Construction publique : paiements rapides et règlement des litiges simplifié

Le 30 juillet 2025, le Règlement sur les paiements et le règlement rapides des différends en matière de travaux de construction (ci-après le « Règlement ») a été publié dans la Gazette officielle du Québec.

Depuis le 8 septembre 2025, le Règlement entre progressivement en vigueur1, en réponse aux demandes de divers acteurs de l’industrie. Le Règlement s’applique à la majorité des contrats de construction conclus avec des organismes publics visés par la Loi sur les contrats des organismes publics (chapitre C-65.1, r. 8.01) (ci-après la « LCOP »).

Dans l’ensemble, le Règlement vise, d’une part, à remédier aux retards de paiement chroniques dans le secteur de la construction, en établissant des normes contraignantes pour accélérer le processus de paiement des entrepreneurs et des sous-traitants engagés dans des contrats publics visés par la LCOP. D’autre part, il instaure un processus de règlement rapide des différends.

Ce faisant, le Règlement complète la Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics2.

Nous résumons ci-dessous quelques dispositions phares du Règlement.

Cas d’application et exclusions

Le Règlement s’applique à l’ensemble des contrats et sous-contrats de construction publics assujettis à la LCOP, sous réserve des exceptions suivantes3 :

  • ceux qui sont conclus en situation d’urgence en raison du fait que la sécurité des personnes ou des biens est en cause;
  • ceux qui sont conclus pour les activités à l’étranger d’une délégation générale, d’une délégation ou d’une autre organisation permettant la représentation du Québec à l’étranger;
  • toute réclamation monétaire destinée à compenser la perte de profits, de productivité ou d’une occasion d’affaires qu’un entrepreneur estime avoir subie en raison d’un changement relatif à la portée des travaux prévus au contrat ou aux conditions d’exécution.

Délais et calendrier imposés par le Règlement

Le Règlement instaure un calendrier rigide encadrant les demandes de paiement, les refus de paiement et les paiements :

Demande de paiement4

Transmise par l’entrepreneur général à l’organisme public :

1er jour du mois

Transmise par le sous-traitant à l’entrepreneur général :

25e jour du mois

Refus de paiement5

Transmis par l’entrepreneur général au sous-traitant :

21e jour du mois

Transmis par l’organisme public à l’entrepreneur général :

Dernier jour du mois

Délai pour payer (s’il y a lieu)6

De l’organisme public à l’entrepreneur général :

Dernier jour du mois

De l’entrepreneur général au sous-traitant :

5e jour du 2e mois

Du sous-traitant à un autre sous-traitant :

10e jour du 2e mois

Si la chaîne contractuelle comporte plus de deux niveaux de sous-traitance, un délai de cinq jours s’additionne à chaque niveau.

Ces dates butoirs visent à garantir une certaine uniformité et prévisibilité dans le processus de paiement. Il est possible pour les parties de modifier leurs demandes après l’envoi7.

Demande de paiement

La demande de paiement doit être écrite et contenir les renseignements suivants:

  • le nom et l’adresse de l’entrepreneur ainsi que les coordonnées de son représentant;
  • le numéro du contrat public;
  • la description détaillée des travaux effectués, des dépenses engagées et de tout autre élément pour lequel des sommes d’argent sont réclamées;
  • les périodes associées aux éléments réclamés;
  • la ventilation du montant total réclamé8.

Si l’organisme public exige la présentation de documents joints à une demande de paiement d’un entrepreneur partie au contrat, il doit inclure cette condition au contrat et spécifier les documents requis. Le même principe s’applique au sous-contrat entre les entrepreneurs et leurs sous-traitants9.

Fait important, l’organisme public peut permettre à l’entrepreneur de modifier la demande de paiement afin de corriger tout défaut de validité, sous réserve de la date de transmission. Si aucun défaut de validité n’est communiqué à l’entrepreneur avant l’échéance pour manifester un refus de paiement, la demande de paiement sera dès lors réputée valide10.

Refus de paiement

Le refus de paiement doit prendre la forme d’un avis écrit comportant les renseignements suivants :

  • la partie refusée du montant total réclamé;
  • la description des travaux, des dépenses ou des éléments de la demande de paiement visés par le refus;
  • les motifs du refus ainsi que les dispositions contractuelles ou légales sur lesquelles ils se fondent11.

Le refus d’une demande de paiement ne peut être fondé sur le seul fait que les travaux effectués résultent d’un changement au contrat et qu’au moment où la demande de paiement a été transmise, la valeur du changement n’a pas été convenue ou déterminée12.

Paiements et retenues

Dans certaines circonstances, l’organisme public peut retenir sur toute somme réclamée par l’entrepreneur :

  • Une somme suffisante pour satisfaire aux réserves faites quant aux vices ou aux malfaçons apparents de l’ouvrage13;
  • Une somme suffisante pour réparer tout dommage causé par l’entrepreneur général ou par un sous-traitant à l’ouvrage14;
  • Toute somme antérieurement payée à l’entrepreneur général pour des travaux réalisés par l’un de ses sous-traitants afin de s’assurer que les créances de ce dernier soient acquittées par l’entrepreneur général ou pour permettre à l’organisme public d’acquitter lui-même ces créances. Ce droit de retenue existe, et ce, peu importe si le sous-traitant est en droit ou non de se prévaloir d’une hypothèque légale de la construction15;
  • Une somme suffisante pour acquitter les créances des personnes, autres que les sous-traitants de l’entrepreneur, qui peuvent faire valoir une hypothèque légale de la construction sur l’ouvrage et qui ont dénoncé leur contrat avec l’entrepreneur, pour les travaux faits ou les matériaux ou services fournis après cette dénonciation16;
  • Jusqu’à 10 % de la somme due pour garantir l’exécution du contrat, à condition que cette possibilité et ses modalités soient prévues au contrat. L’entrepreneur général peut à son tour retenir des montants auprès de ses sous-traitants, à condition qu’une convention écrite le permette et que la retenue n’excède pas la retenue appliquée à l’entrepreneur par l’organisme public. Chaque niveau de sous-traitance peut se prévaloir de ce droit, avec les adaptations nécessaires17;
  • L’entièreté des sommes payables à l’entrepreneur si ce dernier n’a pas fourni l’ensemble des documents de fin de chantier, incluant l’attestation émise par la CNESST en vertu de la loi ainsi que les quittances finales des sous-traitants18.

Sauf pour les deux derniers cas, l’entrepreneur général peut offrir à l’organisme public une sûreté suffisante en lieu et place de la retenue, telle que, par exemple, un cautionnement ou une lettre de garantie bancaire suffisante.

À son tour, l’entrepreneur général peut déduire d’un paiement dû à l’un de ses sous-traitants un montant équivalent à la somme que ce sous-traitant lui a réclamé pour des travaux lorsque ces travaux ont fait l’objet d’un avis de refus émis par un autre débiteur de la chaîne contractuelle. Pour s’en prévaloir, l’entrepreneur doit avoir préalablement transmis à son sous-traitant une copie de l’avis de refus sur lequel il s’appuie19.

Les sous-traitants doivent, quant à eux, transmettre l’avis de déduction à leur propre sous-traitant, s’il y a lieu, dans les deux jours suivant la réception de l’avis20.

Dans tous les cas, le Règlement prévoit les modalités permettant la libération des retenues appliquées lorsque les conditions de libération sont satisfaites.

Règlement rapide des différends

Le Règlement introduit un mécanisme de règlement des différends visés, permettant aux parties de recourir à un tiers décideur après avoir tenté de résoudre le conflit à l’amiable21. Ce processus, amorcé par une « demande d’intervention », se veut rapide, les décisions devant être rendues dans un délai de 50 jours de la désignation du tiers décideur22.

Plus particulièrement, ce mécanisme prévoit les étapes et délais suivants :

Étapes

Délai imparti

Demande d’intervention

90 jours suivant la date de l’acceptation des travaux ou de la fin des travaux*

Réponse du cocontractant

5 jours

Désignation du tiers décideur

5 jours

Exposé détaillé du demandeur

5 jours

Exposé détaillé du cocontractant

15 jours

Décision du décideur

50 jours à compter de sa désignation (délai pouvant être prolongé pour une période maximale de 15 jours)

Paiement, s’il y a lieu

20 jours suivant la décision rendue

*    Dans le cas d’un contrat entre l’entrepreneur général et l’organisme public, la demande d’intervention doit être notifiée au cocontractant dans un délai d’au plus 90 jours suivant la date de l’acceptation sans réserve de l’ouvrage ou, à défaut, la date à laquelle l’organisme public se déclare satisfait des réparations ou des corrections apportées à l’ouvrage. Dans le cas d’un contrat de sous-traitance, la demande d’intervention doit être notifiée dans les 90 jours suivant la date de la fin des travaux convenue entre les parties23.

De plus, le Règlement prévoit entre autres ce qui suit :

  • Un différend, une demande d’intervention – Quoiqu’une demande d’intervention ne peut porter que sur un seul différend, une partie ne peut scinder les éléments constitutifs du différend dans le but de multiplier les demandes d’intervention, ni autrement agir de façon à abuser du droit de recours au tiers décideur.
  • Choix du tiers décideur – Seules les personnes dont le nom est inscrit au registre tenu par le ministre de la Justice en vertu du Règlement peuvent agir comme tiers décideur. Il appartient à la partie qui propose un tiers décideur de préalablement s’assurer de sa disponibilité. En cas de désaccord, les parties procèdent par tirage au sort.
  • Procédure – Sous réserve du respect de l’équité et de la proportionnalité, le tiers décideur mène l’intervention suivant la procédure qu’il détermine. De plus, à moins de décision contraire du tiers décideur, la procédure se déroule oralement, alors que les témoignages se font par écrit.
  • Sans avocat – Les parties ne peuvent être représentées par avocat lors de ce processus, quoiqu’un avocat peut les conseiller.
  • Confidentialité – L’ensemble de l’intervention demeure confidentiel, sous réserve d’une entente entre les parties ou d’obligations légales.
  • Honoraires du tiers décideur – En règle générale, les honoraires du tiers décideur sont répartis également entre les parties (50-50), quoique le tiers décideur peut déroger à cette répartition s’il juge que les agissements d’une partie dans le déroulement de l’intervention ont été préjudiciables, notamment en raison d’une conduite abusive ou du défaut de respecter les délais imposés. Les honoraires du tiers décideur sont plafonnés en fonction de la valeur du différend.

Conclusion

Ce nouveau régime obligatoire impose dorénavant, dans les cas couverts, un processus de paiement rapide et permet d’accélérer le règlement des différends survenant au cours de l’exécution de la majorité des contrats publics de la construction. Il aura d’importantes répercussions, tant sur les pratiques des entrepreneurs et des sous-traitants que sur celles des organismes publics. L’imposition des délais restreints imposés par le Règlement pourrait exiger des entrepreneurs et des sous-traitants une optimisation des processus internes afin de mieux traiter les demandes de paiement et de documenter adéquatement les réclamations potentielles.

Bien que le Règlement vise à simplifier et accélérer les paiements, certains entrepreneurs et sous-traitants pourraient avoir de la difficulté à respecter les délais imposés, notamment dans le cadre de projets d’envergure auxquels participent de nombreux intervenants, les délais étant susceptibles de se répercuter d’un niveau de sous-traitance à l’autre.

Le succès de ce système dépendra de la capacité des parties à s’adapter rapidement aux nouvelles exigences et à utiliser efficacement le recours au tiers décideur pour résoudre les différends.

Pour toute question ou conseil, n’hésitez pas à contacter un membre de notre équipe spécialisée en droit de la construction chez Lavery.


  1. Article 94 du Règlement.
  2. L.Q., 2022, c. 18.
  3. Articles 32 et 33 du Règlement.
  4. Article 5 du Règlement.
  5. Article 10 du Règlement.
  6. Article 15 du Règlement.
  7. Articles 7 et 8 du Règlement.
  8. Article 5 du Règlement.
  9. Article 6 al. 1 du Règlement.
  10. Article 6 du Règlement.
  11. Article 11 du Règlement.
  12. Article 12 al. 1 du Règlement.
  13. Article 22 du Règlement.
  14. Article 23 du Règlement.
  15. Article 25 du Règlement.
  16. Article 26 du Règlement.
  17. Article 20 du Règlement.
  18. Article 28 du Règlement.
  19. Article 16 du Règlement.
  20. Article 16 du Règlement.
  21. Articles 34 à 76 du Règlement.
  22. Article 63 du Règlement.
  23. Article 34 du Règlement.
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