Que faire pour discipliner un cadre? Des pistes de solutions à retenir

Sauf dans le cas d’une faute grave, gérer un cadre dont le rendement est insatisfaisant ou qui présente une conduite inappropriée est une situation délicate.

Les usages et pratiques en milieu de travail au Québec font en sorte que la gestion disciplinaire des cadres diffère de celle des autres employés de l’entreprise. La progression des mesures disciplinaires ne s’applique pas aux cadres et ils ne sont rarement, sinon jamais suspendus.

Gestionnaire de RH : Balises à privilégier

En présence d'une situation impliquant un cadre, le gestionnaire de RH devra évaluer l’existence ou non d’un «motif sérieux» de congédiement compte tenu des fonctions qui ont été confiées au cadre et de ses responsabilités relatives aux actes et situations reprochés.

Par exemple, un cadre qui ne tiendrait pas compte des demandes du conseil d’administration ou de son supérieur hiérarchique se rendrait coupable d’insubordination, ce qui constitue un motif sérieux de congédiement au même titre qu’être incapable de mettre en place une équipe performante.

Étant donné que le cadre dispose d’une grande discrétion dans l’exercice des fonctions et responsabilités qui lui sont attribuées, il lui incombe de trouver les façons de répondre aux attentes et objectifs de l’entreprise, à moins que ceux-ci ne soient pas réalistes ou raisonnables dans les circonstances.

Néanmoins, le cadre doit être avisé de toute insatisfaction de son employeur lorsque sa conduite est inappropriée ou qu’il ne comble pas les attentes et les objectifs de l’entreprise. Il lui incombera ensuite d’apporter les correctifs nécessaires.

Ces règles particulières à l’égard des cadres sont reconnues par les tribunaux.

Le pouvoir de sanction de l’employeur

L’article 2094 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit que l’employeur peut résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail de son employé pour « un motif sérieux ».

Les tribunaux estiment qu’un motif sérieux est synonyme d’un congédiement pour  « cause juste et suffisante », au sens attribué à cette expression dans la jurisprudence ou à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail.

Il faut par ailleurs tenir compte du contexte propre aux  cadres : ceux-ci disposent d’une très grande latitude dans l’exercice de leurs fonctions, exercent un pouvoir de contrôle sur plusieurs employés de l’entreprise, leurs responsabilités peuvent influencer l’avenir de l’entreprise et ils profitent généralement de conditions de travail plus avantageuses.

Par conséquent, les employeurs peuvent se montrer plus exigeants à l’égard des cadres, qui « ne devraient pas être traités en matière disciplinaire comme des employés subalternes » 1.

Ainsi, les cours de justice ont reconnu les principes suivants :

  • Un cadre ne peut « bénéficier » d’une discipline dite progressive, comme les autres employés de l’entreprise, car une suspension constituerait une mesure illogique en raison de la nature de son poste.

    En effet, une mesure disciplinaire vise à permettre à un employé de comprendre la gravité d’une situation pour lui permettre d’y remédier. Cet objectif ne peut raisonnablement être atteint puisque le cadre suspendu subit une perte de crédibilité face aux équipes qu’il supervise 2.

  • L’employeur doit faire part au cadre de son insatisfaction à l’égard de sa conduite ou de sa performance.

    Lorsque le cadre connaît les motifs d’insatisfaction, il lui appartient de revoir ses façons de faire et de répondre aux attentes de la haute direction, qui n’est pas tenue d’expliquer au cadre ce qui doit être changé et d’autant plus, lorsque ce cadre possède plusieurs années d’expérience 3.

  • Un « motif sérieux » s’entend d’une violation par le cadre d’une ou de plusieurs conditions essentielles de son contrat d’emploi ou une conduite répréhensible de sa part.  Dans Sirois c. O’Neil, la Cour d’appel considère que le congédiement du président et chef de la direction de Microcell est justifié parce que ce dernier, de par sa conduite, s’est mis à dos la majorité des cadres supérieurs dont il était responsable; la Cour estime qu’il n’a pas su s’acquitter des obligations inhérentes à la tâche qui lui avait été confiée, soit une tâche de direction, de management et d’organisation :

    « Celui-ci s’était vu confier un poste de commande.  Il était de ses obligations de former une équipe unie, motivée et performante.  C’était son rôle principal.  Il a failli à la tâche.

    Pour caricaturer la situation, la locomotive n’a pas réussi à tirer les wagons. 4 »

  • Afin de déterminer si les motifs de congédiement de l’employeur sont « sérieux », les différents facteurs pertinents s’apprécient selon les circonstances, notamment l’importance du poste occupé par le cadre, la nature de son l’emploi et la gravité des reproches.  Dans Marc Van Den Bulckec. Far-Wic Systèmes Ltée et Groupe Sécurité C.M. inc., la Cour supérieure retient ce qui suit :

    « [61] Selon les circonstances, la négligence dans l’exercice des fonctions, le manque d’autodiscipline et le rendement inférieur à celui sur lequel le cadre s’était entendu avec son employeur, constituent des exemples de motifs sérieux justifiant un congédiement sans délai de congé ou indemnité en tenant lieu. 5 »

    Le Tribunal administratif du travail applique essentiellement les mêmes principes que les cours de justice.

À titre d’illustration, la Commission des relations du travail a souligné qu’il revient au cadre de connaître les comportements incompatibles avec ses obligations suivant son contrat d’emploi dans Mommaerts c. Élopak Canada inc.6, :

« [122] (…) Qui plus est, lorsque ce dernier se voit confier de grandes responsabilités, il devient manifeste que l’on ne peut pas agir de la même manière qu’avec un salarié.  En effet, plus une personne a des responsabilités importantes dans une entreprise, moins on a besoin de l’avertir des conséquences des gestes qu’elle pose ou qu’elle omet de faire. Cela est implicite à la fonction.

[123] Comment peut-on croire qu’un cadre, que l’on suspendrait, aurait la même crédibilité auprès des employés, des collègues-cadres, des fournisseurs et des clients?  La réponse est évidente et favorise une application différente du principe de la gradation des sanctions. »

Conclusion

Bien que le statut de cadre d’une personne comporte des privilèges par rapport aux autres employés d’une organisation, ce statut peut rapidement la fragiliser si elle n’est pas à la hauteur de ses responsabilités.

 

  1. Valcourt c. Maison l’Intervalle, D.T.E. 95T-322 (C.S.), page 12.
  2. Yersh c. CRT et FCA Canada inc. (Chrysler), 2019 QCCS 740, par. 111-113.
  3. Bélanger c. Opéra de Québec, D.T.E. 98T-197 (C.S.), page 23. Voir également, Laraméec. Poly-Actions Inc., D.T.E. 90T-923 (C.S.) et Houle et Fédération de l’U.P.A. de Sherbrooke, D.T.E. 84T-303 (T.A.)
  4. J.E.99-1343 (C.A.), page 29.
  5. 2010 QCCS 6654, par. 61.
  6. 2011 QCCRT 0375, par. 122 et 123.
Retour à la liste des publications

Restez à l'affût des nouvelles juridiques de l'heure. Abonnez-vous à notre infolettre.

M'abonner aux publications