Gaspard Petit Avocat principal

Gaspard Petit Avocat principal

Bureau

  • Montréal

Téléphone

514 878-5419

Courriel

gpetit@lavery.ca

Admission au barreau

  • Québec, 2013

Langues

  • Anglais
  • Français

Profil

Avocat principal en propriété intellectuelle

Gaspard est avocat et conseiller technique au sein du groupe de Propriété Intellectuelle.

Sa pratique se spécialise en droit d’auteur et en brevets, et il s’intéresse particulièrement aux domaines émergents de la haute technologie tels que l’intelligence artificielle et l’automatisation. Il offre des conseils en matière de brevetabilité, de contrefaçon, de protection de secrets commerciaux ainsi que sur plusieurs domaines connexes tels que les données personnelles, les droits de la personnalité et la cybersécurité.

Il a également exercé à titre d'ingénieur spécialisé en logiciels et acquis plus de 15 ans d'expérience dans la programmation, le développement et la gestion des produits et services informatiques, notamment dans les domaines de l’animation 3D, la télédiffusion, des jeux vidéo et de l'infonuagique.

Formation

  • LL.B., Université de Montréal, 2012
  • MBA, HEC Montréal – Finance et TI, 2008
  • M.Sc, Université de Montréal – Informatique, 2006
  • B.Eng, Université Concordia – Génie Logiciel, 2003

Conseils et associations

  • Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), inscrit au tableau principal depuis 2012

Industries

  1. Quand l’IA s’invite au tribunal : rappel à l’ordre dans Specter Aviation

    Huit citations « hallucinées » d’intelligence artificielle (IA) valent 5000 $ pour manquement important (art. 342 C.p.c.) selon l’affaire Specter Aviation1. Bien que l’IA puisse améliorer l’accès à la justice, son usage non vérifié expose à des sanctions — un risque accru pour les parties non représentées. Les tribunaux québécois prônent une ouverture encadrée : l’IA est utile une fois vérifiée, traçable et appuyée par des sources officielles.  Le coût des hallucinations  Le 1er octobre 2025, la Cour supérieure rend un jugement sur une demande contestée d’homologation d’une sentence arbitrale rendue par la Chambre arbitrale internationale de Paris (CAIP) le 9 décembre 2021. En application des articles 645 et 646 C.p.c., son rôle se limite à vérifier si l’un des motifs limitatifs de refus prévus à l’article 646 est démontré. Or, les moyens invoqués — excès de pouvoir, irrégularités procédurales, atteinte aux droits fondamentaux, ordre public, abus — ne cadrent pas et sont peu convaincants. Toutefois, c’est à un autre égard que la décision retient l’attention.  Dans sa contestation, le défendeur, non représenté, s’appuie « sur toute la force possible » que l’intelligence artificielle peut lui offrir. En réponse, les demanderesses déposent un tableau recensant huit occurrences de citations inexistantes, de décisions non rendues, de références sans objet et de conclusions non concordantes. Interrogé à l’audience, le défendeur ne conteste pas que certaines références aient pu être « hallucinées2 ».  Dans son jugement, le juge Morin situe le débat dans les principes. D’une part, l’accès à la justice impose des conditions égales pour tous (level playing field) et une gestion ordonnée et proportionnée des instances. D’autre part, la flexibilité dont bénéficient les justiciables non représentés n’autorise « jamais » la tolérance du faux :   « L’accès à la justice ne saurait jamais s’accommoder de la fabulation ou de la frime3. » La Cour qualifie donc la production d’extraits fictifs de jurisprudence ou d’autorités, que ce soit intentionnellement ou par simple négligence, de manquement grave qui contrevient au caractère solennel du dépôt d’une procédure. Elle s’appuie sur l’article 342 C.p.c. pour condamner le défendeur à payer 5 000 $, dans un objectif de dissuasion et de protection de l’intégrité du processus4.  Art. 342 C.p.c. : Le pouvoir de sanctionner les manquements importants Rappelons que l’article 342 C.p.c. provient de la réforme adoptée en 2014 et entrée en vigueur en 2016. Autorisant le tribunal à sanctionner, à titre de frais de justice, les manquements importants survenus en cours d’instance par une somme juste et raisonnable5, cette disposition est de nature essentiellement punitive et dissuasive. Il s’agit par ailleurs d’un pouvoir distinct du régime des articles 51 à 54 C.p.c. encadrant l’abus et d’une exception au régime général des frais6 permettant, lorsque c’est justifié, d’accorder des honoraires extrajudiciaires7. Le « manquement important » doit être plus qu’anodin et d’une certaine gravité, sans exiger la mauvaise foi. Il suppose du temps et des frais additionnels et heurte les principes directeurs des articles 18 à 20 C.p.c. (proportionnalité, maîtrise et coopération)8.  Près de dix ans plus tard, la jurisprudence illustre un éventail d’usages : 100 000 $ pour le dépôt tardif de requêtes ou d’amendements entraînant des remises et du travail devenu inutile9; 91 770,10 $ pour une remise, le matin du procès, faute d’avoir assuré la présence d’un témoin indispensable10; 10 000 $ pour des retards répétés, la modification tardive des procédures et le non-respect d’ordonnances de gestion11; 3 500 $ pour un défaut ou un retard de communication de la preuve12; 1 000 $ pour le dépôt, en pleine audience, d’une déclaration non communiquée visant à prendre la partie adverse par surprise13.  Sanctions et usages de l’IA au Canada et ailleurs  Par ailleurs, bien que l’utilisation de l’article 342 pour sanctionner un usage non vérifié d’outils technologiques semble constituer une première au Québec, plusieurs jugements au Canada ont déjà imposé des sanctions pour des faits similaires. Notamment, ils ont accordé : 200 $ en dépens contre une partie non représentée pour avoir déposé des écritures contenant des citations partiellement inexistantes afin de compenser le temps de vérification14. 100 $ en Cour fédérale, à la charge personnelle de l’avocat, pour avoir cité des décisions inexistantes générées par l’IA, sans en divulguer l’usage, suivant le test de Kuehne + Nagel15. 1 000 $ devant le Civil Resolution Tribunal de la Colombie-Britannique pour compenser le temps inutilement consacré à traiter des arguments et documents générés par l’IA et manifestement non pertinents, dans un dossier opposant deux parties non représentées16. 500 $ et radiation du dossier contenant des autorités « hallucinées » par l’IA, pour non-respect de la pratique de la Cour fédérale sur l’IA17.  Le montant de 5 000 $ ordonné ici à titre dissuasif se démarque toutefois de ces autres montants essentiellement compensatoires, tout en s’inscrivant dans une tendance internationale, comme en témoignent les cas suivants : Le 22 juin 2023, aux États-Unis (S.D.N.Y.), une pénalité de 5 000 USD a été infligée en vertu de la Rule 11, assortie de mesures non pécuniaires (avis au client et aux juges faussement cités), dans l’affaire Mata v. Avianca, Inc.18. Le 23 septembre 2025, en Italie, une somme de 2 000 € a été prononcée ex art. 96, co. 3 c.p.c. (1 000 € à la partie adverse et 1 000 € à la Cassa delle ammende), en plus de 5 391 € de frais de justice (spese di lite), par le Tribunale di Latina19. Le 15 août 2025, en Australie, des dépens personnels de 8 371,30 AUD ont été ordonnés contre l’avocat du demandeur, avec renvoi au Legal Practice Board of Western Australia, à la suite de citations fictives générées par l’IA (Claude, Copilot)20. Le 22 octobre 2025, aux États-Unis (E.D. Oklahoma), des sanctions pécuniaires totalisant 6 000 $ ont été imposées individuellement à des avocats, qui ont dû rembourser des honoraires de 23 495,90 $, avec radiation des actes et obligation de redépôt vérifié21. Outre les sanctions pécuniaires, les tribunaux québécois recensent déjà plusieurs situations problématiques en lien avec l’utilisation de l’IA, par exemple : La Régie du bâtiment du Québec a dû examiner un mémoire de 191 pages contenant de nombreuses références inexistantes. L’auteur a finalement admis avoir utilisé ChatGPT pour les formuler. Le régisseur souligne la surcharge ainsi créée et la nécessité d’un encadrement de l’usage de l’IA devant la RBQ22. Dans une affaire commerciale, la Cour soupçonne des références « hallucinées » et les écarte, jugeant sur la preuve crédible23. Au Tribunal administratif du logement (TAL), un locateur ayant lu des « traductions » du C.c.Q. obtenues au moyen de ChatGPT — qui en déformaient le sens — voit sa demande rejetée. L’abus n’est toutefois pas retenu, la bonne foi étant reconnue24. Deux décisions jumelles du TAL relèvent qu’une entente (« Lease Transfer and Co-Tenancy Agreement ») avait été rédigée avec l’aide de ChatGPT, mais le Tribunal en fait simplement l’analyse ordinaire (texte, contexte, règles du C.c.Q.) et conclut à une cession de bail différée, sans tirer de conséquence particulière du recours à l’IA25. Devant la Cour du Québec, un justiciable attribue à « ChatGPT » une formulation auto-incriminante de sa requête; la Cour rejette l’explication26. Dans une requête en exclusion de preuve, le requérant soutient qu’il s’est cru obligé de répondre aux enquêteurs après avoir fait, juste avant l’entrevue, des recherches sur Google et ChatGPT concernant ses devoirs de collaboration envers l’employeur. La Cour constate qu’il avait été clairement informé de son droit au silence et qu’il pouvait quitter ou consulter un avocat. Elle conclut donc à l’absence de contrainte réelle et admet la déclaration27.  Ouverture encadrée : l’IA – oui, mais…  Ce ne sont ici que quelques dossiers d’une grande liste qui ne cesse de s’allonger, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale. Toutefois, malgré cette tendance, la décision Specter Aviation évite de stigmatiser l’IA.  Le tribunal insiste plutôt sur une approche d’ouverture encadrée, rappelant qu’une technologie qui favorise l’accès doit être « saluée et encadrée » plutôt que proscrite28. Cette ouverture s’accompagne d’exigences claires, conformément à l’avis institutionnel que la Cour supérieure avait publié le 24 octobre 2023 et dans lequel elle exigeait de la prudence, un recours à des sources fiables (sites Web des tribunaux, éditeurs reconnus, services publics établis) et un « contrôle humain rigoureux » des contenus générés29.  En fait, les guides de pratique des différents tribunaux abondent dans le même sens : il faut encadrer sans bannir. La Cour fédérale exige une déclaration lorsque du contenu généré par l’IA est intégré à un écrit déposé et insiste sur le « maillon humain » de vérification30. La Cour d’appel du Québec31, la Cour du Québec32 et les cours municipales33 formulent des mises en garde analogues : prudence, sources faisant autorité, hyperliens vers des banques reconnues et responsabilité pleine de l’auteur. Nulle part l’IA n’est bannie; partout, elle est conditionnée à la vérification et à la traçabilité.  Quelques indices suggèrent que la magistrature a elle-même recours à l’intelligence artificielle. À la Division des petites créances, un juge a joint à au moins deux reprises, par courtoisie, des traductions anglaises générées par ChatGPT, en précisant leur absence de valeur légale et la primauté de la version française34. En droit de la famille, une décision de la Cour supérieure en matière familiale utilise manifestement un lien de Statistique Canada repéré au moyen d’un outil d’IA (l’URL comporte « utm_source=chatgpt.com »), mais le raisonnement demeure ancré dans les sources primaires et la jurisprudence : l’IA sert de repérage, pas de fondement35.  Une décision rendue le 3 septembre dernier par la Commission d’accès à l’information illustre particulièrement bien cette ouverture pour un usage encadré. Dans l’affaire Breton c. MSSS36, le tribunal admet des pièces contenant du contenu généré par Gemini et Copilot, parce qu’elles sont corroborées par des sources primaires déposées (Journal des débats, extraits de journaux, sites officiels) et pertinentes. Malgré l’art. 2857 C.c.Q. et la souplesse du droit administratif, le tribunal rappelle que l’IA est recevable si, et seulement si, son contenu est vérifié, traçable et étayé par des sources officielles.  L’IA qui veut nous plaire et qu’on veut croire  Par ailleurs, deux constantes se dégagent des cas sanctionnés : une confiance excessive dans la « fiabilité » de l’IA et une sous-estimation du risque d’hallucination. Aux États-Unis, dans l’affaire Mata v. Avianca37, des avocats affirment avoir cru que l’outil ne pouvait pas inventer des causes. Au Canada, dans l’affaire Hussein v. Canada38, l’avocat du demandeur dit s’être fié de bonne foi à un service d’IA sans se rendre pleinement compte de la nécessité de vérifier les références. En Australie, dans l’affaire JNE24 v. Minister for Immigration and Citizenship39, le tribunal rapporte une confiance exagérée dans des outils (Claude, Copilot) et une vérification insuffisante. Au Québec, le TAL constate qu’un locateur « a été induit en erreur par l’utilisation de l’intelligence artificielle40 », tandis que le Tribunal administratif du travail (TAT) relève un recours à des réponses générées par ChatGPT présentées comme « précises à environ 92 %41 ».    Ces exemples décrivent un biais de confiance généralisé particulièrement risqué pour les personnes non représentées : l’IA est perçue comme un accélérateur fiable alors qu’elle exige un surcroît de contrôle humain. Les grands modèles de langage sont optimisés pour produire des réponses plausibles et engageantes; sans encadrement, ils tendent à confirmer les attentes de l’utilisateur plutôt qu’à signaler leurs propres limites42. Un avis publié en avril dernier par OpenAI concernant une mise à jour qui rendait son modèle « trop complaisant » témoigne de la complexité sous-jacente à établir une juste balance entre engagement et rigueur43. On comprend dès lors qu’un plaideur quérulent ait pu se convaincre, sur la foi d’une réponse d’IA, être en droit de poursuivre personnellement un juge pour des actes judiciaires perçus comme partiaux44.  Des modèles entraînés pour « plaire » ou maintenir l’engagement peuvent générer des réponses qui, en l’absence de contextualisation juridique, amplifient des interprétations erronées ou imprudentes. Bien que les fournisseurs de services d’IA cherchent généralement à limiter leur responsabilité quant aux conséquences de réponses erronées, la portée de telles clauses est nécessairement restreinte. Lorsque ChatGPT, Claude et Gemini appliquent des principes juridiques à des faits rapportés par un utilisateur, il semble légitime de se demander si l’entité qui offre ce service ne s’expose pas aux règles d’ordre public qui font de ces gestes des actes réservés aux avocats et auxquelles on ne pourrait déroger par simple clause de non-responsabilité. Dans Standing Buffalo Dakota First Nation v. Maurice Law, la Cour d’appel de la Saskatchewan rappelle d’ailleurs que l’interdiction de pratiquer le droit vise toute « personne » (y compris une personne morale) et envisage expressément que la médiation technologique ne change pas l’analyse des actes réservés45.  Au Québec, ce principe trouve son ancrage dans l’article 128 de la Loi sur le Barreau et le Code des professions : l’information juridique générale est permise, mais l’avis individualisé demeure un acte réservé. Si certaines dérives ont concerné des avocats, les justiciables non représentés apparaissent les plus exposés aux effets de l’IA. Faut-il miser d’abord sur l’éducation des utilisateurs ou restreindre certains cas d’usage? La tension entre l’accès à la justice et la protection du public est, ici, manifeste.  Conclusion  Bref, le jugement Specter Aviation confirme que l’intelligence artificielle a sa place au tribunal, à condition d’être rigoureusement encadrée, et qu’elle est utile lorsqu’elle est vérifiée, mais sanctionnable lorsqu’elle ne l’est pas. On constate que, si l’IA offre des possibilités sans précédent en matière d’accès à la justice, la conjuguer avec la protection du public demeure un enjeu de taille. Malgré ce signal clair, contenir la confiance excessive envers des outils conçus pour être engageants, complaisants et qui prétendent pouvoir répondre à tout restera un défi pour les années à venir.  Specter Aviation Limited c Laprade, 2025 QCCS 3521, en ligne : https://canlii.ca/t/kfp2c Id, par. [35], [53] Id, par. [43] Id, par. [60] Chicoine c Vessia, 2023 QCCA 582, https://canlii.ca/t/jx19q, par. [20]; Gagnon c Audi Canada inc, 2018 QCCS 3128, https://canlii.ca/t/ht3cb, par. [43]–[48]; Layla Jet Ltd. c Acass Canada Ltd, 2020 QCCS 667, https://canlii.ca/t/j5nt8, par. [19]–[26] Code de procédure civile, RLRQ, c C-25.01, art 339–341 Chicoine c Vessia, préc. note 5, par. [20]–[21]; Constellation Brands US Operations c Société de vin internationale ltée, 2019 QCCS 3610, https://canlii.ca/t/j251v, par. [47]–[52]; Webb Electronics Inc c RRF Industries Inc, 2023 QCCS 3716, https://canlii.ca/t/k0fq8, par. [39]–[48]. 9401-0428 Québec inc. c 9414-8442 Québec inc., 2025 QCCA 1030, https://canlii.ca/t/kdz4h, par. [82]–[87]; Biron c 150 Marchand Holdings inc, 2020 QCCA 1537, https://canlii.ca/t/jbnj2, par. [100]; Groupe manufacturier d’ascenseurs Global Tardif inc. c Société de transport de Montréal, 2023 QCCS 1403, https://canlii.ca/t/jx042, par. [26]. Groupe manufacturier d’ascenseurs Global Tardif inc. c Société de transport de Montréal, préc. note 8, par. [58]–[61] (100 000 $ à Global Tardif, 60 000 $ à Intact Assurance, 40 000 $ à Fujitec, tous à titre de frais de justice en application de l’art. 342 C.p.c.); voir aussi 20 000 $ pour une demande de modification au 6? jour de procès ayant forcé la reprise de l’instruction : Paradis c Dupras Ledoux inc., 2024 QCCS 3266, https://canlii.ca/t/k6q26, par. [154]–[171]; Webb Electronics Inc c RRF Industries Inc, préc. note 7 Layla Jet Ltd c Acass Canada Ltd, préc. note 5, par. [23]–[28] Électro-peintres du Québec inc. c 2744-3563 Québec inc., 2023 QCCS 1819, https://canlii.ca/t/jxfn0, par. [18]–[22], [35]–[38]; voir aussi Constant c Larouche, 2020 QCCS 2963, https://canlii.ca/t/j9rwt, par. [37]–[40] (retards répétés à tenir des engagements malgré une ordonnance, sanctionnés 5000 $). Constellation Brands US Operations c Société de vin internationale ltée,préc. note. 7, par. [39]–[43], [47]–[52]; voir aussi AE Services et technologies inc c Foraction inc (Ville de Sainte-Catherine), 2024 QCCS 242, https://canlii.ca/t/k2jvm (retards répétés à transmettre la documentation promise et non-respect d’un engagement devant le tribunal; compensation de 3000 $) Gagnon c SkiBromont.com, 2024 QCCS 3246, https://canlii.ca/t/k6mzz, par. [29]–[37], [41]. J.R.V. v N.L.V., 2025 BCSC 1137, https://canlii.ca/t/kcsnc, par. [51]–[55]. Hussein v Canada (IRCC), 2025 FC 1138, https://canlii.ca/t/kctz0, par. [15]–[17], appliquant Kuehne + Nagel Inc. v Harman Inc, 2021 FC 26, https://canlii.ca/t/jd4j6, par. [52]–[55] (rappel des principes de Young v Young et du test en deux étapes : 1) conduite ayant causé des frais; 2) décision discrétionnaire d’imposer les frais personnellement). AQ v BW, 2025 BCCRT 907, https://canlii.ca/t/kd08x, par. [15]–[16], [38]–[40]. Lloyd’s Register Canada Ltd v Choi, 2025 FC 1233, https://canlii.ca/t/kd4w2. 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Valentina Avarello), sentenza 23 septembre 2025, « Atto redatto con intelligenza artificiale a stampone, con scarsa qualità e mancanza di pertinenza: sì alla condanna ex art. 96 c.p.c. », La Nuova Procedura Civile (29 septembre 2025), en ligne : https://www.lanuovaproceduracivile.com/atto-redatto-con-intelligenza-artificiale-a-stampone-con-scarsa-qualita-e-mancanza-di-pertinenza-si-alla-condanna-ex-art-96-c-p-c-dice-tribunale-di-latina/ Australie, Federal Circuit and Family Court of Australia (Division 2), JNE24 v Minister for Immigration and Citizenship, [2025] FedCFamC2G 1314 (15 août 2025), Gerrard J, en ligne : AustLII https://www.austlii.edu.au/cgi-bin/viewdoc/au/cases/cth/FedCFamC2G/2025/1314.html United States, District Court for the Eastern District of Oklahoma, Mattox v. 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Rize Bikes Inc., 2024 QCCQ 609, en ligne : https://canlii.ca/t/k3lcd, n.1; Brett c. 9187-7654 Québec inc., 2023 QCCQ 8520, en ligne : https://canlii.ca/t/k1dpr, n. 1. Droit de la famille — 251297, 2025 QCCS 3187, en ligne : https://canlii.ca/t/kf96f, par. [138]–[141]. Breton c. Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2025 QCCAI 280, en ligne : https://canlii.ca/t/kftlz, par. [24]–[26], [31] Mata v Avianca, Inc., préc. note 18. Hussein v Canada (IRCC), 2025 FC 1138, préc. note 15, par. [15]–[17]. JNE24 v Minister for Immigration and Citizenship, préc. note 20. Lozano González c. Roberge, préc. note 24, par. [17]. Pâtisseries Jessica inc. et Chen, 2024 QCTAT 1519, en ligne : https://canlii.ca/t/k4f96, par. [34]–[36]. Voir à ce sujet Emilio Ferrara, « Should ChatGPT be Biased? Challenges and Risks of Bias in Large Language Models » (2023), SSRN 4627814, en ligne : https://doi.org/10.2139/ssrn.4627814; Isabel O. Gallegos et al., « Bias and Fairness in Large Language Models: A Survey » (2024) 50:3 Computational Linguistics 1097, doi: 10.1162/coli_a_00524. Voir OpenAI, Sycophancy in GPT-4o: what happened and what we’re doing about it, 29 avril 2025, en ligne : https://openai.com/research/sycophancy-in-gpt-4o; voir aussi Expanding on what we missed with sycophancy, 2 mai 2025. en ligne: https://openai.com/index/expanding-on-sycophancy/ Verreault c. Gagnon, 2023 QCCS 4922, en ligne : https://canlii.ca/t/k243v, par. [16], [28]. Standing Buffalo Dakota First Nation v Maurice Law Barristers and Solicitors (Ron S. Maurice Professional Corporation), 2024 SKCA 14, en ligne : https://canlii.ca/t/k2wn9, par. [37]–[40], [88]–[103]

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  2. C-244 : Déverrouiller la réparation des biens

    Le 7 novembre dernier, le projet de loi C-244 intitulé Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (diagnostic, entretien et réparation)1 a reçu la sanction royale, ajoutant une nouvelle exception à l’encadrement des mesures techniques de protection (MTP) par la Loi sur le droit d’auteur (LDA). Cette modification législative introduit l'article 41.121 à la LDA, permettant désormais le contournement des MTP pour l'entretien, la réparation et le diagnostic des produits. Constat L’impact réel du nouvel article 41.121 sur le marché de la réparation au Canada est limité. Malgré l’amendement à la LDA, il demeure interdit pour les réparateurs de recourir aux services d’un spécialiste en contournement de MTP, et le matériel spécialisé à ces fins reste prohibé. Par ailleurs, bien qu’un réparateur puisse désormais contourner les MTP pour diagnostiquer, entretenir ou réparer l’appareil d’un client, les risques de contrefaçon de droit d’auteur persistent, puisque l’amendement omet d’introduire une exception d’utilisation équitable à ces fins. De plus, certaines questions demeurent en suspens : quelle sera, par exemple, la portée attribuée par les tribunaux aux termes « entretien » et « réparation »? L’exception permet-elle de mettre à niveau un appareil selon de nouvelles normes ou de le réparer à l’aide de pièces plus performantes, ou le réparateur doit-il se limiter à entretenir l’appareil uniquement selon les spécifications d’origine? Pensons, par exemple, au cas d’un appareil connecté rendu obsolète par l’adoption d’une nouvelle norme de sécurité : sa mise à jour constituera-t-elle un entretien? Bref, l’adoption du projet de loi C-244 est un pas timide vers le droit à la réparabilité des biens, témoignant des défis de concilier droit de propriété des biens et droit de propriété intellectuelle. Modifications apportées par C-244 L’article 41.121, tel qu’introduit par C-244 se décline en trois paragraphes : Diagnostic, maintien et réparation 41.121 (1) L’alinéa 41.1(1)a) ne s’applique pas à la personne qui contourne une mesure technique de protection dans le seul but d’effectuer tout entretien ou toute réparation sur un produit, y compris tout diagnostic connexe, duquel fait partie une œuvre, une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore ou un enregistrement sonore dont l’accès est contrôlé par la mesure technique de protection. Précision (2) Il est entendu que le paragraphe (1) s’applique à la personne qui, dans les circonstances prévues à ce paragraphe, contourne la mesure technique de protection pour une autre personne. Exclusion (3) Ne peut toutefois bénéficier de l’application du paragraphe (1) la personne qui, dans les circonstances prévues à ce paragraphe, accomplit un acte qui constitue une violation du droit d’auteur. Ce nouvel article écarte ainsi la protection des MTP à des fins d’entretien et de réparation, y compris tout diagnostic connexe. Le paragraphe 41.121(2) précise que cette exception s’applique également à la personne qui effectue la réparation pour une autre personne, par exemple un réparateur professionnel. Le paragraphe 41.121(3) précise, quant à lui, que cette exception n’est applicable que dans les situations où il n’y a pas de contrefaçon de droit d’auteur; par exemple, une personne qui contournerait les MTP à des fins de réparation, mais qui en profiterait pour faire une copie illicite d’un programme d’ordinateur. Le projet de loi C-244 réintroduisait certaines dispositions du projet de loi C-2722, déposé en septembre 2020 puis abandonné à la suite des élections fédérales de 2021. Toutefois, contrairement au texte d’origine, le changement adopté le 7 novembre dernier ne permet pas la fabrication, l’importation et la distribution d’appareils permettant le contournement de MTP en vue d’effectuer des réparations, et se limite plutôt à permettre le geste du contournement lui-même. Origine du problème Rappelons que le projet C-272 était en quelque sorte une réponse à l’affaire Nintendo of America Inc. c. King3, qui avait considérablement refroidi l’industrie de la réparation d’appareils munis de MTP. Dans cette affaire, la Cour fédérale avait accordé 11,7 millions de dollars en dommages-intérêts préétablis (« statutory damages ») en faveur de Nintendo of America Inc. pour le contournement de ses MTP, soit 20 000 $ pour chacun des 585 jeux touchés, en plus d’ajouter 1 million de dollars en dommages-intérêts punitifs. Les MTP, également connus sous le nom de verrous numériques ou de DRM (« Digital Rights Management »), sont des dispositifs ou des technologies utilisés pour protéger les droits d'auteur et les informations sensibles dans le domaine numérique. Ils servent généralement à contrôler l'accès, la copie, la modification et la redistribution de contenus numériques tels que des fichiers audio, vidéo, des logiciels, des livres électroniques, etc. Les MTP peuvent prendre diverses formes, notamment des codes d'accès, des mots de passe, des clés de chiffrement, des filigranes numériques (« watermark »), des signatures numériques, des techniques de cryptage, des protections matérielles intégrées, etc. Elles sont souvent intégrées dans les fichiers eux-mêmes ou dans les appareils qui les lisent, les stockent ou les diffusent. Le chiffrement des DVD et la protection des cartouches de jeux vidéo en sont des exemples bien connus. À l’origine, l’encadrement des MTP avait été proposé par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), alors qu’on craignait que la montée en popularité d’Internet entrainerait une forte croissance de la contrefaçon du droit d’auteur4. En 1999, les États-Unis ratifiaient cet encadrement suite à l’adoption du Digital Millennium Copyright Act (DMCA), suivis, en 2014, par le Canada suite à l’entrée en vigueur de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur5. Cet amendement législatif introduisait notamment l’article 41.1 à la LDA, qui interdit depuis le contournement des MTP.De nos jours, les MTP se trouvent dans les voitures, les tracteurs, les implants médicaux, les cartouches d'imprimante, les consoles de jeux, les petits appareils électroniques et bien d’autres objets. L’octroi de 11,7 millions de dollars en faveur de Nintendo of America Inc. sur la base de cette disposition a eu l’effet d’une douche froide sur l’industrie de la réparation6. En réponse à cette décision, le projet de loi C-272 proposait une exception à l’interdiction de contourner les MTP à des fins de diagnostic, d'entretien et de réparation (référant à l’interdiction énoncée à l’alinéa 41.1(1)a) de la LDA), ainsi qu’une exception permettant la fabrication, l’importation ou la fourniture de produits permettant de contourner les MTP à des fins de diagnostic, d'entretien et de réparation (référant ici à l’interdiction énoncée à l’alinéa 41.1(1)c) de cette même loi). Harmonisation avec l’Accord Canada-États-Unis-Mexique La portée du nouvel article 41.121, introduit par le projet de loi C-244, a toutefois été considérablement restreinte afin d’éviter les conflits avec l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). L’article 20.66 de l’ACEUM prévoit en effet que les pays membres doivent adopter trois catégories d’interdictions en lien avec les MTP : l’interdiction d’offrir des services de contournement de MTP, l’interdiction de fabriquer, d’importer ou de distribuer des appareils pouvant servir au contournement de MTP, et l’interdiction même de contourner les MTP. Le cinquième paragraphe de l’article 20.66 prévoit certaines exceptions pour chacune de ces catégories, notamment pour des motifs d’interopérabilité, de recherche sur le chiffrement (sécurité) et d’activités gouvernementales – qui, pour la plupart, sont prévues aux articles 41.11 et suivants de la LDA – mais il ne prévoit pas d’exception pour la réparation des biens. L’exception prévue à l’article 41.121 a donc été circonscrite à la troisième catégorie de l’ACEUM : l’interdiction même de contourner les MTP, prévue à l’alinéa 41.1(1)a). Les interdictions d’offrir des services de contournement et de fabriquer, d’importer ou de distribuer des appareils permettant le contournement, prévues respectivement aux alinéas 41.1(1)b) et 41.1(1)c), demeurent donc inchangées, même dans un objectif de réparation. Une nouvelle ambiguïté Nos collègues juristes partageront peut-être notre malaise quant aux modifications apportées aux définitions de l’article 41. Le législateur, en tentant de préciser l’applicabilité de la nouvelle disposition, semble plutôt avoir semé une nouvelle confusion par l’ajout de deux expressions contradictoires aux définitions de contourner et de mesure technique de protection, qui n’étaient pourtant pas nécessaires. Avant Après Mesures techniques de protection et information sur le régime des droits Définitions 41 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 41.1 à 41.21. contourner a)        S’agissant de la mesure technique de protection au sens de l’alinéa a) de la définition de ce terme, éviter, supprimer, désactiver ou entraver la mesure — notamment décoder ou déchiffrer l’œuvre protégée par la mesure — sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur; Mesures techniques de protection et information sur le régime des droits Définitions 41 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 41.1 à 41.21. contourner a)        S’agissant de la mesure technique de protection au sens de l’alinéa a) de la définition de ce terme, éviter, supprimer, désactiver ou entraver la mesure — notamment décoder ou déchiffrer l’œuvre ou le programme d’ordinateur protégés par la mesure — sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur; b)        … b)        … mesure technique de protection Toute technologie ou tout dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement : a)        soit contrôle efficacement l’accès à une œuvre, à une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore ou à un enregistrement sonore et est autorisé par le titulaire du droit d’auteur mesure technique de protection Toute technologie ou tout dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement a)        soit contrôle efficacement l’accès à une œuvre, y compris un programme d’ordinateur, à une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore ou à un enregistrement sonore et est autorisé par le titulaire du droit d’auteur; b)        … b)        … Dans le premier cas, on précise que la définition s’applique dans le cas de « l’œuvre ou [du] programme d’ordinateur protégés par la mesure », ce qui laisse sous-entendre qu’un programme d’ordinateur ne constitue pas une œuvre… alors que dans la seconde définition, on indique plutôt « une œuvre, y compris un programme d’ordinateur », ce qui sous-entend le contraire. La clarification n’était pourtant pas nécessaire, puisque la définition d’« œuvre » comprend les œuvres littéraires, et que l’article 2 de la LDA prévoit expressément que les programmes d’ordinateur sont assimilés aux œuvres littéraires. Il est dommage que malgré plusieurs interventions lors des examens parlementaires7, ce texte ait été ultimement adopté tel quel. Balancer droit de propriété (des biens) et droit de propriété intellectuelle Les débats entourant ce changement législatif témoignent bien de la difficulté de trouver un équilibre dans l’affaiblissement du droit de propriété des biens (et du droit de les réparer) au profit des droits de propriété intellectuelle. Par exemple, l'Association canadienne du logiciel de divertissement a plaidé pour l’exclusion des consoles de jeux de cette nouvelle exception8. Selon Paul Fogolin, vice-président, Politique et affaires gouvernementales de cette association, une ouverture trop large au droit à la réparation des biens mettrait en péril l’industrie du jeu vidéo en rendant presque impossible pour les titulaires de droits de poursuivre en justice ceux qui trafiquent leurs dispositifs de protection9. Charles Bernard, économiste principal pour l’Association des concessionnaires d'automobiles du Canada s’inquiétait des risques associés au vol automobile10. Pour sa part, Catherine Lovrics, présidente du Comité de politique du droit d'auteur, Institut de la propriété intellectuelle du Canada, entrevoyait des risques en lien avec la cybersécurité11. Selon plusieurs intervenants de l’industrie, la mise à disposition de documents, de logiciels, de pièces et d’outils en vue d’une réparation augmenterait les risques de cyberattaques. Des risques semblables sont rapportés par des représentants de l’industrie aux États-Unis. Par exemple, l’Association of Equipment Manufacturers suggère que la possibilité de contourner les MTP pourrait compromettre les contrôles d'émissions sur les équipements, ce qui pourrait entraîner des infractions environnementales et des risques pour la vie humaine12. D’autres s’inquiètent des enjeux de responsabilité du fabricant13. Selon Apple et Panasonic, les produits électroniques d'aujourd'hui sont trop complexes pour être réparés par des personnes non spécialisées14. Ainsi, accorder un droit à la réparation élargi pourrait compromettre la sécurité des consommateurs. Les préoccupations en lien avec la sécurité, la sûreté et la responsabilité sont certes légitimes, mais on peut se questionner à savoir si le droit de la propriété intellectuelle est le bon outil pour y répondre. Shannon Sereda, directrice des relations gouvernementales, des politiques et des marchés des commissions du blé et de l'orge de l'Alberta, a notamment mis en lumière les risques que représentait pour les agriculteurs l’impossibilité de réparer rapidement eux-mêmes leur équipement. Selon elle, « [TRADUCTION] l'environnement législatif actuel au Canada soutient les monopoles de réparation d'équipement en permettant aux fabricants d'origine (OEM) d'interdire le contournement des MTP15. » Ces propos ont été corroborés par, Anthony D. Rosborough, chercheur au Département de droit de l'Institut universitaire européen, qui déplorait que les MTP « fonctionnent principalement pour protéger les technologies, plutôt que les œuvres ou les droits des auteurs ». Selon lui, l’industrie tente parfois de protéger par droit d’auteur ce qui devrait être protégé par brevet ou secret commercial16. L’assouplissement des règles relatives aux MTP fait écho à des mesures semblables déjà adoptées aux États-Unis. En effet, le 28 octobre dernier, le Librarian of Congress a renouvelé une série d’exceptions à l’article 1201 du Digital Millennium Copyright Act (DMCA), dont l’une permet de contourner certains moyens de protection à des fins de réparation 17. Ces exceptions sont renouvelables tous les trois ans, mais elles ont été, jusqu’à présent, renouvelées deux fois depuis 201818. Les États-Unis ont entrepris plusieurs mesures pour promouvoir la réparabilité des biens depuis quelques années. En mai 2021, la Federal Trade Commission (FTC) a déposé un rapport détaillé19 sur diverses pratiques anticoncurrentielles en matière de droit à la réparation. Le 9 juillet 2021, peu après ce rapport, le président américain a émis un décret présidentiel pour lutter contre ces pratiques et favoriser le développement d’un marché de réparation par des tiers ou par les propriétaires20. Depuis, plusieurs États ont adopté des lois visant à promouvoir le droit à la réparation21. Le 8 janvier 2023, John Deere s'est également engagé à permettre la réparation de son équipement par des réparateurs indépendants22. Apple Inc., qui historiquement s'opposait à l'élargissement du droit à la réparation, a finalement changé de position en 2022, en lançant un service de réparation en libre-service et en appuyant publiquement la nouvelle loi californienne portant sur le droit à la réparation23. L’année dernière, l’OMPI rapportait que 40 États américains avaient entrepris des propositions de loi en faveur du droit à réparer24. Chez nous, l’adoption du projet de loi C-244 s’inscrit également dans l’émergence d’un droit à la réparation des biens. Cette mesure s’ajoute, en ce sens, à un autre projet de loi fédéral, C-5925, adopté en juin dernier et modifiant la Loi sur la concurrence afin de permettre aux tribunaux de contraindre un fournisseur à vendre des outils de diagnostic ou de réparation. Au niveau provincial, rappelons que, l’an dernier, Québec devenait la première province à se doter d’une loi en matière de droit à la réparation26. Nous pourrons observer, au cours des prochains mois, si le nouvel article 41.121 de la LDA permettra de déverrouiller le marché de la réparation. Pour l’instant, la mesure nous parait plutôt timide.27 Parlement du Canada, « LEGISinfo : C-244 : Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (diagnostic, entretien et réparation) », Parlement du Canada, en ligne : https://www.parl.ca/legisinfo/fr/projet-de-loi/44-1/c-244. Parlement du Canada, « LEGISinfo : C-272 : Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (diagnostic, entretien et réparation) », Parlement du Canada, en ligne : https://www.parl.ca/legisinfo/fr/projet-de-loi/43-2/c-272. Nintendo of America Inc. v. King, 2017 FC 246, [2018] 1 FCR 509. Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur, 20 décembre 1996, article 11, en ligne : https://www.wipo.int/wipolex/fr/treaties/textdetails/12740. Loi sur la modernisation du droit d’auteur, L.C. 2012, ch. 20, sanctionnée le 2012-06-29, en ligne : https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/LoisAnnuelles/2012_20/TexteComplet.html. Gazette du Canada, vol. 146, no 23 — le 7 novembre 2012, TR/2012-85 Décret fixant plusieurs dates d’entrée en vigueur de diverses dispositions de la loi, C.P. 2012-1392, le 25 octobre 2012, en ligne : https://canadagazette.gc.ca/rp-pr/p2/2012/2012-11-07/html/si-tr85-fra.html. Graham J. 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Assemblée nationale du Québec, « Projet de loi n° 29, Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens » en ligne : https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-29-43-1.html. L'auteur tient à remercier Laura Trépanier-Champagne pour son travail au soutien de la rédaction de cette publication

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  3. La valse-hésitation du brevet logiciel au Canada

    Mercredi dernier, la Cour d’appel fédérale rendait un jugement très attendu au sujet de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur (brevets logiciels). Dans la décision Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, la Cour d’appel fédérale rejette le test qu’avait proposé l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC) en première instance. D’une part, selon la Cour d’appel, la juge Gagné ne pouvait pas inclure le cadre proposé par l’IPIC au dispositif de son jugement en première instance puisque la demande des parties ne le prévoyait pas. D’autre part, il est encore prématuré, à son avis, de prescrire un cadre d’analyse en matière de brevets logiciels puisqu’il demeure plusieurs notions qui méritent encore d’être interprétées par les tribunaux canadiens. Retour à la case départ? Pas tout à fait. Rappel des faits de l’affaire Benjamin Moore (2022) Cette décision est la plus récente dans la saga des brevets logiciels au Canada et vient remettre de l’ordre dans une suite d’évènements tout à fait inhabituels. Pour ceux qui viennent de se joindre à nous, voici un bref rappel des faits. En 2010, Benjamin Moore entame une phase nationale au Canada pour deux demandes de brevets logiciels1. Les logiciels permettent de naviguer dans une banque de couleurs à partir de critères d’émotions et d’harmonie. En octobre 2014, les demandes sont rejetées au motif que les brevets portent sur de la matière non brevetable. En appliquant un cadre d’analyse que l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) appelle « problème-solution », l’examinateur en est venu à la conclusion que ces inventions se résument à appliquer des formules mathématiques sur une base de données. Or, les formules mathématiques ne sont pas brevetables. En mai 2020, la Commission d'appel des brevets (CAB) confirme cette décision. En novembre 2020, Benjamin Moore porte le rejet en appel devant la Cour fédérale. Fait inusité, lors de l’audience du 30 mars 2022, le procureur général reconnaît d’emblée, à la lumière de la décision Choueifaty2 rendue entre temps, que la commissaire aux brevets n’a pas appliqué le bon test et est d’accord pour renvoyer les brevets en réexamen. Autre fait inusité, l’IPIC intervient comme tiers au motif que l’affaire transcende les intérêts des parties puisque les examinateurs de l’OPIC continuent d’appliquer les mauvais critères en matière de brevetabilité de logiciels malgré les rappels à l’ordre répétés des tribunaux. Ainsi, l’IPIC souhaite pousser le dossier plus loin afin de rendre plus prévisible l’obtention de brevets logiciels en imposant le cadre d’analyse que devra suivre l’OPIC lors de ses examens. Dans un jugement surprenant, la juge Gagné accueille la demande de l’IPIC : les demandes de brevet doivent être réexaminées, et ce, selon le cadre d’analyse proposé par l’IPIC. Il s’agit donc d’un jugement déclaratoire reconnaissant la nécessité du cadre d’analyse proposé par l’IPIC. Du jour au lendemain, ce test devient le test applicable en matière de brevets logiciels. L’intervention de l’IPIC dans Benjamin Moore (2022) ou la nécessité de clarifier le cadre d’analyse des brevets logiciels L’IPIC n’en était pas à sa première intervention en tant que tierce partie à un dossier portant sur des brevets. Ce type de participation n’est pas toujours perçu d’un bon œil par les tribunaux, particulièrement en matière de révision administrative. D’ailleurs, vendredi dernier dans l’affaire Taillefer c. Canada3, la juge McDonald a refusé son intervention après avoir appliqué le test en trois parties, développé par la Cour d’appel fédéral4. Dans sa décision, elle écrit [notre traduction] : « dans la mesure où l'IPIC a l'intention de présenter des observations sur la question de l'approche appropriée de l'interprétation des lois, comme l'a noté la Cour d'appel fédérale ci-dessus, une telle intervention n'est pas appropriée ». Plusieurs agents de brevets et juristes se sont toutefois réjoui en 2022 de voir un cadre d’analyse plus prévisible se dessiner enfin. L’intervention de l’IPIC était certes inusitée, mais il faut revenir à la trame historique canadienne en matière de brevets logiciels pour bien saisir le problème qu’elle tentait de résoudre. Rappelons d’emblée que la Loi sur les brevets est silencieuse au sujet des logiciels. La loi définit une invention comme étant « toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité »5. Pour breveter un logiciel, il faut donc se rabattre sur une description créative de celui-ci : le décrire tel un procédé, ou encore tel un appareil de stockage sur lequel se trouvent des instructions qui, une fois exécutées par un processeur, produisent des effets particuliers. L’absence d’un véritable cadre législatif propre aux logiciels laisse un vide que les tribunaux se voient contraints de remplir en interprétant une loi dont la dernière refonte concorde avec la sortie de Windows 95 et de ses 13 disquettes. Or donc, au début des années 1970, le Bureau des brevets du Canada, chargé d’examiner les demandes de brevets, publie une notice à l'attention des professionnels des brevets expliquant qu’à son avis, les logiciels constituent un sujet non brevetable. Puis, à la suite de la décision américaine Waldbaum6, le Bureau démontre une certaine ouverture, mais fait marche arrière en 1978 dans un effort d’harmoniser ses pratiques avec la jurisprudence américaine et anglaise de l’époque. En 1981, la décision de Schlumberger7 deviendra la décision phare en matière de brevets logiciels, statuant qu’un logiciel qui s’apparente à la simple exécution d’une formule mathématique par un ordinateur ne peut être breveté. L’interprétation que fait le Bureau des brevets mène au rejet massif de demandes, mais lorsque portés en appel, la majorité des rejets sont jugés contenir de la matière brevetable et sont renvoyés aux examinateurs. En 1984, la directive de l’OPIC s’ajuste et devient enfin plus permissive. Toutefois, en 2009, le Bureau des brevets rejette une demande d’Amazon sous prétexte que le brevet porte sur un sujet non brevetable. En 2011, la Cour d’appel fédérale lui reprochera d’utiliser un test simplifié dans l’évaluation des brevets logiciels8. Le bureau semble généraliser certains principes de la jurisprudence sans tenir compte des faits et du contexte. Le brevet d’Amazon portait sur l’utilisation d’un témoin (cookie) afin de permettre l’achat en ligne sans authentification (le fameux « one-click ») et l’OPIC avait de la difficulté à concevoir qu’une invention puisse être entièrement immatérielle. Le brevet sera finalement accordé, mais plutôt que de suivre les recommandations de la Cour d’appel, l’OPIC publie de nouvelles notices de pratique en 2012 puis en 2013 sans toutefois tenir compte de la jurisprudence récente. Les contradictions entre ces notices de pratique et la jurisprudence ont mené à un examen imprévisible des brevets selon que les examinateurs suivaient les notices internes ou la jurisprudence. À l’été 2020, la Cour fédérale rappelle l’OPIC à l’ordre dans l’affaire Choueifaty9, et explique que la méthode « problème-solution » décrite dans ses Recueils des pratiques n’est pas conforme aux enseignements de la jurisprudence canadienne. Par suite de cette décision, l’OPIC modifie ses notices tout en rétablissant certains principes qui avaient été cependant proscrits par la décision Amazon, notamment en appliquant l’article 27 de la Loi sur les brevets à invention plutôt qu’à l’objet que définit la revendication10. Bref, pendant que la complexité des logiciels croît de façon exponentielle, le droit lui, se dessine une décision à la fois au détriment des inventeurs qui doivent patienter et faire les frais des incertitudes. Lorsque l’IPIC intervient comme tiers dans l’affaire Benjamin Moore et y propose un cadre d’analyse, c’est avec l’espoir de mettre fin à près de 50 ans de confusion et d’imprévisibilité. Le malaise post-Benjamin Moore (2022) Il résulte de ce jugement déclaratoire un certain malaise pour l’OPIC et le procureur général qui se portent en appel à l’automne 2022. Au lendemain du jugement de la Cour fédérale, l’OPIC plaide qu’il deviendra difficile pour un examinateur d’adapter la méthode d’évaluation à de nouvelles situations sans risquer un outrage au tribunal. De plus, la demande initiale en Cour fédérale déposée par Benjamin Moore ne visait aucunement l’obtention d’un jugement déclaratoire et le procureur général plaide que la Cour aurait dû s’en tenir aux conclusions recherchées par Benjamin Moore et le Procureur général. L’appel du jugement porte donc sur l’opportunité d’émettre un jugement déclaratoire imposant un cadre d’analyse à la demande d’un tiers. Minimalisme judiciaire — Benjamin Moore (2023) Dans le jugement de 41 pages rendu mercredi dernier, la Cour d’appel fédérale réitère en effet l’importance du minimalisme judiciaire tout en accueillant la demande du procureur général de retirer l’imposition d’un cadre d’analyse à l’OPIC. La Cour d’appel est sans équivoque en ce qui concerne l’ajout du cadre d’analyse au dispositif du jugement de première instance : À en juger par l’absence d’analyse détaillée dans les motifs de la CF, la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la version actuelle du RPBB (modifié par PN2020-04) n’était pas pertinente et son examen lacunaire de la jurisprudence applicable, il me semble que cette cour, en incluant le test dans son jugement plutôt que dans ses motifs, n’a fait que « parachuter » le test à notre Cour. Une telle démarche, qui se distingue de la situation où le tribunal traite dans des remarques incidentes d’une question qui n’est pas essentielle au règlement du litige dont il est saisi, est déplacée. Ce n’est pas faire preuve de [traduction] « courage judiciaire », comme l’a affirmé l’IPIC devant la Cour fédérale.11 La Cour rappelle également que les « intervenants ne sont pas habilités à demander une réparation que les parties elles-mêmes n’ont pas sollicitée » 12. Au surcroît, la Cour rappelle « qu’à moins que l’avis d’appel ne mentionne expressément l’adoption d’un test précis visant l’ensemble des inventions mises en œuvre par ordinateur comme réparation recherchée, une telle mesure ne devrait pas, à quelques exceptions près, être envisagée »13. Enfin, reconnaissant que la Cour fédérale est habilitée à rendre des jugements déclaratoires, elle rappelle que même lorsque demandé en bonne et due forme, le tribunal « ne peut exercer le pouvoir discrétionnaire qui permet d’accorder une telle mesure qu’après avoir appliqué le critère à quatre volets énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, au paragraphe 81 »14. Rejet du cadre d’analyse de l’IPIC Ayant conclu qu’elle pourrait corriger le jugement de première instance en appliquant le critère à quatre volets, la juge Gauthier explique plutôt que le cadre proposé par l’IPIC n’est pas adéquat et qu’il demeure trop de questions ouvertes, méritant d’être analysées par les tribunaux avant de pouvoir prescrire un cadre d’analyse. La décision offre toutefois quelques conseils en obiter, insistant sur la nécessité pour le brevet d’ajouter à la connaissance humaine. À ce sujet, la juge Gauthier écrit : « l’aspect difficile consiste souvent à déterminer en quoi consiste la découverte, c’est-à-dire ce qui a été ajouté à la connaissance humaine » et plus loin : « si la seule nouvelle connaissance consiste en la méthode en soi, c’est cette méthode qui constitue l’objet brevetable. » Le cadre proposé par l’IPIC ayant été rejeté, il faut donc se rabattre sur les décisions précédentes afin de déterminer si un logiciel est brevetable ou non. Le défi des brevets logiciels Pour comprendre pourquoi l’OPIC est parfois hésitante à accorder des brevets logiciels, il est bon de se rappeler que les brevets sont une exception au principe de concurrence. La Loi sur la concurrence15 prévoit en effet à l’article 79(5) que l’exercice du monopole obtenu grâce à un brevet, tout comme l’exercice des autres droits de propriété intellectuelle, ne constitue pas un agissement anticoncurrentiel. Ce privilège, accordé pour une durée de vingt ans au détenteur d’un brevet, se veut une contrepartie pour la divulgation publique de l’invention, au profit éventuel de la société entière. Ce principe d’échange ne date pas d’hier, la plupart des systèmes de brevets actuels se sont inspirés du Statute of Monopolies anglais de 1623. Il est cependant à parier que les Anglais de 1623 n’avaient pas anticipé l’apparition des logiciels. Or, historiquement, les créations permettant l’obtention d’un brevet comprenaient une composante tangible : une machine, un appareil, la transformation de la matière, etc. À l’inverse, les créations ne permettant pas l’obtention d’un brevet avaient souvent un aspect intangible : les idées abstraites, des formules mathématiques, l’esthétisme, la musique, etc. Lorsque les logiciels sont apparus, le sophisme était inévitable. Par ailleurs, la notion de « logiciel » est elle-même difficile à circonscrire. Le logiciel ne se résume pas au code qui a été utilisé pour l’assembler (ce dernier étant protégeable par droit d’auteur plutôt que par brevet). Ainsi, deux programmeurs guidés par les mêmes requis et spécifications réaliseront sans aucun doute des implémentations différentes, compilées en instructions machines différentes, mais qui, une fois exécutées, résulteront en ce qui pourrait être considéré comme étant le même logiciel. Breveter un logiciel revient donc en quelque sort à en breveter des éléments de ses spécifications. Lorsqu’on s’intéresse à une invention mécanique et qu’on en décrit les composantes fondamentales, on y trouve des pièces aux formes particulières s’attachant les unes aux autres. Décortiquez un logiciel en composantes fondamentales, et vous y trouverez des états, des seuils et des conditions, souvent décrites sous la forme de concepts abstraits et de formules mathématiques. Or, ces éléments se rapprochent dangereusement d’un type de sujet formellement exclu par la Loi sur les brevets. L’article 27(8) prévoit en effet qu’« il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques ». L’exclusion vise à garantir que les principes scientifiques demeurent accessibles à tous pour favoriser la recherche et l’innovation. Il est donc du devoir d’un examinateur de rejeter une demande qui viserait à s’approprier des principes scientifiques. Ainsi, selon qu’un examinateur s’intéresse à l’objectif du logiciel dans son ensemble ou à ses composantes, il conclura qu’il est brevetable ou non. La difficulté revient à reconnaître qu’un logiciel est généralement plus qu’un ensemble de formules mathématiques — il faut voir la moustache plutôt que les poils, la forêt plutôt que les arbres. C’est ce que les tribunaux canadiens ont appelé l’approche téléologique. Dans l’affaire Benjamin Moore, la Cour d’appel fédérale qualifie l’approche téléologique d’« exercice difficile, même pour les juges »16 et soumet que lorsqu’il y a erreur, c’est que « l’OPIC et la commissaire n’ont tout simplement pas compris toutes les nuances de cet exercice difficile »17. Au même paragraphe, sur une note positive, elle rassure toutefois que la nécessité d’appliquer cette méthode ne devrait plus causer problème puisque « [c]omme le fait remarquer le PG, la commissaire n’a pas interjeté appel de la décision Choueifaty, car cette dernière a dissipé la confusion relative à l’interprétation téléologique […] ».Rassurés ou non, force est de reconnaître que l’intervention de l’IPIC n’était peut-être pas la solution appropriée à ce problème — surtout lorsqu’on prend en considération Benjamin Moore qui s’est vue prise en otage par un débat qui déborde le domaine privé. Toutefois on ne peut que saluer l’effort de l’IPIC et se demander si laisser les tribunaux dessiner le cadre d’analyse, une décision à la fois, est une façon efficace d’établir le droit en matière de brevets logiciels. Cet avancement se fait indéniablement aux frais des inventeurs. https://www.ic.gc.ca/opic-cipo/cpd/fra/brevet/2695130/sommaire.html et https://www.ic.gc.ca/opic-cipo/cpd/fra/brevet/2695146/sommaire.html Choueifaty c. Canada (Procureur général), 2020 CF 837 Taillefer v. Canada (Attorney General), 2023 FC 1033 Right to Life Association of Toronto and Area c. Canada (Emploi, Développement de la main-d’œuvre et du Travail), 2022 CAF 67 Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, art. 2 In re Waldbaum, 559 F.2d 611, 194 USPQ 465 Schlumberger Canada Ltd. c. Le commissaire des brevets, [1982] 1 CF 845 Amazon.com, Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 328 Choueifaty c. Canada (Procureur général), 2020 CF 837 Amazon.com, Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 328, par. 39 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 29 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 32, citant Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 174, para. 54 à 55; Zak c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 80, para. 4 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 34, citant Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 218, para. 21 à 22; Boubala c. Khwaja, 2023 CF 658, para. 27; Hendrikx c. Canada (Sécurité publique), 2022 CF 1068, para. 27 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 35 Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 43 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 44

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