Audit juridique interne de la propriété intellectuelle
L’importance d’une gestion proactive des droits de propriété intellectuelle Nombre d’entreprises ne se doutent pas qu’elles possèdent des droits de propriété intellectuelle1 et par conséquent ne traitent pas de propriété intellectuelle de manière proactive dans le cadre régulier de leurs opérations. Il arrive que ces entreprises s’éveillent brutalement à cette question lorsqu’une tierce partie entreprend une vérification diligente sur elles. Cette vérification comportera inévitablement le volet propriété intellectuelle et il est probable que de multiples correctifs doivent être apportés après-coup pour tenter de solidifier, consolider, récupérer leurs droits ou à l’extrême, qu’elles soient contraintes de renégocier les modalités d’une entente de principe, ou qu’elles constatent une réduction de la valeur de l’entreprise ou l’avortement d’un projet ou d’une transaction en raison de l’omission de donner l’attention nécessaire à cette catégorie d’actifs. Les tierces parties ne veulent pas investir dans une entreprise ou acheter à fort prix une entreprise ou des actions d’une entreprise si celle-ci est susceptible d’avoir des problèmes rendant inopérants des projets futurs. De surcroît, la jurisprudence nous a enseigné au cours des années qu’un acheteur ne peut pas se fier uniquement aux déclarations et garanties et aux clauses d’indemnisation d’un contrat d’achat et de vente, il doit mener une vérification diligente raisonnablement adéquate, faute de quoi il pourrait être privé de certains recours. L’acheteur sera donc vigilant, d’autant plus si la propriété intellectuelle est l’un des actifs majeurs de l’entreprise. Le présent bulletin vise principalement à aider les entreprises et leurs administrateurs à gérer adéquatement la propriété intellectuelle afin d’éviter des écueils. Il offre également des repères aux entreprises et aux institutions appelées à réaliser une vérification diligente dans le cadre d’une acquisition ou d’un financement éventuel. Il n’a toutefois pas la prétention d’être exhaustif. En outre, nous espérons que ce bulletin contribuera à sensibiliser les organisations à l’importance de la propriété intellectuelle et à démontrer que les grandes entreprises et celles dont l’activité est fortement axée sur la propriété intellectuelle ne sont pas les seules concernées par ce sujet. Qu’est-ce qu’un audit juridique interne de la propriété intellectuelle ? Un audit interne de la propriété intellectuelle est un processus qu'une entreprise réalise pour évaluer l'ensemble de ses droits de propriété intellectuelle et les mécanismes de protection et de défense en place. L'objectif est de permettre l'identification des droits et des lacunes et ainsi obtenir une vue d'ensemble du statut et de l'étendue des droits de propriété intellectuelle, de suivre l'évolution des droits de propriété intellectuelle, de déterminer les actions nécessaires pour identifier, prioriser, conserver, protéger, défendre, étendre et valoriser ces droits, ainsi que de formuler un jugement éclairé sur leur situation juridique et leurs perspectives. L’entreprise peut ainsi s’assurer qu’elle détient tous les droits de propriété intellectuelle nécessaires à l’exploitation de son activité et qu’elle est protégée contre d’éventuelles poursuites pour non-respect des droits de propriété intellectuelle d’autrui ou d’engagements en propriété intellectuelle et aussi de guider plus efficacement la direction dans diverses situations, y compris commerciales et juridiques, en accord avec la stratégie de l’entreprise. Fréquence des audits internes Proactivité La fréquence d’un audit interne de propriété intellectuelle dépend entre autres de la taille et de la nature de l’entreprise, des caractéristiques, de la complexité et du dynamisme du secteur d’activité, de l’importance stratégique des actifs de propriété intellectuelle au sein de l’entreprise, de l’évolution de ses actifs et de ses projets en cours ou futurs. Idéalement, l’entreprise veillera à effectuer cet audit de manière périodique, annuellement ou biannuellement, en réunissant les personnes informées de la propriété intellectuelle développée au sein de l'entreprise et celles capables de prendre des décisions sur les questions de propriété intellectuelle. Pour une entreprise avec une forte empreinte technologique ou une innovation rapide, une fréquence semestrielle, voire trimestrielle, peut s’avérer nécessaire. Une entreprise dotée d’un portefeuille de propriété intellectuelle limité pourra opter pour des intervalles un peu plus longs, tout en restant à l’affût des événements exceptionnels. Événements exceptionnels Bien entendu, la proactivité d’une entreprise ne la met pas à l’abri de situations urgentes ou exceptionnelles qui peuvent survenir au cours de sa vie et auxquelles il convient de répondre sans attendre l’examen périodique. Il existe des moments dans la vie de l’entreprise où un audit s’impose. Ces situations peuvent se présenter dans divers contextes, notamment les suivants : Avant un événement de liquidité ou un changement de contrôle de l’entreprise, tel qu’une fusion, une acquisition, un arrangement, une réorganisation, un premier appel public à l’épargne (IPO), ou une vente d’actifs, ou lors d’opérations stratégiques telles qu’une coentreprise ou un financement par capitaux propres ou par emprunt Lors du lancement d’un nouveau produit ou d’une expansion de marché : cette étape doit être précédée d’un audit de la propriété intellectuelle (PI) qui inclut parfois une recherche de « liberté d’exploitation » lorsque ce lancement ou cette expansion comporte une innovation Lors d’un changement structurel important, notamment la réorganisation de l’entreprise ou une nouvelle orientation stratégique Lorsqu’un changement significatif surgit dans le marché, tel que l’arrivée d’un concurrent ou le lancement prochain d’un produit similaire à celui de l’entreprise, un audit peut détecter les vulnérabilités et préparer la riposte Lors de modifications législatives importantes en PI Lors de litiges, de médiation ou de négociations impliquant des droits de PI afin d’évaluer la solidité des actifs de PI, ainsi que les forces et faiblesses du dossier pour faciliter des décisions rapides en accord avec les objectifs stratégiques de l’entreprise. De plus, l’arsenal de droits de PI peut servir à des fins dissuasives ou défensives. En effet, lors d’une poursuite en contrefaçon de brevet intentée par un concurrent, il est opportun de vérifier si ce concurrent contrefait l’un ou l’autre de vos droits de PI. Lors de la négociation d’une licence de PI, afin de s'assurer que le concédant est titulaire des droits de PI concernés et que les modalités de la licence sont en accord avec les objectifs commerciaux et les obligations contractuelles de l’entreprise En traitant des dossiers de propriété intellectuelle et en menant des réflexions en continu sur la propriété intellectuelle par des audits périodiques l’entreprise qui procédera à un audit lors d’un évènement exceptionnel pourra répondre plus aisément et plus rapidement aux questions qui surviendront. Quels sont les avantages d’un tel audit ? L’audit interne de la propriété intellectuelle permettra à une entreprise : De connaître le statut de ses droits de propriété intellectuelle, leur étendue, les forces et faiblesses De colliger de l’information sur la situation concurrentielle du marché D’identifier la propriété intellectuelle prometteuse ou sur laquelle l’entreprise compte pour atteindre ses objectifs De déterminer les travaux qui devront être entrepris afin de protéger la propriété intellectuelle et de mettre en lumière les priorités D’assurer une gestion proactive des droits de propriété intellectuelle en déterminant le monitoring qui doit être effectué De pallier une documentation lacunaire, des chaînes de titres incomplètes, des droits de propriété ambigus et une couverture incomplète des droits ainsi que les licences à faire signer ou à signer D’éviter une mauvaise gestion des logiciels libres De gérer les incertitudes relatives à l’art antérieur (tout renseignement, publication ou document rendu public avant la date de dépôt d'une demande de brevet qui est pertinent pour évaluer la brevetabilité de l'invention, notamment sa nouveauté et son caractère inventif) De gérer les lacunes dans la protection territoriale des droits De définir plus aisément l’orientation à suivre dans de multiples situations incluant dans les cas de litige, de transaction, de négociations contractuelles et de prendre des décisions en accord avec la stratégie de l’entreprise D’examiner la conformité aux lois, par exemple les questions de marquage des droits de propriété intellectuelle, les usages à proscrire et ceux à encourager De développer le profil d’une entreprise sérieuse et prudente portant une attention aux avoirs de propriété intellectuelle, ce qui ajoute de la crédibilité et qui aura l’heur de rassurer des co-contractants, acheteurs et investisseurs De réduire l’échéancier transactionnel dans le cas d’un évènement exceptionnel Quels sont les principaux aspects à traiter lors d’un audit interne ? L’inventaire de la propriété intellectuelle Dresser l’inventaire de tous les droits de propriété intellectuelle et ajouter les nouveautés (innovation, nouvelle marque) Prioriser les actifs de propriété intellectuelle s’il y en a plusieurs, afin d’allouer les ressources conséquentes à leurs protections et respecter les budgets établis Identifier les données confidentielles Repérer d’éventuels obstacles Déterminer les actifs sous-exploités ou redondants Inclure la propriété intellectuelle détenue par des tiers et pour laquelle l’entreprise a des droits d’exploitation y inclut les codes sources et les logiciels libres Le Classement dans un dossier Classer tous les documents essentiels tels que les titres de propriété, les certificats, les documents relatifs à la chaîne de titres, les accords, les licences, les cessions et les dates d’échéance et de renouvellement des droits. La confirmation de la titularité de chaque actif Confirmer que les documents officiels désignent le bon titulaire des droits de propriété intellectuelle, qu’il n’y a pas de rupture dans la chaîne des titres et que les enregistrements auprès des offices de propriété intellectuelle sont à jour et correctement attribués au titulaire actuel des droits. La correction des lacunes relatives à la titularité des droits Identifier toutes les parties pertinentes selon le cas (employés, inventeurs, concepteurs, contractuels, fournisseurs, partenaires, tierces parties) qui doivent signer des cessions de droits, des accords de confidentialité, des renonciations aux droits moraux, des licences. L’évaluation de la validité et de la solidité de la propriété intellectuelle Dans le cas de brevets, de marques de commerce et de dessins industriels, voir la portée des revendications et des antériorités afin de déterminer la force juridique de chaque brevet, dessin industriel ou marque. Les risques juridiques en propriété intellectuelle (PI) Déterminer si l’entreprise exploite des actifs de PI et des technologies qui présentent un risque d’enfreindre les droits de PI de tiers Évaluer les risques de dommages et établir une stratégie, en cas de violation de la PI de l’entreprise par des tiers Analyser la portée, la validité et la force exécutoire de toute PI bloquante ou potentiellement bloquante (qui entrave le développement ou l'exploitation d'une technologie, d’une invention ou d’un produit par l’entreprise créant une barrière à l'entrée sur un marché) Surveiller les demandes de PI pertinentes publiées des tiers Mettre à jour régulièrement les recherches et l’analyse de la liberté d'exploitation (étude menée pour s'assurer qu'un produit ou un procédé peut être développé, fabriqué et commercialisé sans enfreindre les droits de PI existants détenus par des tiers) Recueillir tout document relatif aux litiges passés ou en cours impliquant la PI de l’entreprise (incluant : décisions de justice, règlements, et négociations dans des affaires de PI, mises en demeure ou notifications, aux tiers ou concernant les droits de PI de tiers et les opinions juridiques les concernant) La mesure de l’alignement et de la pertinence de la propriété intellectuelle Déterminer si les droits de propriété intellectuelle sont en adéquation avec les objectifs commerciaux et les avancées technologiques exploitées ou prometteuses de l’entreprise. La révision des contrats de propriété intellectuelle Établir un inventaire des contrats ayant une composante propriété intellectuelle (PI) Tels que les contrats de R&D, contrats de recherche collaborative, ententes de transfert de matériel, contrats d’emploi, contrats de coentreprise, licences de PI entrantes (licences que l’entreprise a obtenues de tiers) et sortante (licences accordées par l’entreprise à des tiers sur sa propre PI), licences de logiciels libres et composantes tierces2, contrats de franchise, ententes de partage de coûts et de revenus liés à la PI, ententes de répartition des droits de PI (antérieurs et nouveaux), ententes de copropriété de PI et d’exploitation conjointe, ententes de fiducie de PI, ententes d’entiercement (escrow) de code source, de clés cryptographiques ou de documents techniques, ententes d’innovation ouverte, clauses/ententes de non-concurrence et non-sollicitation liées aux secrets commerciaux, contrats d’entreprise et de services (développement logiciel, design, audiovisuel), ententes de coexistence de marques et ententes de consentement, ententes de comarquage (co-branding), ententes de commandite, de parrainages de marchandisage (aspects PI), autorisations de droit à l’image et d’autres éléments de personnalité, contrats d’édition, ententes avec sociétés de gestion collective de droits d’auteur, contrats d’agence commerciale et de représentation (usage de marques, matériel), ententes de collecte et d’édition et ententes relatives aux contenus générés par les utilisateurs (User-Generated Content : participation interactive d’usagers qui contribuent aux contenus tels que réseaux sociaux, sites de partage de vidéos ou photos, forums, blogues, …), ententes de confidentialité, ententes de non-concurrence, ententes relatives aux inventions des employés et divulgation d’inventions. Vérifier, entre autres : Si les paiements de redevances sont faits S’il y a lieu de renégocier les modalités de certains contrats S’il y a respect de toutes les conditions Si toutes les parties pertinentes ont signé les contrats Repérer toute clause contraignante Y compris les clauses relatives aux aspects suivants : Limitation d’usage Redevances Copropriété Non-transférabilité ou transférabilité limitée des contrats Non-exclusivité des droits concédés Exclusivité des droits consentis Option sur des droits de propriété intellectuelle Hypothèque mobilière Sûreté sur des actifs de propriété intellectuelle Titrisation ou monétisation de propriété intellectuelle Vérifier également les conditions rattachées aux contrats telles que le territoire, la portée et la durée et toutes restrictions pouvant entraver une transaction. La sécurité de la propriété intellectuelle Établir ou réviser les protocoles de sécurité des secrets commerciaux et les accès restrictifs aux documents et aux locaux de l’entreprise. Les politiques de propriété intellectuelle Établir ou revoir les politiques et procédures internes pour identifier, protéger et gérer les secrets commerciaux Établir ou revoir les politiques et procédures internes pour permettre le développement des innovations Établir ou revoir les politiques et procédures internes pour traiter de l’usage de l’intelligence artificielle au sein de l’entreprise par les employés, sous-traitants et contractuels Établir ou revoir les procédures internes pour activer les protocoles de vérification juridique (afin de s'assurer que les protocoles pour effectuer des vérifications juridiques sont en place) La consolidation des développements issus de la R&D Conserver les cahiers de laboratoire (documenter toutes les étapes de l’innovation) Dédier une équipe afin d’analyser les développements, leur potentiel et le contenu PI et de déterminer les étapes qui suivront La formation Fournir une formation adéquate pour une meilleure compréhension des engagements de confidentialité et de l’utilisation de l’IA, pour tous les membres de l’entreprise afin de souligner l’importance de documenter toutes les étapes de l’innovation par les personnes concernées au sein de l’entreprise. La surveillance des droits des concurrents Surveiller les demandes de propriété intellectuelle pertinentes publiées et procéder à la mise à jour régulière des recherches et des analyses de liberté d'exploitation des innovations Passer en revue les nouveaux dépôts de marques des concurrents Consulter les nouveaux sites Internet de concurrents La vérification de la protection dans les territoires importants L’entreprise doit voir à protéger sa propriété intellectuelle auprès des offices gouvernementaux situés dans les territoires où elle exerce des activités commerciales, ou des activités de fabrication ou dans les territoires où se trouvent des intermédiaires qui font partie de la chaîne de ses opérations. Elle doit de plus viser la protection dans les territoires où elle compte étendre ses activités avant son arrivée sur ces marchés. L’établissement de la portée de la protection dans les territoires À entreprendre impérativement avant de négocier avec des fournisseurs, futurs licenciés, fabricants, etc., dans un nouveau marché et lors du lancement de nouveaux produits et services et du déploiement d’innovations. La conformité Établir ou réviser les mesures mises en place, les responsables et le plan d’action pour vérifier la conformité des gestes posés par l’entreprise Établir un système de signalement et de détection des innovations effectuées à l’interne Vérifier la conformité de l’entreprise aux licences (obligations de divulgation de codes sources, mentions de droit d’auteur, respect des droits moraux, etc.). Toute utilisation de propriété intellectuelle appartenant à des tiers doit être documentée afin de veiller à ce que l’entreprise possède les droits nécessaires pour exploiter ces éléments dans ses produits Conclusion Il est extrêmement avantageux d’organiser, de structurer et de gérer ses actifs de propriété intellectuelle. La question n’est pas de savoir si des problèmes liés à la propriété intellectuelle surgiront dans les activités de l’entreprise, mais plutôt de savoir quand ils se présenteront. Un audit récent permettra de réduire le nombre d’évènements problématiques et lorsqu’un tel évènement surviendra, votre entreprise pourra y réagir plus rapidement, subira moins de conséquences et trouvera peut-être des occasions à saisir. Si un financement ou la vente de l’entreprise est prévu, la tenue d’un audit devient obligatoire. Dans ces cas, l’exercice peut être complexe, notamment en présence de portefeuilles internationaux ou d’actifs hautement techniques. Il est donc profitable de ne pas être pris au dépourvu. Ceci permet des réponses prêtes aux questions des investisseurs, renforce l'image de l'entreprise et optimise la valorisation de la propriété intellectuelle. Un audit interne offre à l'entreprise une perspective globale de ses actifs de propriété intellectuelle, permettant d'optimiser leur utilisation tout en cernant et corrigeant les éventuelles lacunes. Cette pratique atténue les risques et permet une gestion précise des informations clés pour établir les actifs de propriété intellectuelle et faciliter les transactions commerciales qui impliquent la propriété intellectuelle. La Propriété intellectuelle (PI) inclut les brevets, demandes de brevets, marques de commerce (enregistrées, en instance ou utilisées sans enregistrement), droits d’auteur, dessins industriels, secrets commerciaux, savoir-faire, protection végétale, noms de domaine et autres données numériques (bases de données, logiciels, applications…). Incluant notamment les éléments suivants : bibliothèque, module, cadriciel, plugiciel, SDK (bibliothèques de code, des débogueurs, des compilateurs), script, pilote, logiciel embarqué (firmware), image de conteneur (fichier immuable), package, code source/objet, ainsi que leurs dépendances, fournies, détenues ou licenciées par un tiers, et utilisées, intégrées, interfacées, incorporées, distribuées, ou nécessaires à la compilation, aux tests, au déploiement ou à l’exécution des tâches, les API.