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Probité des conseillers financiers et discrétion de l’Autorité des marchés financiers : la Cour d’appel du Québec se prononce
Dans un arrêt rendu le 20 mai dernier1, la Cour d’appel du Québec a confirmé un jugement2 de la Cour supérieure du Québec du 28 octobre 2013 rejetant le recours en dommagesintérêts de plus de 7 millions de dollars intenté par un ancien représentant en assurance de personnes et en courtage en épargne collective, M. Alan Murphy, contre l’Autorité des marchés financiers (« AMF »). Les faits M. Murphy a été reconnu coupable en 2007 par le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière de 32 chefs d’accusation3, a été radié de façon permanente et s’est vu imposer des radiations provisoires de trois ans et d’un an ainsi que des amendes s’élevant à 20 000 $. Il a ensuite obtenu un sursis d’exécution quant à sa radiation permanente et au paiement des amendes4. Sa peine a été réduite à une radiation temporaire d’une année ainsi qu’au paiement d’une amende de 12 000 $ après en avoir demandé la révision devant la Cour du Québec5. Malgré la révocation de son certificat, M. Murphy a continué d’agir comme représentant malgré les nombreux avis de l’AMF, ce qui a largement contribué à alourdir son dossier disciplinaire. Après l’écoulement de la période de radiation temporaire, l’AMF a refusé de remettre en vigueur le certificat d’exercice de M. Murphy. Prétendant que l’AMF avait de ce fait agi de manière excessive, déraisonnable et contraire aux exigences de la bonne foi en multipliant les embûches administratives, les inspections et les enquêtes, il a poursuivi l’AMF devant la Cour supérieure soutenant que ces actes présentaient la mauvaise foi requise lui permettant de réclamer des dommages de 7 millions de dollars. Il s’est entre autres appuyé sur le jugement de la Cour du Québec qui a modifié sa sanction et blâmé l’AMF De son côté, l’AMF a fait valoir que son refus de délivrer un nouveau certificat à M. Murphy était justifié, invoquant le manque de probité nécessaire pour qu’il puisse exercer ses activités de représentant en assurance de personnes et en courtage en épargne collective. Essentiellement, la question en litige portait sur l’immunité relative conférée à l’AMF pour les actes accomplis de bonne foi et dans l’exercice de ses fonctions, tel que le prévoit l’article 32 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers6. Le jugement de la Cour d’appel D’abord, la Cour précise que la clause dont bénéficie l’AMF est comparable à celle qui est accordée aux ordres professionnels québécois. Elle rappelle ensuite l’arrêt de principe en matière de clauses d’immunité relative, l’arrêt Finney7 de la Cour suprême du Canada qui précise que la mauvaise foi englobe notamment la faute intentionnelle, laquelle peut constituer un abus de pouvoir. Cette notion englobe également l’incurie ou l’insouciance grave qui « implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir à un tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi »8. Ensuite, afin d’établir si M. Murphy possède la probité nécessaire lui permettant d’exercer ses activités de conseiller en assurances collectives, la Cour examine les nombreuses décisions rendues par l’AMF à son endroit. Il faut bien comprendre que M. Murphy a saisi tous les moyens à sa disposition afin de contester9 les décisions rendues à son endroit en choisissant malgré tout de continuer d’exercer sa profession alors qu’il ne possédait plus le certificat lui permettant de pratiquer de sorte que des plaintes de nature pénale10 furent également logées contre lui. C’est ainsi que la Cour d’appel conclut que l’article 220 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers11 (« LDPSF ») permettant à l’AMF de délivrer un certificat relève de la compétence exclusive et discrétionnaire de l’AMF qui possède la prérogative d’apprécier la probité des personnes demandant l’autorisation d’exercer des activités de conseiller financier. Le fait que M. Murphy ait exercé illégalement des activités réservées aux représentants constitue un motif suffisant pour permettre à l’AMF de conclure à son manque de probité conformément aux articles 219 et 220 de la LDPSF. La Cour retient que l’AMF a apprécié adéquatement le manque de probité de M. Murphy en refusant la délivrance de son certificat. Conséquemment, l’AMF bénéficie selon la Cour d’appel de l’immunité conférée par l’article 32 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers à l’encontre de l’action entreprise par M. Murphy. Le jugement de la Cour supérieure qui a rejeté son recours est donc confirmé. Murphy c. Autorité des marchés financiers, 2016 QCCA 878. Murphy c. Autorité des marchés financiers, 2013 QCCS 5764. Rioux c. Murphy, 12 juin 2007, no CD00-0404. Murphy c. Chambre de la sécurité financière, 2007 QCCQ 7950. Murphy c. Chambre de la sécurité financière, 2008 QCCQ 5427; Murphy c. Autorité des marchés financiers, 2010 QCCA 1078; Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2011-01-27) 33860. Loi sur l’Autorité des marchés financiers, RLRQ, c. A-33.2. Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17. Id., par. 40. 2008-PDIS-0086 (25 juillet 2008); 2008-DIST-0090 (19 septembre 2008); 2009-PDIS- 0190 (23 juillet 2009); Murphy c. Albert, 2009 QCCS 6366; Murphy c. Albert, 2011 QCCA 1147; 2011-PDIS-0249 (7 octobre 2011); Numéro inconnu (10 janvier 2012). Autorité des marchés financiers c. Murphy, 2010 QCCQ 11692; Murphy c. Autorité des marchés financiers, 2011 QCCS 3510; Murphy c. Autorité des marchés financiers, 2011 QCCA 1688; Autorité des marchés financiers c. Murphy, 2016 QCCQ 2992. RLRQ, c. D-9.2.
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Fraude, nullité et assurance de responsabilité professionnelle obligatoire : la Cour d’appel du Québec se prononce
Le 16 mai 2016, la Cour d’appel du Québec s’est prononcée1 sur la possibilité pour un assureur de responsabilité professionnelle d’invoquer la nullité de la police en raison de fausses déclarations ou de réticences de l’assuré. Cet arrêt est d’intérêt puisqu’il se prononce sur la question inédite de savoir si un assureur de responsabilité peut demander la nullité d’un contrat d’assurance que son assuré doit obligatoirement détenir en vertu de la législation applicable. Les faits Afin de préparer leur retraite, Jean-Pierre Brunet (« Brunet ») et Giovanni Berretta (« Berretta ») ainsi que leurs sociétés de portefeuille ont investi plus de 2,5 M$ par l’intermédiaire d’un cabinet de courtage en épargne collective, Gestion de capital Triglobal inc. (« Triglobal ») et de son président et administrateur, Thémiskoklis Papadopoulos (« Papadopoulos ») , inscrits auprès de l’Autorité des marchés financiers. Papadopoulos a géré le patrimoine de Brunet et Berretta et l’a investi ainsi que celui de plusieurs autres investisseurs dans deux fonds extraterritoriaux situés aux Bahamas et aux Îles Cayman. Axa Assurances inc. (« Axa ») a été l’assureur de responsabilité de Triglobal et de ses 200 représentants jusqu’au début de l’année 2008. En 2007, un quotidien a fait état d’allégations selon lesquelles les fonds extraterritoriaux dans lesquels Brunet et Berretta avaient investi ont fait l’objet de malversations par Triglobal, Papadopoulos et un autre actionnaire. Quelques jours plus tard, le quotidien a publié un rectificatif partiel nuançant ses propos. Axa a alors décidé, sur le fondement des réponses fournies par Triglobal et ses représentants, de prolonger la couverture des polices d’assurance en vigueur et de les renouveler par la suite. Or, quelques mois après le renouvellement des polices d’assurance, une ordonnance de blocage, d’interdiction d’opérations sur valeurs et d’interdiction d’agir à titre de conseillers en valeurs a été prononcée contre Triglobal et Papadopoulos en vertu de certains articles alors en vigueur de la Loi sur l’autorité des marchés financiers2 et de la Loi sur les valeurs mobilières3. Un administrateur provisoire a également été nommé. Quelques jours plus tard, Axa a informé Triglobal qu’elle annulait sa police d’assurance. Les faits mis en preuve révèlent que Papadopoulos et l’un de ses acolytes ont fait transiter par les fonds extraterritoriaux certains placements confiés à Triglobal en vue de spolier certains investisseurs dont Brunet, Berretta et leurs sociétés par l’utilisation d’un montage financier frauduleux, soit un « stratagème à la Ponzi ». Brunet, Berretta et leurs sociétés ont poursuivi Axa à titre d’assureur de responsabilité de Triglobal afin de récupérer leur perte. Le jugement de la Cour supérieure4 Le juge de première instance en vient à la conclusion qu’Axa pouvait demander la nullité de la police. Selon lui, les dirigeants de Triglobal ont manqué à leur obligation de déclarer les circonstances de nature à influencer de façon importante le risque, à savoir, le montage financier frauduleux. Axa était justifiée d’annuler la police puisque si elle avait connu toutes les circonstances entourant le risque, elle n’aurait pas accepté d’émettre la police. Il a donc rejeté l’action de Brunet, Berreta et de leurs sociétés. Le jugement de la Cour d’appel La Cour d’appel confirme unanimement le jugement de la Cour supérieure. D’une part, elle rejette l’argument de Brunet et Berretta selon lequel la police d’assurance de Triglobal ne peut être annulée puisque les dispositions d’ordre public de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (« LDPSF »)5 et du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (« RCRASA »)6 obligent Triglobal et ses courtiers à détenir une police d’assurance de responsabilité. Après avoir analysé les dispositions pertinentes de la LDPSF et du RCRASA, elle conclut que rien dans ces dispositions n’écarte les principes fondamentaux qui régissent les relations entre un assureur et un assuré. Elle précise que rien dans les arrêts Souscripteurs du Lloyd’s c. Alimentation Denis & Mario Guillemette inc.7, Audet c. Transamerica Life Canada8, ou Larrivée c. Murphy9, n’appuie la thèse selon laquelle des dispositions d’ordre public obligeant un professionnel à détenir de l’assurance de responsabilité n’écarte le principe selon lequel l’assuré a l’obligation de déclarer toutes les circonstances pertinentes à l’évaluation du risque par l’assureur. Ainsi, se fondant sur l’article 2410 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), un assureur de responsabilité peut invoquer la nullité de sa police d’assurance si des circonstances importantes susceptibles d’influencer sa décision d’accepter le risque ne lui ont pas été divulguées. D’autre part, la Cour d’appel conclut que les conditions d’application de l’article 2410 C.c.Q. sont respectées. Les fausses déclarations et réticences de Papadopoulos quant à la nature véritable de ses activités frauduleuses lors de la déclaration de risques à Axa sont imputables à Triglobal puisqu’à titre d’administrateur et président, il en était l’alter ego. En effet, la preuve révèle que c’est par son intermédiaire que Triglobal s’est exprimée lorsqu’elle a transmis l’information pertinente à l’évaluation du risque par Axa en cachant la nature véritable du stratagème frauduleux, ce qui dénaturait le risque assuré. Si le véritable risque lui avait été révélé, Axa n’aurait pas accepté d’émettre la police d’assurance. Cette conclusion aurait cependant pu être différente si Papadopoulos n’avait été qu’un employé de Triglobal. L’article 2464 C.c.Q. oblige l’assureur de responsabilité à verser l’indemnité lorsqu’il est lui-même garant du préjudice dont son assuré est responsable en raison du fait d’une autre personne, par exemple un employeur envers son employé. Conclusion Il s’agit de la première décision de la Cour d’appel du Québec sur la question de savoir si un assureur peut demander la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité qu’un de ses assurés doit obligatoirement détenir selon la réglementation. Elle confirme qu’à moins d’une disposition expresse prévue par le législateur l’interdisant, un assureur peut demander la nullité de la police d’assurance si les conditions pour ce faire sont respectées. Brunet c. Axa Assurances inc., 2016 QCCA 832, juges France Thibault, Yves-Marie Morissette et Mark Schrager. RLRQ c. A-33.2. RLRQ c. V-1.1. Brunet c. Axa Assurances, 2014 QCCS 5227. RLRQ c. D-9.2. RLRQ c. D-9.2, r. 2. 2012 QCCA 1376. 2012 QCCA 1746. 2014 QCCA 305.
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La Cour d’appel du Québec se prononce sur l’obligation de défendre et l’exclusion de la responsabilité assumée par contrat
Le 4 avril dernier, dans l’arrêt Aldo Group inc. c. Chubb Insurance Company of Canada1, la Cour d’appel s’est prononcée sur l’obligation de défendre son assurée et sur l’interprétation à donner à une clause excluant la couverture d’assurance pour la responsabilité assumée contractuellement par l’assurée. L’arrêt met en relief les difficultés d’interprétation auxquelles les parties et les tribunaux peuvent être confrontés devant des contrats complexes alors que les parties n’ont pas fait la preuve de leurs intentions respectives lors de la conclusion du contrat. Il illustre aussi l’importance d’analyser chaque police d’assurance au cas par cas. Les faits Le Groupe Aldo inc. (« Aldo ») a conclu diverses ententes, notamment avec Moneris (« Moneris »), l’un des mandataires de la Banque de Montréal (« BMO »), pour faciliter les achats faits par ses clients avec des cartes de crédit Mastercard. Aux termes de ces ententes, Aldo s’engageait envers Moneris à respecter des normes de sécurité informatique afin de protéger les renseignements personnels de ses clients. Elle s’engageait notamment à payer des pénalités et d’autres frais en cas de violation. Moneris a à son tour conclu des ententes semblables avec Mastercard. Aldo a par la suite été victime d’une intrusion informatique ayant mis en péril les données relatives à ses clients. En vertu des ententes conclues, Mastercard a prélevé auprès de Moneris plus de 4,8 M$ en pénalités et autres frais, que Moneris a à son tour prélevés auprès d’Aldo. Mentionnons qu’aucun débat n’a eu lieu puisque ces frais ont été automatiquement prélevés de sorte qu’Aldo n’a pas pu les contester. Aldo a plutôt intenté une réclamation en Ontario contre Moneris et Mastercard alléguant que les montants prélevés l’avaient été injustement. Aldo a demandé à la Cour supérieure d’ordonner à son assureur de responsabilité, Chubb du Canada compagnie d’assurance (« Chubb »), d’assumer ses frais juridiques, sa défense, dans le cadre de l’action qu’elle a instituée en Ontario. Le jugement de première instance La Cour supérieure a rejeté la requête visant à obliger Chubb à assumer les frais juridiques d’Aldo2 ou, autrement dit, sa défense, dans le cadre de la réclamation intentée en Ontario contre Moneris et Mastercard. Bien qu’après avoir interprété les termes du contrat d’assurance liant Aldo et Chubb elle en vienne à la conclusion que l’action entreprise par Aldo pouvait constituer une réclamation au sens de la police d’assurance, la juge de la Cour supérieure a conclu que l’exclusion visant la responsabilité assumée contractuellement par l’assurée s’appliquait. Elle a également conclu qu’Aldo avait renoncé contractuellement à certains des droits qu’elle aurait pu faire valoir contre Moneris ou Mastercard, ce qui justifiait Chubb de refuser d’assumer sa défense. Le jugement de la Cour d’appel Deux commentaires liminaires de la Cour d’appel paraissent importants pour les parties et les avocats devant résoudre des problèmes d’interprétation de polices d’assurance. D’une part, la Cour d’appel mentionne que cet arrêt n’est pas destiné « à faire école » puisqu’il vise l’analyse de contrats liant les parties et une police d’assurance spécifique à l’espèce. Autrement dit, chaque situation doit s’analyser à la lumière de la police d’assurance en présence et aux faits propres à chaque situation. D’autre part, la Cour d’appel insiste sur l’absence de preuve quant aux circonstances entourant la négociation et la conclusion du contrat d’assurance entre Aldo et Chubb dont l’exclusion spécifique faisant l’objet du débat. À défaut de preuve sur les négociations ayant mené à la conclusion du contrat ou sur l’application de cette clause d’exclusion dans le passé, seul le texte de la police d’assurance peut être analysé selon les règles d’interprétation applicables. Sur le fond, la Cour d’appel en vient premièrement à la conclusion que l’action instituée par Aldo contre Moneris et Mastercard est une réclamation (« claim ») au sens de la police d’assurance. Vu les termes du contrat, le seul fait qu’Aldo ait elle-même institué la procédure plutôt que d’avoir été poursuivie ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que l’obligation de défendre de Chubb n’est pas enclenchée. Deuxièmement, la Cour d’appel décide, contrairement à la juge de première instance, qu’Aldo n’a pas renoncé contractuellement à faire valoir certains droits contre Mastercard et Moneris comme Chubb le prétendait. Le seul fait que des prélèvements représentant le montant des pénalités imposées aient été effectués ne constitue pas une renonciation à un droit de contestation. Au surplus, on ne peut reprocher à Aldo d’avoir fait défaut de collaborer avec Chubb. Troisièmement, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance et conclut que la réclamation de Moneris contre Aldo est de nature contractuelle. L’exclusion contenue au contrat d’assurance pour la responsabilité assumée contractuellement par l’assurée trouve donc application. Interprétant la police, la Cour conclut qu’il s’agit d’une clause par laquelle l’assureur exclut les réclamations de la police d’assurance responsabilité afin de ne pas être responsable du défaut de l’assurée de remplir ses obligations contractuelles, par exemple comptes impayés ou autres envers des tiers. De plus, la Cour en vient à la conclusion que l’exception à cette exclusion, visant la responsabilité extracontractuelle, n’est pas applicable puisqu’en l’absence de contrat, Moneris n’aurait pu faire valoir ses droits contre Aldo. Le fait que des tiers, par exemple les victimes de la fuite de renseignements personnels n’aient pu éventuellement faire valoir leurs droits contre Aldo, ne constitue pas une situation permettant à l’exception de l’exclusion de s’appliquer en l’espèce. La Cour d’appel en vient par conséquent à la conclusion que Chubb n’a pas l’obligation d’assumer les frais juridiques d’Aldo - sa défense - dans le cadre de la réclamation intentée en Ontario contre Moneris et Mastercard. Conclusions En somme, la Cour d’appel conclut : que bien qu’aucune action en justice n’ait été intentée contre Aldo, la réclamation d’Aldo contre Moneris et Mastercard constitue une réclamation au sens de la police d’assurance et l’obligation de défendre aurait été enclenchée n’eut été de l’exclusion; qu’Aldo n’a pas renoncé, au détriment de Chubb, à faire valoir quelque droit que ce soit et Chubb ne peut donc prétendre de ce fait que son obligation de défendre n’est pas enclenchée; que Chubb n’a cependant pas l’obligation d’assumer les frais juridiques, la défense, de la réclamation d’Aldo engagés contre Moneris et Mastercard puisqu’il s’agit d’une situation visée par la clause excluant la couverture d’assurance pour la responsabilité assumée contractuellement par Aldo. Comme le souligne la Cour d’appel, cet arrêt ne change en rien les principes relatifs à l’obligation de défendre. La juge Bich écrit ce qui suit à cet égard : « [53] On ne peut pas nier le caractère atypique de la situation, qui ne relève certainement pas de l’ordinaire. Mais il faut voir aussi que l’interprétation retenue par la juge de première instance ne se veut pas un postulat général destiné à transformer l’obligation de défendre. Il s’agit d’une solution particulière, fondée sur les termes particuliers d’un contrat particulier. Qu’on s’écarte de l’usuel ne peut, en soi (et sous réserve d’une erreur manifeste et dominante), justifier que l’on substitue à l’interprétation donnée par la juge au texte de la police une lecture qui serait conforme à la conception que s’en fait Chubb. [54] La défense qu’envisage la clause 16 n’est donc pas limitée à la contestation d’une action en justice intentée contre l’assurée. Cela, d’ailleurs, n’a rien d’incompatible avec le sens que les dictionnaires courants donnent au verbe « défendre »/« to defend », qui ne se limite pas à la défense contre une action en justice en bonne et due forme, mais renvoie plus généralement aux notions de protéger, soutenir, secourir, intercéder ou appuyer. » La Cour d’appel met également en garde les parties au contrat d’assurance : si un contrat comme une police d’assurance doit être interprété à l’aide d’autres éléments que le texte, une preuve doit être administrée. Sinon, seul le texte sera le guide à la lumière évidemment des règles d’interprétation légales et jurisprudentielles. Enfin, chaque contrat d’assurance doit être interprété selon son propre libellé et les faits de l’espèce. Les assureurs et les assurés doivent donc éviter, même en présence de termes semblables, de faire des généralités lorsque vient le temps de déterminer si, par exemple, l’assureur a l’obligation de défendre ou s’il a l’obligation d’indemniser. 2016 QCCA 554 (juges Yves-Marie Morrissette, Marie-France Bich et Marie St-Pierre); motifs rendus par la juge Bich. Aldo Group.inc. c. Chubb Insurance Company of Canada 2013 QCCS 2006 (juge Marie-Anne Paquette).
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La Cour suprême du Canada ne se penchera pas sur l’obligation de collaboration de l’assuré
Le 18 février dernier, la Cour suprême du Canada1 refusait l’autorisation d’appel dans le cadre du dossier Intact Compagnie d’assurance c. 9221-2133 Québec inc.2, confirmant les principes applicables à l’obligation de collaboration de l’assuré. Les faits À la suite du vol de son véhicule, l’assuré a présenté une réclamation à son assureur, mais a refusé de se soumettre à un interrogatoire statutaire et de remettre des autorisations permettant d’obtenir certains renseignements supplémentaires, par exemple son dossier de conduite à la Société d’assurance automobile du Québec. Le jugement En première instance, la Cour du Québec a condamné l’assureur à verser à son assuré l’indemnité découlant du vol de son véhicule mais, en raison notamment de sa « collaboration déficiente », a rejeté sa réclamation pour troubles et inconvénients. La Cour d’appel a renversé le jugement et conclu que l’assuré a le devoir de collaborer étroitement avec son assureur dans le cadre du règlement du sinistre, ce qui comprend l’obligation de répondre aux questions de l’assureur concernant l’ensemble des circonstances entourant le sinistre et de fournir toutes les pièces justificatives au soutien de sa réclamation. L’assuré doit également consentir à la cueillette des renseignements nécessaires et signer les autorisations requises en ce sens. L’obligation de collaboration de l’assuré n’est pas subordonnée à un quelconque devoir de l’assureur de faire enquête auprès de tiers. En l’espèce, la Cour conclut que puisque l’assuré a fait preuve de mauvaise foi en refusant systématiquement de répondre aux questions de l’assureur et que ce dernier en a subi préjudice, il ne doit pas être indemnisé. Le refus de la Cour suprême de se pencher sur cette question confirme aussi les principes établis antérieurement par la Cour d’appel relativement à l’obligation de collaboration de l’assuré3. 9221-2133 Québec inc., F.A.S.R.S. Centre Mécatech c. Intact Compagnie d’assurance, 2016-02-18, 36569. 2015 QCCA 916. Voir notamment les affaires Northumberland General Insurance c. Genziuk, J.E. 81-1072 (C.A.) et Di Capua c. Barreau du Québec, J.E. 2003-1310 (C.A.).
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Chevauchement de polices d’assurance : la Cour d’appel de l’Ontario tire la ligne!
Le 16 janvier 2014, la Cour suprême du Canada a refusé la demande de pourvoi de Lombard à la suite d’un jugement rendu le 20 juin 2013 par la Cour d’appel de l’Ontario1.Cette décision traite d’un cas de chevauchement de polices d’assurance de responsabilité excédentaire et parapluie (« umbrella »).LES FAITSEn janvier 1995, un immeuble à appartements est détruit par un incendie. Six personnes y trouvent la mort et plusieurs autres sont blessées. Des poursuites sont par la suite intentées par les victimes pour plusieurs millions de dollars, entre autres contre : Axes Investment (« Axes ») : le propriétaire de l’immeuble Tandem Group Management (« Tandem ») : le gestionnaire de l’immeuble Lombard et Aviva assurent la responsabilité d’Axes et Tandem de la façon suivante : Lombard est l’assureur de première ligne d’Axes et Tandem avec une limite d’assurance de 1 M $ Lombard est l’assureur parapluie (« umbrella ») d’Axes et Tandem pour un montant d’assurance limite de 9 M $ Aviva est l’assureur excédentaire de Tandem pour un montant d’assurance limite de 5 M $ Dans le cadre des poursuites en responsabilité instituées par les victimes contre Axes et Tandem, Lombard a assumé la défense d’Axes et Tandem par l’entremise du même avocat. La même défense a été produite et ni Lombard, ni Aviva, ni Axes ou Tandem n’ont alors demandé que la responsabilité entre Axes et Tandem soit départagée. Axes et Tandem ont été condamnés conjointement comme s’ils étaient un seul défendeur.Lombard a soutenu que la police excédentaire d’Aviva prenait rang après la police primaire de Lombard et que sa police parapluie n’entrait en jeu qu’après l’épuisement de la limite de 5 M $ de la police d’Aviva. Aviva a prétendu que seule la police parapluie de Lombard devait entrer en jeu entièrement puisqu’elle couvrait Tandem et Axes. Par la suite et seulement quant à la responsabilité de Tandem, un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé que la police excédentaire d’Aviva prenait rang avant la police parapluie de Lombard. Cette décision est connue sous le vocable de « Ranking Decision ».Face au risque de devoir payer des dommages punitifs et au refus de Lombard de contribuer, Aviva s’est résignée et a payé le solde des réclamations faites tant à l’encontre d’Axes que de Tandem pour une somme totale de presque 2,5 M $ puisque Axes et Tandem ont été condamnés conjointement. Lombard a payé la limite d’assurance de 1 M $ prévue à sa police de première ligne.Ni la décision portant sur la responsabilité d’Axes et Tandem ni la « Ranking Decision » tranche la question de savoir si, et dans quelle proportion, les paiements effectués par Aviva pour le compte de Tandem réglaient la responsabilité de Tandem et d’Axes conjointement.Aviva a alors poursuivi Lombard afin de réclamer les paiements effectués pour le compte d’Axes qu’elle n’assurait pas. Pour faire échec à cette réclamation, Lombard a prétendu que sa police umbrella ne s’applique qu’une fois la police excédentaire d’Aviva épuisée. La Cour supérieure a condamné Lombard à rembourser la moitié des dommages payés par Aviva. Lombard a porté la décision en appel.LE JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIOSe basant entre autres sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Family Insurance Corp. c. Lombard Canada2 et sur la théorie des contributions équitables ainsi que sur les principes de l’enrichissement sans cause, deux notions d’équité, la Cour d’appel de l’Ontario confirme le jugement condamnant Lombard. La théorie des contributions équitables entre assureurs s’applique en l’espèce afin que Lombard participe aux paiements de la réclamation effectués par Aviva qui ont été faits, selon la Cour d’appel, autant pour le compte de Tandem que d’Axes tous les deux assurés par Lombard. Bien que selon la « Ranking Decision » la police parapluie de Lombard ne l’oblige pas à payer en premier les réclamations pour le compte de Tandem, la Cour décide qu’elle doit contribuer et indemniser les réclamations pour le compte d’Axes et ce jusqu’à 50 % du montant total de la réclamation.En effet, puisque les deux assureurs ont décidé de ne pas demander le partage de responsabilités entre Axes et Tandem, ils se sont ainsi obligés envers les victimes à les indemniser complètement et également. Autrement dit, Lombard et Aviva sont toutes les deux également responsables du paiement de la totalité des réclamations des victimes. La Cour ajoute que le fait qu’Aviva s’est résignée la première à payer les réclamations n’annihile pas l’obligation de Lombard d’indemniser les victimes comme si elles n’avaient poursuivi qu’Aviva. Le fait de se résigner à payer en premier les réclamations des tiers ne constitue pas un motif juridique en matière de droit des assurances permettant de départager les obligations respectives d’Aviva et de Lombard.CONCLUSIONCette décision est intéressante notamment quant à l’impact que peut avoir la décision d’un assureur de laisser le choix de la stratégie de défense à un autre assureur. Ainsi, si pour des raisons stratégiques ou d’économie, un assureur décide de ne pas demander le partage de responsabilités entre deux assurés et qu’une condamnation sans partage de responsabilité survient, il pourra être condamné à payer sa juste part des indemnités versées aux victimes._________________________________________1 Aviva Insurance Company of Canada c. Lombard General Insurance Company of Canada, 2013 ONCA 416.2 [2002] 2 R.C.S. 695.
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L’affaire Theratechnologies inc.
Le 20 février dernier, la Cour suprême du Canada a accueilli la demande d’autorisation de pourvoi de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec rendu dans l’affaire Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc.1. Dans cet arrêt unanime, la Cour d’appel a décidé qu’un jugement autorisant un recours collectif basé sur l’article 225.4 de la Loi sur les valeurs mobilières (Québec)2 est susceptible d’appel et ce, sans égard, aux règles actuelles prescrites par le Code de procédure civile (ci-après C.p.c.) qui n’autorise pas l’appel d’un jugement accueillant une requête pour exercer un recours collectif.Pour plus de détails relativement à cet arrêt de la Cour d’appel, nous vous suggérons de lire notre bulletin Droit de Savoir Express intitulé « Décision inédite de la Cour d’appel : un jugement autorisant un recours collectif en vertu de la LVM est susceptible d’appel » par Sophie de Saussure, Josianne Beaudry et Jean-Philippe Lincourt.Le jugement à venir de la Cour suprême du Canada sera d’autant plus intéressant que le 21 février 2014, la Loi instituant le nouveau Code de procédure civile a été sanctionnée. Elle apporte certaines modifications en matière de recours collectifs, plus particulièrement celle qui permet l’appel sur permission d’un jugement accueillant une requête en autorisation d’exercer un recours collectif. Un bulletin sur ces modifications sera publié par Lavery prochainement.________________________________12013 QCCA 1256.2L.R.Q., c. V-1.1.
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La conclusion de l’affaire Robinson
Le 23 décembre dernier, la Cour suprême du Canada a renversé en partie la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Cinar Corporation c. Robinson1 et rétabli la plupart des conclusions de la Cour supérieure du Québec.MISE EN CONTEXTEClaude Robinson (« Robinson ») développe dans les années 80 un projet de série nommée « Les aventures de Robinson Curiosité » (« Robinson Curiosité »). Il s’associe à Pathonic à qui il a présenté son projet. Ses droits d’auteur sont enregistrés peu de temps après et Productions Nilem Inc. (« Nilem »), dont il est le seul actionnaire, est nommée titulaire de ces droits. En 1986, Pathonic s’associe à Cinar afin que cette dernière représente ses intérêts aux États-Unis. Les administrateurs de Cinar, Micheline Charest et Ronald Weinberg, ont été mis en possession de l’ensemble des documents liés au projet de Robinson Curiosité. Toutefois, le projet ne voit jamais le jour.Parallèlement aux activités de Robinson, au cours des années 90, un producteur de France Animation, Christophe Izard, présente le projet d’une série dont le personnage principal est nommé Robinson Sucroë (« Sucroë »). Cinar est impliquée dans la production de ce projet dès 1992, puis dans l’écriture et la coscénarisation dans le cadre de contrats avec France Animation en 1993.Robinson continue son travail sur son projet Curiosité au courant de l’année 1994. Des droits d’auteur sont enregistrés par Cinar à compter d’août 1995 pour le projet Sucroë, peu de temps avant la première diffusion en septembre 1995. Robinson constate alors des similarités avec son projet Curiosité.Robinson et Nilem inc. intentent un recours en dommages-intérêts et injonction en juillet 1996 contre Cinar, Charest, Weinberg, France Animation, Izard et d’autres partenaires européens dont Ravensburger et BBC, alléguant le plagiat de leur oeuvre.LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE DU QUÉBECAprès 83 jours de procès, le juge Claude Auclair conclut que les défendeurs ont eu accès au projet et à l’oeuvre de Robinson Curiosité au cours des années 80.Le juge retient que même si elle n’était pas terminée, l’oeuvre de Robinson Curiosité possédait un caractère original puisqu’elle était suffisamment développée et avancée. Beaucoup d’éléments dans les personnages et dessins de Sucroë comportent des similitudes avec le projet original de Robinson Curiosité, malgré certaines modifications trompeuses. Selon le tribunal, un profane serait convaincu de la similarité, ce qui crée une présomption de contrefaçon que les défendeurs n’ont pas repoussée.Le tribunal retient la responsabilité solidaire des défendeurs. Il conclut que Cinar et ses deux administrateurs Charest et Weinberg ont manqué à leurs obligations de bonne foi et de loyauté. Par conséquent, Charest et Weinberg ne peuvent invoquer le voile corporatif pour échapper à leur responsabilité.Les conclusions en injonction valent à l’encontre de BBC afin de faire cesser la diffusion de Sucroë. La Cour ordonne aussi la remise des exemplaires, suivie de leur destruction dans un délai de 60 jours.En ce qui a trait aux dommages, le juge Auclair condamne les défendeurs à verser une somme totale de 5 224 293 $. Plus précisément, le tribunal octroie les montants suivants : 607 489 $ à titre de dommages compensatoires pour pertes pécuniaires; 1 716 804 $ à titre de perte de profits (soit 50 % des profits engendrés par le projet Sucroë, compte tenu du partenariat des demandeurs avec Pathonic); 400 000 $ à titre de préjudice psychologique subi par Robinson; 1 000 000 $ à titre de dommages punitifs; 1 500 000 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires, étant donné que les défendeurs ont tenté d’épuiser les demandeurs par leur conduite de la procédure. LA DÉCISION DE LA COUR D’APPELLa Cour d’appel accueille en partie l’appel. Elle confirme la décision de première instance quant à la contrefaçon de l’oeuvre de Robinson ne décelant aucune erreur dans le raisonnement du premier juge.La Cour confirme la responsabilité de Cinar et de Weinberg, à titre personnel et en qualité de liquidateur de la succession de feu Micheline Charest, ainsi que celle d’Izard. La Cour d’appel réduit cependant les dommages-intérêts octroyés à un total de 2 736 416 $. Quant à la perte de profit, la Cour infirme les condamnations contre Weinberg et Izard, car seules Cinar et France Animation ont tiré profit de l’exploitation de l’oeuvre Sucroë. La Cour infirme également la condamnation de 1 117 252 $ reliés aux droits musicaux, puisqu’elle considère l’oeuvre musicale de Robinson Sucroë originale et dissociable du projet Curiosité. Il n’y a donc pas eu, selon le jugement, de violation du droit d’auteur de Robinson à cet égard.Enfin, selon la Cour d’appel, le préjudice psychologique subi par Robinson est un préjudice corporel de nature non pécuniaire qui doit être compensé selon le plafond établi par la Cour suprême du Canada2. Ce plafond étant établi à la valeur actualisée de 242 700 $, la Cour octroie 50 % de ce montant, soit la somme de 121 350 $, compte tenu des circonstances et de la gravité du préjudice psychologique.La Cour d’appel réduit aussi et individualise les montants accordés à titre de dommages punitifs à 100 000 $ pour Cinar et à 50 000 $ chacun pour Weinberg, Charest et Izard. Le tribunal déclare que ces condamnations ne sont pas solidaires.Quant aux honoraires extrajudiciaires, la Cour d’appel confirme la décision de première instance, mais n’accorde pas ceux qui sont engagés durant les procédures en appel.LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊMELa Cour suprême dans un jugement unanime dont les motifs ont été rédigés par la juge en chef McLachlin confirme le jugement de la Cour d’appel quant à la responsabilité des défendeurs. Elle souligne qu’il faut déterminer l’effet cumulatif des caractéristiques reproduites du projet Curiosité afin de décider si elles constituent une partie importante du talent de Robinson dans l’ensemble de son oeuvre. Pour déterminer si une partie importante a été reproduite, il faut procéder à une évaluation qualitative et globale des similitudes entre les oeuvres en tenant compte des ressemblances et des différences pertinentes. En l’absence d’erreur manifeste et dominante dans l’appréciation des faits tant par le premier juge que par la Cour d’appel, la Cour suprême refuse d’intervenir et confirme la responsabilité des défendeurs.En ce qui concerne l’évaluation des dommages, la Cour rappelle que la Cour d’appel ne pouvait intervenir à moins d’une erreur de fait manifeste et dominante de la part du juge de première instance et réexamine chacun des postes de dommages. Elle fixe le montant auquel Robinson et Nilem ont droit à 4 379 293 $. Quant à la perte de profit, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en octroyant le montant relié à la trame sonore de l’oeuvre, la considérant comme indissociable de celle-ci et la Cour suprême rétablit le jugement de première instance à cet égard. Elle conclut toutefois que cette condamnation ne doit pas être solidaire puisqu’elle vise la restitution des profits qu’a illégalement obtenus chacun des défendeurs personnellement. En ce sens, Charest, Weinberg et Izard ne sont pas personnellement tenus de restituer les profits puisqu’ils n’en ont pas bénéficié.Quant aux dommages non pécuniaires, la Cour suprême conclut qu’il n’y a pas lieu d’étendre l’application du plafond aux réclamations autres que celle découlant d’un préjudice corporel. En l’espèce, le préjudice non pécuniaire subi par Robinson ne découle pas d’un préjudice corporel, mais devrait plutôt être qualifié de souffrances psychologiques découlant d’un préjudice matériel, soit la violation de ses droits d’auteur équivalant à la violation de ses droits de propriété. La Cour rétablit le jugement de première instance et confirme que Robinson a droit à une somme de 400 000 $ à ce chapitre.Le tribunal confirme aussi que les dommages punitifs ne peuvent être octroyés sur une base solidaire. Toutefois, elle est d’avis que, bien que la Cour d’appel ait eu raison de réévaluer le montant de ceux-ci, elle n’a pas accordé suffisamment d’importance à la gravité du comportement des défendeurs. Selon la Cour, un montant de 500 000 $ atteint un juste équilibre entre le principe de modération devant régir l’octroi de tels dommages et la nécessité de décourager les comportements d’une telle gravité. Elle partage la responsabilité en condamnant Cinar à 200 000 $ et Weinberg, Charest et Izard à 100 000 $ chacun.COMMENTAIRESCet arrêt clôt finalement le débat ayant opposé les parties pendant près de 18 ans et confirme en grande partie l’analyse du juge de première instance.Ce jugement aura certainement une influence importante sur la jurisprudence subséquente non seulement en matière de droits d’auteur, mais aussi sur d’autres domaines du droit, particulièrement sur la qualification des dommages psychologiques selon leur source et le refus de l’application du plafond en matière de dommages non pécuniaires reliés à un préjudice psychologique découlant d’un préjudice matériel. Le jugement guidera aussi les tribunaux en matière d’octroi de dommages punitifs et exemplaires et les principes de la solidarité qui leurs sont applicables._________________________________________1 2013 CSC 73.2 Selon la trilogie Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd. [1978] 2 R.C.S. 229, Thornton c. Board of School Trustees of School District No. 57 [1978] 2 R.C.S. 267 et Arnold v. Teno [1978] 2 R.C.S. 287, qui a fixé ce plafond à une somme de 100 000 $ en 1978.
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Régimes de retraite et recours collectif : l’affaire Vivendi
Le 16 janvier 2014, la Cour suprême du Canada1 a confirmé le jugement de la Cour d’appel du Québec2 ayant autorisé le recours collectif institué contre la compagnie Vivendi Canada inc. (« Vivendi »). Cette importante décision réaffirme notamment que les règles d’autorisation des recours collectifs au Québec sont plus libérales que celles prévalant dans les provinces de common law.LES FAITSFondée en 1857, la Compagnie Seagram (« Seagram ») se spécialise dans la production de vins et spiritueux. Son siège social et sa principale place d’affaires sont situés à Montréal.En 1977, Seagram met sur pied un régime d’assurance-maladie complémentaire pour les membres de la direction et les employés non syndiqués (le « régime »). Le régime couvre les employés admissibles tant pendant la durée de leur emploi qu’une fois à la retraite.En 1985, Seagram modifie le document décrivant les conditions du régime en y ajoutant une clause de modification unilatérale en vertu de laquelle elle se réserve le droit de modifier ou de suspendre le régime en tout temps.En décembre 2000, Vivendi S.A. acquiert Seagram qui compte alors plus de 700 employés.En décembre 2001, les actifs de Seagram liés à la production de vins et spiritueux sont vendus à Pernod Ricard et à Diageo et Seagram devient ultimement Vivendi.En septembre 2008, Vivendi informe les retraités et bénéficiaires que des modifications au régime prendront effet le 1er janvier 2009 (les « modifications »), soit : la franchise annuelle que doivent payer les retraités et bénéficiaires sera substantiellement augmentée; seuls les médicaments sur ordonnance inscrits sur la liste des médicaments de la province de résidence des retraités ou bénéficiaires seront dorénavant remboursés; un maximum à vie de 15 000 $ pour l’ensemble des protections offertes par le régime sera introduit alors qu’il n’y en avait aucun auparavant.En 2009, M. Michel Dell’Aniello demande au tribunal d’autoriser l’exercice d’un recours collectif et de lui attribuer le statut de représentant pour les personnes suivantes :« Tous les membres de la direction et salariés retraités de l’ancienne Compagnie Seagram Limitée qui sont admissibles à des soins médicaux post-retraite en vertu du Régime des soins médicaux de Vivendi Canada Inc. (« Régime ») et les personnes à charge admissibles au sens du Régime (les « bénéficiaires ») ainsi que, quant aux dommages réclamés, les ayants droit desdits membres de la direction, salariés ou bénéficiaires décédés depuis le 1er janvier 2009. »Par son recours, M. Dell’Aniello cherche notamment à faire déclarer que Vivendi a modifié sans droit le régime, ainsi qu’à faire annuler les modifications et rétablir le régime tel qu’il était avant ces modifications. Le groupe proposé comprend quelque 250 retraités ou conjoints survivants de retraités qui travaillaient dans six provinces, soit 134 au Québec, 82 en Ontario, 3 en Alberta, 16 en Colombie-Britannique, 2 en Saskatchewan et 13 au Manitoba.LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE DU QUÉBEC3Le 3 août 2010, la Cour supérieure du Québec rejette la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif de M. Dell’Aniello. Contrairement à ce que prétendait Vivendi, le juge conclut qu’à la lumière de l’article 3148 (3) C.c.Q., les autorités québécoises auraient compétence pour entendre l’action dans la mesure où le recours collectif serait autorisé. Il mentionne entre autres qu’il est plus facile et commode d’intenter le recours collectif au Québec puisque plus de la moitié des membres éventuels du groupe, soit 53,7 %, demeurent au Québec.Par contre, le juge refuse d’autoriser le recours collectif, car il estime qu’il s’agit d’un faisceau de recours individuels et que le critère de la similarité et de la connexité prévu à l’article 1003 a) C.p.c. n’est pas satisfait. Le recours collectif ne constitue donc pas selon lui le véhicule procédural approprié. Il est d’avis que si le recours est autorisé, le juge aura à se livrer à un examen détaillé d’une multitude de circonstances propres à chaque individu constituant en quelque sorte une multitude de petits procès. En effet, puisque le droit aux prestations d’assurance se cristallise lors du départ à la retraite, c’est à ce moment selon lui qu’il faut rechercher l’intention des parties quant aux droits acquis. On doit alors examiner le contrat et toutes les communications échangées entre l’employeur et chaque membre du groupe afin de connaître l’existence des droits acquis de ce dernier, le cas échéant.Le juge examine également la situation de certains sous-groupes de retraités et bénéficiaires et mentionne que leur droit aux prestations d’assurance post-retraite n’est pas cristallisé, principalement au motif que la clause de modification unilatérale ajoutée en 1985 est contraire à une intention d’accorder un droit acquis.Enfin, le juge ajoute que la diversité des règles de droit applicables aux réclamations individuelles, qui découle du fait que les retraités ont travaillé dans six provinces différentes, démontre le manque d’homogénéité du groupe proposé et constitue un autre motif pour refuser l’autorisation du recours.LE JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC2Le 29 février 2012, la Cour d’appel du Québec infirme le jugement de première instance et autorise M. Dell’Aniello à intenter un recours collectif. Dans ses motifs qui ont été rédigés par le juge Léger, la Cour conclut qu’au stade de l’autorisation, l’analyse que doit faire le tribunal se limite à l’apparence de droit. Or, selon la Cour d’appel, le premier juge s’est prononcé sur le fond du litige en statuant que le droit de certains retraités et bénéficiaires aux prestations d’assurance post-retraite ne s’était pas cristallisé. Cette démarche du premier juge illustre le fait qu’il s’est livré non pas à une analyse préliminaire mais plutôt à une analyse approfondie de questions individuelles. La Cour d’appel est d’avis que l’étape de l’autorisation est un simple mécanisme de filtrage et que, par conséquent, le premier juge ne pouvait pas se livrer à un tel exercice.Après avoir fait une étude des critères applicables et des allégations de la requête de M. Dell’Aniello, la Cour d’appel conclut qu’il y a bel et bien une question commune qui est au cœur du recours collectif, soit la validité ou la légalité des modifications effectuées au régime. La Cour mentionne :« [64] Dans ce contexte particulier, j'estime que la principale question en litige est la validité ou la légalité des Modifications de 2009, qui se pose à l'égard de tous les membres du Groupe. Évidemment, elle peut elle-même être divisée en questions particularisées qui constituent ensemble les questions connexes ci-après que l'appelant a identifiées dans sa requête en autorisation. Dès lors, si on examine le dossier en fonction des questions véritablement en litige, plutôt qu'en fonction de différences factuelles non nécessairement pertinentes au stade de la requête en autorisation, il n'est pas nécessaire de trancher la question principale par rapport aux sous-groupes. »La Cour ajoute que la multitude de principes juridiques pouvant s’appliquer à chacun des membres du groupe n’est pas au cœur du litige mais concerne plutôt l’existence de droits acquis.En fait, la Cour d’appel conclut que la question commune soulevée par la demande d’autorisation d’exercer un recours collectif de M. Dell’Aniello est connexe pour tous les membres du groupe et que les questions subséquentes qu’aura à se poser la Cour si le recours est autorisé ne peuvent être examinées au stade de l’autorisation.LE JUGEMENT DE LA COUR SUPRÊME DU CANADA1La Cour confirme le jugement de la Cour d’appel et conclut que le juge de la Cour supérieure devait autoriser le recours collectif en vertu des critères prévus à l’article 1003 C.p.c.Premièrement, la Cour d’appel était justifiée d’intervenir et de modifier le jugement d’autorisation. En effet, ce n’est pas au juge de l’autorisation de se prononcer sur le fond du litige. En agissant de la sorte, la premier juge a commis une erreur dans son application du critère de la connexité énoncé à l’article 1003 a) C.p.c.Pour qu’une question commune se dégage d’un recours collectif, il n’est pas nécessaire que le succès d’un membre du groupe entraîne nécessairement celui de tous les membres du groupe. Toutefois, le succès d’un membre ne doit pas provoquer l’échec d’un autre.Ainsi et particulièrement au Québec, le critère de la connexité prévu au Code de procédure civile doit être interprété de façon libérale. La Cour suprême met en garde l’importation des principes de common law dans l’analyse des critères prévus au Code de procédure civile. Elle mentionne :« [52] Deuxièmement, en comparant l’al. 1003a) aux lois des provinces de common law, on constate que le critère de la communauté de questions est formulé différemment dans ces dernières. À titre d’exemple, le C.p.c. du Québec décrit ce critère en termes plus larges et plus flexibles que la loi ontarienne. En effet, cette dernière requiert non seulement l’existence de questions similaires ou connexes, mais également de « questions communes » : Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6, al. 5(1)c).Par ailleurs, le libellé adopté dans la loi ontarienne se trouve dans les lois de toutes les autres provinces canadiennes de common law qui ont légiféré en matière de recours collectifs : Class Proceedings Act, S.A. 2003, ch. C-16.5, al. 5(1)(c); Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50, al. 4(1)(c); Loi sur les recours collectifs, L.S. 2001, ch. C-12.01, al. 6(1)c); Loi sur les recours collectifs, C.P.L.M. ch. C130, al. 4c); Class Proceedings Act, S.N.S. 2007, ch. 28, al. 7(1)(c); Loi sur les recours collectifs, L.R.N.-B. 2011, ch. 125, al. 6(1)c); Class Actions Act, S.N.L. 2001, ch. C-18.1, al. 5(1)(c). »(nos soulignés)et plus loin:« [57] L’approche québécoise à l’égard de l’autorisation se veut ainsi plus souple que celle appliquée dans les provinces de common law, bien que celles-ci demeurent généralement fidèles à une interprétation favorable à l’exercice des recours collectifs. Elle est également plus flexible que l’approche suivie actuellement aux États-Unis : Wal-Mart Stores, Inc. c. Dukes, 131 S. Ct. 2541 (2011). Selon le professeur Lafond, « [l]a procédure québécoise surpasse sur ce plan celles des autres provinces canadiennes, de l’Angleterre et des États-Unis, aux prises avec les concepts rigides de ‘même intérêt’ ou d’‘intérêt commun’, et de ‘prédominance des questions communes’ » : Le recours collectif comme voie d’accès à la justice pour les consommateurs, p. 408. »En somme, les juges d’autorisation ne doivent pas insister sur la possibilité que de nombreuses questions individuelles devront éventuellement être analysées. Ils doivent plutôt se demander si la personne qui désire instituer un recours collectif établit la présence d’une question identique, similaire ou connexe de nature à faire progresser le litige pour l’ensemble des membres du groupe et pouvant avoir une incidence sur le sort ultime du litige.La diversité des règles de droit susceptibles d’être applicables aux réclamations individuelles ne constitue pas non plus une raison suffisante selon la Cour suprême pour empêcher l’autorisation du recours.La Cour suprême rappelle également que la règle de proportionnalité prévue à l’article 4.2 C.p.c. ne constitue pas un critère supplémentaire à soupeser au stade de l’autorisation d’un recours collectif. En effet, bien que la règle de proportionnalité puisse servir à l’examen de chacun des critères prévus à l’article 1003 C.p.c., ceux-ci sont exhaustifs. Lorsque le juge d’autorisation est d’avis que les quatre critères de l’article 1003 C.p.c. sont respectés, il doit autoriser le recours collectif sans se demander s’il est le véhicule procédural le plus adéquat.La Cour suprême conclut donc que les questions soulevées dans la requête de M. Dell’Aniello sont suffisamment connexes et similaires pour que le recours collectif soit autorisé.CONCLUSIONCe jugement rappelle d’abord que les conditions d’autorisation d’un recours collectif sont plus libérales au Québec qu’ailleurs au Canada comme l’avait également souligné la Cour suprême récemment dans l’affaire Infineon4. Ainsi, les jugements portant sur le critère des questions communes rendus par les tribunaux de common law, bien qu’ils peuvent parfois servir de guide, doivent être analysés avec circonspection. Aux États-Unis, les tribunaux appliquent le critère de la prédominance des questions communes. Au Québec, il suffit de démontrer l’existence d’une seule question pertinente et non insignifiante pour l’ensemble des membres du groupe, comme l’a rappelé la Cour d’appel dans le dossier du Suroît5. Par ailleurs, certains recours collectifs qui soulèvent des questions intrinsèquement individuelles (par exemple en ce qui a trait à des représentations fausses et trompeuses en matière contractuelle) ne devraient pas, selon nous, respecter les critères permettant l’autorisation d’un recours.________________________________1 Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner (motifs rédigés par les juges LeBel et Wagner).2 Dell’Aniello c. Vivendi Canada inc., 2012 QCCA 384 (les juges Jacques Chamberland, André Rochon et Jacques A. Léger).3 Dell’Aniello c. Vivendi Canada inc., 2010 QCCS 3416 (juge Paul Mayer).4 Infineon Technologies A.G. c. Option consommateurs, 2013 CSC 59.5 Collectif de défense des droits de la Montérégie (CDDM) c. Centre hospitalier régional du Suroît du Centre de santé et de services sociaux du Suroît, 2011 QCCA 826.
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Recours collectifs : La Cour suprême du Canada se prononce sur le cas des acheteurs indirects et sur la compétence des tribunaux québécois en ce qui concerne les contrats conclus à distance
Le 31 octobre 2013, la Cour suprême du Canada a rendu trois arrêts en matière de recours collectifs à l’étape de l’autorisation (appelée « certification » dans les provinces de common law), l’un en provenance du Québec1 et les deux autres de la Colombie-Britannique2.Les faits à l’origine des trois arrêts portent sur la majoration des prix de produits de consommation en contravention de la Loi sur la concurrence3 notamment par le biais de complots. Les représentants demandent d’être autorisés à intenter des recours collectifs contre les entreprises apparemment responsables pour le compte des membres du groupe qui ont acquis directement ou indirectement ces produits dont les prix auraient ainsi été majorés. Les trois recours sont fondés sur la faute civile de ces entreprises.Dans l’affaire Infineon, on reproche aux fabricants d’une micro-puce (connue sous le nom de « DRAM » en langue anglaise) qui permet de stocker de l’information dans une grande variété d’appareils électroniques d’avoir participé à un complot international pour fixer les prix de ce produit, entraînant par le fait même la majoration du coût d’achat. Dans l’affaire Pro-Sys, on allègue que Microsoft a illégalement majoré le prix de ses systèmes d’exploitation et de ses logiciels d’application pour ordinateurs personnels compatibles avec le processeur Intel. Dans l’affaire Sun-Rype, on prétend que des fabricants de denrées alimentaires ont participé à un complot pour fixer illégalement le prix d’un sirop de maïs à haute teneur en fructose utilisé comme édulcorant dans la confection de produits vendus à grande échelle, des boissons gazeuses entre autres.Ces trois arrêts posent tous la question de savoir si les acheteurs indirects des produits en cause, c’est-à-dire ceux qui ne les ont pas directement achetés de l’entreprise responsable de la majoration des prix, mais d’un autre intermédiaire qui se trouve en aval du canal de distribution, peuvent poursuivre directement l’auteur de la majoration du prix même s’ils n’ont pas acheté le produit directement de lui. Les motifs de la Cour en réponse à cette question ont été rendus dans l’affaire Pro-Sys et appliqués dans les deux autres arrêts. Ce faisant, la Cour suprême règle une controverse jurisprudentielle sur les droits et recours de l’acheteur indirect en pareilles circonstances.Dans l’affaire Sun-Rype, la Cour se prononce sur la question de savoir si un groupe composé à la fois d’acheteurs directs, c’est-à-dire ayant acquis des produits directement de l’auteur de la majoration de prix, et d’acheteurs indirects peut être suffisamment indentifiable pour justifier le recours collectif.Enfin, dans l’affaire Infineon, la Cour tranche la question de savoir si les tribunaux québécois ont compétence pour autoriser l’exercice d’un recours collectif même si le produit a été acheté par Internet ou « en ligne » d’une entreprise l’ayant fabriqué et ayant ses activités à l’extérieur de la province, donc par contrat conclu à distance.Le recours des acheteurs indirects : l’affaire Pro-SysDans cette affaire dont les motifs ont été rendus par le juge Rothstein, la Cour conclut que les acheteurs indirects peuvent tenter de recouvrer la perte qu’ils ont subie en se procurant un bien dont le prix aurait été illégalement majoré. Le juge écarte l’argument selon lequel seuls les acheteurs directs qui auraient pu par la suite transférer le coût supplémentaire illégalement imposé aux acheteurs subséquents auraient un recours. Le risque de recouvrements multiples et la complexité de la preuve qu’auraient à présenter les représentants du groupe ne constituent pas selon lui des considérations suffisantes pour priver les acheteurs indirects d’un recours contre le responsable de la majoration. Aussi, compte tenu de l’effet dissuasif que sont censées avoir les dispositions canadiennes de la Loi sur la concurrence, il faut selon lui permettre le recours.La Cour suprême du Canada s’écarte ainsi d’une décision de la Cour suprême des États-Unis4 qui a conclu qu’un acheteur indirect n’a pas de cause d’action contre le responsable de la majoration. Selon le juge Rothstein, le refus de plusieurs États américains d’appliquer cette décision et les plus récents articles écrits sur la question penchent en faveur de l’autorisation au Canada du recours des acheteurs indirects contre l’auteur de la majoration illégale.La Cour suprême, après avoir procédé à l’examen des critères de certification, constate qu’en l’espèce ils ont tous été respectés et que le recours collectif doit être certifié.Le groupe formé d’acheteurs directs et indirects : l’affaire Sun-RypeLa majorité des juges de la Cour suprême, dont les motifs ont été rendus par le juge Rothstein5, conclut qu’un groupe formé d’acheteurs directs et indirects respecte le critère du groupe identifiable. La formation de tels groupes, même si certains membres ne pourront prouver une perte individuelle directe, permet cependant la restitution globale de gains provenant d’activités illégales.Par contre, la Cour en vient à la conclusion que les critères de certification ne sont pas respectés dans ce cas. En effet, selon la preuve présentée, les acheteurs indirects ne peuvent savoir si les produits qu’ils ont consommés contenaient ou non le produit en cause, soit le sirop de maïs à haute teneur en fructose. Le fait que les membres ne peuvent savoir s’ils appartiennent ou non au groupe démontre qu’il n’existe aucun fondement factuel nécessaire à l’autorisation du recours collectif. Selon le juge Rothstein, on ne dépasse pas en l’espèce le stade des simples conjectures et le recours ne repose pas selon lui sur un fondement factuel suffisant. Le recours collectif n’est donc pas certifié par la majorité de la Cour.La juge Karakatsanis, avec l’accord du juge Cromwell pour la minorité, en vient à la conclusion contraire qu’il existe en l’espèce suffisamment d’éléments permettant de conclure à l’existence d’un groupe identifiable reposant sur un certain fondement factuel. Selon eux, les difficultés de preuve invoquées ne justifient pas le rejet de la demande de certification.La compétence des tribunaux québécois : l’affaire InfineonDans Infineon Technologies, Option consommateurs a poursuivi les fabricants d’une micro puce insérée dans divers appareils électroniques, dont des ordinateurs. La représentante du groupe a acheté, à l’aide d’une carte de crédit, son ordinateur en ligne d’une compagnie qui exerce des activités exclusivement à l’extérieur du Québec, où elle n’a aucune place d’affaires. Le complot pour fixation des prix a cependant été ourdi à l’extérieur du Québec. Les fabricants prétendaient donc que les tribunaux québécois n’ont pas compétence puisque le contrat a été conclu à l’extérieur du Québec et que les gestes reprochés, dont le complot, n’y ont pas été commis.En ce qui a trait à la question de la compétence, la Cour reconnaît qu’elle peut être soulevée au stade de l’autorisation. Même si le tribunal québécois conclut qu’il a compétence, la question pourra être soulevée de nouveau au mérite après l’autorisation, puisque la décision à ce stade n’est qu’interlocutoire.Invoquant l’article 3148 du Code civil du Québec, les juges LeBel et Wagner concluent, dans une décision unanime de la Cour, que les tribunaux québécois ont compétence. Selon eux, le préjudice économique allégué qui aurait été subi par les acheteurs des produits en cause, soit le prix d’achat plus élevé en raison du complot, est suffisant pour établir un lien de rattachement avec le Québec. Autrement dit, le préjudice économique a été subi au Québec, ce qui permet d’octroyer la compétence aux tribunaux québécois. De plus, le contrat en cause constitue un contrat à distance au sens de la Loi sur la protection du consommateur6, laquelle prévoit qu’il est donc réputé avoir été conclu à l’adresse du consommateur, au Québec en l’occurrence.Enfin, les juges LeBel et Wagner concluent que les critères d’autorisation de l’article 1003 du Code de procédure civile sont respectés. Ils réitèrent qu’à cette étape préliminaire et procédurale, les conditions d’autorisation d’un recours collectif doivent être interprétées de façon libérale et qu’il s’agit d’un fardeau de démonstration et non d’un fardeau de preuve. La Cour réitère que ce fardeau au stade de l’autorisation est moins exigeant au Québec qu’ailleurs au Canada à l’étape de la certification. Ainsi, et contrairement à ce qui est exigé par d’autres ressorts canadiens où les acheteurs indirects doivent démontrer que leur demande repose sur un fondement factuel suffisant et présenter des témoignages d’experts, cette démonstration n’est pas nécessaire au Québec à cette étape. Le recours collectif est donc autorisé.ConclusionCes trois arrêts permettront certainement de faciliter la tâche des acheteurs directs et indirects de produits qui désirent obtenir l’autorisation d’intenter un recours collectif. Ainsi, le consommateur qui achète un bien de consommation de son domicile par le truchement d’Internet, par exemple, dispose d’un recours contre le responsable d’un acte ayant entraîné illégalement l’augmentation du prix d’un produit. De plus, puisque ce recours peut être déposé au Québec dans la mesure où un préjudice économique y a été subi, il est fort probable que les consommateurs québécois et les associations qui les représentent fassent davantage appel au mécanisme procédural qu’est le recours collectif même si les entreprises délinquantes ont commis les gestes anticoncurrentiels reprochés ailleurs dans le monde._________________________________________ 1 Infineon Technologies A.G. c. Option Consommateurs, 2013 CSC 59.2 Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 et Sun-Rype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58. 3 L.R.C. 1985, ch. C-34.4 Illinois Brick Co. c. Illinois, 431 U.S. 720 (1977). 5 Avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Fish, Abella, Moldavert et Wagner.6 L.R.Q., ch. P-40.1.
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Jusqu’où l'assureur couvre-t-il des lieux où se déroulent des activités criminelles?
Dans une décision récente, la Cour d’appel du Québec, sous la plume de l’honorable juge Jacques Chamberland, se penche sur l’application des clauses d’exclusion pour activités criminelles contenues à une police d’assurance habitation1.FAITSL’Appelante, L’Union canadienne compagnie d’assurance assurait l’immeuble de l’intimée, Mme Lise Houle, et de son conjoint Christian Alexandre. Ce dernier se livrait à la culture de cannabis dans l’immeuble assuré. En effet, la résidence (la cuisine et possiblement le sous-sol) servait à la germination des graines de cannabis alors que le garage servait à poursuivre la culture après la mise en terre des jeunes plants. Cette culture se faisait à l’insu de Mme Houle, qui ne se rendait jamais dans le garage étant handicapée.Un incendie causé par les installations électriques servant à la culture de cannabis est survenu le 8 août 2006 et a endommagé tant la résidence que le garage.EXCLUSIONSDeux exclusions sont invoquées par l’assureur pour nier couverture à ses assurés, soit les suivantes :« 16. Outre les exclusions indiquées ailleurs dans le présent contrat, NOUS NE COUVRONS PAS :(…)Les constructions :(…)Occupées par l’ASSURÉ et utilisées pour des activités illégales ou criminelles.21. Les SINISTRES imputables aux actes criminels (…) d’un ASSURÉ. »JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCEEn première instance, la juge Sophie Picard analyse d’abord l’exclusion 16. Elle conclut qu’en l’absence des mots « en tout ou en partie » dans le libellé de la clause, comme c’était par exemple le cas dans la décision Promutuel Bagot c. Lévesque2, cette exclusion ne s’applique qu’aux constructions dont « une partie substantielle » est utilisée pour des activités criminelles. Le garage est donc selon elle exclu, mais non le bâtiment d’habitation qui n’était utilisé qu’en partie pour la culture de marijuana.Quant à la clause d’exclusion 21, la juge conclut qu’elle s’applique à M. Alexandre, qui menait lui-même les activités de production de cannabis, mais non à Mme Houle, qui ignorait tout de ces activités.JUGEMENT DE LA COUR D’APPELLa Cour d’appel analyse l’exclusion 16, citant tout d’abord l’article 2402 para. 1 C.c.Q., qui prévoit qu’un assureur peut se libérer de ses obligations en cas d’une violation de la loi constituant un acte criminel :« 2402. En matière d’assurance terrestre, est réputée non-écrite la clause générale par laquelle l’assureur est libéré de ses obligations en cas de violation de la loi, à moins que cette violation ne constitue un acte criminel. (…) »Le tribunal précise que la clause de la police prévoit une exclusion pour les « constructions », et non les « lieux assurés », utilisés pour des activités illégales. Par conséquent, cette clause doit s’analyser en fonction de chacune des constructions et non de l’ensemble des lieux assurés, comme le prétendait l’Appelante.Toutefois, contrairement au premier juge, le tribunal se déclare d’avis qu’il est erroné de lier l’application de l’exclusion au degré d’utilisation des constructions aux activités criminelles :« [26] À mon avis, l’occupation d’une construction par l’assuré et son utilisation pour des activités illicites suffisent pour conclure que cette construction n’est pas assurée, et ce, peu importe que l’utilisation en question vise la totalité de la construction ou une partie seulement. »Malgré le fait que les mots « en tout ou en partie » soient absents du libellé de la clause, il demeure qu’il n’est pas nécessaire pour l’assureur de démontrer qu’une « partie substantielle » de la construction a été utilisée pour des activités criminelles.La Cour d’appel conclut donc que la question qui doit être tranchée est celle de savoir si la construction a été utilisée pour des activités criminelles, sans qu’il soit nécessaire de déterminer le degré d’une telle utilisation. Dans les circonstances, puisque tant la résidence que le garage ont été utilisés à de telles fins, les deux constructions sont exclues de la couverture d’assurance.Vu cette conclusion, le tribunal juge qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur l’exclusion 21.CONCLUSIONNous pouvons constater que le texte même des diverses clauses revêt une importance particulière en matière d’analyse de police d’assurance. En l’espèce, l’absence des mots « en tout ou en partie » a entraîné un débat jusqu’à la Cour d’appel.De même, on peut s’interroger sur l’impact de la connaissance de l’assurée de l’utilisation illégale des lieux dans l’analyse de l’exclusion. La Cour d’appel n’en traite pas spécifiquement dans la décision sous étude. Toutefois, selon une décision récente de la Cour supérieure analysant une exclusion semblable, on ne peut opposer à l’assuré l’utilisation à des fins criminelles par un tiers en l’absence d’un contrôle spécifique de l’assuré sur une telle utilisation3. La clause analysée dans cette décision ne prévoyait toutefois pas que les lieux devaient être occupés par l’assuré, comme c’était le cas dans la décision Union canadienne c. Houle. Il sera intéressant de voir si la Cour d’appel se penchera éventuellement sur cette question précise._________________________________________ 1 L’Union canadienne compagnie d’assurance c. Houle, 2013 QCCA 677. 2 EYB 2011-28493 (C.A.). 3 Lévesque c. Compagnie d’assurance Desjardins, 2013 QCCS 1552.
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Obligation de défendre et d’indemniser de l’assureur : nouveau jugement de la Cour d’appel du Québec
Le 1er mars 2013, la Cour d’appel a rendu jugement sur l’obligation de défendre et d’indemniser d’un assureur en matière d’assurance de responsabilité civile des entreprises1. Elle a confirmé la décision du juge de première instance qui a conclu à l’obligation de défendre et d’indemniser de l’assureur2 et condamné celui-ci à rembourser son assuré pour les sommes versées afin de régler la réclamation d’un tiers ainsi que celles qu’il a encourues pour se défendre contre cette action.D’une part, la Cour constate que la couverture générale de la police est basée sur les événements (« occurrencebased policy »). Or, une extension à la police procure aussi à l’assuré, un manufacturier, une couverture sur la base des réclamations (« claim-based ») en matière d’erreurs et omissions du manufacturier. Il y a donc, selon la Cour, une ambiguïté qui permet d’appliquer la règle contra proferentem qui est consacrée à l’article 1432 du Code civil du Québec. L’interprétation du contrat faite par le premier juge en faveur de l’assuré est donc sans reproche.D’autre part, la Cour conclut que l’assureur n’a pas démontré que les allégations non couvertes en raison d’exclusions prévues à la police pouvaient entraîner des frais de défense distincts et quantifiables de ceux encourus pour défendre les allégations couvertes. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’appliquer un pourcentage entre les montants réclamés couverts et ceux non couverts. L’assureur est donc tenu à la totalité des montants encourus par son assuré pour se défendre.Enfin, la Cour précise que l’obligation de défendre de l’assureur commence dès la signification de la mise en demeure et non au moment de la signification de la procédure introductive d’instance. Elle réitère ce que la Cour suprême du Canada a décidé dans l’affaire Nichols c. American Home Assurance Co.3, c’est-à-dire que la défense doit être assumée par l’assureur « en temps opportun »._________________________________________ 1 Zurich, compagnie d’assurances c. Gestion Guy Lamarre inc., 2013 QCCA 367 (les juges Jacques A. Léger, Jacques J. Lévesque, Dominique Bélanger). 2 Laboratoires Confab Inc. c. Zurich, compagnie d’assurances, 2011 QCCS 3282 (le juge Yves Poirier). 3 Nichols c. American Home Assurance Co. [1990] 1 R.C.S. 801.
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Assurance de responsabilité professionnelle et faute lourde : autre son de cloche de la Cour d’appel (nouvelle version)
Suite au jugement important qu’elle a rendu le 2 août 2012, la Cour d’appel, le 27 septembre 2012, se prononce à nouveau sur les exclusions de faute lourde en matière d’assurance responsabilité professionnelle. Cette décision confirme par ailleurs, comme le prévoit le Code civil, qu’une faute intentionnelle n’est, quant à elle, jamais couverte.
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Assurance de responsabilité, activités professionnelles et faute lourde : la Cour d’appel du Québec met les pendules à l’heure
La Cour d’appel a rendu le 2 août dernier un jugement important en matière d’assurance de responsabilité professionnelle. Cette décision obligera sans doute les assurés et surtout les assureurs à revoir leurs couvertures d’assurance, notamment en ce qui a trait aux exclusions concernant la faute lourde et la définition d’activités professionnelles. De plus, cet arrêt est d’intérêt quant au partage de la responsabilité entre le professionnel et son client.