Litige de propriété intellectuelle

Vue d’ensemble

Le respect et la défense de vos droits de propriété intellectuelle dépendent d’une stratégie de litige réfléchie. Nous vous aiderons à bénéficier pleinement de vos droits de propriété intellectuelle de tous types.

Chez Lavery, nous adoptons une approche d’équipe pour résoudre les conflits actuels ou potentiels, que ce soit par le litige ou des modes alternatifs de règlement, tels que la négociation, la médiation et l’arbitrage.

En particulier, nous plaidons devant les cours et tribunaux fédéraux et québécois en matière de :

  • contrefaçon et validité des droits de propriété intellectuelle,
  • annulation et radiation des droits de propriété intellectuelle,
  • demandes en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité),
  • recours extraordinaires, tels les injonctions, les saisies, incluant Anton Piller,
  • opposition de marques de commerce,
  • « passing-off » et concurrence déloyale,
  • contrôle judiciaire des décisions de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada,
  • différends entre actionnaires basés sur des droits de propriété intellectuelle,
  • différends basés sur les licences et contrats de franchise, la protection des secrets commerciaux, ainsi que les clauses de non-concurrence et non-sollicitation et
  • affaires réglementaires.


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  1. Incitation implicite à la contrefaçon de brevet - la Cour d’appel fédérale se prononce

    Peut-on violer un brevet même si l’on ne fabrique ni n’assemble le produit breveté et que l’on n’utilise pas l’invention ?  Effectivement, il est possible d’être en contravention d’un brevet même si l’on ne fabrique ni n’assemble le produit breveté et que l’on n’utilise pas l’invention. Il s’agit de la théorie d’incitation à la contrefaçon.  Évidemment, les actes d’« incitation » sont soumis à certaines conditions avant de conclure à une contrefaçon indirecte. Ces conditions ont récemment été précisées par la Cour d’appel fédérale. Qu’est-ce que l’incitation à la contrefaçon et le test applicable?  À titre d’exemple, si l’invention brevetée est une solution contenant les éléments A, B et C à boire, et si l’élément C est de l’eau, il est probable que si je vends au consommateur les éléments A et B en lui disant d’ajouter une certaine quantité d’eau, de bien mélanger et de boire, je l’incite à contrefaire ce brevet. Afin de déterminer s’il y a incitation à la contrefaçon, les cours appliquent un test en trois parties : Premièrement, l’acte de contrefaçon doit avoir été réalisé par le contrefacteur lui-même. Dans l’exemple précédent, il s’agit du consommateur.  On comprend qu’il ne peut y avoir incitation à la contrefaçon s’il n’y a pas eu de contrefaçon directe. Deuxièmement, l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les actions du présumé incitateur, de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu (par exemple, en lui vendant le matériel et en lui fournissant des instructions). Troisièmement, il est nécessaire que l’influence ait été exercée sciemment par le présumé incitateur, c’est-à-dire que le vendeur doit être conscient que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon. La cause en Cour fédérale Maintenant, revenons à la décision de la Cour d’appel. Dans cette affaire, Janssen poursuivait Apotex pour incitation à la contrefaçon d’un brevet.  À noter que le brevet qui portait sur le médicament était expiré.  Cependant, Janssen prétendait qu’Apotex inciterait les médecins à prescrire ce médicament en combinaison avec un inhibiteur particulier pour traiter une maladie rare appelée hypertension artérielle pulmonaire (« HTAP »). Le brevet de Janssen porte donc sur la combinaison du médicament et de l’inhibiteur particulier pour le traitement de l’HTAP. Apotex n’aurait vendu que le médicament, sans inclure l’inhibiteur ni la combinaison, si son médicament avait été autorisé par Santé Canada1. Nulle part dans la monographie du médicament il n’est suggéré d’utiliser le médicament avec l’inhibiteur particulier. Cependant, le médicament était prescrit pour traiter l’HTAP. Les parties ont convenu que le premier volet du test était satisfait, c’est-à-dire que le médicament serait vraisemblablement prescrit avec l’inhibiteur particulier pour traiter l’HTAP. La question portait davantage sur les volets 2 et 3, est-ce qu’Apotex peut inciter à la contrefaçon alors qu’il n’y a aucune suggestion dans la monographie du médicament? La Cour fédérale a conclu que le deuxième et le troisième volets du test de l’incitation à la contrefaçon étaient satisfaits. La Cour a jugé que la monographie du médicament exercerait une influence suffisante sur les médecins pour qu’ils prescrivent le médicament en combinaison avec l’inhibiteur, et qu’Apotex était conscient que la mise sur le marché du médicament combiné à la monographie inciterait les médecins à le prescrire avec cet inhibiteur. Ce raisonnement repose principalement sur une étude citée dans la monographie et qui démontre que le médicament, qu’il soit prescrit seul ou avec l’inhibiteur, était sûr et efficace.  La décision de la Cour d’appel fédérale La Cour d’appel a confirmé la décision de la Cour fédérale et a ajouté que l’influence n’a pas besoin d’être explicite. Ainsi, la Cour a affirmé qu’une absence d’instruction explicite et d'intention de provoquer une contrefaçon directe ne signifie pas nécessairement une absence d'influence suffisante pour satisfaire au deuxième volet du test. Par conséquent, bien que l’instruction explicite et l’intention puissent être pertinentes pour évaluer l’influence, elles ne sont requises. La Cour d’appel a déclaré : « Même en l’absence de référence explicite à un traitement combiné, la Cour fédérale était en droit de conclure que la monographie du produit Apo-Macitentan influencerait l’utilisation du macitentan de cette manière.2 » Concernant le troisième volet, la Cour d’appel rappelle que l’incitateur doit être conscient que ses actions ou son influence conduiront une autre partie à s’engager dans des activités spécifiques, sans qu’il soit nécessaire de prouver qu’il sait que ces activités constitueront une contrefaçon du brevet.  La Cour d’appel maintient la conclusion selon laquelle, dans les circonstances, Apotex savait ou aurait dû savoir que la monographie de son médicament inciterait les médecins à le prescrire en combinaison avec l’inhibiteur pour traiter l’HTAP. Conclusion Ainsi, une influence implicite peut conduire à des conclusions de contrefaçon de brevet lorsque l’influenceur aurait dû être conscient des conséquences de ses actes. Cette décision confirme que les tribunaux canadiens disposent d’un outil juridique flexible pour protéger les inventions. Vous noterez que le texte est au conditionnel puisque le recours était pris sur la base du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) qui met en place certaines règles particulières relativement aux litiges dans le domaine pharmaceutique et qui empêche Santé Canada d’autoriser la vente d’une version générique d’un médicament qui contreviendrait à certains brevets dans certaines circonstances. Notre traduction; la version française de la décision n’est pas encore disponible

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  2. La valse-hésitation du brevet logiciel au Canada

    Mercredi dernier, la Cour d’appel fédérale rendait un jugement très attendu au sujet de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur (brevets logiciels). Dans la décision Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, la Cour d’appel fédérale rejette le test qu’avait proposé l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC) en première instance. D’une part, selon la Cour d’appel, la juge Gagné ne pouvait pas inclure le cadre proposé par l’IPIC au dispositif de son jugement en première instance puisque la demande des parties ne le prévoyait pas. D’autre part, il est encore prématuré, à son avis, de prescrire un cadre d’analyse en matière de brevets logiciels puisqu’il demeure plusieurs notions qui méritent encore d’être interprétées par les tribunaux canadiens. Retour à la case départ? Pas tout à fait. Rappel des faits de l’affaire Benjamin Moore (2022) Cette décision est la plus récente dans la saga des brevets logiciels au Canada et vient remettre de l’ordre dans une suite d’évènements tout à fait inhabituels. Pour ceux qui viennent de se joindre à nous, voici un bref rappel des faits. En 2010, Benjamin Moore entame une phase nationale au Canada pour deux demandes de brevets logiciels1. Les logiciels permettent de naviguer dans une banque de couleurs à partir de critères d’émotions et d’harmonie. En octobre 2014, les demandes sont rejetées au motif que les brevets portent sur de la matière non brevetable. En appliquant un cadre d’analyse que l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) appelle « problème-solution », l’examinateur en est venu à la conclusion que ces inventions se résument à appliquer des formules mathématiques sur une base de données. Or, les formules mathématiques ne sont pas brevetables. En mai 2020, la Commission d'appel des brevets (CAB) confirme cette décision. En novembre 2020, Benjamin Moore porte le rejet en appel devant la Cour fédérale. Fait inusité, lors de l’audience du 30 mars 2022, le procureur général reconnaît d’emblée, à la lumière de la décision Choueifaty2 rendue entre temps, que la commissaire aux brevets n’a pas appliqué le bon test et est d’accord pour renvoyer les brevets en réexamen. Autre fait inusité, l’IPIC intervient comme tiers au motif que l’affaire transcende les intérêts des parties puisque les examinateurs de l’OPIC continuent d’appliquer les mauvais critères en matière de brevetabilité de logiciels malgré les rappels à l’ordre répétés des tribunaux. Ainsi, l’IPIC souhaite pousser le dossier plus loin afin de rendre plus prévisible l’obtention de brevets logiciels en imposant le cadre d’analyse que devra suivre l’OPIC lors de ses examens. Dans un jugement surprenant, la juge Gagné accueille la demande de l’IPIC : les demandes de brevet doivent être réexaminées, et ce, selon le cadre d’analyse proposé par l’IPIC. Il s’agit donc d’un jugement déclaratoire reconnaissant la nécessité du cadre d’analyse proposé par l’IPIC. Du jour au lendemain, ce test devient le test applicable en matière de brevets logiciels. L’intervention de l’IPIC dans Benjamin Moore (2022) ou la nécessité de clarifier le cadre d’analyse des brevets logiciels L’IPIC n’en était pas à sa première intervention en tant que tierce partie à un dossier portant sur des brevets. Ce type de participation n’est pas toujours perçu d’un bon œil par les tribunaux, particulièrement en matière de révision administrative. D’ailleurs, vendredi dernier dans l’affaire Taillefer c. Canada3, la juge McDonald a refusé son intervention après avoir appliqué le test en trois parties, développé par la Cour d’appel fédéral4. Dans sa décision, elle écrit [notre traduction] : « dans la mesure où l'IPIC a l'intention de présenter des observations sur la question de l'approche appropriée de l'interprétation des lois, comme l'a noté la Cour d'appel fédérale ci-dessus, une telle intervention n'est pas appropriée ». Plusieurs agents de brevets et juristes se sont toutefois réjoui en 2022 de voir un cadre d’analyse plus prévisible se dessiner enfin. L’intervention de l’IPIC était certes inusitée, mais il faut revenir à la trame historique canadienne en matière de brevets logiciels pour bien saisir le problème qu’elle tentait de résoudre. Rappelons d’emblée que la Loi sur les brevets est silencieuse au sujet des logiciels. La loi définit une invention comme étant « toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité »5. Pour breveter un logiciel, il faut donc se rabattre sur une description créative de celui-ci : le décrire tel un procédé, ou encore tel un appareil de stockage sur lequel se trouvent des instructions qui, une fois exécutées par un processeur, produisent des effets particuliers. L’absence d’un véritable cadre législatif propre aux logiciels laisse un vide que les tribunaux se voient contraints de remplir en interprétant une loi dont la dernière refonte concorde avec la sortie de Windows 95 et de ses 13 disquettes. Or donc, au début des années 1970, le Bureau des brevets du Canada, chargé d’examiner les demandes de brevets, publie une notice à l'attention des professionnels des brevets expliquant qu’à son avis, les logiciels constituent un sujet non brevetable. Puis, à la suite de la décision américaine Waldbaum6, le Bureau démontre une certaine ouverture, mais fait marche arrière en 1978 dans un effort d’harmoniser ses pratiques avec la jurisprudence américaine et anglaise de l’époque. En 1981, la décision de Schlumberger7 deviendra la décision phare en matière de brevets logiciels, statuant qu’un logiciel qui s’apparente à la simple exécution d’une formule mathématique par un ordinateur ne peut être breveté. L’interprétation que fait le Bureau des brevets mène au rejet massif de demandes, mais lorsque portés en appel, la majorité des rejets sont jugés contenir de la matière brevetable et sont renvoyés aux examinateurs. En 1984, la directive de l’OPIC s’ajuste et devient enfin plus permissive. Toutefois, en 2009, le Bureau des brevets rejette une demande d’Amazon sous prétexte que le brevet porte sur un sujet non brevetable. En 2011, la Cour d’appel fédérale lui reprochera d’utiliser un test simplifié dans l’évaluation des brevets logiciels8. Le bureau semble généraliser certains principes de la jurisprudence sans tenir compte des faits et du contexte. Le brevet d’Amazon portait sur l’utilisation d’un témoin (cookie) afin de permettre l’achat en ligne sans authentification (le fameux « one-click ») et l’OPIC avait de la difficulté à concevoir qu’une invention puisse être entièrement immatérielle. Le brevet sera finalement accordé, mais plutôt que de suivre les recommandations de la Cour d’appel, l’OPIC publie de nouvelles notices de pratique en 2012 puis en 2013 sans toutefois tenir compte de la jurisprudence récente. Les contradictions entre ces notices de pratique et la jurisprudence ont mené à un examen imprévisible des brevets selon que les examinateurs suivaient les notices internes ou la jurisprudence. À l’été 2020, la Cour fédérale rappelle l’OPIC à l’ordre dans l’affaire Choueifaty9, et explique que la méthode « problème-solution » décrite dans ses Recueils des pratiques n’est pas conforme aux enseignements de la jurisprudence canadienne. Par suite de cette décision, l’OPIC modifie ses notices tout en rétablissant certains principes qui avaient été cependant proscrits par la décision Amazon, notamment en appliquant l’article 27 de la Loi sur les brevets à invention plutôt qu’à l’objet que définit la revendication10. Bref, pendant que la complexité des logiciels croît de façon exponentielle, le droit lui, se dessine une décision à la fois au détriment des inventeurs qui doivent patienter et faire les frais des incertitudes. Lorsque l’IPIC intervient comme tiers dans l’affaire Benjamin Moore et y propose un cadre d’analyse, c’est avec l’espoir de mettre fin à près de 50 ans de confusion et d’imprévisibilité. Le malaise post-Benjamin Moore (2022) Il résulte de ce jugement déclaratoire un certain malaise pour l’OPIC et le procureur général qui se portent en appel à l’automne 2022. Au lendemain du jugement de la Cour fédérale, l’OPIC plaide qu’il deviendra difficile pour un examinateur d’adapter la méthode d’évaluation à de nouvelles situations sans risquer un outrage au tribunal. De plus, la demande initiale en Cour fédérale déposée par Benjamin Moore ne visait aucunement l’obtention d’un jugement déclaratoire et le procureur général plaide que la Cour aurait dû s’en tenir aux conclusions recherchées par Benjamin Moore et le Procureur général. L’appel du jugement porte donc sur l’opportunité d’émettre un jugement déclaratoire imposant un cadre d’analyse à la demande d’un tiers. Minimalisme judiciaire — Benjamin Moore (2023) Dans le jugement de 41 pages rendu mercredi dernier, la Cour d’appel fédérale réitère en effet l’importance du minimalisme judiciaire tout en accueillant la demande du procureur général de retirer l’imposition d’un cadre d’analyse à l’OPIC. La Cour d’appel est sans équivoque en ce qui concerne l’ajout du cadre d’analyse au dispositif du jugement de première instance : À en juger par l’absence d’analyse détaillée dans les motifs de la CF, la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la version actuelle du RPBB (modifié par PN2020-04) n’était pas pertinente et son examen lacunaire de la jurisprudence applicable, il me semble que cette cour, en incluant le test dans son jugement plutôt que dans ses motifs, n’a fait que « parachuter » le test à notre Cour. Une telle démarche, qui se distingue de la situation où le tribunal traite dans des remarques incidentes d’une question qui n’est pas essentielle au règlement du litige dont il est saisi, est déplacée. Ce n’est pas faire preuve de [traduction] « courage judiciaire », comme l’a affirmé l’IPIC devant la Cour fédérale.11 La Cour rappelle également que les « intervenants ne sont pas habilités à demander une réparation que les parties elles-mêmes n’ont pas sollicitée » 12. Au surcroît, la Cour rappelle « qu’à moins que l’avis d’appel ne mentionne expressément l’adoption d’un test précis visant l’ensemble des inventions mises en œuvre par ordinateur comme réparation recherchée, une telle mesure ne devrait pas, à quelques exceptions près, être envisagée »13. Enfin, reconnaissant que la Cour fédérale est habilitée à rendre des jugements déclaratoires, elle rappelle que même lorsque demandé en bonne et due forme, le tribunal « ne peut exercer le pouvoir discrétionnaire qui permet d’accorder une telle mesure qu’après avoir appliqué le critère à quatre volets énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, au paragraphe 81 »14. Rejet du cadre d’analyse de l’IPIC Ayant conclu qu’elle pourrait corriger le jugement de première instance en appliquant le critère à quatre volets, la juge Gauthier explique plutôt que le cadre proposé par l’IPIC n’est pas adéquat et qu’il demeure trop de questions ouvertes, méritant d’être analysées par les tribunaux avant de pouvoir prescrire un cadre d’analyse. La décision offre toutefois quelques conseils en obiter, insistant sur la nécessité pour le brevet d’ajouter à la connaissance humaine. À ce sujet, la juge Gauthier écrit : « l’aspect difficile consiste souvent à déterminer en quoi consiste la découverte, c’est-à-dire ce qui a été ajouté à la connaissance humaine » et plus loin : « si la seule nouvelle connaissance consiste en la méthode en soi, c’est cette méthode qui constitue l’objet brevetable. » Le cadre proposé par l’IPIC ayant été rejeté, il faut donc se rabattre sur les décisions précédentes afin de déterminer si un logiciel est brevetable ou non. Le défi des brevets logiciels Pour comprendre pourquoi l’OPIC est parfois hésitante à accorder des brevets logiciels, il est bon de se rappeler que les brevets sont une exception au principe de concurrence. La Loi sur la concurrence15 prévoit en effet à l’article 79(5) que l’exercice du monopole obtenu grâce à un brevet, tout comme l’exercice des autres droits de propriété intellectuelle, ne constitue pas un agissement anticoncurrentiel. Ce privilège, accordé pour une durée de vingt ans au détenteur d’un brevet, se veut une contrepartie pour la divulgation publique de l’invention, au profit éventuel de la société entière. Ce principe d’échange ne date pas d’hier, la plupart des systèmes de brevets actuels se sont inspirés du Statute of Monopolies anglais de 1623. Il est cependant à parier que les Anglais de 1623 n’avaient pas anticipé l’apparition des logiciels. Or, historiquement, les créations permettant l’obtention d’un brevet comprenaient une composante tangible : une machine, un appareil, la transformation de la matière, etc. À l’inverse, les créations ne permettant pas l’obtention d’un brevet avaient souvent un aspect intangible : les idées abstraites, des formules mathématiques, l’esthétisme, la musique, etc. Lorsque les logiciels sont apparus, le sophisme était inévitable. Par ailleurs, la notion de « logiciel » est elle-même difficile à circonscrire. Le logiciel ne se résume pas au code qui a été utilisé pour l’assembler (ce dernier étant protégeable par droit d’auteur plutôt que par brevet). Ainsi, deux programmeurs guidés par les mêmes requis et spécifications réaliseront sans aucun doute des implémentations différentes, compilées en instructions machines différentes, mais qui, une fois exécutées, résulteront en ce qui pourrait être considéré comme étant le même logiciel. Breveter un logiciel revient donc en quelque sort à en breveter des éléments de ses spécifications. Lorsqu’on s’intéresse à une invention mécanique et qu’on en décrit les composantes fondamentales, on y trouve des pièces aux formes particulières s’attachant les unes aux autres. Décortiquez un logiciel en composantes fondamentales, et vous y trouverez des états, des seuils et des conditions, souvent décrites sous la forme de concepts abstraits et de formules mathématiques. Or, ces éléments se rapprochent dangereusement d’un type de sujet formellement exclu par la Loi sur les brevets. L’article 27(8) prévoit en effet qu’« il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques ». L’exclusion vise à garantir que les principes scientifiques demeurent accessibles à tous pour favoriser la recherche et l’innovation. Il est donc du devoir d’un examinateur de rejeter une demande qui viserait à s’approprier des principes scientifiques. Ainsi, selon qu’un examinateur s’intéresse à l’objectif du logiciel dans son ensemble ou à ses composantes, il conclura qu’il est brevetable ou non. La difficulté revient à reconnaître qu’un logiciel est généralement plus qu’un ensemble de formules mathématiques — il faut voir la moustache plutôt que les poils, la forêt plutôt que les arbres. C’est ce que les tribunaux canadiens ont appelé l’approche téléologique. Dans l’affaire Benjamin Moore, la Cour d’appel fédérale qualifie l’approche téléologique d’« exercice difficile, même pour les juges »16 et soumet que lorsqu’il y a erreur, c’est que « l’OPIC et la commissaire n’ont tout simplement pas compris toutes les nuances de cet exercice difficile »17. Au même paragraphe, sur une note positive, elle rassure toutefois que la nécessité d’appliquer cette méthode ne devrait plus causer problème puisque « [c]omme le fait remarquer le PG, la commissaire n’a pas interjeté appel de la décision Choueifaty, car cette dernière a dissipé la confusion relative à l’interprétation téléologique […] ».Rassurés ou non, force est de reconnaître que l’intervention de l’IPIC n’était peut-être pas la solution appropriée à ce problème — surtout lorsqu’on prend en considération Benjamin Moore qui s’est vue prise en otage par un débat qui déborde le domaine privé. Toutefois on ne peut que saluer l’effort de l’IPIC et se demander si laisser les tribunaux dessiner le cadre d’analyse, une décision à la fois, est une façon efficace d’établir le droit en matière de brevets logiciels. Cet avancement se fait indéniablement aux frais des inventeurs. https://www.ic.gc.ca/opic-cipo/cpd/fra/brevet/2695130/sommaire.html et https://www.ic.gc.ca/opic-cipo/cpd/fra/brevet/2695146/sommaire.html Choueifaty c. Canada (Procureur général), 2020 CF 837 Taillefer v. Canada (Attorney General), 2023 FC 1033 Right to Life Association of Toronto and Area c. Canada (Emploi, Développement de la main-d’œuvre et du Travail), 2022 CAF 67 Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, art. 2 In re Waldbaum, 559 F.2d 611, 194 USPQ 465 Schlumberger Canada Ltd. c. Le commissaire des brevets, [1982] 1 CF 845 Amazon.com, Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 328 Choueifaty c. Canada (Procureur général), 2020 CF 837 Amazon.com, Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 328, par. 39 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 29 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 32, citant Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 174, para. 54 à 55; Zak c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 80, para. 4 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 34, citant Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 218, para. 21 à 22; Boubala c. Khwaja, 2023 CF 658, para. 27; Hendrikx c. Canada (Sécurité publique), 2022 CF 1068, para. 27 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 35 Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 43 Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168, par. 44

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  3. Garder ses vieilles habitudes – les droits d’utilisateurs antérieurs selon le droit canadien des brevets

    Les droits d’utilisateurs antérieurs sont reconnus depuis longtemps par le droit canadien des brevets. Ces droits, qui constituent une défense contre la contrefaçon de brevet, sont considérés comme un moyen d’assurer l'équité en permettant à une personne ayant fabriqué, utilisé ou acquis de manière indépendante une invention qui fait ensuite l'objet d'un brevet de continuer à utiliser l'invention. Une version révisée de l’article 56 de la Loi sur les brevets, qui définit les droits d’utilisateurs antérieurs et qui présente des similitudes avec l'article 64 de la loi britannique sur les brevets, est entrée en vigueur le 13 décembre 2018. La disposition révisée s'appliquera à une action ou à une procédure commencée le 29 octobre 2018 ou après et portant sur un brevet délivré sur une demande déposée le 1er octobre 1989 ou par la suite. La véritable portée des droits d'utilisateurs antérieurs en vertu de la disposition révisée n’avait jamais fait l’objet d’une interprétation judiciaire avant une décision récente de la Cour fédérale dans l’affaire Kobold Corporation c. NCS Multistage Inc. Les deux entreprises en cause sont des fournisseurs d’équipements utilisés dans l'industrie pétrolière et gazière pour la fracturation hydraulique. Dans cette affaire, Kobold Corporation (ci-après Kobold, le demandeur) alléguait que quatre des outils exclusifs de NCS Multistage Inc. (ci-après NCS, le défendeur) utilisés pour la fracturation étaient en contrefaçon du brevet canadien no 2,919,561, et NCS a demandé à la Cour par voie de requête en jugement sommaire de rejeter l'action en contrefaçon sur la base des droits d’utilisateurs antérieurs. Dans son analyse du paragraphe 56 dans sa forme actuelle, la Cour a tenu compte des versions anglaise et française dudit paragraphe, de l'historique législatif, de la jurisprudence canadienne examinant le paragraphe 56 précédent, ainsi que de la législation correspondante au Royaume-Uni. Dans un premier temps, la Cour a souligné le fait que le paragraphe 56 de la Loi sur les brevets en vigueur depuis le 13 décembre 2018 accorde des droits plus étendus que l'ancien paragraphe 56, notant plus spécifiquement les trois différences suivantes : La législation précédente se limitait à accorder à un utilisateur antérieur le droit d'utiliser et de vendre un produit physique, alors que la disposition actuelle donne à un utilisateur antérieur le droit de commettre un « acte » qui aurait autrement constitué une violation. Le mot "acte" doit être interprété à la lumière de l'article 42 de la Loi sur les brevets, qui accorde des droits exclusifs pour « faire, construire et utiliser l'invention et la vendre à des tiers pour qu'elle soit utilisée », ce qui englobe notamment les méthodes brevetées. Cette interprétation peut limiter les droits d’utilisateurs antérieurs, la Cour donnant l’exemple d’un utilisateur antérieur qui fabriquait et utilisait un appareil; il pourra continuer à fabriquer et à utiliser l’appareil, mais ne pourra pas invoquer une défense d’utilisation antérieure en vertu du paragraphe 56 pour vendre l’appareil, car la vente est un acte distinct de la fabrication ou de l’utilisation au sens de la Loi.    Alors que la législation précédente limitait la protection de la vente ou de l'utilisation de la manifestation physique de l'invention, le fait de commettre un acte qui aurait constitué une contrefaçon est protégé en vertu du paragraphe 56 tel que modifié; et La législation actuelle étend la protection à une personne qui a fait des préparatifs sérieux et efficaces pour commettre un acte de contrefaçon avant la date de la revendication, ce qui n’était pas le cas en vertu du paragraphe 56 dans sa forme précédente. Les parties avaient des interprétations différentes du terme « même acte » au paragraphe 56(1), et plus particulièrement sur le degré de similitude requis. La Cour a déterminé que le mot « même » au paragraphe 56(1) signifie un acte identique, tandis que les paragraphes 56(6) et 56(9) permettent une défense par un tiers d'un usage antérieur selon la norme moins stricte d’un acte qui est « sensiblement le même ». La Cour a déclaré que l'utilisateur antérieur peut ajouter ou modifier des éléments qui n'enfreignent pas le brevet, par exemple en modifiant la couleur de la peinture d’un appareil, mais l'utilisateur antérieur ne peut pas modifier un élément faisant partie du concept inventif de l'invention. La Cour a ensuite établi les facteurs qui doivent être considérés dans l’évaluation de la défense de droits d'utilisateurs antérieurs en vertu du paragraphe 56(1) : Déterminer si les actes accomplis avant et après la date de la revendication sont identiques. Si c’est le cas, il n'est pas nécessaire d'envisager une contrefaçon – le paragraphe 56(1) fournira toujours un moyen de défense contre toute contrefaçon potentielle; Si les actes ne sont pas identiques, déterminer si les actes sont en contrefaçon du brevet, et si c’est le cas, déterminer quelles revendications sont enfreintes. Si les actes postérieurs à la revendication ne violent pas le brevet, alors il n'y a pas d'actes autrement contrefaisants et il n'est donc pas nécessaire de s'appuyer sur le paragraphe 56(1). Si les actes antérieurs à la revendication ne contrefont pas le brevet, le paragraphe 56(1) ne peut s'appliquer. Si les actes postérieurs à la date de revendication sont en contrefaçon d’une revendication particulière du brevet qui n’était pas contrefaite par les actes antérieurs à la date de revendication, le paragraphe 56(1) ne peut s'appliquer; Si les actes antérieurs et postérieurs à la date de revendication ne sont pas identiques, mais ne font qu'enfreindre les mêmes revendications, déterminer alors si les modifications concernent le concept inventif de l’invention brevetée. S'ils ne le font pas, une défense en vertu du paragraphe 56(1) est possible. La Cour a conclu qu’une requête en jugement sommaire est seulement appropriée dans les cas où les actes avant et après la date de revendication sont clairement identiques, et donc où il n’est pas nécessaire d’interpréter les revendications et d’analyser la question de la contrefaçon. Puisque dans le cas en question les actes effectués par NCS avant et après la date de revendication différaient, la Cour a conclu qu’un procès en bonne et due forme était requis afin d’analyser la question de contrefaçon et de l’application du paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets.   Conclusions Cette première analyse détaillée de l’article 56 de la Loi sur les brevets telle qu’amendée en décembre 2018 clarifie plusieurs aspects de la défense contre la contrefaçon de brevet basée sur les droits des utilisateurs antérieurs et servira certainement de fondement pour les décisions futures sur cette question. Cependant, l’application du paragraphe 56(1) de la Loi n’a pas été effectuée dans le cadre de cette requête en jugement sommaire, et il faudra donc attendre un futur procès sur cette question pour obtenir un éclairage additionnel sur la portée des droits d'utilisateurs antérieurs selon le droit canadien.

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  4. Peut-on protéger une idée, un style ou une méthode avec la Loi sur le droit d’auteur?

    À la veille des fêtes 2021, alors que les enfants rêvent des jouets que le père Noël leur apportera, nous revenons avec vous sur une décision de circonstance présentant une revue de ce qui est protégeable par la Loi sur le droit d’auteur. Comme l’a appris l’artiste en arts visuels, Mme Claude Bouchard (« Bouchard »), à l’issue du recours qu’elle avait entrepris contre Ikea Canada (« Ikea »)1, la Loi sur le droit d’auteur2 ne protège pas les idées, styles ou méthodes développés et utilisés par les artistes pour concevoir leurs œuvres et ce, même si leur travail est exposé dans des musées et commercialisé à l’international. De 1994 à 2005, Bouchard vendait des peluches créées à partir de dessins d’enfants dans une boutique Unicef à Montréal. En septembre 2014, Ikea lance un concours de dessins pour les enfants et réalise 10 peluches à partir des œuvres gagnantes, commercialisées dans la collection « Sogoskatt ». Une partie des profits est versée à l’Unicef. À l’origine, Bouchard réclamait une condamnation monétaire à l’encontre de l’Unicef et d’Ikea pour avoir copié ses jouets, alléguant que ces dernières ont utilisé, notamment, son idée, son style original ou sa façon de faire. En 2018, la Cour supérieure se prononce une première fois sur cette affaire, rejetant le recours contre l’Unicef en raison des privilèges et immunités de l’Organisation des Nations Unies3. L’immunité de l’Unicef contre les poursuites est dans ce cas absolue puisque le recours de Bouchard est en lien direct avec la mission de l’organisme4. En janvier 2021, le juge Patrick Buchholz de la Cour supérieure a mis fin au litige opposant Bouchard à Ikea, rejetant le recours en contrefaçon des œuvres de Bouchard basé sur la L.d.a. notamment parce qu’il est mal fondé, voué à l’échec et déraisonnable, donnant ouverture à son irrecevabilité pour cause d’abus5. Pourquoi le recours en contrefaçon de Bouchard était-il mal fondé? La Cour examine tout d’abord les arguments invoqués par Ikea voulant que deux éléments essentiels donnant ouverture au recours en contrefaçon6 ne pourront pas être démontrés par Bouchard : il n’y a aucune preuve qu’Ikea a eu accès aux œuvres de Bouchard7; il n’y a aucune preuve qu’Ikea a reproduit une partie importante d’une œuvre de la demanderesse. Par conséquent, Ikea avance qu’il n’y a eu aucune violation du droit d’auteur de Bouchard qui cherche un monopole sur une idée, un style ou une méthode, ce qui n’est pas protégé par la L.d.a.8. Absence d’accès aux œuvres de Bouchard Le Tribunal ne retient pas le premier argument d’Ikea selon lequel il y a une absence d’accès aux œuvres de Bouchard. Il détermine que les procédures sont à un stade trop préliminaire pour trancher cette question9. L’honorable Buchholz rappelle à cet effet que l’article 51 du C.p.c. n’est pas « un passe-droit permettant de court-circuiter le processus judiciaire et de mettre fin prématurément à des demandes en justice autrement recevables » alors que la preuve est encore incomplète10. Également, le Tribunal note le sérieux des liens entre Ikea et l’Unicef qui peuvent avoir rendu possible et vraisemblable l’accès aux œuvres de Bouchard11. Dans ce contexte, seule une audition au mérite aurait pu éclaircir la question de l’accès aux œuvres de Bouchard en permettant de tester, notamment, la crédibilité des témoins au procès12. Absence de reproduction d’une partie importante de l’œuvre Bouchard allègue que les jouets conçus par Ikea reprennent huit caractéristiques essentielles de son concept de peluches, soit : Des yeux ronds découpés dans des tissus qui ne s’effilochent pas et cousus dans les contours; Des bouches linéaires découpées en mince bordure et cousues dans les tissus qui ne s’effilochent pas; Rembourrage de fibres polyester; Le jouet est proportionné aux mains des enfants; Réalisation fidèle au dessin de l’enfant; Indication du nom de l’enfant et de son âge sur carte étiquette; Tout est en aplat, tête, corps, pattes, queue et au même plan et rembourré; Utilisation de textile, peluche et l’application des couleurs originelles des dessins. »13 Toutefois, le Tribunal retient le deuxième argument d’Ikea voulant que les peluches d’Ikea ne reproduisent pas une partie importante de l’œuvre de Bouchard. En effet, comme les œuvres de Bouchard et d’Ikea ne se ressemblent pas, cela signifie qu’une partie substantielle des œuvres n’a pas été reproduite14. Comment déterminer si une « partie importante » d’une œuvre a été reproduite? Comme le prévoit la L.d.a., le droit d’auteur sur une « œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre »15. La Cour suprême a défini ce qu’est une « partie importante » de l’œuvre dans l’arrêt Cinar16, précisant qu’il s’agit d’une notion souple, s’interprétant selon les faits. L’évaluation est globale et qualitative. Les critères qui doivent être utilisés par les tribunaux afin de déterminer s’il y a eu reproduction d’une « partie importante de l’œuvre » sont : l’originalité de l’œuvre qui doit être protégée par la L.d.a.17; la partie représente une part importante du talent et du jugement de l’auteur18; la nature des deux œuvres dans leur ensemble, sans porter attention à des extraits isolés19; l’effet cumulatif des caractéristiques reproduites de l’œuvre20. Bien que certaines caractéristiques similaires se retrouvent à la fois dans la confection des peluches de Bouchard et celles d’Ikea, les peluches sont complètement différentes et ne se ressemblent pas puisqu’elles sont conçues à partir de dessins d’enfants distincts. Bouchard admet même « qu’un jouet fait à partir d’un dessin d’enfant unique est en soi un jouet unique »21. La L.d.a. peut-elle protéger une idée, un concept ou un corpus d’œuvres? Bouchard prétend plutôt qu’Ikea a illégalement reproduit son idée, son concept, son style ou sa façon de faire22. Elle avance finalement qu’Ikea a copié non pas une œuvre précise, mais bien son « œuvre » dans son acceptation plus large23. Ces arguments de Bouchard mettent en lumière des questions qui reviennent souvent devant les tribunaux et qui démontrent une compréhension erronée de ce qui est protégé par le droit d’auteur. La protection d’une idée, d’un concept, d’un style ou d’une façon de faire En 2004, la Cour suprême rappelait que le droit d’auteur protège l’expression des idées dans une œuvre et non les idées24. Le juge Buchholz souligne à juste titre qu’un artiste peut s’inspirer d’un autre artiste sans qu’il y ait atteinte aux droits protégés par la L.d.a. Il mentionne, par exemple, que si les styles étaient protégés, Monet n’aurait pu peindre dans le style impressionniste25. Également, le Tribunal note que les peluches fabriquées par Bouchard correspondent à un style générique dicté par des normes de sécurité en matière de fabrication et de vente de jouets26. Ainsi, la L.d.a. n’offre aucune protection des idées, concepts, styles ou des méthodes et techniques de fabrication. La protection d’un corpus, d’une collection ou d’un héritage artistique Le Tribunal précise que la L.d.a. ne protège pas un ensemble d’œuvres ou un héritage artistique, mais bien chaque œuvre dans son individualité27. Bouchard c. Ikea Canada, 2021 QCCS 1376. L.R.C. (1985), c. C-42, ci-après « L.d.a. » Bouchard c. Ikea Canada, 2018 QCCS 2690. Id., par. 24-25. Art. 51 Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, ci-après « C.p.c. ». Art. 2 « contrefaçon » L.d.a. Bouchard c. Ikea Canada, préc., note 1, par. 16-17. Id.,par. 15. Id.,par. 34. Id.,par. 28. Id.,par. 37 à 39. Id.,par. 40 Id., par. 49. Id., par. 55 Art. 3 L.d.a. Robinson c. Films Cinar inc., 2013 CSC 73, par. 26, 35-36. Id., par. 26 Id. Id., par 35. Id., par. 36. Bouchard c. Ikea Canada, préc., note 1, par. 53. Id., par. 56. Id., par. 69. CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, par. 8. Id., par. 67. Règlement sur les jouets, DORS/2011-17, adopté en vertu de la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation, L.C. 2010, ch. 21, art. 29, 31 et 32. Bouchard c. Ikea Canada, préc., note 1, par. 69 à 71.

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