Caron, par. 47 et 91.